Critique d’un particularisme communisateur

La critique de toutes les sortes et de toutes les modalités des particularismes a été développée par la revue Temps critiques depuis la fin des années 1990. Le numéro 11 (hiver 1999) met en question « L’aliénation et le cours présent des particularismes ». Ont suivi deux livres de Jacques Wajnsztejn « Capitalisme et nouvelles morales de l’intérêt et du goût » en 2002 puis « Rapports à la nature, sexe, genre et capitalisme » en 2014.
À l’automne 2017, dans un texte placé sur ce blog et intitulé « Quand les communisateurs colmatent leur barque avec du racialisme« , Jacques Guigou critique l’errance de Théorie communiste dans les impasses du genrisme. Ici, il montre comment un communisateur qui signe GD se satisfait de la combinatoire sexuelle actuelle sans dire un mot sur son opérationalité dans la dynamique actuelle du capital. Lire la suite →

Quand des communisateurs colmatent leur barque avec du racialisme

Aujourd’hui, pour nombre de communisateurs, les points de vue partiels ou particularistes de genre et de race viennent relayer et se substituer au point de vue ouvrier partiel qui le précédait jusqu’au début des années 70 dans le cadre de la théorie du prolétariat ; théorie de classe, « point de vue ouvrier » pour les opéraïstes. Là où il y avait hiatus entre prolétariat et communisme les « communisateurs » ont mis en place un concept qui, pour eux, leur permet de combler ce hiatus, mais en renvoyant tout à la structure impersonnelle du capital. Devant cette abstraction puissance élevée à la puissance dix mais laminée par le courant dominant des particularismes, la théorie communiste se mue en opportunisme par rapport aux différents points de vue partiels dont les vagues font peu à peu céder tout point de vue universaliste et « à titre humain ». Mais alors que la communisation, emplie d’althussérisme implicite — tout en étant un concept et un mouvement critiquable — restait encore dans le cadre de la critique du rapport social capitaliste, on ne voit pas ce qui pourrait relier les intersectionnalités désormais intégrées par Théorie communiste, avec la communisation, justement. Plus, il n’y a aucun rapport. Sauf à penser que les « racialisés » et les « genrisés » soient les nouveaux agents actifs de la communisation dont, pour la plupart, ils n’ont même pas l’idée parce qu’ils ne produisent aucune critique de ces mêmes rapports sociaux capitalistes ; sauf à croire que ce que TC nomme le « dépassement à produire » est déjà à l’œuvre dans les pratiques qui cherchent à rendre visibles les « discriminations » de genre, de race ou vis-à-vis des religions.

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Théorie de la crise ou crise de la théorie ?

Cette suite d’échanges est le fruit d’une activité de discussions autour de la liste « soubis » dont l’un des membres a proposé un échange sur la crise à partir d’un texte de Robert Kurz, ancien membre de la revue allemande Krisis puis de la revue Exit jusqu’à son décès.

L’intervention de J. Wajnsztejn s’est faite à partir de deux axes principaux, le premier étant le caractère daté de ce texte de Kurz qui concerne la crise de 2008 comme s’il ne s’était rien passé depuis, comme si c’était une évidence que la crise s’étirait sans fin sans que cela soit pourtant une crise finale ; il s’agissait donc de critiquer l’approche qui ne considère le capitalisme que comme un système en crise sans jamais parler de sa dynamique contradictoire de développement plus caractérisée par des cycles courts de croissance et dépression que par des cycles de longue durée comme on avait pu en connaître tout au long des XIXème et XXème siècles ; le second à partir de la critique de l’utilisation de catégories idéalistes (les « abstractions réelles » de l’école critique de la valeur) qui ne sont explicatives de rien quant à la « crise » actuelle et qui sont de fait obligées de se replier sur la théorie de la valeur-travail, la baisse tendancielle du taux de profit et autres croyances marxistes jamais démontrées, ni d’ailleurs mesurables.

Ces remarques ont entraîné de nouveaux échanges inter-individuels entre JW et F. Chesnais qui présentait le texte de Kurz et une discussion publique au sein du groupe « soubis » le 10 mars 2017. Discussion que nous reproduisons ici ainsi que les quelques remarques de conclusion de JW.

Le texte préparatoire à la réunion de Kurz figure en fichier joint.

Suite à cette échange une discussion parallèle s’est engagée, en dehors du cercle « soubis » et cette fois en rapport avec le « réseaudediscussion » entre JW et Gérard. B sur machines et valeur qui est en cours encore et qui s’insérera plus tard dans cet ensemble.

Enfin, différentes remarques et discussions ont amené JW a remanier son texte d’origine « Crise ? » afin d’en faire un article en lui-même à paraître sur le site dans la semaine qui vient.

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Sur la notion de « travailleur collectif »

S’il y a aujourd’hui beaucoup de discussions autour du travail, elles restent le plus souvent d’ordre scolastique et/ou biaisées par des perspectives idéologiques et politiques qui négligent passablement ce qui se passe sur le terrain des transformations du procès de travail et plus en amont, du procès de production dont on ne peut plus le séparer. C’est pourtant ce à quoi il faut s’attacher si on veut démêler aujourd’hui les tendances contradictoires que représentent d’un côté individualisation des conditions et postes de travail, précarisation, « uberisation » et de l’autre, déploiement de la coopération d’une force de travail devenue ressource humaine et utilisant largement le General intellect. Se gargariser de thèses sur la domination du travail abstrait ou même sur l’inessentialisation de la force de travail dans le procès de valorisation ne peuvent servir de sésame surtout si on veut participer à l’articulation entre connaissance de ces transformations et pratiques critiques de lutte.

Ainsi, si Marx avait anticipé le développement de ce « travailleur collectif », à son époque ce n’était qu’une « intuition » politique qu’il a fallu vérifier bien plus tard en rapport avec le développement dialectique des luttes de classes et de la modernisation capitaliste. Une expérience que les opéraïstes italiens ont assurée d’abord comme un objectif théorique rendu pratique seulement par « l’enquête ouvrière », puis comme mouvement vers la définition d’une composition politique de classe (concrétion du travailleur collectif dans la figure de « l’ouvrier-masse ») mise à l’épreuve du feu pendant le Bienno rosso (1968-69) et les quelques années qui suivirent jusqu’au « 1977 ».

Les échanges qui suivent (voir les 3 fichiers .doc en pièce jointe à la fin du billet) mêlent des questionnements théoriques qui perdurent comme entre Max et des membres du groupe Perspective internationaliste d’une part et entre Max et JW d’autre part et des retours sur des expériences historiques, non par esprit d’entomologiste ou nostalgie, mais parce qu’ils nous interpellent encore. Lire la suite →

Pourquoi l’esprit critique est-il si peu répandu à gauche et dans les milieux libertaires ?

Soumis pour avis à plusieurs camarades, un texte initial s’est ensuite transformé en un débat suite aux nombreuses réflexions et critiques reçues par mail. Chacun a relu sa contribution et celle des autres et un peu réécrit ses courriels. Nous avons donc tous un peu débordé par rapport au thème originel dont l’objectif était de mieux cerner les particularités et difficultés de la situation actuelle, notamment par rapport aux années 60, pour ce qui concerne à la fois l’esprit critique « à gauche » et dans les milieux « radicaux » et les capacités de débattre entre militants….

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Essence ou historicité politique du concept de valeur

(forme, substance, représentation, catégorie)

Cet échange fait suite à divers écrits autour de la question des rapports entre capital et valeur : 40 ans après, retour sur la revue Invariance de J.Wajnsztejn ; Lettre à quelques amis sous l’œil de la réification une lettre privée de H.Bastelica et J-L Darlet à  J.Guigou qui leur à répondu publiquement cette fois dans l’article : Le capital ne réalise pas la philosophie de Hegel, ainsi que le dernier livre de JW et JG : Dépassement et englobement. La dialectique revisitée. C’est donc dans cet échange, que de manière plus ou moins explicite, la question du rapport à Hegel et à la dialectique est sous-jacent, comme il l’était aussi dans les discussions avec BP autour de la rationalité et qui ont fait l’objet d’une parution précédente sur le blog.
Enfin, cet échange n’est pas indépendant, ou du moins il croise l’échange avec David, paru il y a peu sous le titre La valeur à toutes les sauces et le capital fictif pour la bonne bouche. Lire la suite →

La valeur à toutes les sauces et le capital fictif pour la bonne bouche

La valeur, les théories de la valeur, « l’école critique de la valeur », la « création de valeur », les « valeurs », le plus grand flou artistique règne au dessus d’un concept qui s’est transformé en une simple idée ou même tend à n’être plus qu’un mot. Le résultat en est que les discussions autour de la valeur sont biaisées par le fait qu’il est devenu un mot valise qui emporte toute sorte de contenu en voyage. Il est donc nécessaire de revenir ou de remonter au concept comme nous avons essayé de le faire dans L’évanescence de la valeur, mais sans invoquer la moindre antériorité dans ce travail puisqu’il est le fruit de toute une décantation théorique et historique qui a commencé bien en dehors de nous et dès le début des années soixante. C’est pour cette raison que j’ai adressé cette lettre aux organisateurs d’un débat autour de la théorie de la valeur à partir de la lecture de textes de la revue allemande Krisis et de Moïshe Postone qui en a inspiré nombre de positions1.

Ce courrier a entraîné des échanges avec un des participants au débat (non organisateur), que nous faisons suivre. Lire la suite →

  1. Ces positions sont rassemblées sur le site palim-psao.fr. []

Avis de parution : n°18 de la revue et livre

Nous avons le plaisir de vous annoncer la parution du numéro 18 de la revue Temps Critiques (sommaire et 4ème de couverture plus bas) et d’un livre : Dépassement ou englobement des contradictions ? La dialectique revisitée. Ce dernier est l’oeuvre J.Guigou et J.Wajnsztejn avec pour quatrième de couverture :

« Ce fut un merveilleux lever de soleil » avait dit Hegel de la Révolution française. L’expression fut également utilisée pour qualifier Mai 68 et le dernier assaut prolétarien des années 1960-70 qui tendait à abolir le capitalisme. Sur ses limites s’enclenche une nouvelle dynamique qui permet d’englober la contradiction capital-travail mais fait resurgir des contradictions ancestrales précapitalistes (rapports entre les sexes, rapport à la nature) jusque là recouvertes par la contradiction dominante entre les classes. Féminisme, lutte contre la norme sexuelle, écologisme, autonomie, autant de mouvements, alors dits « de libération », qui semblent un temps pouvoir dépasser le capitalisme. Il n’en fut rien : ces mouvements, souvent devenus lobbies, contribuent plutôt à faire sauter des verrous. Et aujourd’hui que quasiment toutes les activités humaines sont capitalisées, c’est une contradiction encore plus ancienne et plus générale qui se manifeste à nouveau, celle entre individu singulier et communauté humaine, mais sous les formes particularisées des religions et des identités.

Ni traité philosophique, ni leçon politique pour l’action immédiate, ce livre cherche à tester la validité théorique de certains concepts hégéliens et marxiens au regard des bouleversements de ce que l’on peut désormais nommer « la révolution du capital » ; il cherche aussi à dégager des possibles pour un devenir autre.


Sommaire du numéro 18 de Temps Critiques :

  • État-réseau et souveraineté – Jacques Wajnsztejn
  • Technologisation et transformations du travail, l’exemple des bibliothèques – Gzavier
  • Projet de loi-travail et convergence des luttes : un malentendu ? – Temps critiques
  • Le projet El Khomri : un retour au XIXème siècle ? – Temps critiques
  • État islamique ou communauté despotique ? – J.Guigou
  • Au fil de quelques lectures : islamisme, fascisme, choc des civilisations, religions… – J.Wajnsztejn
  • La communauté humaine : une société sans argent ? – B.Signorelli
  • Quelques remarques autour de la question d’un monde sans argent – J.Wajnsztejn

cover_n18Quatrième de couverture :

Le capital, dans ses nouvelles tendances (capitalisation plutôt qu’accumulation, reproduction « rétrécie »), s’appuie sur une organisation dans laquelle les flux de production et d’information, de finance et de personnes, ne dépendent pas seulement de la logique du profit, mais aussi des jeux de puissance au sein de réseaux inter-connectés mais malgré tout hiérarchisés. Aujourd’hui, l’État a perdu l’autonomie relative qui était la sienne dans la société de classes à l’époque des États-nations. Il ne peut plus être perçu comme la superstructure politique d’une infrastructure capitaliste comme le concevait le marxisme orthodoxe. Son passage progressif à une forme réseau à travers laquelle il est présent, actif et englobant, tend à une symbiose entre État et capital. L’État n’est plus en surplomb de la société, puisqu’il a recours aux outils connexionnistes pour résorber ses propres institutions dans diverses formes d’intermédiation. Il en résulte que la forme de domination qu’il exerce n’est plus extérieure aux individus, mais basée sur l’internisation/subjectivisation des normes et des modèles dominants. Parmi ces modèles, celui de la technique joue bien sûr un rôle central dans la transformation des forces productives et des rapports sociaux Ce modèle technique induit par le développement capitaliste est aujourd’hui indissociable de choix politiques qui se présentent comme incontournables. Et il finit par s’imposer comme une seconde nature. Nous critiquons toutefois, l’hypothèse d’un « système » technique autonome ou « macro-système », même si ce dernier terme peut avoir une valeur heuristique à condition de ne pas lui accorder des qualités d’autonomie, d’automaticité selon la conception du « capital automate » ou au contraire de finalisme qu’il ne possède pas.

Il en est de même de la notion de « système » capitaliste : le capital ne tend vers l’unité qu’à travers des processus de division et de fragmentation qui restent porteurs de contradictions et réservent des possibilités de crises et de luttes futures. C’est bien pour cela qu’il y a encore « société » et que nous parlons de « société capitalisée ». Le capital n’a pas engendré une domestication totale car il se fait milieu, valeurs, culture provoquant ainsi une adhésion contradictoire d’individus qui participent ainsi à une « ambiance », celle de la société capitalisée.

L’hypothèse d’une « crise finale » du capitalisme qui posséderait une forte dynamique le poussant à « creuser sa propre tombe » a été démentie par les faits, même si sa dynamique actuelle repose sur le risque et donc suppose la possibilité et l’existence de crises. En effet, le capital n’a pas de forme consacrée, commerciale et financière à l’origine, industrielle ensuite. Si cette dernière forme a pu constituer un facteur de stabilisation pendant une période historique, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les jeux de puissance, associés à l’esprit de commerce ou d’entreprise et à la soif de profit des uns, le désir d’un travail bien fait, l’intérêt pour la recherche et la création de savoirs chez d’autres, poussent sans cesse vers l’innovation.

Nous assistons à ce mouvement au cours duquel la société capitalisée s’émancipe de ses contraintes sans que nous-mêmes ayons révolutionné ce monde. Quelle alternative alors nous permettrait de maintenir une perspective révolutionnaire ?


La revue est à 10 euros et le livre à 12 euros en commande directe.
Pour cela écrire à l’adresse suivante :
Temps Critiques 11 rue Chavanne 69001 Lyon
Libeller le chèque à l’ordre de Jacques Wajnsztejn


Réflexions et discussions diverses à propos du mouvement contre la loi El Khomri

Parti du signalement d’un article du Monde de M.Lazar L’ultragauche est engagée dans une logique de « confrontation avec l’Etat », rapidement balayé, ont émergé des interrogations à partir d’un autre article du même quotidien : La jeunesse va se soulever « joyeuse, dangereuse, folle, impitoyable, sanguinaire ! » de S. Rezvani. La réflexion s’est alors élargie afin de mieux cerner les caractéristiques du mouvement contre la loi El Khomri de ces derniers mois, ses références, le rôle des Nuits Debout, les formes de violence auquel il s’est confronté et aussi auquel il a donné lieu.

PS: nous tenons à votre disposition les articles complets cités ici en introduction (écrire à lcontrib at no-log.org)

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Quelques réactions à la suite de « Not in my name » d’A.Jappe

Ce texte d’Anselm Jappe aurait dû faire l’objet de quelques remarques de ma part (JW) mais les lettres qui suivent montrent que le projet en fut abandonné. Plus d’un an après il m’apparaît utile de représenter tout ça en l’introduisant.

La notion de « masque de caractère » que Marx utilisait ne nous est pas étrangère puisque, très prisée en RFA dans les années 1970, elle fut reprise plusieurs fois au début de Temps critiques, par Bodo Schulze, dans sa perspective d’un « capital automate ». Une perspective que nous avons progressivement abandonnée à partir du n° 8 pour poser la question de la nécessité ou non de l’intervention politique d’une part et celle de la puissance du capital d’autre part, les rapports sociaux d’exploitation ne nous paraissant plus rendre compte de la globalité du processus de domination en cours. C’est une voie que nous avons continué d’explorer, surtout à partir du n°15 et du livre Après la révolution du capital quand nous avons voulu analyser le redéploiement de l’ancien État-nation dans sa forme réseau plus récente au sein de ce que nous avons décrit comme les trois niveaux de la domination du capital. Non pas donc un capital toujours plus impersonnel, mais un capital comme pouvoir pour reprendre le titre du livre de Nitzan et Bichler. Lire la suite →