Amok ou terrorisme ? Quelques remarques sur un article de G.Eisenberg

Quelques remarques sur un article de Götz Eisenberg : « D’Orlando à Münich, Amok ou terrorisme1 »

Cette intervention se situe dans le cadre de la critique d’une tendance actuelle, fort présente dans les milieux d’extrême gauche, à faire des actes terroristes islamiques le produit d’une maladie du capitalisme et de son irrationalité. Celle-ci produirait des cas pathologiques qu’on pourrait séparer des causes qu’ils défendent ou pour lesquelles ils meurent. Une interprétation à la fois psychologisante des actes d’individus coupée de toute référence sociale, politique ou religieuse (ils ne défendraient pas des causes misérables, mais exprimeraient des frustrations légitimes) et relativiste dans la mesure où tous ces actes sont mis sur le même plan qu’ils proviennent d’individus d’extrême droite comme Breivik auteur des massacres en Norvège ou des djihadistes, qu’ils proviennent d’individus isolés ou qu’ils soient liés à des réseaux bien organisés. Lire la suite →

  1. pour un point de vue plus général de l’auteur Cf. http://acontretemps.org/spip.php?article606 []

Les boîtes noires de l’extrême gauche

Cet échange est né d’une réaction à nos interventions autour des attentats de 2015 à Paris mais quittant le domaine proprement événementiel il s’efforce de poser et discuter les questions du rapport des « révolutionnaires » à la religion, de leur incapacité, qu’ils soient plutôt marxistes ou libertaires n’y changent rien, à comprendre le fait que la religion n’a pas été dépassée par le progrès, le rationalisme, la révolution, mais perdure et nous saute encore à la figure avec l’islamisme militant. C’est que cette question n’a que très rarement été reliée à celle de la communauté humaine. Soit elle était vue du point de vue de l’individu rationnel opposé à toute communauté donc a fortiori religieuse soit du point de vue de classe ne reconnaissant que la communauté ouvrière. Lire la suite →

Relevé de notes en temps de crise sanitaire (VIII)

Assa Traoré dans Libération, le 4 juin : « Peu importe notre origine sociale, notre religion ou orientation sexuelle. La période du coronavirus a poussé les gens à évoluer sur leur manière de voir les choses, de consommer, de ne plus être passif ». Cela n’enlève évidemment rien au fait que des dizaines de milliers de personnes ont manifesté en France le 2 et le 6 juin, mais on ne peut s’empêcher de penser que le « peu importe » ne se justifie pas en l’occasion, puisqu’il « importe » justement à qui l’énonce1. Pendant ce temps (le même mardi 2 juin), Donald Trump a signé dans la matinée un décret réaffirmant le principe de la liberté religieuse [« peu importe », NDLR] en politique étrangère. Puis, il s’est rendu en compagnie de la First Lady au sanctuaire dédié au pape Jean Paul II [« peu importe », NDLR] dans la capitale fédérale (Le Monde du 4 juin).

La génuflexion, expurgée ou non de sa connotation religieuse, est emblématique des protestations pacifiques contre les violences policières et le racisme institutionnel, depuis qu’en 2016 le joueur de football américain Colin Kaepernick l’a popularisée, posant le genou à terre en début de match, lors de l’hymne national. Joe Biden l’a bien compris qui, à l’issue d’une discussion qui s’est tenue lundi dans une église avec des responsables noirs d’associations a posé le genou sur le sol, invitant, en outre, à la prière (« peu importe », NDLR].

Alors que les observateurs se sont immédiatement posé la question du rapport spécifique qu’entretiendraient coronavirus et Africains-Américains2 (morbidité supérieure, licenciements, manque d’accès aux soins dans les quartiers les plus déshérités) pouvant être un des éléments susceptibles d’expliquer le caractère massif des émeutes de ces derniers jours, par delà le crime commis par des policiers, les conclusions d’une enquête Ipsos commandée par le Washington Post iraient plutôt dans le sens d’un rapport ténu (Le Monde du 4 juin). En effet, les latinos-américains plutôt plus exposés aux emplois les plus précaires et ne bénéficiant parfois pas de papiers et travaillant dans les secteurs de la restauration et du BTP, auraient été plus touchés par les pertes d’emplois que les Africains-Américains dont certains travaillent dans la fonction publique ou dans des usines où ils ont pu bénéficier du filet social (aide fiscale + chômage partiel accordé par les autorités fédérales). Il faut dire que les latinos-américains sont les grands oubliés de l’antiracisme de gauche. Ils n’ont pas de Martin Luther King ou de Blacks Panthers pour faire oublier aux gauchistes américains à quel point leur « communauté » comme celles des Africains-Américains est conservatrice politiquement, la différence étant que lorsqu’elle vote (et elle vote moins) elle ne se porte pas sur le même parti. En effet, si les Africains-Américains votent démocrates, ils soutiennent la plupart du temps dans les primaires le candidat le plus à droite. Bernie Sanders vient encore de s’en apercevoir lui le candidat de la gauche « blanche » branchée sur les « sujets de société » qui a été obligé de se retirer au profit de Joe Biden qui ne porte absolument aucun projet autre que de battre Trump.

Le 2 juin, dans son éditorial Le Monde donnait son avis : « Cela ne suffit pas. Un autre facteur, sous-jacent, explique la colère : la disproportion dans la répartition ethnique des quelque 100 000 victimes de l’épidémie de Covid-19 aux États-Unis. Les Afro-Américains ont été deux fois et demie à trois fois plus nombreux à mourir du virus que les membres des communautés blanche, latino et asiatique. Les Noirs américains concentrent plus de facteurs de comorbidité, comme le diabète et l’obésité, que les autres, parce qu’ils concentrent aussi plus de pauvreté3 ».

Au-delà de ce fait indéniable, on s’aperçoit que le journal, gagné par son empathie avec la révolte des Africains-Américains en vient à adopter l’hypothèse d’une « communauté blanche » dans un pays qui a déjà du mal, malgré sa volonté identitariste, à classer les latinos-américains qui ne sont pas considérés officiellement par l’administration américaine comme une « race4 ».

Pour Jason Furman, professeur à Harvard et ancien conseiller économique de Barack Obama : « En février encore, le taux de chômage des Afro-Américains était à son plus bas historique. De plus, la réponse du gouvernement à la crise du Covid-19 a très certainement conduit à une hausse du revenu net disponible. Le désavantage économique [dont souffrent les Afro-Américains] fait donc partie de l’explication des émeutes, mais il est peu probable qu’il s’agisse de changements économiques récents et certainement pas de disparités raciales dans les changements économiques récents. » (Le Monde, le 4 juin).

Là où il y eut une dégradation importante c’est par rapport à la propriété du logement : Afro-Américains 41 %, blancs 71 %, une situation plus défavorable qu’en 1968 où il existait pourtant une discrimination légale au logement (Libération, le 30 mai).

– Dans son éditorial Libération du 30 mai, Laurent Joffrin tire la sonnette d’alarme devant les conséquences que pourraient produire les failles du discours scientifique. Il conclut par un « Ce n’est pas la science qui trompe l’opinion. C’est sa politisation ou sa déification ». Le jour même des dizaines de scientifiques ont écrit pour dénoncer les conditions de l’enquête publiée dans The Lancet lui apportant indirectement leur réponse. Depuis, la revue a fait amende honorable par rapport à son coupable laisser-aller.

– Jusqu’en 2004, M. Fortunak, chimiste ayant travaillé 20 ans dans l’industrie pharmaceutique supervisait la production de midazolam pour le compte du laboratoire américain Abbott. « À l’époque, le principe actif était fabriqué aux États-Unis. Par la suite, le laboratoire a préféré s’approvisionner en Inde, car c’était moins cher. Vendre des principes actifs est bien moins rentable que vendre des produits finis » (Le Monde, le 4 juin) et El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine d’expliquer les raisons qui augurent mal d’une relocalisation « En dépit des possibilités d’automatisation, les groupes préfèrent délocaliser dans des pays à bas salaire, de façon à dégager des marges importantes, grâce auxquelles ils pourront verser des dividendes élevés à leurs actionnaires et/ou compenser les investissements réalisés pour le marketing et la recherche et développement » (ibid.). Pour les mêmes raisons, la fabrication des « génériques » a été délaissée. E.M. Mouhoud poursuit : « Les normes européennes n’autorisent pas les États à mener des politiques ciblées sur tel ou tel secteur. Il faudrait changer les règles, de façon à mieux orienter les aides publiques, notamment le crédit d’impôt-recherche, en le concentrant sur les chaînons manquants des filières de production. Ainsi que sur les secteurs stratégiques, comme la santé : aujourd’hui, le crédit d’impôt recherche est aussi bien alloué à l’industrie pharmaceutique qu’à la grande distribution » (ibidem).

Plutôt que d’une relocalisation problématique plusieurs observateurs dont Penny Goldberg, enseignante à Yale (Le Monde, le 7 juin) pensent plus efficient une rupture avec les pratiques du juste à temps et du zéro stock qui s’avèrent incapables de répondre à des chocs conjoncturels. Elle présenterait en outre l’avantage de ne pas rompre les liens avec les pays pauvres mais industrieux (par exemple le Bengladesh) qui se sont accrochés au cycle mondial. Problème : si les chaînes de valeur restent mondiales, la rupture n’a de sens que si elle est mondiale.

– Après avoir nommé un Conseil scientifique pour lutter contre la pandémie Macron vient de créer une sorte de brain-trust économique, en s’entourant d’une équipe « d’économistes conventionnels » pour garantir l’homogénéité de son travail (Libération du 30 mai). Ni Thomas Piketty pourtant une coqueluche étasunienne et sa réforme de la fiscalité ni Esther Duflot prix Nobel et son ISF ne font partie du convoi. Sans doute étaient-ils trop « monde d’après » pour LREM et Macron. Les experts « élus », emmenés par Jean Tirole, autre prix Nobel issu de la libérale École d’économie de Toulouse ont pour but de construire « une boîte à idées » (eux aussi décidément, cf. relevé VII). Sur quels sujets ? Ils sont restés dans le vague : climat, inégalités, vieillissement. Mathiew Crawford chercheur à l’Université de Virginie parle à propos de la santé et du climat, d’une symbiose entre une morale précautionniste (safetyism) et l’autorité de l’expertise. Le PDG de Youtube déclare ainsi : « Tout ce qui irait à l’encontre des recommandations de l’OMS constituerait un viol de notre politique » (Le Figaro, le 27 mai). Dit autrement les experts s’appuient sur les réseaux et réciproquement.

– On apprend (Le Monde, le 6 juin) que la plus grosse société française de conseils, Capgemini, qui avait été chargée par l’ARS d’instaurer les principes de lean management dans les hôpitaux publics, dans le but d’un retour à l’équilibre budgétaire et de limiter les dépenses publiques de santé, vient d’être chargé, par les mêmes, d’apporter aide et secours à l’hôpital post-crise sanitaire. « On appelle les mêmes pour faire une chose et ensuite faire son contraire, c’est la stratégie de Pénélope, on tricote puis on détricote », s’amuse le sociologue des organisations François Dupuy. D’une manière générale les grands consultants ont maintenant une fonction d’expertise qui fonctionne comme légitimation préventive de la future décision de l’institution concernée. Dit autrement, les consultants tendent à définir les politiques publiques en l’absence de stratégie. Toujours la gestion par les intermédiaires qui caractérise la nouvelle forme réseau de l’État dans son action au niveau II.

– Depuis deux jours, la presse écrite consacre des articles au fait que la crise sanitaire marque le déclassement de la France et que ce qui était accepté jusque-là dans l’opinion, à savoir le décalage de puissance économique par rapport à l’Allemagne, ne l’était pas pour des domaines comme la santé et l’éducation. En fait, c’est la crise de l’État dans sa forme d’État-nation5 qui se manifeste ouvertement avec le décalage entre la place permanente de la France au conseil de sécurité d’un côté (la marque de sa puissance historique) et le manque de lits, de masques, de tests, d’appareils respiratoires de l’autre. De cette forme, il ne lui reste plus que son autoritarisme, sa police, ses autorisations dérogatoires de sortie, ses contraventions qui ne peuvent cacher l’absence de ligne directrice dont les tergiversations autour de la fermeture et de l’ouverture des établissements scolaires, du caractère obligatoire ou non de la présence des enseignants et des élèves auront fourni l’exemple le plus frappant.

– Toujours du côté des experts et des réseaux, Pierre Moscovici vient d’être nommé à la tête de la Cour des comptes (Les Échos du 2 juin) qui, d’après lui, doit jouer un rôle d’interface entre les administrations nationales et la Commission européenne. Si nous reprenons nos catégories d’analyse, c’est un exemple du rôle de l’État, dans sa forme réseau, pour articuler niveau II, celui qui lui revient en propre de gérer et le niveau I du capitalisme du sommet où ne représente qu’une instance parmi d’autres et pas forcément la plus déterminante.

Interlude :
– Dans la série novlangue du capital « l’agenda » a remplacé le programme puisque les politiques ne classent pas leurs idées, mais leurs rendez-vous. Nous avons eu droit aussi à une multiplication des « cides ». Après le féminicide qui apparemment n’est plus un homicide puisque ce dernier ne concernerait plus que les « victimes » masculines et non les humains en général6, nous avons eu droit au « climaticide ». Mais les deux nouvelles perles de la semaine sont : « être allant » ou pas, tel ce : « Macron est plutôt allant dès qu’il est question de restreindre les libertés » livre un député de la majorité au journal Le Monde du 28 mai ; ainsi que « tangenter avec » : cette « idée tangente avec », ce qui à l’usage doit être très pratique pour faire passer n’importe quoi puisque personne ne s’accorde sur le sens de l’expression.

– Muriel Pénicaud : « Il faut, en tant que français (sic), qu’on ose consommer, qu’on ose ressortir, maintenant qu’il y a les conditions nécessaires » (Le Figaro, le 2 juin). Sans commentaire.

– « Frichti » entreprise plateforme de plateaux-repas s’autodésigne « livreur de bonheur » vantant un modèle alter-écologique derrière lequel se cache un sous-traitant employant des travailleurs sans-papiers et sans contrat (Libération du 2 juin).

– Depuis le Covid-19 « la résilience » s’est répandue à grande vitesse. Exemple parmi tant d’autres, dans Les Échos du 4 juin nous trouvons « le coronavirus est un test pour la résilience du dollar ». De la même façon, on apprend par la porte-parole de la Maison-Blanche que Trump en se rendant à l’église St John pour brandir une Bible a voulu montrer « un message de résilience et de détermination » (Le Monde, le 5 juin).

– Si certains salariés « invisibles » ont été mis en lumière par la nécessité d’assurer la logistique du confinement, ce dernier aura eu aussi quelques effets positifs sur des personnes parfois jugées trop visibles par les autorités municipales, c’est-à-dire les sans-abris. L’État a ainsi mobilisé des moyens pour loger 178 000 d’entre eux dans différentes structures et 90 000 personnes ont pu bénéficier de chèques alimentaires. Maud Bigot à Lyon déclare au Monde du 4 juin : « Entre associations, collectivités territoriales et services de l’État, nous nous sommes fixés pour objectif “zéro retour à la rue après le 10 juillet”. Les bailleurs sociaux jouent le jeu et ont déjà identifié 500 logements disponibles tandis que la métropole cherche des locaux en attente de transformation…» Ces mesures seront-elles pérennes ? À l’inquiétude des associations, le ministre du Logement a répondu qu’il réunissait les « acteurs » (sic) deux fois par semaine.

Comme pour la crise sanitaire, comme pour l’arrêt de l’activité économique, il y a donc bien eu une réaction et une réponse de l’État, mais dans sa forme réseau et la gestion des situations par les intermédiaires. Mais ces mesures seront-elles pérennes ? Cela reviendrait à réinstiller de l’institution là où il n’y en a plus. A priori, ce n’était pas à « l’agenda », mais qui sait, le virus est passé par là.

– Benjamin Lemoine, chercheur au CNRS (Paris-Dauphine) dans une tribune à Libération du 2 juin explique que la BCE (Banque Centrale européenne) reste spectatrice du fonctionnement économique parce que son plan d’aide n’est conçu que pour garantir et non orienter les prêts. Pour lui, là réside la grosse différence avec ce que faisaient les États nationaux au moment de la reconstruction de l’après Seconde Guerre mondiale. En France l’État-nation articulait budget, politique monétaire, orientait le crédit avec la nationalisation des banques de dépôt et leur séparation des banques d’affaires, promouvait le rôle du Trésor public (les Bons du Trésor) et la culture du service public. Alors qu’aujourd’hui, toujours pour lui, ce sont les marchés qui décident ? C’est effectivement l’impression que l’on pourrait avoir quand on constate que les marchés de taux d’emprunt viennent de demander à la BCE d’augmenter l’aide jusqu’à 1250 Mds parce qu’au train amorcé les premières centaines de milliards seront entièrement absorbées à la fin septembre et que risquerait de se produire une fragmentation des taux d’emprunt (les trop fameux spreads) mettant en danger des pays comme l’Italie et l’Espagne. Mais on peut aussi avoir l’idée inverse qui est que les marchés suivent aussi toute décision politique qui leur apparaît comme ferme. Ils sont tendanciellement pro-cycliques mais ils ne décident pas du cycle7. En tout cas la BCE exauçait largement leurs vœux deux jours plus tard avec un total porté à 1350 Mds.

À l’heure de la globalisation, de la forme réseau des États et de la finance directe sur le marché financier, Lemoine regrette la période de l’État-nation et de sa finance intermédiée par le système bancaire. Hélène Rey de la London Business School lui répond indirectement dans Le Monde du 4 juin, que ce n’est pas à la politique monétaire (technocratique) de faire des choix qui relèvent eux-mêmes des politiques budgétaires (démocratiques) privilégiant tel ou tel agent, tel ou tel secteur.
Dans les mesures particulières d’accompagnement pour une sortie de crise, l’Allemagne a décidé de baisser de 3 points ses deux taux de TVA pour relancer plus rapidement la consommation ; une mesure que le gouvernement Macron refuse parce que la France devenue plus importatrice qu’exportatrice, la baisse profiterait aux produits chinois. Ce n’est pas l’avis du secteur de la restauration, on s’en doute !

– Comme nous le disions dans un de nos précédents relevés (VI), c’est la négociation dans la métallurgie qui semble donner le ton des débats sur l’accompagnement des salariés dans la période de crise actuelle. D’après Les Échos du 2 juin, c’est sur cette base que le gouvernement bâtit son projet de « régime spécifique d’activité partielle » prévu pour succéder aux mesures actuelles de chômage partiel. Sa programmation court sur le moyen terme puisque les entreprises peuvent en faire la demande jusqu’en juin 2022. L’idée (idéal) est que cela se fasse par accord d’entreprise même si l’accord métallurgie est un pré-accord concernant toute la branche. En cas d’échec cela peut être une mesure prise unilatéralement par les patrons dans le cadre d’une demande « d’activité réduite pour maintien dans l’emploi » qui avait déjà été initiée en 2017 sous la présidence de François Hollande. Dans ce cas, la validité de la demande serait contrôlée, théoriquement, par l’Inspection du travail.

Des mesures allant dans le même sens ont d’ailleurs été prises pour ce qui est du travail intérimaire où la chute d’activité pendant la crise sanitaire a atteint 61,1 % (Les Échos, le 4 juin), mais où les salariés ont globalement bénéficié du chômage partiel. Par ailleurs, s’il existait déjà un CDI de l’intérim (CDII) d’une durée maximum de 36 mois, Proman, la 4e agence européenne a décidé de développer un nouveau « CDI aux fins d’employabilité » qui existe en théorie depuis la loi Avenir de 2008 réformant le Code du travail, mais qui est resté peu utilisé sans doute parce que le chômage avait lentement décliné. Il ciblerait aujourd’hui les salariés de l’intérim les plus en difficulté pour retrouver un emploi dans la nouvelle situation, c’est-à-dire les moins qualifiés ou les salariés handicapés ou encore les plus de 50 ans à condition que tous soit au chômage depuis plus de six mois et qu’ils touchent les minima sociaux. Les syndicats y étaient jusqu’à maintenant opposés parce qu’ils y voyaient une méthode d’externalisation de la force de travail.

Pour l’instant les sirènes de mauvais augure sur l’augmentation du temps de travail8 semblent plus dans l’idéologie que dans l’analyse des mesures spécifiques qui posent plutôt le problème de l’emploi que du temps de travail.

– Cette préoccupation prioritaire semble confortée par un article du Monde en date du 3 juin à propos des relocalisations qui, là aussi comme nous le disions dans un relevé précédent (VI) ne peuvent guère concerner que les tâches déjà très mécanisées et donc robotisables. L’OCDE prévoit ainsi une perte possible de 16,4 % des emplois pour la France dans un pays peu robotisé (154 robots/10000 salariés contre 168 pour l’Espagne, 174 Slovénie, 200 Italie, 338 Allemagne9). Il est à remarquer que le pays européen qui reste le plus industrialisé (en production de valeur ajoutée/PIB) est aussi le plus robotisé et celui où le secteur industriel a continué à embaucher (100’000 salariés supplémentaires en 20 ans). La relocalisation pourrait aussi être simplement est-européenne, des pays comme la Roumanie et la Bulgarie offrant une structure industrielle avec des salaires qui sont concurrentiels avec ceux de Chine si on inclut la différence de prix de transport (Le Monde, le 5 juin). Mais d’autres comme la Tchéquie et la Pologne ont envie de monter en gamme dans la production de valeur ajoutée et de ne pas devenir simplement l’atelier de l’Europe.

Mais en dehors de l’Allemagne qui demeure un contre-exemple, cette substitution capital/travail produit de la robotisation risque de conduire à une inessentialisation encore plus grande du travail vivant (force de travail) dans le procès de valorisation avec son double processus contradictoire de surqualification pour une minorité de salariés et déqualification pour une majorité, avec en prime, si l’on peut dire une tendance globale à la baisse du salaire médian. C’est ce que des économistes de Harvard assez conservateurs comme Anna Stansbury et Larry Summers observent pour les États-Unis même s’ils relient cette baisse du pouvoir ouvrier de négocier à la désyndicalisation plus qu’aux transformations de la structure de production (cf. l’article de Iana Marinescu, professeur d’économie à l’université de Pennsylvanie, Libération du 3 juin).

C’est pourtant l’objectif vers lequel se dirige Bruno Le Maire quand il vise à faire de la France le leader de la voiture électrique avec son « alliance » pour la fabrication de batteries10 pour le moment fabriquées en Pologne pour Renault, en Chine pour Peugeot. Mais pour des raisons de rentabilité cela ne pourrait se faire que par plus de protectionnisme en instaurant une taxe sur l’énergie carbonée qui domine dans ces deux pays. Et cela ne résoudrait pas la question de la cherté des véhicules électriques par rapport à leurs concurrents. La CGT propose en ce sens une petite voiture populaire électrique produite en France sans doute en souvenir de la légendaire 4 CV Renault, voiture des « travailleurs français » produite à des millions d’exemplaires dès 1946. Une époque mythique pour la CGT…

– Pour Macron, l’agriculture française est stratégique : « Il nous faut rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique française et plus d’autonomie stratégique pour notre Europe. » Le beurre et l’argent du beurre si on comprend bien puisqu’il passe de « ma » France à « mon » Europe sans aucun problème pensant sans doute que la France est restée cette grande puissance agricole que pourtant elle n’est plus (cf. relevé IV).

La FNSEA est évidemment d’accord avec cette stratégie industrialiste qui seule peut faire que « ma » et « mon » correspondent ; la Confédération paysanne (et la Coordination rurale) l’est moins qui parle d’agriculture sans paysans et d’une compréhension concurrentielle de la « souveraineté alimentaire » (produire toujours plus pour moins cher) alors qu’elle a été définie par Via Campesina dans une optique coopérative de garantie des prix des petits producteurs (Le Monde, le 4 juin).

Temps critiques, le 9 juin 2020

  1. – Par rapport au mouvement des Gilets jaunes pour qui finalement un tel énoncé aurait pu convenir (« peu importe, tous Gilets jaunes »), la différence réside justement dans le fait d’en faire ici une sorte de pré-requis qui est un signe de plus de l’américanisation des politiques militantes. Ce mimétisme des activismes US est une dimension qui bouleverse nos conceptions et pratiques en Europe et surtout en France : moralisme politico-religieux, racialisme, communautarisme, victimisme, dichotomisme entre Le Bien et Le Mal. Bref, tous ces éléments montrent une emprise religieuse inédite sur les luttes menées surtout par des jeunes.

    Dans son langage empreint directement de références à Dieu certes, Terrence Floyd, le frère de Georges assassiné, a pourtant un langage plus clair : « le pouvoir au peuple ». « Pas seulement mon peuple, pas seulement votre peuple, mais à tout le peuple, chacun de nous. » []

  2. – 1988 est l’année où l’expression Afro-Américain a été lancée dans le débat public par Jesse Jackson et un groupe d’universitaires noirs qui ont appelé les gens à abandonner Negro (Nègre ou Noir suivant les acceptions puisque les afro-américains sont eux-mêmes divisés sur le signifiant des termes), Black et colored. Les esclaves s’appelaient eux-mêmes Africains au départ. Cependant les propriétaires d’esclaves américains les ont appelés « Negroes » (Nègres) qui avaient une tonalité péjorative puisque les Africains libres vivant en Afrique étaient appelés « Africains ». Certains Américains ont ensuite inventé le terme colored (plus respectueux) mais ce n’était pas majoritaire. La National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) a pris à son compte dans son sigle le terme colored (donc jugé par les Noirs moins péjoratif que « Negro »). Marcus Garvey panafricaniste lui utilisait le terme « Negro » dans le sigle de son organisation, l’Universal Negro Improvement Association (UNIA).

    Au milieu des années 1960 « colored » et « negro » ont été jugés dépassés et racistes, grâce au mouvement des droits civiques et on a adopté le terme « Black » (d’où le slogan Black is beautiful, le Black Power et les Black Panthers), et Black a gardé cette tonalité militante encore aujourd’hui aux USA, les autres termes étant progressivement abandonnés et définitivement considérés comme racistes. À la fin des années 1980 Jesse Jackson et un certain nombre d’universitaires ont décidé qu’il fallait choisir African American plutôt qu’afro-american que reprend pourtant encore, majoritairement, la presse française dans sa traduction (source : Yves Coleman, NPNF, article à paraître : « Du nègre à l’afro-descendant »). []

  3. – Pourtant, si les Noirs ont deux fois plus de probabilités de ne pas avoir d’assurance médicale que les Blancs, pour les Hispaniques c’est trois fois plus (Le Monde, le 4 juin). []
  4. – La question de l’origine hispanique ou latino est distincte de la question de la race. Les hispano-américains et les latino-américains ont des origines ethniques dans les pays d’Amérique latine et de la péninsule ibérique. Par conséquent, il n’existe pas de catégorie raciale distincte pour les Hispano-Américains et les Latino-Américains, car ils ne constituent pas une race, ni un groupe national. Lorsqu’ils répondent à la question sur la race sur le formulaire de recensement aux États-Unis, chaque personne est invitée à choisir parmi les mêmes catégories raciales que tous les Américains et est incluse dans les chiffres indiqués pour ces races. Chaque catégorie raciale peut contenir des non-hispaniques ou des latinos et des hispaniques ou des latino-américains.
    Par exemple : la catégorie raciale des Blancs ou des Euro-Américains contient des Blancs non hispaniques et des Blancs hispaniques (de même qu’il y a des Blancs hispaniques et des Blancs latino-américains); La catégorie des Noirs ou des Afro-Américains contient les Noirs non hispaniques et les Noirs hispaniques (de même qu’il y a des Noirs hispaniques et des Noirs latino-américains). La catégorie des Asiatiques-Américains contient les Asiatiques non hispaniques et les Hispano-Américains (voir Asiatiques hispaniques et latino-américains) ; et de même pour toutes les autres catégories (source Wikipedia en anglais, traduction : Yves Coleman). []
  5. – Nous l’analysions dès 1990 dans l’article « Crise de l’État-nation » du no 2 de Temps critiques, automne 1990, sans en développer toutes les déterminations et conséquences. []
  6. – Ce découplage est en rupture avec la progressivité historique du droit qui a consisté à développer une conception universaliste détachant la particularité des individus, qu’elle soit physique, de race, de sexe, d’origine sociale, du contenu de l’acte criminel lui-même pour donner à ce dernier une importance intrinsèque. Qu’il y ait eu des difficultés à faire correspondre droit progressiste et décisions de justice comme dans le cas du prétendu « crime passionnel » ne doit pas amener à tordre le bâton dans l’autre sens et en légalisant la chose qui plus est. Mais l’extrême gauche d’aujourd’hui a perdu toute ligne de conduite. Alors qu’elle s’est toujours opposée à ce que le meurtre d’un policier soit plus gravement puni, qu’elle s’oppose aussi, en général à la loi sur les repentis comme elle a été utilisée en Italie contre le mouvement de d’insubordination des années 70, elle applaudit maintenant à ce que ce soit le cas pour un « féminicide ». Bon, c’est vrai que l’extrême gauche et le droit c’est presque pire que l’extrême gauche et l’économie. []
  7. – Ce ne sont pas les marchés qui ont décidé, par exemple, de la globalisation financière, mais gouvernements et dirigeants d’entreprise qui ont privilégié des politiques de finance directe coïncidant davantage à l’intensification des échanges internationaux. []
  8. – Les menaces qui pourraient advenir via les Accords de performance collective crées par la réforme du Code du travail sont très hypothétiques ; d’abord parce que jusqu’à maintenant ils ont été peu nombreux (environ 200 sur trois ans et surtout pour des entreprises de moins de 20 salariés) ; ensuite parce que les problèmes principaux des entreprises en sortie de crise sanitaire sont de l’ordre de la reprise de la demande et de besoin de trésorerie, non de productivité et de compétitivité (Les Échos, le 4 juin). Muriel Pénicaud est d’ailleurs intervenue contre les menaces contre l’emploi chez Ryanair, une situation qui, d’après elle, ne rentre pas du tout dans le cadre des Accords de performance, n’en déplaise à Romaric Godin dans Mediapart du 28 mai. []
  9. – La différence avec nos pays voisins s’expliquerait d’abord par le fait que leur tissu industriel de PME est plus dynamique et a plus investi dans les procédures automatiques en ouvrant aussi son capital de façon à pouvoir augmenter surface financière et productive, alors qu’en France, de fait, la priorité a été donnée à la préservation de la nature patrimoniale du capital.

    Il y a par ailleurs des marges importantes de robotisation possible dans les services. On pense évidemment à l’automatisation des caisses d’hypermarchés, mais d’après une enquête des Échos du 3 juin, 4000 petits robots viennent aussi d’être installés dans la plus grande plateforme d’Amazon-France, à Brétigny-sur-Orge. []

  10. – Elles représentent 35 % de la valeur ajoutée du produit fini. []

Quelques ajouts à un échange de 2011

Réuni pour le blog voici un échange ayant eu lieu il y a 2 ans de cela avec Abraham G. Nemer à partir de la lecture du questionnaire des Journées critiques. Aujourd’hui J.Wajnsztejn comme J.Guigou ont prit la peine de compléter l’échange pour clarifier les points soulevés tels que la place de la poésie après le 11 septembre où encore sur la critique de la notion d’émancipation. Lire la suite →

Échanges autour de sexe, race et sciences sociales

L’origine des échanges est le texte de François Rastier1. Nous (Temps critiques) ne sommes pas à l’origine de cet échange puisque ce sont YC et J-P. F qui ont entamé la discussion tout en en faisant part à JW qui a déjà écrit sur ces questions dès 2002 avec Capitalisme et nouvelles morales de l’intérêt et du goût, puis en 2014 avec Rapports à la nature, sexe, genre et capitalisme. Des questions qui, parties du genre et de la libération animale, se sont ensuite étendues à la race et aux thèses décoloniales.

Elles n’ont pas fait qu’imprégner le milieu militant, elles ont aussi fait leur entrée dans l’université française depuis une vingtaine d’années comme le montre justement le texte de Rastier. Il nous est paru intéressant d’interpréter son contenu et ses exemples à partir de nos propres préoccupations et perspectives (JW).


Le 31/01/2020

Apparemment c’est un linguiste, mais ses quatre articles vont beaucoup plus loin que des considérations purement linguistiques (auquel cas je n’aurai rien compris) et avancent des hypothèses intéressantes sur la gauche identitaire et ses références idéologiques. Évidemment cela ne convaincra que les convaincus mais bon….

Il y a aussi une vidéo où il dit pratiquement la même chose si vous préférez la version audio mais il n’est pas un très bon orateur….

YC


Le 1er févr. 2021

Lecture effrayante et utile : à ce point-là…

Je me suis un temps consolé en me disant que ça ne concernait que des minorités universitaires, mais ça peut être des clusters, les lignes de passage existant.

J-P. F


Le  1er févr. 2021

Bonjour, oui je ne sais pas où il est politiquement mais c’est assez convaincant. Sauf à croire que nous sommes tous des vieux cons…. ce qui est aussi une hypothèse envisageable !


YC

Le 1er févr. 2021

Hypothèse « vieux cons » :

– c’est vrai qu’il y a un retour de balancier du fait l’ignorance, les réticences voire plus à aborder certains sujets (femmes, minorités sexuelles) pendant longtemps 

– d’autre part, le social est largement éclipsé alors que c’était la référence ; 

– de même, les mouvements démocratiques larges (type Algérie, Liban, pays de l’Est etc.) ne sont pris en considération par personne 

Du coup ça laisse le champ libre à des universitaires en quête de postes et de notoriété, avec des échos plus larges via certains médias « intellos ».

Des réactions comme le RAAR (même si tu ne les apprécies pas, pour d’autres raisons), Lignes de crête etc. montre, même c’est une minuscule poignée, qu’il y a des aussi des jeunes qui ne se laissent pas engluer dans cette m…

J-P. F


Le 1er févr. 2021

Je suis à la fois d’accord et pas du tout d’accord.

D’accord parce qu’il est évident que l’extrême gauche, les marxistes et même les anarchistes n’ont pas su avancer quoi que ce soit sur certaines questions. En désaccord parce que les mouvements identitaires sont fondamentalement opposés à toute révolution sociale. Et pas simplement les intellos ou les chefs qui recueillent des postes, mais leur base elle-même. En plus, quand tu lis les textes militants, tu as vraiment l’impression d’être hors sol (question d’âge et de formation politique) mais qu’ils sont eux aussi hors sol (quand tu fréquentes des travailleurs sans papiers, quelles que soient leur âge ou leur origine, tu vois bien à quel point les discours postcoloniaux ou féministes n’ont rien à voir avec la réalité quotidienne de ces travailleurs venus en France).

Donc pour moi le problème est autre : si effectivement toute révolution sociale est impossible alors les mouvements identitaires ont raison de lutter chacun dans leur petit –  ou grand (les femmes) – champ d’intervention.

Si des révolutions sociales sont possibles, ces mouvements identitaires sont fondamentalement nuisibles malgré leurs bonnes intentions sur certains points.

Pour ce qui concerne les mouvements démocratiques tu as raison, à l’exception notable de Mouvement communiste qui a produit beaucoup de textes à leur sujet… même si leur jargon et leurs citations de Marx et de Lénine m’insupportent. 

Pour ce qui concerne Lignes de crête et le RAAR, je pense qu’ils sont justement englués dans l’identitarisme et qu’ils n’en sortiront pas. Et même mes camarades néerlandais sont sur cette pente, au nom de la pédagogie et de l’ouverture….

Mais bon j’espère toujours me tromper….

YC


Le 1er févr. 2021

Également d’accord et pas d’accord ! Ce qui nous permet de réfléchir sur le fond.

La révolution sociale telle qu’elle était envisagée par les marxistes ou les anarchistes était aussi identitaire au départ puisque fondée sur le prolétariat comme classe salvatrice, avec – différence sur ce point – un élargissement de la « mission »  prolétarienne, qui devait ipso facto également libérer le genre humain tout entier (reste de l’ambition humaniste du jeune Marx – sur ce point Jacques saura mieux que moi). Il s’agissait d’une identité forte mais vouée à être abolie à l’étape communiste et visant le bonheur commun.

Dans les mouvements actuels, je pense qu’il faut distinguer :

  • des luttes sectorielles larges, à base locale (mouvements contre la corruption ou contre tel ou tel dictateur etc) ou à base identitaire (femmes, homosexuels) ou thématique (climat), ils brassent beaucoup de monde, surtout des jeunes comme c’est normal mais pas seulement ;
  • des affirmations théoriques fermées essayant d’imposer un vocabulaire, des raisonnements, une centralité aussi (comme autrefois le discours marxiste : « ce qui compte, c’est… » : attitude de surplomb) ; ces affirmations sont aujourd’hui défendues plus largement qu’autrefois du fait de l’élargissement des publics universitaires ; une partie de ces affirmations se colore de religion ou de complaisance avec le religieux, tu ‘as montré.

Mais cette distinction est discutable : les théoriciens, aujourd’hui comme hier, prétendent dire la vérité du mouvement réel. Mais pour les mouvements ni identitaires ni écolos, et qui sont importants, il n’y a pas à ma connaissance de réflexion dans ou à côté d’eux. Pas de Marx du 21° siècle tunisien ou biélorusse !

D’autre part, la fin de la croyance dans la venue ou de la possibilité d’une révolution sociale ne signifie pas forcément* l’adoption d’une autre croyance totalisante (écologie par exemple) ou d’une affiliation identitaire.

Elle n’implique pas non plus* l’abandon de toute activité allant dans le sens des aspirations générales du genre humain : combats pour les droits, pour plus de justice, pour plus d’égalité.

*pas de lien logique.

J-P. F


Le 01/02/2021

Pour le coup là je suis d’accord. 

Sans doute (et même certainement) suis-je orphelin d’une « croyance totalisante » comme tu dis, et j’hésite souvent entre dénoncer les nouvelles croyances (en des termes trop violents ou dogmatiques comme tu me le fais remarquer fréquemment)  et en même temps je souhaite confusément l’apparition d’une  nouvelle croyance, bien rassurante…. et bien dangereuse vu le passé du « mouvement ouvrier »…. Un mec m’a d’ailleurs écrit en disant que je devrais faire attention à l’usage et au sens du terme « mouvement ouvrier » aujourd’hui…. Encore un tic hérité d’un passé qui a disparu….

YC


Le 2/02/2021

Je vous ai fait une réponse commentaire que voici

Bonjour à vous deux,

Je ne suis pas surpris par les textes de François R puisque je suis ça de près pour un nouveau travail là-dessus et encore on peut dire si on s’en tient au secteur de l’éducation que la situation est bien pire puisqu’elle ne concerne pas que l’université et touche aussi l’éducation des enfants, même si pour le moment c’est à un degré moindre qu’au Canada ou aux EU.

Par rapport à votre échange, je voulais dire deux mots sur la question de l’identité.

À Temps critiques nous l’utilisons peu et nous lui préférons celle de particularité qui présente à la fois l’avantage de faire partie du vocabulaire courant et de ne pas être entachée de biais idéologiques, politiques ou médiatiques. Pour ne prendre qu’un exemple que l’un de vous deux cite, il est plus facile de comprendre et de faire comprendre Marx démocrate-révolutionnaire à partir de la particularité de classe que de l’identité de classe qui n’apparaît finalement qu’à partir de 1848 avec Le Manifeste. De la même façon si on reste dans sa définition hégélienne des classes (classe pour soi et en soi), la classe est un processus continu de formation/reformation et non une identité. C’est ce que comprendront bien les opéraïstes italiens avec la notion de composition de classe et ce qu’a essayé de produire un groupe comme Théorie communiste qui, à partir de l’actuelle impossibilité d’affirmation de toute identité ouvrière (nous sommes d’accord là-dessus), en vient à théoriser la classe comme  substance se produisant dans l’action de la communisation ce qui est beaucoup plus discutable car on ne règle pas le hiatus existant entre classe ouvrière (structure et mouvement) et prolétariat (essence = révolutionnaire) par un simple coup de baguette magique.

Prenons cela par un autre bout pour revenir à l’identité. Si on prend la Première Internationale, le terme d’identité peut prendre un autre sens à l’intérieur d’un mouvement unitaire d’organisation. Elle est alors synonyme de tendance, de ce qui distingue en propre telle ou telle fraction suivant son « programme » ou sa « sensibilité » dirait-on aujourd’hui. Mais on ne peut pas en déduire que cette identité est identitaire au sens où elle serait comme une superstructure idéologique d’une même infrastructure qui est le mouvement social et le but socialiste. C’est aspect perdurera jusqu’aux conditions d’appartenance à la Troisième Internationale, c’est-à-dire jusqu’au léninisme. Ainsi des communistes de gauche comme Pannekoek ou Rosa Luxembourg resteront dans la Seconde Internationale malgré l’exclusion des anars puis des Jungen. Aujourd’hui et malgré les 68 français et italiens dont on pensait que, parmi les « acquis » ils avaient dépassé dialectiquement les identités et le militantisme, tout ce fatras a tendance à resurgir. En effet, d’un côté, les groupes politiques qui survivent comme « rackets » pour reprendre une formule d’Invariance série II ont fixé des identités de survie pour certains (LO, le POI) ou alors se sont dissous par opportunisme dans les autres « identités » plus fortes ou plus à la mode (NPA, fraction Hamon du PS ou encore mêlent les deux (PCF, Alternative libertaire-CGA) ; et surtout, de l’autre, parce ce qu’on a pu appeler les mouvements de libération au début des années 70 (MLF, FHAR, mouvement anti-nucléaire) qui étaient tous des particularismes, mais trempant dans l’universel de ce qu’on croyait être la révolution générale à l’ordre du jour, se sont trouvés tout à coup, une fois notre défaite consommée à la fin des années 70 au niveau de l’ensemble des pays capitalistes « avancés », ces particularismes se sont trouvés comme orphelins de ce qui, bon gré mal gré les chapeautait encore. A cet égard, le mouvement féministe italien est peut être le plus typique de cette tension entre général et particulier et du passage de l’un à l’autre dans la mesure où, à ma connaissance, il a été le seul a perduré pendant plusieurs années pendant l’affrontement de classes du fait de la durée de celui-ci. De ce fait, il y a eu coalescence des mouvements avant une séparation qui émerge au cours du Mouvement de 1977. Alors qu’en France il y a eu comme une succession sans vraiment de rencontre si on prend certaines figures de ce mouvement comme Marie-Jo Bonnet, une des instigatrices du MLF et du FHAR qui participe à Mai 68 mais sans lien particulier avec le fil rouge des luttes de classes. On peut remarquer la même « même » indifférence, mais inversée, au féminisme posé comme question au sein du Mouvement du 22 mars aussi bien à Paris qu’à Lyon et a fortiori dans les groupes gauchistes avant les années 1970.

Idéalement, la généralité de la révolution conçue comme totalité la rendait « inclusive » pour parler post-moderne.

Orphelin, je disais, mais aussi indépendant ou autonome et bientôt en rupture avec le fil rouge des luttes de classes par l’affirmation d’autre chose qui aurait été jusqu’à là exclu de cette perspective. Il fallait donc affirmer la particularité, l’exclure volontairement cette fois pour exister en tant que mouvement puis un temps plus tard en tant qu’organisations et institutions. Or, à l’inverse de cette perspective, ce qui empêchait la particularité de s’affirmer en tant qu’identité pour le prolétariat c’était à la fois d’être toujours en excès de sa particularité du point de vue théorique (une classe qui n’est pas vraiment une classe et la perspective dialectique de la négation des classes) et pratique du fait même de son renouvellement constant alimenté par l’immigration interne et externe d’origine paysanne apportant ses propres traditions culturelles et de vie ; … et d’être toujours vaincu. L’affirmation de classe qui devenait une identité dans la prise du pouvoir des partis communistes (Russie, Chine, Cuba) n’a finalement existé que là où la classe ouvrière n’était qu’une petite fraction de la population active dans des sociétés pré-capitalistes. Mais autant que je sache dans des moments comme la guerre d’Espagne cette « identité » n’a pas été prédominante à la fois pour le meilleur (les collectivités agricoles) et pour le pire (collaboration au gouvernement républicain).

À l’inverse, pour les particularismes des années 70 il s’agissait de s’affirmer non pas contre le mouvement du capital avec le risque de la défaite au bout, mais de le faire dans le mouvement du capital qui, tout à coup, offrait des opportunités de par sa nouvelle dynamique, dans ce qu’à Temps critiques on a appelé la révolution du capital. Les mouvements de « libération » sont alors devenus des mouvements reconnus par les pouvoirs en place et les institutions. Ils se sont fondus, quelles que soient leur particularité dans un large mouvement pour les droits ; un mouvement « progressiste » (au sens ancien du terme où on l’employait dans le milieu militant ou de gauche), même si on ne s’y reconnaissait pas, c’est le moins qu’on puisse dire, ce qui ne voulait pas dire qu’il n’y avait pas quelques rapports avec certaines de ses franges restées « révolutionnaires » ou se voulant comme telles (Le groupe autour du Fléau social pour les homosexuels ou des groupes contre le nucléaire).

Nous n’en sommes plus là ; la lutte pour les droits à l’intérieur du Droit, s’est transformée en une lutte pour des droits dans le cadre de la dissolution du Droit et ce que nous avons appelé l’institution résorbée, en l’occurrence ici celle de la Justice sur le modèle américain. Le Droit était ce qui unifiait (certes dans l’aliénation/domination) autour d’une même loi compréhensible pour celui qui voulait l’entendre ou s’y soumettre et ce droit ne  évoluer que lentement puisque c’est le fondement même du Droit (et c’est d’ailleurs ce qui lui permettait d’être connu dans toutes les composantes de la société : « Nul n’est censé ignoré la loi »). Or aujourd’hui, à l’intérieur de ces particularismes en grande partie institutionnalisés (parité en politique et dans les entreprises, mariage pour tous, etc.) se détachent des fractions, ce que nous appelons des « particularismes radicaux » au sens où s’ils ne radicalisent pas leur opposition au capitalisme et aux pouvoirs en place, par contre ils radicalisent leur particularité tout en faisant allégeance, d’une manière ou d’une autre au puissances de ce monde par des pratiques de lobby appuyé par quelques actions coup de poing. Les droits qui en ressortent différencient et ne peuvent faire en commun que par intersection artificielle entre eux dans le cadre d’une conception libérale/libertaire complètement étrangère à la tradition philosophique et révolutionnaire européenne jusqu’à ce que nos « déconstructeurs » Derrida, Deleuze, Foucault et le dernier Baudrillard dont aucun n’a eu de lien avec le mouvement prolétarien aillent sévir dans les Amériques et qu’on en subisse le retour de bâton de leurs théories ripolinées au culturalisme.

Ce qui est nouveau aussi et par exemple par rapport à ce que j’appelais le mouvement progressiste (cf. supra) qui s’inscrivait dans le déterminisme historique (influence du marxisme), c’est que cela cède le pas à une régression (le rapport à la nature intérieure, par exemple de l’homme à la femme ou de l’homme à l’enfant n’est plus conçu que comme rapport à soi à travers l’artificialisation de l’humain qui permettrait d’outrepasser des déterminations naturelles qui sont aussi immédiatement sociales) qui se présente comme une émancipation comme si nous étions revenus au contexte « révolutionnaire » des années 60-70 ; or aujourd’hui, comme le disait déjà la revue Invariance au milieu des années 70, c’est le capital qui émancipe comme on peut le voir avec les Gafam qui travaillent sur le transhumanisme, et aussi tous les exemples de François Rastier sur les grandes entreprises et leurs positions sur ces questions.

JW


Le 2/02/2021

Merci beaucoup. Certains passages ne sont pas de lecture facile (par exemple je ne comprends pas les trois dernières lignes, pour le Droit je ne suis pas sûr de comprendre non plus) mais je vais m’y remettre !

J-P. F


Le 3/02/2021

Voici ma réponse aux questions de J-P. F

Pour ce qui est du droit, je voulais dire que le droit a toujours été, dans les meilleurs moments de l’avènement des sociétés démocratiques, de tendance universaliste, un droit pour tous. C’est cette volonté pendant la Révolution française qui a inclus les juifs en tant que citoyens et aboli l’esclavage, comme d’ailleurs on peut le voir aussi dans la Constitution américaine des Pères fondateurs ; mais s’il était inclusif de principe pour la communauté des égaux ou des pairs, il ne mettait pas forcément en pratique ces principes au bénéfice des femmes dans un système restant longtemps patriarcal et de minorités (bien sûr on pense ici aux Afro-Américains du Sud des États-Unis, mais aussi à un niveau plus parcellaire, à l’absence de prise en compte de différents handicaps dans la considération et l’accès à certains lieux).

Le Droit suivait l’évolution des rapports sociaux plus qu’il ne les précédait (ainsi du droit du travail ou des lois brisant le système patriarcal ; mais il n’était jamais un droit des minorités ou plus exactement il ne partait pas des minorités pour leur accorder un droit particulier « supplémentaire ». Il suivait le principe fondamental de l’égalité des conditions (cf. Tocqueville et son exemple de la démocratie en Amérique pays dans lequel cette égalisation était beaucoup plus facile que dans la France déjà profondément stratifiée si ce n’est divisée en classes à l’époque de la Révolution française) et non de la fin des inégalités. Une idée que les socialistes non utopistes comme Marx reprenaient d’ailleurs en justifiant les inégalités de salaires et le « à chacun selon son travail » et qu’en dehors d’une société communiste une autre solution n’aurait pas de sens en admettant d’ailleurs que ça est un sens dans une société communiste (voir les élucubrations de Fourier sur l’amour). Le droit était censé être le même pour tous, même le droit de propriété — rarement perçu comme propriété des moyens de production, mais propriété civile de tout individu (homme à l’origine, chef de famille) — dont le droit est inscrit dans le Code civil. Il était en principe respecté parce qu’il était le fruit d’une sédimentation sociale, culturelle et politique, ce qui faisait qu’« on » trouvait ça « normal » sauf dans des périodes révolutionnaires. La morale venait ainsi se coller à la loi ce qui faisait qu’on ne savait plus si c’était la loi ou la morale qui était le moteur de la chose. D’une certaine façon, la grande victoire de la classe bourgeoise dans sa période « progressiste » a été de promouvoir des valeurs morales et les lois qui allaient avec comme étant commune à toutes les classes y compris à celle qui pouvait porter l’antagonisme au cœur du rapport social (foi en le progrès et la valeur du travail, défense de la propriété au sens courant du terme c.-à-d. condamnation du vol, etc.).

Bref, le Droit dérivait d’un principe constitutionnel d’où découlait toute une hiérarchie de la Constitution aux lois fondamentales inscrites en elles et ainsi de suite pour descendre jusqu’aux décrets administratifs d’application.

Mais dans la perspective actuelle qui, même en France maintenant, tend à se détacher de la perspective universaliste, les nouveaux principes du droit trouvent leur origine dans des identités multiples qui se présentent et se ressentent comme discriminées et peut être à juste titre parfois, mais là n’est pas le problème pour ce que nous discutons ici.

Ce qui est dit ici en creux dans cette critique de l’universalisme c’est qu’il serait abstrait et ses principes en décalage avec le concret ; qu’il faudrait  par exemple corriger l’égalité par l’équité (ex des quotas par caste en Inde ou aux EU), établir la parité en politique et dans la direction des grandes entreprises, donc finalement créer des lois particulières à côté de la Loi générale. Mais dans ce cas, aussitôt tout se brouille, puisque si personne ne peut être raisonnablement choqué que des handicapés aient des accès facilités aux lieux publics, par exemple dans les écoles, il n’en est plus de même quand une loi va décider que la situation estimée défavorisée de tel ou tel élève lui donne plus de droit à aller dans telle ou telle école, par exemple sélective, parce qu’autrement il n’y aurait pas accès. Le critère d’argent ou de position sociale privilégiée est censée ne plus être corrigée par l’institution démocratique et son fonctionnement idéalement méritocratique (l’ascenseur social), mais par l’intervention extérieure de la loi et de l’État. Cet exemple s’inscrit encore dans un cadre institutionnel, celui de l’Éducation. Mais si l’on aborde les nouveaux droits qui surgissent de la sphère privée, on s’aperçoit alors que ces droits dérivent de principes conventionnels déterminés par différentes forces sur la base de leur propre paradigme régulateur (cf. les arguments pour la PMA et la GPA) ensuite soumis à l’État après des pratiques de groupes de pression. L’État doit alors réaliser cet équilibre de façon horizontale plutôt que verticale, de manière purement empirique, à tâtons et de proche en proche. Mais cet équilibre ne peut qu’être instable ou transitoire puisque ces rapports de forces devenus dans la pratique des campagnes de militantisme promotionnel se modifient potentiellement au jour le jour dans le nomadisme des identités. C’est comme s’il y avait une base de droits comme il y a une base de données et que ces droits cherchent des sujets ou même maintenant des paroles pour les représenter quand ils concernent des vivants non-humains (droit des animaux, droit des arbres, etc.) car de la même façon qu’il y aurait des minorités invisibilisées, il y aurait aussi des identités silencieuses. Mais ce qui se présente comme nouveau sujet ne peut le faire que dans l’expressivité d’une pratique sociale et « communicationnelle ». Elle doit s’inventer un langage de compréhension du monde (exemple de l’écriture inclusive) et de compréhension de soi (le discours de la victimisation) qui n’a que peu à voir avec un langage commun et qui doit le poser en a priori de la communication de l’information.

De fait et souvent malgré l’intention consciente des protagonistes, c’est le modèle du marché qui est reproduit, simplement sur le mode alternatif.

C’est le triomphe de l’immédiateté des individus-particules. L’egogestion à la place de l’autogestion sous le parapluie de l’État qui distribue les lois comme l’ancien Régime distribuait les titres et prébendes. Alors même que les institutions sont résorbées et donc affaiblies dans le passage de la forme nation de l’État à sa forme réseau, cette dernière prise comme un retour à l’avant-scène de la « société civile », la demande de plus État se fait de plus en plus forte. En effet, il n’y a qu’une unité supérieure qui puisse classer et trancher entre les différents types de droits tous rendus en principe équivalents ou presque et vérifier la compatibilité du droit devenu contractuel et conventionnel avec la Loi constitutionnelle. Le droit public tend alors à s’aligner sur les procédures de droit privé. La judiciarisation procédurale supplante l’ancienne Justice restée il est vrai sur le modèle laïcisé du droit divin. Loin de moi l’idée d’en faire l’apologie : c’est un constat critique de l’évolution. Les anciennes médiations institutionnelles et symboliques perdent de l’importance au profit de systèmes autoréférentiels appartenant au « monde post-moderne ».

Autre exemple de prolifération des droits et des effets pervers du devenu des mouvements de libération, le c’est mon corps et j’en fais ce que je veux du mouvement féministe qui s’inscrivait dans une libération certes limitée est devenu un « c’est mon choix » qui justifie aussi bien la prostitution (« les travailleuses du sexe ») que la possibilité de congeler les ovocytes des femmes cadres supérieurs puisque leurs employeurs les encouragent à retarder au maximum ce moment non-productif qu’est l’enfantement t l’éducation des enfants en bas âge. Comme « on » sait que le rendement attendu des cadres par les directions est globalement déclinant à partir de 45 ans, il s’agit de ne pas perdre de temps (de travail).

Dernier exemple, le féminicide est devenu un degré supérieur de l’homicide qui particularise un acte de même nature que l’homicide qui d’ailleurs l’incluait, sous prétexte que les causes peuvent être différentes. Que cela soit pour la bonne cause c’est à dire le fait de mettre le doigt sur des circonstances aggravantes ou de faire qu’il soit plus facile de condamner un homme pour féminicide que pour dépit amoureux, il n’empêche que tout cela contrevient à toute la perspective progressiste humaniste du droit.

En effet, les humanistes de gauche ont toujours lutté pour que les peines soient détachées du physique de la personne, de son sexe, de ses origines sociales ou ethniques, de son statut social pour pouvoir les objectiver en neutralisant autant que faire se peut les présupposés et préjugés. La même approche devait prévaloir quant à l’attitude à avoir par rapport à la victime de façon à ce qu’il n’y ait pas de type de victime pouvant constituer en soi un fait accablant (hormis pour les enfants)… Ainsi, pour la Gauche au sens large, tuer un flic n’était pas plus grave, si ce n’est moins dans une période de révolte sociale ou politique, que tuer un autre individu quelconque et elle s’était toujours élevée contre les tendances à faire de ce genre de meurtre un fait plus grave entraînant une peine plus lourde, car elle estimait que cela s’inscrivait dans la lutte contre l’ordre établi, la police en étant le représentant. À l’inverse, les pouvoirs publics, les syndicats de policiers et la magistrature n’ont eu de cesse de vouloir en faire un marqueur de la répression contre les forces subversives. Or, avec les tendances particularistes, relativistes et contractualistes actuelles on mesure l’involution de cette Gauche traditionnellement méfiante par rapport à la justice de la société bourgeoise et tout à coup férue d’appels à toujours plus de judiciarisation auprès de la justice de la société du capital. Oublié le temps où la prison était critiquée en soi en tant que lieu d’enfermement et de reproduction de la délinquance.

Le lien avec la question de l’émancipation est évident. Pendant toute la période où se mêlent procès d’individualisation et lutte des classes (c’est la façon dont s’y détermine alors et de façon spécifique ce que nous appelons la tension individu/communauté), les luttes se font dans la perspective de l’émancipation (des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes, des femmes par rapport au patriarcat, etc.), à l’intérieur donc de la perspective plus large, révolutionnaire. Ce sera à un autre niveau, par exemple en Italie, ce qu’on appellera le mouvement de « l’autonomie » et plus particulièrement de « l’autonomie ouvrière », dans la dialectique du « dans et contre » disait par exemple Mario Tronti dans Ouvriers et capital.

Avec la défaite des mouvements prolétariens des années 60-70 (France, Italie, Portugal en tout premier lieu, Pologne ensuite) une nouvelle dynamique du capital se développe sur cette défaite. Les restructurations industrielles, le procès de mondialisation/globalisation sont impulsés dans les pays qui ont le moins connu ce mouvement de subversion (EU, Japon, Allemagne, Pays-Bas) parce que la centralité du travail et du combat de classes y était déjà beaucoup moins prégnante. Les autres suivront. Dans tous les cas, cette période de basculement n’est pas une contre-révolution (il n’y a pas eu vraiment révolution), mais un retournement de l’ancien cycle de lutte dans lequel on pourrait, inversant la célèbre formule de Marx, mais pour l’appliquer à un champ plus vaste, le vif saisit le mort : les restes d’autonomie deviennent gestion de sa ressource humaine ; l’absentéisme et le turn-over qui marquaient la flexibilité pour l’ouvrier deviennent flexibilité pour le patron ; le mouvement de libération des femmes devient féminisme. Le dans et contre n’est plus qu’un dans d’où le mouvement dialectique ou ce qu’on appelait le travail du négatif n’existerait plus. Comme disaient Deleuze et Guattari, il s’agit maintenant d’affirmer les choses … jusqu’à l’empowerment ânonnent leurs disciples. Les pratiques critiques de libération ou d’émancipation sont comme positivées dans le retournement au profit du capital, d’où notre formule, dans le passage de la société de classes à la société capitalisée (grosso modo à partir des années 1990), c’est le capital qui émancipe. Ce qui était revendication et pratique collective de lutte devient, par exemple au sein du féminisme institutionnel, l’expression d’une liberté individuelle inconditionnelle qui certes découle du mouvement féministe originel, mais qui s’en sépare dans la mesure où l’élan d’émancipation qui le sous-tendait sombre dans l’appropriation capitaliste de son propre corps. Une conception qui décide aussi bien du bien-fondé du porno-féminisme, que du « travail du sexe » ; de la PMA que de la GPA.

La libération des désirs a été passée au tamis de l’utilitarisme benthamien.

JW      


Le 3/02/2021

Merci, c’est très clair et très convaincant. Et merci d’abord d’avoir eu cette patience pédagogique pour ce complément, patience dont je sais qu’elle n’est jamais donnée ! 

Réponse immédiate : la question de l’universalisme est bien centrale, qu’on la traite avec comme référence l’affirmation émancipatrice générale du mouvement ouvrier (affirmation plus théorique que vécue, car le nationalisme par exemple a toujours été plus fort, dès la Première guerre mondiale) ou comme une indémontrable affirmation humaniste (n’interdisant pas la prise en compte du combat contre les inégalités sociales* mais ne donnant pas à la classe ouvrière ce rôle de singulier vecteur du général qu’il avait dans ce que j’appellerai maintenant – après avoir expliqué le contraire durant un demi-siècle – les messianismes socialistes).

Sur le droit : le rapprochement avec le droit privé, contractuel, est très parlant. 

* l’expression n’est pas bonne voire molle, disons que c’est ce qui me vient sous le clavier…

Du premier texte, je retiens ce terme de particularité. Je le passerai, avec quelques explications, à  ex-sans-papier (titre salarié il y a deux semaines) de ma connaissance, en butte aux pressions incessantes de son milieu (malien), qui lit et réfléchit à ces questions.

J-P. F


Le 3/02/2021

Pour en rester à la première réponse, je crois qu’il faut tenir compte du fait que depuis les années 1960 dans le monde anglo-saxon tout le monde parle de l’identity politics, de la politique des identités – ou de la politique identitaire si l’on veut être plus méchant et plus précis. Je comprends la décision d’introduire une différence conceptuelle entre particularisme et identité mais je crains que le terme « identité » soit en français devenu le terme dominant et pour longtemps.

Pour la seconde réponse, je crois que ces mouvements identitaires ne partent pas d’une analyse sociale (et encore moins « de classe » puisque les identitaires considèrent comme vous qu’il n’y a plus de lutte de classe ou que s’il y en a une elle n’a aucun sens), mais 

– soit de positions biologiques: la race (omniprésente désormais et là Rastier cogne dur en rappelant les proximités entre la « race sociale » des gauchistes et la « race mentale » de Hitler) ; le sexe (« travesti », si j’ose dire, en genre dans la plus grande confusion, puisque l’on prétend d’un côté que le genre peut changer plusieurs fois dans la journée, serait volatil et insaisissable, tout en réclamant en même temps à l’Etat l’inscription de ce prétendu genre sur des papiers d’identité, donc des documents pérennes ; ou en procédant à des opérations chirurgicales qui ont des conséquences physiques irrémédiables sur la procréation !)

– soit d’héritages au contenu purement psychologique-traumatique : le « descendant » d’esclaves l’est à vie (le traumatisme psychologique peut durer des siècles, voir par exemple les explications socio-psy sur « l’infidélité/irresponsabilité » jugée congénitale des  descendants mâles d’esclaves aux Antilles comme aux Etats-Unis), mais pas le « descendant »  de prolétaires morts dans un accident de travail, au fond d’une mine ou sur un chantier, et encore moins le descendant de déportés juifs assassinés dans les camps nazis, qui lui est uniquement vu comme un profiteur (cf. le livre de Finkelstein au titre et au contenu ignobles  Shoah Business,  et toute la propagande antisioniste qui repose sur la négation du trauma du judéocide et de la signification historique de cet événement).

Il me semble que l’on arrive aussi à une confusion totale entre l’exposé des souffrances les plus intimes et la légitimité politique. Je pense à AOC (Alexandria Ocasio-Cortez) faisant le récit de la peur qu’elle a éprouvée lors de l’intrusion du Capitole2, de la conviction que les manifestants allaient la tuer s’ils la trouvaient, et révélant tout à coup qu’elle a été elle aussi victime de viol dans sa jeunesse. Comme s’il y avait le moindre rapport politique entre ces deux événements, l’un intime et l’autre public.

Cela est d’autant plus absurde que les chaînes américaines semblent dire que celle qu’ils appellent « la femme au porte-voix », et que le FBI n’a pas réussi encore à arrêter bien qu’il ait sa photo, serait l’une des organisatrices de l’intrusion dans le Capitole. Ce qui frappe d’ailleurs dans la composition des manifestants du Capitole c’est le nombre de femmes qui y sont entrées et qui ont joué un rôle rien moins que passif dans cette intrusion. Sans compter le nombre de femmes qui attendent les fachos, les suprématistes blancs ou les gros réactionnaires mâles, devant les postes de police quand ils sortent de garde à vue.

Même s’il n’y a donc aucun rapport entre le « patriarcat violeur » et l’intrusion du Capitole, AOC l’établit subrepticement afin d’accroître sa légitimité politique. Peut-être d’ailleurs ne le fait-elle pas consciemment mais les chaînes de télévision mettent bien cela en valeur dans les incrustations en bas de l’écran de telle sorte que ce que l’on retient, c’est son aveu d’une violence intime, et non son récit des événements traumatisants survenus dans le Capitole.

Je pense qu’il faudrait creuser l’analyse de cette évolution : comment les souffrances réelles éprouvées par les individus (et celles imaginaires ou psychologiques éprouvées par les descendants éloignés – voire très éloignés – des victimes) sont devenues l’unique source de légitimité des combats sociaux.

La téléréalité mettait cela très bien en avant dans des émissions il y a une vingtaine d’années, où l’on invitait des gens pour discuter des rapports mères-filles ou des « tromperies » au sein des couples.

Les gauchistes et les militants des mouvements identitaires ont retenu la leçon des principes de la téléréalité : trouver un exemple bien « saignant » susceptible d’attirer la compassion publique. Mais ils ne se contentent pas d’exposer la souffrance (après tout, la propagande syndicale le faisait déjà depuis longtemps quand elle dénonçait un accident du travail, ou une catastrophe survenue dans une mine, ou l’explosion d’une usine, mais  elle  offrait une explication politique plus large et qui ne se limitait pas aux souffrances des seules victimes), ils prétendent faire de ces souffrances le socle de « théories » et donner un label d’authenticité aux victimes ou aux descendants de victimes. Et l’attribution de ce label permet d’empêcher tout débat sur le contenu et les formes des luttes qu’ils prônent.

Autrefois les méthodes staliniennes se justifiaient par la réussite de l’Union soviétique, la participation à la Résistance, la maîtrise de la « science marxiste » ou l’infaillibilité du Parti. Aujourd’hui ces méthodes staliniennes (les différentes formes de cancel culture, que l’on traduit gentiment par la « culture de l’annulation », mais que l’on pourrait aussi bien traduire par la « culture de l’anéantissement » ou de la « suppression » de ses adversaires politiques) se justifient par les souffrances individuelles éprouvées directement, ou ressenties par procuration, ce qui donne une dimension encore plus irrationnelle à la lutte politique, qui comportait déjà une dimension affective non négligeable.

Et la prépondérance, voire la dictature, des affects (prépondérance inavouée évidemment chez ceux qui se présentent comme des théoriciens) est un terrain idéal pour tous les démagogues qui cherchent des postes dans la société bourgeoise, que ce soit au titre de représentants des victimes ou au titre de spécialistes, d’aidants ou de soignants des problèmes dont souffrent les victimes.

YC


Le 4/02/2021

Une piste très riche en effet ; il ne faudrait pas pour autant nier l’importance des émotions ou le lien entre émotions privées et émotions publiques mais entre le refoulement conservateur classique (version stalinienne ou Lutte ouvrière) et l’étalage à usage politique avec une confusion d’échelle, il y a de quoi faire et dire des choses plus sensées.

J-P. F

  1. https://www.nonfiction.fr/article-10526-sexe-race-et-sciences-sociales-14-le-soutien-des-tutelles.htm et 3 autres parties suivantes ; et vidéo  https://www.youtube.com/watch?v=5XtK0n1lYbE []
  2. à lire sur NPNF le texte Révélations émouvantes d’« AOC » et invasion du Capitole : quand la combattante cède la place à la victime : http://www.mondialisme.org/spip.php?article3002 []

Relevé de notes en temps de crise sanitaire (XV)

Crise sanitaire et accélération capitaliste

C’est un de ces revirements inattendus opérés par l’Allemagne, un de ceux en préparation depuis plusieurs années, mais que l’épidémie de Covid-19 a accéléré : l’expression « politique industrielle » impliquant une économie plus ou moins dirigée n’y est plus taboue, évincée qu’elle avait été par « l’économie sociale de marché » promue par Ludwig Erhardt dès 1949. Et la perspective d’une réindustrialisation menée par des politiques européennes interventionnistes est bien acceptée. En témoignent les annonces cet automne de deux plans financés par l’Union européenne pour des « technologies-clés » : les batteries et les semi-conducteurs (et tout ce qui ressort de l’industrie 4.0). C’est un changement à 180° par rapport à 2018, où la « stratégie pour une politique industrielle européenne » du ministre de l’Économie, Peter Altmaier plaidant pour le renforcement et la protection de certains « champions européens », avait reçu un accueil glacial. Les fédérations d’entreprises familiales, notamment, lui avaient reproché de vouloir enterrer ce qui a fait le succès du made in Germany depuis l’après-guerre : le libre-échange et la neutralité de l’État, qui n’intervient dans aucun secteur industriel et ne favorise aucune entreprise (Le Monde, le 14 décembre). Il est vrai que l’Allemagne et les Pays-Bas ont été les plus grands bénéficiaires de l’idéologie libre-échangiste imposée par l’UE, leurs excédents commerciaux en faisant foi1. Le changement est donc le signe d’une prise de conscience que la phase actuelle de mondialisation doit tenir compte aussi des nouvelles politiques agressives ou/et protectionnistes de certains pays comme la Chine et les États-Unis. À noter quand même que l’UE a subventionné Bridgestone pour ses implantations en Pologne et en Hongrie… ce qui a amené indirectement la fermeture de l’usine de Béthune. L’UE continue donc, elle aussi, sa politique du « en même temps » et ce n’est pas étonnant que Macron soit en phase.

– Le président Xi Jinping a beau vouloir faire reposer davantage l’économie chinoise sur la demande intérieure, c’est le moteur traditionnel des exportations qui tire la croissance. Les ventes de produits chinois à l’étranger ont crû de 21,1 % en novembre sur un an ont indiqué lundi les douanes chinoises. Dans le même temps, les importations ont affiché un rythme bien moins dynamique (+4,5 %). Conséquence directe, la balance commerciale chinoise affiche un excédent record de 75,42 milliards de dollars. Des ventes dopées par le coronavirus : en effet, la hausse des exportations, la plus forte depuis février 2018 est largement liée à la recrudescence de la pandémie que connaissent de nombreux pays. Elle a entraîné une demande toujours très soutenue en équipements médicaux (+42 % sur les dix premiers mois de l’année), en masques anti-Covid, mais aussi en produits électroniques nécessaires au télétravail. « La montée en flèche des produits de haute technologie (+21 % en novembre) pourrait également être en partie due à un chargement précoce des cargaisons alors que les États-Unis envisagent d’élargir leur liste noire pour inclure davantage d’entreprises chinoises », avance aussi Betty Wang (Les Échos, le 8 décembre).

– Renault-Flins : de la production au recyclage de valeur. Les syndicats (et salariés) qui avaient espéré voir maintenue une activité d’assemblage sur le site, seront déçus. La CFDT (premier syndicat de l’usine) a monté tout un dossier pour proposer que l’usine abrite, en plus de ces activités d’économie circulaire (remise en état des véhicules d’occasion, des batteries, conversion des véhicules thermiques), l’assemblage d’un nouveau véhicule électrique de segment B (petites citadines), une fois la Zoé arrivée en fin de vie et étant entendu que la Micra ne se vend plus (Les Échos, le 26 novembre). Projet refusé contre promesse de non-licenciements. On ne peut pas parler de délocalisation puisque ces modèles sont en  fin de vie et que l’usine est réorganisée en fonction d’un recentrage du groupe sur ses unités les plus productives (Choisy qui était déjà dans l’économie circulaire sera relocalisé à Flins) qui se trouvent à Douai et Sandouville… et en Turquie (Bursa) pour le modèle qui se vend le mieux (la Clio). Une valeur toujours aussi évanescente quand on sait par ailleurs que Tesla, de son côté, espère vendre 500 000 voitures cette année et doit une large partie de ses bénéfices à la vente de crédits CO2 à ses concurrents. Mais la firme californienne séduit2, et elle incarne le futur : elle vaut 560 milliards de dollars en Bourse, soit six fois plus que VW et sa capitalisation de 93 milliards pour 10 millions d’automobiles/an !3 Installée près de Berlin et donc loin du creuset historique de l’industrie automobile allemande elle risque de rompre avec le modèle en vigueur puisque la firme a décidé de passer outre au syndicat IG-Metall en offrant directement un salaire brut de 2700 euros à l’entrée contre 2400 en moyenne dans la branche en échange d’une flexibilité maximale.

Pour ce qui est de la France et même si Douai peut devenir le Wolfsburg de la France, le passage à l’énergie électrique devrait coûter au moins 30 000 emplois et même jusqu’à 45 000 si les délocalisations continuent. Ces pertes concerneraient surtout les équipementiers (cf. B. Jullien, Les Échos, le 22 décembre) ; certains de ceux-ci lorgnent maintenant vers les moteurs à hydrogène (Faurécia, Plastic Omnium).

– Les nuggets cellulaires de poulet sont dans les assiettes à Singapour où on songe déjà aux prochaines crises sanitaires globales. Pour le Pr Chen, « il faut s’assurer que l’on peut survivre quelques mois en cas d’arrêt total de l’approvisionnement alimentaire ». Et pour un pays urbanisé plus petit que Londres, la viande artificielle est une solution toute trouvée : « Comme les fermes verticales, que nous cherchons également à développer, la viande produite en laboratoire ne prend pas beaucoup de place. En outre, à Singapour, personne ne sera perdant avec son développement car nous n’avons que deux entreprises d’élevage, donc cela ne risque pas de causer de dommages à ce secteur, et cela n’affectera pas non plus l’urbanisme puisqu’il n’y a pas besoin de pâturage. » Aucun perdant donc pour le scientifique, mais clairement plusieurs gagnants. À noter que la première entreprise autorisée à vendre de la viande de laboratoire est la start-up californienne Eat Just qui assure par ailleurs qu’elle veillera tout de même à ce que son poulet artificiel puisse être certifié halal, Libération, le 5 décembre/2020).

Crise sanitaire, pouvoir d’achat, inégalités, pauvreté

– Pouvoir d’achat : pas de coup de pouce pour le SMIC puisque le gouvernement privilégie l’augmentation du nombre d’heures travaillées. En conséquence il n’y aura qu’une revalorisation mécanique de 1 % en 2020 contre 1,2 en 2019 pour une proportion de salariés concernant 13 % de l’ensemble (1994 : 8 % ; 2006 : 16,5 %). Le rapport des experts livré au gouvernement reste d’optique libérale puisqu’il reconnaît que la question des salaires ne peut être réglée (sauf salaire minimum) au niveau de l’État, mais par des négociations de secteur et d’entreprise. La surexposition au chômage partiel de ces catégories ne leur aurait pas fait perdre de ce pouvoir d’achat puisque leur salaire était pris en charge à hauteur de 100 % (à la différence des autres salariés, indemnisés à 84 %). Par rapport à la chute du PIB de 11 %, ces salaires ont résisté à la pandémie avec une baisse de pouvoir d’achat autour de 0,5 %. Par ailleurs, dans le cadre du dispositif d’activité partielle mis en place par le gouvernement pendant le confinement, les salariés les plus modestes ont perçu une indemnité permettant de maintenir à l’identique leur pouvoir d’achat jusqu’à 1,13 SMIC.

Le gouvernement compte sans doute aussi sur la tendance à la baisse des prix qui s’est accentuée pendant la pandémie (baisse du prix du pétrole, part de l’épargne à la hausse par rapport à la consommation, augmentation du chômage et pression sur les salaires, appréciation de la monnaie euro due aux excédents budgétaires avec un euro à 1,21 $4) pour que le pouvoir d’achat résiste globalement en bout de course (Les Échos, le 2 décembre), mais avec les risques déflationnistes qui en découlent, sans parler de la pression que cela impose sur les entreprises exportatrices. Le fait que la BCE vienne d’allouer 500 milliards de plus au plan anti-pandémie risque de renforcer ce risque sauf à véritablement mettre en place une relance budgétaire au niveau européen pour l’instant retardée par la Hongrie et la Pologne. Par ailleurs, le pouvoir d’achat résiste ; qu’il s’agisse des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Espagne, de l’Italie et même de l’Allemagne, qui a pourtant baissé sa TVA, tous ces pays affichent des consommations en hausse, mais moindres qu’en France cet été. Bref, quand les restrictions sanitaires sont levées, les Français consomment et l’économie tourne à nouveau à un certain régime de croisière. Ainsi, début décembre, dès que les restrictions ont commencé à être levées, les ménages ont dépensé, selon les données de cartes bancaires. Il faut dire que le pouvoir d’achat a bien résisté, eu égard à l’ampleur de la crise, du moins en termes relatifs. Ainsi, l’Insee s’attend à ce qu’il baisse de seulement 0,3 % alors que l’activité devrait chuter de 9 % en 2020 (Les Échos, le 16 décembre). Même problématique en Espagne où Podemos par l’intermédiaire de sa ministre du Travail, essaie de faire augmenter un salaire minimum qui a presque rattrapé celui de ses voisins (805 euros en 2017, 1107 en 2020). « Le problème le plus urgent n’est pas le relèvement du salaire minimum, mais la reprise du marché du travail, particulièrement affecté par la pandémie avec plus de 30 % d’emplois précaires et 40 % des jeunes au chômage », selon l’économiste Marcel Jansen, professeur à l’Université Autonome de Madrid. Il serait plus efficace à ses yeux de se centrer sur « la façon dont les employeurs esquivent la contrainte que constitue le salaire minimum avec des abus d’emplois à temps partiel et des contrats très courts plus ou moins frauduleux qui précarisent les salariés ». Il rappelle que 40 % des CDD ont une durée de moins d’un mois et 27 % de moins d’une semaine (Les Échos, le 18 décembre). 

– La barre des 2 millions d’allocataires du revenu de solidarité active (RSA) vient d’être franchie à cause de la crise sanitaire. Jamais en onze ans d’existence cette prestation n’avait connu telle demande. C’est la crise du Covid qui est la cause de la hausse observée (+8,5 % à fin septembre). L’augmentation du nombre de bénéficiaires du RSA est due pour l’instant bien plus à la baisse des sorties du dispositif qu’à un afflux de nouveaux allocataires, qui ne fait que commencer (Les Échos, le 4 décembre). « Ça souligne le décalage entre les mesures publiques qui viennent au secours de gens qui vont bien — salariés à durée indéterminée et entreprises —, mais qui protègent mal les plus précaires, les non-salariés, les intérimaires obligés de recourir au RSA », déplore Louis Maurin, de l’Observatoire des inégalités (Le Monde, le 24 décembre). L’autre indicateur significatif qui se détériore est celui du nombre de bénéficiaires de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) que perçoivent les chômeurs en fin de droits et qui a augmenté de 10,7 % entre mai et septembre (ibid.).

– Le constat initial de chercheurs de France stratégie auprès du premier ministre, se fondant sur les données Eurostat d’avant le Covid-19 en déduisent : « La France apparaît relativement égalitaire en comparaison des autres pays européens », écrivent Julien Rousselon et Mathilde Viennot, du département politiques sociales de France Stratégie. C’est notamment vrai pour les inégalités de revenus primaires, c’est-à-dire avant la redistribution par les impôts et les transferts sociaux — mais ici, les chercheurs ont choisi de prendre en compte les prestations de retraite dans les revenus, ce que ne font pas d’autres études. L’indice de Gini, mesurant le niveau de ces inégalités (1 représentant le seuil d’inégalité le plus extrême), est ainsi de 0,374, inférieur de 1,7 % à la médiane européenne. Cela signifie que les inégalités sont inférieures à celles de 19 des 29 pays européens étudiés. Motif : les écarts de revenus d’activité et de patrimoine restent modérés chez nous. En dépit d’un taux de chômage relativement élevé, la France compte en outre moins d’inactifs que certains pays du sud de l’Europe, où beaucoup de femmes au foyer et de chômeurs découragés sont sortis du marché du travail. Second constat : la redistribution française corrige relativement bien ces inégalités primaires : « La redistribution fait baisser de 24,8 % l’indice de Gini, contre 22,6 % en médiane européenne, ou 17 % en Italie. » Toute la question est de savoir à quoi tient l’efficacité de notre système : à la générosité des prestations, ou bien à leur ciblage ? À la progressivité des prélèvements obligatoires, ou à leur volume ? Progressivité « Contrairement aux idées reçues, la France n’est pas la championne européenne de la redistribution », soulignent d’abord les auteurs. Les prestations en espèces (hors retraite) et les prélèvements obligatoires y représentent en effet 43,7 points du revenu primaire : c’est plus que la médiane européenne (41 points), mais moins qu’aux Pays-Bas (48 points) ou au Danemark (57 points). Dans le détail, c’est davantage grâce aux prestations sociales que la France corrige les inégalités que grâce aux impôts et aux cotisations. En cela, elle se rapproche du modèle des pays nordiques, notamment du Danemark, dont les prestations sont également très correctrices. À l’opposé, le Sud, comme l’Italie et l’Espagne, corrige plutôt les écarts de revenus par les prélèvements. En France, les prestations allouées au chômage et à la lutte contre l’exclusion sont particulièrement importantes : elles réduisent de 7,9 % les inégalités, soit bien plus que les 3,1 % observés en médiane européenne, parce qu’elles représentent un volume deux fois supérieur. « De même, c’est du fait de leur volume très important que les allocations logement réduisent bien plus les inégalités en France », détaille la note. Les prestations familiales tricolores, elles, sont moins massives (1,6 point de revenu primaire, contre 1,9), mais elles corrigent mieux les inégalités (4 % contre 3,4 %), parce qu’elles sont nettement plus ciblées sur les ménages les moins aisés. Enfin, si nos prélèvements obligatoires aident à corriger les disparités de revenus par leur volume, ils gagneraient à être plus progressifs, c’est-à-dire à augmenter le taux de taxation à mesure que le revenu augmente. Par exemple si l’impôt sur le revenu est aujourd’hui progressif, ce n’est, en revanche, pas le cas de la CSG (Le Monde, le 4 décembre). Or, en France 50 % des ménages ne paient pas d’impôts sur le revenu alors que tous les salariés sont astreints à la CSG (NDLR).

– Ces années de progrès social et de réduction des inégalités risquent d’être annihilées. Plusieurs facteurs sont à l’œuvre pour l’expliquer. L’un concerne la récession économique mondiale qui résulte des multiples confinements observés de par le monde. Les pays pauvres sont directement touchés, en particulier ceux qui exportent des matières premières ou dépendent des recettes touristiques. Le prix du baril de pétrole, par exemple, s’est effondré de plus de 30 % par rapport à 2019. Pour l’île Maurice et les Seychelles, les revenus du tourisme se sont taris de près de 20 % sur un an. Pandémie et changement climatique conjuguent leurs effets néfastes (Les Échos, le 8 décembre).

– « Un projet politique de “retour à la croissance” est symptomatique d’une société — en tout cas d’un État — en panne d’imaginaires collectifs », conclut Florence Jany Catrice, spécialiste des indicateurs économiques (Libération, le 8 décembre) et c’est pourtant ce vers quoi se tournent la plupart des plans post-pandémiques dans le monde. Alors que la critique de l’instrument statistique est ancienne (cf. Baudrillard dans son livre de 1968 La société de consommation, Idées/Gallimard, p. 45-47 et la même année Robert Kennedy, alors candidat démocrate à la présidentielle américaine déclarant : « Le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue » ; puis Dominique Méda : Au-delà du PIB, pour une autre mesure de la richesse, Flammarion, 1999), elle semble toujours devoir être renouvelée alors que des procédés de calculs et des chiffres de plus en plus arbitraires sont utilisés. Ainsi, « En avril 2020, l’Insee a réduit arbitrairement de 25 % dans son calcul du PIB la part de la production des services rendus par les administrations publiques, explique la chercheuse. Or, l’Allemagne ne l’a pas fait ». Autre exemple : en 2015, le calcul du PIB irlandais est révisé, de telle sorte que le taux de croissance du pays n’est plus de +7 % mais de +26 %. « Peut-on vraiment croire que l’Irlande ait gagné un quart de richesse en plus en un an ? » (ibid.).

– La crise sanitaire attaque frontalement le modèle économique de la France qui repose sur une spécialisation à risque à l’exportation. Ainsi, l’industrie aéronautique française avait exporté pour près de 65 milliards d’euros de biens l’an passé, ce qui lui avait permis de dégager un excédent commercial de plus de 30 milliards d’euros. En octobre, sur les douze derniers mois, les exportations aéronautiques sont tombées à seulement 40 milliards et l’excédent s’est rétréci à 19 milliards d’euros. De même, les recettes touristiques avaient atteint 57 milliards d’euros l’an passé. Elles ont chuté à 22 milliards d’euros sur les dix premiers mois de 2020. Et l’excédent touristique est passé de 11 milliards en 2019 à 3,4 milliards entre janvier et octobre 2020 (Les Échos, le 16 décembre).

Interlude

– l’État jacobin français qui a réprimé tout au long de son histoire les langues régionales vient de décider que l’accent régional pouvait être l’objet de discrimination ! L’Assemblée nationale a largement adopté jeudi une proposition de loi qui vise à inscrire l’accent comme une des causes de discriminations réprimées par la loi, au même titre que la race, le sexe ou le handicap. Le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, s’est dit « archi-convaincu » par le texte, qui prévoit, contre ces discriminations, des peines de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. La proposition de loi a été déposée par l’élu (Agir) de l’Hérault, Christophe Euze. Encore une preuve, s’il en faut, du vacillement de l’État entre sa forme moderne nation et sa forme réseau post-moderne.

– Deux psychanalystes ont écrit à la revue The Lancet (www.thelancet.com, 19 octobre) pour proposer une solution originale au non-respect des recommandations sanitaires en période de pandémie : psychanalyser les récalcitrants. « Il est temps que les responsables de la santé publique ajoutent l’étude et le traitement du déni psychologique aux instruments de lutte contre la non-observance médicale. Pour ce faire, nous suggérons un nouveau partenariat entre les domaines de la psychologie expérimentale, de la santé publique et de la psychanalyse — la discipline qui, la première, a identifié les mécanismes de défense tels que le déni, et qui reste la seule à tenter de les traiter » (Le Monde Diplomatique, décembre 2020).

– Les élèves ont pu ne pas aller à l’école le jeudi et le vendredi avant les vacances de Noël pour faciliter un confinement… qui n’en est pas un puisqu’il est levé par ailleurs. Pourtant soit l’école n’est pas un lieu de contamination et dans ce cas-là on devrait plutôt supprimer les vacances scolaires surtout vu le prétendu retard scolaire accumulé, soit l’école est un transmetteur et il faudrait la fermer totalement, ce que demandent d’ailleurs implicitement des syndicats toujours prêts à « durcir » le mouvement, c’est bien connu, en parlant déjà de possible troisième vague. Quant à Arenas de la FCPE, toujours à la pointe du « branché » post-moderne, il dit que ce n’est pas au ministre de dire si les parents doivent envoyer enfants ou pas à l’école, mais aux médecins (Le Monde, le 17 décembre). Question : il a tout compris ou rien compris ?

– L’administration chinoise de l’aviation civile (CAAC) recommande aux compagnies aériennes du pays des précautions sanitaires inédites. Explications dans « Ouest France » (11 décembre) : « Elle suggère de faire porter des couches jetables au personnel navigant afin d’éviter aux hôtesses de l’air et aux stewards d’utiliser les toilettes des avions (…), considérées comme une des parties les plus porteuses de microbes. »

– Encore une intermédiation : pour tenter de surmonter la forte défiance de la population, l’exécutif s’est résolu, après de nombreuses demandes en ce sens, à se doter d’un nouvel outil. Un comité citoyen sera désormais associé « à la conception de notre stratégie vaccinale », a annoncé le premier ministre, Jean Castex, le 3 décembre (Le Monde, le 17 décembre). Donc, si on comprend bien, un Comité citoyen fait pour faire passer la pilule des décisions imposées par un Comité d’experts lui-même diligenté par un Comité politique… Mais attention, « Il serait regrettable qu’une telle structure [le comité citoyen, NDLR] conduise à contourner les acteurs existants », indique aussi le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) chargé d’évaluer les évaluateurs.

– Auchan ne connaît pas des difficultés qu’en Chine face au « système capitaliste » russe. Ainsi comme à la bonne époque du plan stalinien, l’entreprise a sûrement voulu jouer les Mac Donald  avec l’idée « De la fourche à la fourchette » en construisant une usine de transformation de viande à Tombov, 500 km au sud de Moscou… dans une région sans vaches et sans production de viande. Mais « s’adapter » aux réalités locales ce n’est pas seulement copier les méthodes économiques, il faut y rajouter un peu d’expertise type GPU/KGB ; ainsi pour lutter contre la corruption des ses acheteurs et les commissions offertes aux fournisseurs, la Direction d’Auchan a décidé de passer les salariés suspects au détecteur de mensonges (Les Échos en style Canard déchaîné, le 23 décembre).

Entreprises

– Il y a eu en cumul de 23 milliards d’euros de reports de charges sociales, avec un pic mensuel fin juin, à plus de 16 milliards. Mais les dettes constituées par les employeurs à cet effet ont été en majeure partie remboursées, puisque fin novembre il ne reste plus que 10,25 milliards à recouvrer — tout de même dus par 70 % des entreprises. Le second confinement a provoqué un rebond des reports de cotisations, à hauteur de 1,73 milliard d’euros, concernant 17,4 % des employeurs. Rien à voir cependant avec le confinement « dur » du printemps : en avril, les reports avaient grimpé à 7,7 milliards en un mois et 46,4 % des employeurs (Les Échos, le 2 décembre). Comme les mesures sanitaires vont continuer à peser sur la productivité des entreprises dans certains secteurs et qu’une partie de celles-ci ne seront pas viables, en fonction de l’importance de leurs coûts fixes, l’État pourrait prendre une partie des salaires (donc une partie du coût variable, NDLR) à sa charge pendant quelques mois. L’économiste Jean Pisani-Ferry a émis plusieurs fois cette idée à Bercy. Les Allemands, eux, ont préféré faire une subvention directe aux coûts fixes des entreprises (Les Échos, le 9 décembre).

– Selon les économistes de la société de gestion Candriam, la perte des entreprises françaises atteindrait globalement 3 % du PIB cette année, contre 2 % « seulement » en Allemagne. D’ailleurs, d’une façon assez classique, les mesures d’urgence ont plus cherché à aider les entreprises que les ménages, de l’autre côté du Rhin. En France, c’est l’inverse, le revenu des ménages ayant été en grande partie préservé. D’où, aussi, le fait que le plan de relance fasse la part belle aux entreprises en France (puisque la politique de l’offre est toujours à l’honneur, NDLR). Pour Patrick Artus, « l’État a moins soutenu les entreprises en France que dans le reste de la zone euro ». Comme le recul des profits des entreprises en France sera plus important et l’endettement plus élevé, « la dégradation des bilans des entreprises due à la crise de la Covid va être plus grave en France que dans l’ensemble de la zone euro », alerte-t-il (Les Échos, le 15 décembre).

– Étonnement : alors que le marché du jouet est censé être de plus en plus dominé par la production en provenance de Chine, il s’avère que le made in France est passé de 8 % il y a 3 ans à 15 % du marché aujourd’hui avec des exemples de relocalisation industrielle par automatisation de la ligne de production. Par ailleurs, pendant la crise sanitaire, Amazon, souvent pointé du doigt, a donné un sérieux coup de pouce aux petites marques françaises. Le géant mondial leur a ouvert il y a plus d’un an une boutique dédiée, suivi par CDiscount. « De petites marques, avec un revenu entre 500 000 à 10 millions d’euros, ont du mal à entrer dans des magasins, note Alain Ingberg, présidant de l’association des fabricants de jouets. Cette vitrine les a sauvés pendant la pandémie. » En effet, pour certaines, Amazon représente 30 % de leurs ventes5. (Les Échos, le 3 décembre). Plus généralement le made in France continue à gagner du terrain dans l’esprit des Français, 64 % d’entre eux estiment ainsi avoir augmenté leur consommation de produits hexagonaux depuis le début de l’épidémie de Covid, selon la nouvelle étude d’OpinionWay pour l’agence Insign, confirmant la tendance d’une première étude menée sur le thème après le premier déconfinement. L’attrait du fabriqué en France n’est pas le même selon les profils. Chez les cadres et professions intellectuelles, la part monte à 70 % quand les personnes ayant des revenus faibles ne sont que 50 % à le faire. Un effet crise avec la crainte de débourser plus en période difficile. Parmi les marques représentatives du made in France citées en premier par les consommateurs, on trouve Le Slip Français, Saint James, Armor Lux, Petit Bateau, Chanel mais aussi Renault et Michelin (ibid.). En dehors d’un certain souci de protection de l’emploi national, « C’est également le moyen dans l’esprit du public de ne pas opposer le petit commerce et les “market places” », complète Éric Bonnet de l’agence Insign qui a initié l’enquête. CDiscount, qui se définit d’ailleurs comme « l’e-commerce made in France », consacre en outre un onglet de recherche aux produits hexagonaux (ibidem).

Dette et banques

– Techniquement au niveau comptable, l’abolition de la dette-Covid ne poserait pas trop de problème d’après la plupart des économistes dans la mesure où la dette détenue par la BCE est une dette publique dont l’annulation ne toucherait pas les créanciers privés. À l’inverse, une telle opération permettrait d’éviter l’effet boule de neige sur la dette publique à terme. Les États ne pourront refinancer leur dette actuelle que si, dans huit ou dix ans, les taux restent proches de zéro. Or, cela implique que la BCE poursuive ses achats d’actifs, ce qui a des conséquences préjudiciables sur l’économie, telle qu’une hausse des inégalités de patrimoine par exemple ». Le risque est toutefois que la monnaie créée ne soit pas consommée mais investie dans des actifs financiers. Dans ce cas-là le coût de cette politique monétaire accommodante serait la création de bulles, sur le marché des actions, mais aussi immobilier. L’article du Monde, le 24 décembre: « Annuler la dette, le ton monte entre les économistes » est une bonne synthèse des différentes positions des économistes en France. Il en ressort que leurs différences sont plus liées à des présupposés orthodoxes ou politiques qu’à une divergence profonde puisqu’ils sont tous d’accord sur ce qu’il faut éviter : « il est nécessaire d’éviter l’austérité et de revoir les règles budgétaires européennes, guère plus adaptées à la situation », regrette Grégory Claeys, économiste au sein du groupe de réflexion européen Bruegel. Dit autrement, sortir des politiques d’inspiration libérale.

– En contre-feu allumé face à des propositions radicalement dissonantes, telles que l’annulation de la dette-Covid détenue par la Banque centrale européenne (BCE), les pouvoirs en place réfléchissent à son cantonnement dans un véhicule spécial à destination conjoncturelle qui l’isolera ainsi de la dette générale à tendance structurelle qui lui pré-existait (cf. Benjamin Lemoine : « Cantonner la dette ou l’aveuglement budgétaire », Libération, le 15 juin). Un signe que pour eux, la crise n’est que conjoncturelle et non pas structurelle comme la définit pourtant, dans ce journal du même jour, Benjamin Coriat passé du maoïsme à l’anthropocène et à la décroissance.

Les supputations vont en tout cas bon train… et les procès d’intention aussi, puisque le « cantonnement », au-delà de son aspect psychologique (faire baisser l’endettement structurel « vrai » autour de 100 % du PIB) peut aussi bien dire qu’il n’y aura pas nécessité absolue de le rembourser (il a aidé à sauver les besoins « essentiels »), que dire, qu’il sera d’autant plus urgent de rembourser l’endettement structurel (dont une partie pourrait concerner des besoins « non essentiels » sous-entendus des dépenses publiques à réduire). Des supputations très aléatoires dans la mesure où nombre de mesures et par exemple celle des indemnisations d’activité « non essentielles » et le versement continu du chômage partiel, entretiennent parmi la population l’idée de l’argent gratuit et qu’il y a des réserves de richesse cachées ou détournées. Il sera donc peu aisé, pour le pouvoir post-crise sanitaire, de tout à coup demander à cette même population de passer à la caisse pour rembourser d’une manière ou d’une autre. Supputations qui sont aussi contredites par différents projets post crise sanitaire, par exemple sur la baisse, le maintien ou l’augmentation des allocations chômage aux États-Unis et en France (cf. en France le report ponctuel ou sine die de la réforme de l’assurance chômage). Pourquoi ce changement, surtout aux États-Unis où l’idéologie dominante décline le fait qu’une allocation chômage détourne de l’emploi ou même en France où les économistes libéraux dénoncent une « préférence pour le chômage » ? Tout bonnement parce que dans la crise sanitaire actuelle, globalement, il n’y a plus de réserve d’emplois dans laquelle piocher6. Sans effort pour favoriser la demande, pas de reprise sauf à tout attendre de l’investissement public. Toutefois, on a du mal à y voir clair dans la mesure où tout ne va pas dans le même sens ; ainsi, en France la prime Macron ne sera pas reconduite une troisième fois (la première suite aux manifestations de Gilets jaunes, la seconde pour les salariés de première ligne), « Nous privilégions des dispositifs pérennes de partage de la valeur. D’ailleurs les syndicats préfèrent eux aussi des mécanismes pérennes ou des hausses des salaires, tandis que les entreprises sont partagées », explique-t-on à Bercy (Les Échos, le 15 décembre).

– On a parlé dans le relevé précédent des fusions bancaires à l’intérieur de chaque pays européen. Le processus se renforce. Fondamentalement, ces mouvements visent d’abord à redresser la rentabilité d’établissements fragilisés par la crise dans des marchés encore peu concentrés. Mis sous pression par une avalanche de provisions pour pertes de crédit et la certitude que les taux vont rester bas à moyen terme et rogner durablement leurs marges, ils cherchent des moyens de réduire leurs coûts. Mais ces mouvements interviennent aussi dans un contexte particulier, à savoir le retour des banques comme bras armé du politique. En distribuant des prêts garantis par l’État (PGE) aux entreprises frappées par la crise, elles ont retrouvé la confiance des États qu’elles avaient perdue durant la crise financière de 2008 et sont devenues des courroies de transmission des politiques publiques. Chacun agit dans le cadre de son intérêt bien compris. Tout en apportant sa garantie, l’État peut se reposer sur un système bancaire qui, en Europe, assure encore le gros du financement de l’économie. Il en va de même pour la Banque centrale européenne (BCE), dont la politique repose aussi en partie sur les banques. De leurs côtés, ces dernières profitent indirectement de ces dispositifs, qui préservent (pour le moment) leurs propres clients de la faillite, aux frais du contribuable. Cette interdépendance rend les banques encore plus stratégiques pour les États. Comment imaginer dans ce contexte un fleuron bancaire italien ou français se faire avaler par un étranger, alors même que ce genre d’opérations était déjà ultrasensible avant ? (Les Échos, le 17 décembre).

L’ironie de l’histoire, c’est qu’après la crise financière, les autorités n’ont eu de cesse de desserrer le lien entre banques et États, pour s’assurer que l’un n’entraîne l’autre dans sa chute. La crise sanitaire est en train de le reconstituer (NDLR). Et bien évidemment il s’est resserré aussi au niveau du lien Banques centrales-États en contradiction avec l’objectif libéral d’indépendance des banques centrales. Plusieurs économistes7 ont souligné ce risque d’intervention des banques centrales qui signe la fin (provisoire ?) de la discipline budgétaire sur laquelle repose l’équilibre du financement global. Cet équilibre a par exemple été rompu partiellement pendant les quinze premiers jours de mars quand, suite à la crise sanitaire, les entreprises zombies américaines et même de grandes entreprises surendettées dans le secteur de l’énergie et par exemple du gaz de schistes ou Boeing, ont eu une énorme demande de cash qui a entraîné par ricochet une vente imprévue et hors de proportion de bons du Trésor américain pour faire face aux retraits de fonds à destination de ces entreprises8. Une course à la liquidité qui a produit un ébranlement de confiance par rapport au statut de réserve de valeur que représentent justement ces bons du Trésor. À partir du 16 mars, la FED a dû racheter massivement des bons pour calmer le jeu.

Mais le problème reste celui de la dette privée, devenue assez incontrôlable depuis que les règles de Bâle III post-crise financière de 2008 ont imposé des restrictions de prêt aux banques commerciales. Toute une part de crédit privé s’est alors développé auprès d’autres types de sociétés financières moins contrôlées que les banques traditionnelles.

– Le programme de prêts aux entreprises a permis de sauver l’équivalent d’environ 2 millions d’emplois à temps plein aux États-Unis. Mais il s’est montré impuissant face à la vague de faillites qui a touché les PME à travers le pays. Ce sont des centaines de milliers de commerces qui ont dû mettre la clé sous la porte. Et une nouvelle vague, touchant des entreprises plus importantes, pourrait frapper en 2021. Le programme est venu en aide à 5,2 millions d’entreprises. Mais, selon la Small Business Administration (SBA), l’agence fédérale qui a géré le programme, la moitié des 522 milliards de dollars distribués l’a été à 5 % des bénéficiaires seulement. Ce sont les grandes entreprises, disposant de services juridiques rodés, qui ont été les premières à en tirer profit (Les Échos, le 22 décembre).

Mondialisation/globalisation

– La crise sanitaire a permis aux Occidentaux de prendre conscience de l’interdépendance des économies et donc d’une certaine fragilité des chaînes de valeur avec la pénurie de masques, de respirateurs et les ruptures d’approvisionnement de certains médicaments. Pourtant, à y regarder de plus près, l’économie française est assez peu dépendante d’importations étrangères posant problème. C’est ce que montre une étude du Trésor publiée jeudi 17 décembre. Elle estime que « les vulnérabilités des importations de la France semblent limitées ». Le problème de la vulnérabilité de l’économie française se pose d’abord quand les importations d’un produit proviennent de pays qui n’appartiennent pas à l’Union européenne (UE). Et ensuite, la question est de savoir si l’approvisionnement de ces produits importés de pays extra-européens est concentré dans un seul pays. Enfin, il faut définir s’il existe une alternative au sein de l’UE à ces importations. Sur environ 5 000 types de produits importés étudiés, seuls 121 proviennent de pays hors UE et sont des biens dont l’approvisionnement est très concentré dans un pays étranger non-européen. Il s’agit de produits chimiques et pharmaceutiques tels que certains antibiotiques, des produits métallurgiques, dont certaines terres rares, et des biens d’équipement comme les accumulateurs et des machines-outils spécifiques, mais pour à peu près un tiers d’entre eux, la Chine est le plus souvent le premier fournisseur de ces produits. La dépendance est donc réelle mais elle n’est pas si importante puisque, souvent, il existe des alternatives à la production chinoise. Seulement 12 produits dont la fabrication au niveau mondial est concentrée sur un petit nombre de pays producteurs, souvent la Chine, présentent « un risque élevé de pénurie en cas de choc », selon le Trésor. Il s’agit de lampes LED, de couvertures en fibre synthétique ou de simulateurs de vol. Et « les importations de la France depuis les pays tiers sont moins vulnérables que celles de ses voisins européens », soulignent les économistes du Trésor. « Quand on regarde les consommations intermédiaires (c’est-à-dire les différentes composantes d’un produit fini, NDLR), on se rend compte que les importations chinoises ont été multipliées par dix depuis 1995. Mais dans l’absolu, notre dépendance reste très faible » (Les Échos, le 18 décembre). « Les entreprises ont compris qu’elles ne doivent pas dépendre d’un fournisseur. Et donc elles ont déjà commencé à diversifier leurs approvisionnements, explique Lionel Fontagné, professeur à l’université Paris-I. Les relocalisations ont lieu au niveau régional, dans les pays d’Europe de l’Est, par exemple. Il n’y a plus d’approfondissement des chaînes de valeur mondiales depuis 2008 mais une re-régionalisation du commerce international. » (ibid.). En fait, beaucoup d’économistes pensent qu’il n’y aura de relocalisation et de réindustrialisation que si la France redevient compétitive. Cela ne dépendra pas tant du coût du travail que de la productivité. Et pour cela, il faut que la production soit basée sur de nouvelles technologies et in fine sur une nouvelle manière de produire. C’est possible dans certains secteurs. Mais, comme le dit David Thesmar, professeur au Massachusetts Institute of Technology, à Boston, « dans ce cas, il y a fort à parier que la production passe par la robotisation. Donc les emplois industriels nouvellement créés seront peu nombreux » (ibidem). Pour P. Artus (Le Monde, le 20 décembre), la crise sanitaire a dévoilé un peu plus les impasses d’une croissance faible fondée sur la satisfaction des consommateurs par la baisse des prix, cette dernière elle-même permise par les délocalisations9, le développement des plateformes, l’augmentation des travailleurs pauvres et des inégalités, l’énergie à bas prix. Quitter ce modèle entraînerait une hausse des prix qui ne pourrait être supportée par ces mêmes travailleurs pauvres et précaires d’où la nécessité de passer d’un soutien aux consommateurs à un soutien aux bas salaires. Bref, le retour à une relance par la demande plus que par l’offre, ce qui n’a rien d’étonnant vu le contexte, sauf le fait que ce soit aujourd’hui un libéral comme Artus qui le préconise !

– Une seconde délocalisation interne aux États-Unis ? Après avoir connu le transfert de son centre industriel traditionnel du Nord-est vers la « ceinture dorée » du Sud-est, la crise sanitaire va-t-elle avoir raison de la Silicon Valley ? La généralisation du travail à distance et l’importance apportée au cadre de vie ont rendu la concurrence géographique plus aiguë entre les États américains. Cela fait des années que les experts brandissent la menace d’un déclin de la Californie ; or, en l’espace de quelques semaines, plusieurs entreprises ont déménagé leur siège et de nombreux grands patrons se sont installés ailleurs. À commencer par Elon Musk, le fondateur de Tesla qui a révélé qu’il résidait désormais au Texas, un État qui, comme la Floride, ne collecte pas d’impôt sur le revenu. En effet, la fiscalité est souvent mise en avant pour expliquer ces déménagements (Les Échos, le 23 décembre).

– Les politiques palabrent, le rouleau compresseur passe : alors que ces derniers mois, il est apparu clairement que le texte gouvernemental se traduisait par une exclusion de facto de Huawei du marché français de la 5G, la question était alors de savoir si le projet d’usine européenne entre Strasbourg et Haguenau ne déménagerait pas en Allemagne puisque Berlin s’est montré un peu plus ouvert que les autres capitales de l’UE sur la question Huawei. Le groupe chinois n’a finalement pas tenu compte de ces atermoiements politiques. Faisant le pari du long terme, il double la mise en France. Après avoir ouvert un sixième centre de recherche à Paris à l’automne, il a encore prévu d’inaugurer trois boutiques en région parisienne (Les Échos, le 18 décembre).

– Même cause effets contraires : alors que la crise sanitaire a accentué le poids des plateformes et donc aussi celui des plateformes chinoises, grande distribution et production de luxe en ont tiré des conclusions différentes. Nous avions parlé dans le « Relevé » précédent du départ d’Auchan de Chine (après celui antérieur de Carrefour) pour ne pas passer sous les fourches caudines d’Alibaba et bien Kering et l’une de ses marques, Gucci n’a finalement pas pu résister à la caverne mirifique d’Alibaba. Kering a annoncé avoir noué une alliance avec la plus grande plateforme d’e-commerce en Chine. Les portails d’e-commerce chinois ont pleinement participé à la hausse de 48 % des ventes du luxe en Chine — le seul marché à boucler l’année en croissance (Les Échos, le 21 décembre).

Anticipations post-Covid

– La victoire aux urnes pour le rival démocrate de Trump pourrait bien annoncer le retour à une mondialisation fondée sur des règles communes comme « mode par défaut » des rapports économiques internationaux. Mais là s’arrêtera sa ressemblance avec la mondialisation des années 1990. Car même si Washington renoue avec ses engagements précédents en faveur d’un ordre fondé sur des règles communes, les conflits autour de la définition de ces règles sont voués à se durcir. Tant la guerre commerciale de Trump que les réactions immédiates face à la pandémie du Covid -19 ont trait à la relocalisation de la production. Or, dans la période post-Trump, l’enjeu de la lutte ne sera plus le site de la production, mais la manière de la réaliser. Bienvenu dans le nouveau monde de la politique commerciale ! Il s’agira encore de doper les échanges, mais désormais au service d’un renforcement de la puissance réglementaire des trois blocs qui fixent les règles : États-Unis, Union européenne et Chine. Les signes de cette mutation sont déjà abondants. La nouvelle version de l’ALENA pose comme condition préalable à l’accès préférentiel du Mexique à la chaîne d’approvisionnement des constructeurs automobiles l’augmentation des salaires dans les usines mexicaines du secteur. Même chose en ce qui concerne l’accord commercial de l’UE avec les pays du Mercosur, qui impose des obligations dans des domaines allant du bien-être des animaux au respect de l’Accord de Paris sur le climat. Le Cambodge s’est aussi vu retirer une partie de son accès préférentiel au marché européen au motif de ses violations des droits de l’homme. Enfin, la nouvelle route de la soie développée par Pékin vise à enchâsser nombre de pays dans les réseaux commerciaux et financiers chinois. Comme le montrent ces exemples, ce sont les économies de taille modeste qui trinquent lorsque les grands blocs commerciaux insistent sur la conformité avec leurs normes à eux. Les pays émergents n’ont guère d’autre choix que de céder aux exigences des marchés les plus gros du monde. Même des économies nationales relativement importantes peuvent faire les frais de cette tendance. Il n’est que de penser aux illusions du Royaume-Uni sur sa capacité à entretenir des rapports commerciaux forts avec l’UE et les États-Unis en même temps… tout en ayant les mains libres pour fixer toutes les règles qui lui conviennent.

La nouveauté dans tout cela est que des pays se trouvent de plus en plus contraints de mettre des secteurs entiers en conformité avec les exigences d’un des grands blocs. Autrefois, lorsque les matières premières et les biens industriels finis constituaient l’essentiel des échanges, les exportateurs n’avaient pas de mal à moduler leur production selon le marché international visé. Mais aujourd’hui, et pour de multiples raisons, les règles s’appliquent de plus en plus à l’ensemble du procès de production. C’est le cas non seulement traditionnel des échanges industriels, mais aussi celui du commerce croissant de services qui se nichent même désormais dans des produits aussi matériels que la voiture bourrée d’informatique. Cela fait que les trois grands blocs ont bien intérêt à s’assurer que leurs règles à eux triompheront. Les pays du monde ont été sommés de choisir leur camp sous Trump, ils le seront tout autant après son départ. Même dans le domaine où le retour au bercail des États-Unis sera le plus chaleureusement accueilli, on assistera à une remontée des tensions. Certes, un gouvernement Biden souscrirait à nouveau à l’Accord de Paris et pourrait entamer à l’intérieur du pays une politique ambitieuse de lutte contre le changement climatique. Biden promet déjà une taxe carbone sur les importations en provenance de pays accusés de « tricher sur leurs engagements en matière de climat » et l’UE a l’intention de faire de même. Mais une politique consistant à faire la paix avec l’Europe risque de conduire à l’affrontement avec la Chine. Elle ouvrirait la voie à un Occident réunifié qui formerait dès lors un « club anti-carbone » qui sommerait Pékin de réduire ses émissions, sous peine de perdre son accès aux marchés occidentaux. On aurait d’ailleurs tort d’y voir du protectionnisme. Il s’agit plutôt d’une mondialisation plus profonde dans laquelle l’activité économique transnationale s’accompagnerait de règles non moins transnationales pour la régir. Cette re-réglementation des flux transnationaux est une réponse naturelle et, potentiellement saine à l’erreur précédente qui consistait à confondre mondialisation et déréglementation.

On peut imaginer plusieurs issues possibles aux batailles réglementaires qui se dessinent actuellement.

La première serait l’harmonisation des politiques commerciales : les pays se mettraient d’accord sur des règles à peu près semblables. C’est le modèle qui sous-tend l’intégration économique européenne, mais qui a peu de chances de s’instaurer à l’échelle mondiale. La question du climat pourrait toutefois faire figure d’exception, étant donné qu’un club anti-carbone occidental — englobant la moitié de l’économie mondiale — pourrait atteindre la puissance de feu économique requise pour contraindre les autres à s’y plier. Une possibilité, en tout cas à court terme, le projet de débloquer 500 milliards de dollars sous forme de DTS (droits de tirage spéciaux) par le FMI pour une aide mondiale ne devrait plus être bloqué puisque seuls Trump et Modi s’y opposaient. » (J. E. Stiglitz, prix Nobel d’économie, Les Échos, le 24 décembre).

Deuxième issue possible : chaque pays extérieur aux trois blocs finirait par s’intégrer plus fortement au bloc avec lequel il a déjà les liens économiques les plus serrés. Cela créerait un dilemme pour les pays liés à plus d’un bloc : imaginons l’Amérique latine obligée de choisir entre la Chine et les États-Unis, ou l’Afrique entre la Chine et l’Europe. Le dernier exemple en date est la semonce donnée par Washington au Brésil concernant Huawei, groupe chinois des télécommunications.

La troisième issue serait la fragmentation. Dans certains domaines, les normes des trois grands blocs commerciaux sont aujourd’hui irréconciliables et vont vraisemblablement le rester. Cela semble être le cas du traitement des données personnelles : l’Europe donne la priorité au consommateur plutôt qu’aux producteurs de contenu numérique, les États-Unis montrent une préférence pour le Big Tech et la Chine développe la surveillance étatique. Mais on pourrait aussi imaginer un dernier scénario plus optimiste qui verrait une large convergence sur les normes les plus exigeantes. Il existe un « effet Bruxelles » qui incite des pays à adopter des règles européennes du fait que, une fois que leurs entreprises seraient en conformité, d’autres marchés internationaux s’ouvriraient à elles. Comme l’a fait remarquer dans le New Yorker, Nate Persily, professeur de droit à l’université Stanford : « L’Europe est le seul régulateur effectif de la Silicon Valley. »

On a souvent dénoncé la mondialisation dans sa phase précédente pour avoir déclenché une course vers le bas. Dans la phase à venir, une lutte titanesque pour gagner la position dominante en matière de réglementation pourrait paradoxalement déboucher sur une course vers le haut (Martin Sandbu, Financial Times, le 21 août 2020, traduction de Larry C.).

– Aujourd’hui, on vit la troisième contraction du PIB la plus importante depuis 1900, selon la Deutsche Bank. Le gouvernement britannique envisage de prendre des participations dans des entreprises clés (et là, bonne chance à ceux qui espèrent encore toucher des dividendes) et de créer toute une série d’instruments financiers à faible rendement comme des obligations indexées à la croissance du PIB. De même, les taux d’intérêt resteront bas et les loyers pourraient baisser si des logements Airbnb étaient redéployés sur le marché à long terme et à des prix plus faibles. Pour finir, les impôts sur les revenus du capital vont sûrement augmenter. Selon un nouveau document de réflexion de la Réserve fédérale de San Francisco, l’analyse de quinze pandémies historiques en Europe (en remontant jusqu’au XIVe siècle) donne ceci : chute des taux d’intérêt au cours des vingt ans suivant la pandémie, et hausse des salaires réels pendant trente ans. D’après le document de la Fed (disponible en anglais) : « De fortes répercussions macroéconomiques [des pandémies étudiées] se prolongent pendant quarante ans environ, dont notamment une stagnation significative du retour réel sur investissement. En revanche, nous n’avons rien constaté de tel à la suite des conflits armés, bien au contraire. Cette différence s’explique vraisemblablement par la destruction de capitaux typique des guerres, mais pas des pandémies. Sur la base de données bien plus rares, nous avons par ailleurs noté une modeste augmentation des salaires à la suite des pandémies qui paraît logique, compte tenu des pénuries de main-d’œuvre et/ou de la tendance à épargner davantage qui sont parmi les conséquences de celles-ci. » (Financial Times, le 16 avril 2020).

 Et l’auteur de conclure que si, comme le laisse supposer le bilan historique, les taux d’intérêt réels restent durablement bas au lendemain de la pandémie actuelle, les gouvernements auront pas mal de marge de manœuvre budgétaire pour en atténuer les impacts. Une seule réserve cependant : la pyramide des âges aujourd’hui, qui n’est nullement comparable à celle observée au début de la Peste noire…

Temps critiques, le 28 décembre/2020

  1.  – C’est la preuve aussi que l’Allemagne a moins délocalisé que la France où l’exemple de l’automobile est caricatural. « Le déclin du secteur automobile a contribué à lui seul à plus de la moitié de la dégradation de 50 milliards d’euros du solde commercial français hors énergie entre 2003 et 2019 », rappelle un rapport publié par France Stratégie (Les Échos, le 15 décembre). Alors que Macron veut 1M de voitures électriques produites en France en 2025, sauf pour la Zoé de Flins, les deux entreprises françaises produisent celles-ci à l’étranger. D’autant qu’avec les généreuses primes à l’achat sur les véhicules électrifiés, le gouvernement subventionne les importations. » d’après B. Jullien, maître de conférences à l’université de Bordeaux et spécialiste des questions liées à l’automobile. []
  2.  – Une séduction durable ce qui n’est pas le cas de toutes les jeunes pousses industrielles comme le montre a contrario l’exemple des rapports entre Ford et Nikola Motor le fabriquant de camions électriques pourtant sur le modèle de Tesla. []
  3.  – Comme le marché de la voiture électrique a commencé à faire ses preuves cette année, pour les nouveaux venus, cela se traduira par de la croissance nette, alors que les constructeurs « old school » devront aussi gérer le poids du passé. []
  4.  – Ce n’est pas grand chose en comparaison des secousses brutales qui ont eu lieu après la crise financière de 2008, lorsque le taux de change du dollar a fluctué entre 0,63 et 0,93 par rapport à l’euro, et entre 90 et 123 par rapport au yen. La réaction modérée des taux de change face à la pandémie est l’une des grandes énigmes macroéconomiques du moment. Il y a une incohérence fondamentale sur le long terme entre la croissance continue de la dette des États-Unis sur les marchés mondiaux et la baisse continue de leur production dans l’économie mondiale. Un problème analogue a conduit à l’effondrement du système d’après-guerre (Bretton Woods) de taux de change fixes au début des années 70. Une explication possible de la relative stabilité malgré la crise sanitaire est que le fait que les taux d’intérêt soient gelés et sans doute pour longtemps encore diminue l’incertitude (Kenneth Rogoff, ex-économiste en chef du FMI, in Les Échos, le 3 décembre). []
  5.  – Toutefois, au niveau plus général, en dix ans, la vente en ligne a permis la création de 32 000 emplois dans le commerce de gros, mais a détruit 114 000 emplois dans le petit commerce (Le Monde, le 4 décembre). « En théorie, la vente en ligne détruirait des emplois dans les magasins physiques mais en créerait en amont et en aval de l’acte d’achat, par exemple dans le commerce de gros ou la livraison, expliquent les auteurs, citant le concept de “destruction créatrice” théorisée par l’économiste Joseph Schumpeter. Mais au total, il semblerait que le secteur arrive à opérer avec globalement moins de ressources. ». Aux États-Unis, l’assureur Euler Hermes pointait en juillet 670 000 destructions d’emplois dans le commerce physique depuis 2008 et en prévoyait 500 000 de plus d’ici à 2025. En avril 2019, une étude de la banque UBS anticipait, elle, 75 000 fermetures de commerces américains d’ici à 2026, si la part de l’e-commerce passait de 16 à 25 % (elle est de 10 % en France, ibid.). []
  6.  – Sur les États-Unis, cf. Ioanna Marinescu, université de Pennsylvanie : https://papers.ssrn.com/sol3/ papers.cfm?abstract_id=3664265 où il est montré que malgré la forte augmentation des allocations, les demandes étaient restées bien supérieures aux offres alors qu’elles auraient dû baisser si on avait constaté l’existence d’une « préférence pour le chômage ». Finalement, l’assurance chômage n’a plus que la vertu de lutter contre les inégalités. Aux États-Unis, pendant la crise sanitaire, ce sont les salariés à revenus modestes et dans des secteurs comme la restauration, qui ont perdu le plus d’emplois. L’augmentation des allocations chômage de 600 dollars par semaine pour tout le monde a bénéficié de manière plus que proportionnelle aux chômeurs à bas revenus, et a donc joué un rôle très important pour limiter la croissance des inégalités aux États-Unis pendant la crise du Covid -19 (cf. http://ftp.iza.org/dp13643.pdf, Marinescu, Libération, le 15 décembre). []
  7.  – Cf. Michel Aglietta et Sabrina Khanniche : « La vulnérabilité du capitalisme financiarisé face au coronavirus », La lettre du CEPII, no 407, avril 2020. []
  8.  – Il faut savoir qu’en temps de baisse des cours, les bons du Trésor correspondent à un choix de la « qualité » et normalement cela conduit à des achats de bons, alors que là s’est produit le processus inverse du fait de la préférence pour la liquidité (le choix de la quantité). []
  9.  – On estime que l’augmentation des importations en provenance de Chine entre 1995 et 2007 a détruit environ 100 000 emplois en France, des pertes concentrées géographiquement, tandis qu’elle a amélioré le pouvoir d’achat annuel de chaque ménage de 1 000 euros, des gains répartis sur toute la distribution des revenus, donc une diffusion certes, mais sûrement très inégalitaire et dont le sens est difficile à appréhender (Isabelle Méjean, professeure d’économie à l’école polytechnique, Le Monde, le 20 décembre). Si ces problèmes sont réels, on oublie parfois que, pour l’économie française, la mondialisation se joue avant tout à l’échelle européenne. Environ 60 % des échanges de la France avec le reste du monde se font à l’intérieur de l’Union européenne (UE), quand les biens en provenance d’Asie représentent 15 % des importations françaises. Les pénuries de masques ou de paracétamol ont focalisé l’attention, tandis que la prépondérance européenne sur le matériel médical ou d’autres types de médicaments était ignorée. L’UE est le premier exportateur mondial d’une cinquantaine des 90 produits identifiés comme stratégiques dans la gestion de la crise sanitaire par l’OMC. Cela ne signifie pas que l’UE est autosuffisante, mais que les investissements nécessaires pour atteindre la souveraineté dans des secteurs aujourd’hui jugés stratégiques ne concernent qu’un nombre limité de produits (ibid.). []

Le criticisme est-il curatif ou antiseptique ?

Le texte qui suit est une réponse de B.Pasobrola au dernier texte de J.Wajnsztzejn et Laurent Partie IV de la critique du dépassement : « raison, totalité et universalité » publié sur ce blog dans la série de texte suivant :

Partie I – Puissance du capital et captation
Partie II – Dépassement, englobement et couple imaginaire/rationnel
Partie III – Temps et durée, rationalisation et autonomie
Partie IV – raison, totalité et universalité.

De cette série d’interventions autour de la notion de dépassement, B.Pasobrola note l’impossibilité qu’auraient JW et L. à se passer justement de cette conception hégélo-marxiste de l’Aufhebung. Il relève, dans leur derniére intervention : « Raison, totalité et universalité » (partie IV), un attachement à Hegel et sa raison dans l’Histoire alors qu’il propose pour sa part un détachement de cette lecture rationaliste à partir de C.Castoriadis et son approche en terme d’imaginaire social.

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Au fil de quelques lectures : islamisme, fascisme, choc des civilisations, religions…

Depuis qu’ils pensent trouver dans l’islamisme militant un produit de remplacement à leur ancienne eschatologie marxiste, des individus se réclamant de la Gauche ou de l’extrême gauche rejettent toute analyse qui mette en rapport djihadisme offensif et a fortiori terroriste et religion musulmane. Pour eux toutes les causes du phénomène sont extérieures à l’Islam, à ses traditions, à son histoire et à son actualité. Les médias ne sont d’ailleurs pas en reste qui évitent la critique des religions en général, défendent une laïcité ouverte à tous les vents et, pour faire bonne mesure, n’osent même pas, dans leurs articles, écrire le terme « d’État islamique », se contentant de citer l’acronyme arabe Daech suivi des initiales (EI)1. Voyons cela plus en détail. Lire la suite →

  1.  – Bien sûr, que pour l’instant, l’EI n’existe qu’en tant qu’organisation (et encore, certains comme Olivier Roy n’y voient que le produit d’un grand fantasme de l’organisation islamiste elle-même au prétexte que la vision du futur de Daech serait hautement improbable et comme si ça rendait virtuelles ses actions actuelles) et pas en tant qu’État, mais il n’empêche qu’il y a bien là un usage langagier d’euphémisation typique du discours politiquement correct. []

Fin des échanges sur imagination/imaginaire/imageries

Fin des échanges qui avaient débuté par la note de J.Guigou sur imagination/imaginaire/imageries suivi des remarques de Laurent et J.Wajnsztejn mais aussi des remarques à chaud de D.Hoss pour continuer par le billet remarques sur les commentaires de Laurent et J.Wajnsztejn toujours à propos d’imagination, imaginaire, imageries.


Le 18 décembre 2022

À propos de la notion « d’excès de sens »

Tout d’abord, nous prenons acte de ta tentative de ne caractériser qu’une courte période historique, mais à la lecture ce n’était pas évident puisque tu citais Le Goff et l’époque médiévale !

Ensuite, il ne s’agit pas de paraphraser ta thèse, mais de la rendre plus claire comme nous l’avons déjà essayé avec une réécriture de la première mouture de ton premier texte qui a gommé l’essentiel de nos différends. Tu as pourtant l’air de l’oublier en faisant comme si ton texte et donc ta « thèse » n’avaient pas déjà été remis en question sur le fond par nos corrections tendant à rétablir le fait que, qu’on le veuille ou non et quelque soit la « thèse » à soutenir, le terme d’imaginaire ou des imaginaires redevenait omniprésent non pas seulement dans les textes savants mais aussi dans les discours sociologistes ou médiatiques de base. D’où d’ailleurs la demande de J.Wajnsztejn à l’origine de ces échanges en vue d’un éclaircissement sur le rapport imagination/imaginaire. 

Par ailleurs, nous n’avons pas utilisé la notion « d’excès de sens » tirée de notre interprétation de la Théorie esthétique d’Adorno pour en faire une notion politique permettant d’évaluer le « contenu de vérité » d’une œuvre ou pour dire qu’elle était le propre de l’imagination ou de ses produits. C’est d’ailleurs pour cela que la référence à Adorno et aux œuvres artistiques nous paraissait probante, quelque soit le jugement qu’on peut porter sur Adorno, ce qui n’est pas le sujet ici. Ainsi, si on suit la théorie esthétique d’Adorno à partir du livre au titre éponyme, l’écriture poétique peut être considérée comme un des genres de l’excès de sens. Le côté métaphysique de l’art en quelque sorte. L’œuvre d’art tend à échapper à l’immédiateté du sens apparent de l’œuvre par excès de sens (cf. aussi, Kant et « l’esthétique du sublime », W. Benjamin et « l’aura » de l’art) parce que les intentions s’en détachent (cf. Théorie esthétique, Klincksieck, p. 109) ; « L’œuvre d’art n’est pas simplement art, mais est plus et moins […] et possède le caractère chosal d’un fait social » (Autour de la théorie esthétique, Klincksieck, p. 20).

Tu sembles confondre ce sens particulier de cet « excès de sens » avec une apologie théorique ou pratique de « l’excès » par rapport aux conventions et à la norme sociale (cf. Bataille, les références positives à Sade) ce qui nous renvoie aux questionnements du début du XXème siècle autour de la crise de sens (Musil) et du sujet ( la psychanalyse), et plus prêt de nous aux questionnements postmodernes de la fin du XXème avec les références à l’insensé, la folie, la psychanalyse quand tout sens premier ou évident aurait disparu.  

Pour finir, un exemple : en 1883, alors que très peu de personnes connaissent les oeuvres de Rimbaud qui vit toujours comme commerçant en Abyssinie,  le critique et anarchiste Félix Fénéon consacre un article aux Illuminations, œuvre dont il a été partie prenante de la publication ; il termine son article par cette phrase : « Œuvre en dehors de toute littérature, et probablement supérieure à toute ». Ce que la poésie de Rimbaud montre ici, c’est qu’au-delà de l’activité sur les mots — et les images, elle « promet », en quelque sorte, une vie « plus vraie », excès de sens par rapport à ce qui est immédiat et inconnu. Le sens de ce qui est écrit excède une signification immédiate. Rien à voir donc avec un délire, la folie, l’anti-psychiatrie et toute la glorification politique des positions « excessives ».

« Excès de sens » ne signifie pas ici un trop plein de sens, mais que la réalisation ou la réalité d’une chose peut à l’occasion signifier plus que ce à quoi elle est destinée ou que ce qu’elle signifie immédiatement. L’imaginaire ou les imaginaires révèlent des codes sociaux et de systèmes de représentation, l’imagination est potentiellement libre et se déploie à partir de n’importe quel matériau ou prétexte comme quelque chose avant tout de singulier, même si cela peut ensuite confiner au collectif.

Jacques W et Laurent


Le 18 décembre 2022

Bonjour,

Il y aurait matière à poursuite, mais est-ce nécessaire ?

Dire par exemple qu’avec votre référence à la théorie esthétique d’Adorno, vous situez l’écrit de poésie dans l’ordre de la métaphysique. Voilà qui est une conception idéaliste de la poésie ; une conception certes partagée par de nombreux poètes dans l’histoire de la poésie, mais qui n’est pas créative aujourd’hui.

Pour le titre abruptement, avançons que la poésie n’est ni de l’art ni de la littérature, encore moins de la métaphysique. Je m’en suis expliqué dans «Poétiques révolutionnaires et poésie(( https://www.editions-harmattan.fr/livre-poetiques_revolutionnaires_et_poesie_jacques_guigou-9782343172620-62629.html )) » (L’Harmattan, 2019).

C’est aussi la raison pour laquelle, le commentaire des Illuminations par cet anarchiste, selon lequel ces poèmes « excéderaient toute littérature », est une tautologie, n’a pas de portée critique ; critique littéraire et moins encore critique politique.

En bref, la poésie est une parole, la littérature est un discours, un langage de l’ordre de la lettre, etc. Je renvoie à mes écrits sur la poésie((https://www.editions-harmattan.fr/minisites/index.asp?no=21&rubId=523)) et à mes commentaires sur des œuvres de poésie contemporaines. La poésie est la première parole de l’espèce humaine ; la littérature émerge avec l’invention de l’écriture, c’est-à-dire…tout récemment. Cf. « Introduction à la poésie orale(( https://www.amazon.fr/Introduction-%C3%A0-po%C3%A9sie-orale-Zumthor/dp/202006409X )) » de Paul Zumthor (Seuil, 1983) ou bien « Trésor des la poésie universelle » de R.Caillois et JC. Lambert (Gallimard/Unesco, 1994).

J.Guigou