Discontinuité ou fin du mouvement des Gilets Jaunes ?

Sous l’apparente continuité du mouvement des Gilets jaunes qui se manifeste par la permanence/répétition de manifestations de la part de ses irréductibles, se cache pour nous une grande discontinuité et ce sous plusieurs aspects. Même si nous avons déjà tenté d’expliciter notre approche de ce qui fut un événement qui comporte une certaine « fin1 » nous allons préciser ce qui relève d’une transformation prenant le large par rapport à la dynamique de départ.


 
Manque de gilets ou manque de Gilets jaunes ?

Depuis quelques mois, les rassemblements du samedi voient se raréfier la tenue du gilet jaune, qui fait désormais peau de chagrin. Si on peut estimer les débuts du phénomène dès janvier 2019 et de façon marquante à partir du printemps (notamment lors des manifestations pour le climat), ces derniers temps, les manifestants s’affranchissent de manière plus ou moins forcée de leur chasuble de prédilection. La raison invoquée par certains serait que le port en continu du gilet les identifieraient trop facilement aux yeux de la police2. En outre, surtout à Paris, le fait d’obliger les Gilets jaunes à jeter publiquement par terre leur gilet pour pouvoir continuer à circuler a fini par générer une technique d’invisibilisation sur le terrain qui s’est imposée progressivement. Mais ce fait ne se réduit pas à cette explication tactique et il a pu être relevé, ici à Lyon, comme ailleurs, l’effet symbolique catastrophique que cela produit. Il faut bien admettre que l’action des forces de l’ordre a certainement inhibé un grand nombre de comportements combatifs tant elle a gagné en maîtrise du terrain et en réaction face au mode particulier de manifester des Gilets jaunes. Sur ce registre, on peut dire sans se tromper que l’application de contraventions, d’abord aux automobilistes qui occupaient les ronds-points, puis aux motards ouvrant parfois les manifestations et servant souvent de catalyseurs aux « troupes » et enfin aux manifestants-piétons qui bravaient l’interdiction de pénétrer en zone interdite dans l’hyper-centre, s’est avérée particulièrement dissuasive et efficace.

Finalement, cet « abandon » conduit à l’exact opposé de ce que permettait de faire, jusque-là, ce marqueur à la portée de tous. En effet, même si tout au long du mouvement nous ne le portions pas tous, le gilet était toujours présent comme signe de ralliement et représentait tout un symbole pour le mouvement né sur les ronds-points, surtout quand il s’aventurait dans la jungle des villes. En effet, il exprimait premièrement, la volonté de se rendre visible de façon interne afin de former et souder une communauté de lutte, deuxièmement, la volonté de rendre visible, vers l’extérieur et donc aux yeux de tous, la précarité subie de plein fouet par une fraction importante de la population. Ceci avec pour horizon qui valait programme le : « tous Gilets jaunes ». En perdant cet élément fondateur, les comportements individuels, voire individualistes (les querelles d’ego disent les Gilets jaunes) reviennent en force et les regroupements/divisions sur des bases mi-affinitaires–mi-politiques tendent à supplanter l’unité première autour d’une communauté de lutte qui tolérait pourtant une grande diversité (autonomie de chaque rond-point avant même que ne se pose la question de leur coordination, autonomie des groupes Facebook, existence de plusieurs groupes de Gilets jaunes).

Mais l’habit ne fait pas le moine et ce n’est pas l’absence de gilet qui explique les « absences » actuelles des manifestants. Si le nombre moindre de Gilets jaunes s’explique en partie par l’intensification des mesures préventives et répressives, ces raisons ne sauraient suffire à comprendre la lente et longue décrue des manifestations amorcée dès janvier. La lassitude, le manque de résultats ressentis (pourtant plus importants que ceux obtenus par la plupart des mouvements des 15 dernières années) pour des gens qui découvraient la lutte et s’y sont lancés corps et âme, en disent davantage. Les derniers porteurs de gilets se vivent désormais pour le moins en enfants perdus de la révolte, en « résistants » (cf. le groupe Lyon résistance issu en partie du rond-point de TEO) si ce n’est en desperados. C’est le lot de tous les grands mouvements de révolte qui nous portent à des hauteurs qui rendent plus dure la chute (défaite).
 
Des manifestants sans but ?

Quelle est en effet la situation : chaque samedi entre 50 et 100 Gilets jaunes se réunissent encore place Antonin-Poncet pour se voir opposer un nombre bien supérieur de forces de l’ordre qui, désormais, évaluent à l’avance et au coup par coup le contingent nécessaire pour enrayer les divers mouvements des manifestants qui, il faut bien le dire, se font sans vigueur quand la détermination et l’atout que pourrait représenter la mobilité de petit groupe reste sans emploi, parce qu’il n’y a plus vraiment d’objectif fort. Il ne reste alors que la force de l’habitude. Cette dernière remarque nous semble valable même quand nous nous retrouvons à 1000 lors de la dernière nationale du 14 septembre à Lyon, avec une logistique au cordeau et un déploiement tactique implacable… mais de la part des forces de l’ordre. C’est-à-dire blocage de tous les accès vers la place Bellecour, fermeture à la circulation des voies sur le quai Gailleton programmée en amont, nasse immense pour juguler les manifestants vers une zone tampon avec un contingent impressionnant de CRS. On aura même aperçu pour la première fois le survol d’un drone de la police sur les quais ! Les dispositifs de répression ne laissent plus guère de possibilité aux manifestants. Primo parce que l’expérience et la réponse à des dizaines d’actes successifs ont forgé une expérience et une refonte des méthodes de maintien de l’ordre que l’on peut estimer mises en place au début du mois de mars. Secundo, car les divers foyers de troubles (ronds-points et péages surtout) ayant été circonscrits, les forces de l’ordre peuvent mobiliser considérablement sur quelques villes bien ciblées pour les manifestations du samedi. À un « soyons partout nous serons d’autant plus insaisissables » qui caractérisait le mouvement à ses débuts se substitue aujourd’hui une centralisation des journées d’action nationales qui, de fait, camoufle une faiblesse du mouvement devenue patente par un effet de loupe qui veut faire effet de masse. La disproportion de la chose apparaît bien quand, à la base, au niveau de chaque ville, le petit nombre de manifestants locaux bat sa coulpe sur le peu de mobilisation ici et reporte son espoir sur ce qui se passe ailleurs, dans un là-bas lointain où il se passerait des choses, que pourtant jamais personne ne cherche à évaluer objectivement du fait de l’absence de coordination nationale, l’Assemblée des assemblées ne remplissant absolument pas ce rôle puisqu’elle a été crée ex nihilo pour un tout autre but (la démocratie citoyenne et le municipalisme libertaire). L’idée, par exemple, qu’il se passe toujours quelque chose à Paris est alors alimentée par ce qui est devenu le rituel de la montée à Paris (ou éventuellement une ou deux grandes villes de province) pour la manifestation nationale avec le secret espoir qu’il y ait un peu de casse pour qu’on parle encore de nous. Une démarche devenue artificielle dont on ne sait jamais vraiment qui en est à l’initiative. Elle est profondément différente de celle qui a vu l’embrasement à Paris, mais aussi dans d’autres villes entre le 1er et le 22 décembre. On assiste ici à une sorte de prophétie auto-réalisatrice qui supplante ou tient lieu de réel.
 
Des dynamiques éclatées

Dans les initiatives à Lyon, depuis cet été, on observe de petits groupes principalement guidés par des questions de concurrence si ce n’est de pouvoir. Désormais, chaque composante tente de développer sa dynamique propre sans les autres après s’être coupée de l’aspect collectif. D’un côté les étudiants et post étudiants ex-Nuit debout de l’AG qui tantôt roulent pour les organisations écologistes sur fond de pratique de lutte partagée, tantôt embrassent des positions sur des sujets politiques dans une proximité évidente avec la France Insoumise. De l’autre, quelques Gilets jaunes qui refusent de voir mourir le mouvement, se joignent aux activistes de Lyon-résistance dont les actions sont spécialisées et interchangeables (soutien aux manifestants de Hong-Kong, contre les expulsions, contre le racisme d’État, hommage aux morts victimes de la police, soutien récent aux Kurdes). 

L’expérience de la lutte démontre qu’un ensemble d’individus qui se regroupent ne produit pas toujours une « intelligence collective « efficiente, alors pourtant qu’elle est affirmée par l’aile constructive du mouvement comme son principal acquis. Or pour le moment, pour ce que nous en avons vu, nous, au sein du mouvement, cette « intelligence collective » a plutôt été affirmée par des intellectuels qui ont pris fait et cause pour lui, plutôt qu’elle n’est apparue et s’est développée dans des initiatives, dans des faits avérés ou dans des textes d’une certaine tenue. Ainsi comment juger « l’intelligence collective » qui fait glisser du « tout pour et par le RIC en toute matière » à une participation à la campagne de LFI et de Fakir sur le RIP AdP ?

On a ici un usage de ce qui devient la « marque » Gilets jaunes pour déguiser des actions politiciennes. Tel est le cas de celle qui se passe sur le rond-point de la Croix-Rousse devant l’hôpital du même nom chaque vendredi et samedi depuis l’été notamment avec la pétition contre la privatisation d’AdP. Les initiateurs de cette action semblent d’ailleurs s’en être rendu compte puisque ce qui les a occupés tout l’été vient maintenant d’être abandonné au profit d’un recentrage sur des actions plus globales et la réoccupation de la place Bellecour.

Une « intelligence collective » devrait justement se poser la question de cette dérive et de cette perte d’autonomie, alors que c’est cette autonomie qui la caractérisait à l’origine. Or, elle s’est diluée dans une soudaine problématique de « convergence » que lui proposaient des mouvements dépassés par la situation (syndicats) ou embryonnaires (Alternatiba, et Youth for the climate), mais cherchant à surfer sur la vague. Les Gilets jaunes l’ont ensuite eux-mêmes recherchée dans un deuxième temps, après que les Gilets jaunes ont fait l’expérience qu’ils n’étaient pas tout le peuple. Cela les conduit aujourd’hui, faute de pouvoir rendre réel le « Tous Gilets jaunes », à vouloir mettre du jaune partout, sur les pompiers comme sur les Kurdes, après l’avoir mis sur les hospitaliers. L’absence de bilan critique les empêche de comprendre pourquoi ils n’ont pas dépassé leur base d’origine. Dans leur tête elle était potentiellement tellement large cette base (toujours l’idée de tous les mouvements actuels, mouvements des places, Gilets jaunes ou climat, qu’ils représentent les 99 % de la population et donc que tout devrait se réaliser automatiquement) qu’elle ne pouvait que s’étendre, se multiplier et faire corps. Le refus de prendre acte de l’échec de cette extension, et pour des raisons intrinsèques au mouvement, le projeta dans des explications extrinsèques contre-productives sur la répression ou des arguties sur les questions de « communication » que le mouvement n’aurait pas su résoudre. Avec des perles entendues en AG comme quoi il fallait accentuer tractages et affichages, car « les gens », au bout de six mois de lutte, n’auraient pas su ou compris ce que voulait le mouvement !

Que tous les mouvements soient simplificateurs pour privilégier pratique et dynamique de lutte d’accord, mais de là à croire que le pouvoir est isolé et qu’il tombera tout seul, il y a une marge. Que ce soit difficile à évaluer dans le feu de l’action, c’est une évidence, mais justement il s’agit de mettre à profit la situation actuelle de recul pour amorcer la réflexion critique qui pourrait servir plus tard et pour d’autres luttes.

Ce que nous considérons aujourd’hui comme une dérive du mouvement concerne aussi bien Lyon-centre que Lyon-résistance, ce qui confirme le bien-fondé de notre décision de cesser nos rapports (en tant que « Journal de bord ») avec tous les groupes sans exception puisqu’après s’être opposés pendant des mois pour savoir qui prendrait la tête des opérations, ils en arrivent maintenant à se partager le travail, sans le vouloir il est vrai. Après avoir échoué dans notre tentative de retourner à l’unité à travers une réunion de préparation à l’inter-régionale, il nous est apparu évident que cela aurait servi à rien de jouer l’un contre les autres ou inversement.
 

Thématiques opportunistes et activisme para-syndical

Des revendications plus très « Gilets jaunes »

Les appels du samedi via les réseaux sociaux sont certes toujours bien là, mais ceux qui les lancent le font à présent principalement autour de thématiques en fonction de l’actualité des luttes et n’en sont plus ni à l’initiative, ni le moteur. Ailleurs, les rares ronds-points où l’on aperçoit encore des Gilets jaunes sont constitués à titre largement symbolique puisqu’il n’y a la plupart du temps ni blocage ni filtrage aujourd’hui. La principale démarche est le tractage et autres spécialités militantes qui ne sont pas dans l’ADN d’un mouvement qui n’a jamais prioritairement cherché à convaincre, persuadé qu’il était de manifester immédiatement, de par sa simple présence, l’urgence sociale. Les restes du mouvement adoptent alors une forme proche de celle de l’action syndicale qui se concrétise dans des thématiques qui ne respectent même plus la sensibilité propre et à fleur de peau des Gilets jaunes. Et pour cause, dans les temps forts, le gros des Gilets jaunes provenant des villages et des petites villes des régions périphériques était largement réticent à adopter une quelconque action militante préférant simplement défiler, se réunir et interpeller le quidam proche de lui ou alors décider sur le tas à partir du rond-point d’une action coup de poing contre un Hôtel de Ville ou une plate-forme ou une entrée de supermarché ou encore en soutien de grévistes ; ou encore décidant d’aller à droite dans une manifestation urbaine quand les « organisateurs » de cette manifestation cherchaient à la faire aller à gauche, etc..

De la même façon, les quelques revendications simples apparues en décembre comme celles concernant les produits de première nécessité et les plus bas revenus, laissent place à des revendications générales sur la défense des services publics et un « programme » sorti tout droit du Conseil National de la Résistance). Ainsi, à l’Assemblée des assemblées, dans le plus pur formalisme procédurier, des délégués mandatés sur la base de la parité, avec voix décisionnelle ou pas, votent à répétition avec petits cartons de couleur sur des textes généraux pénétrés d’écriture inclusive et censés montrer comment le mouvement est à la fois intelligent, « branché » au politiquement correct et bien propre sur lui.

Le choix des thèmes démontre bien la grande difficulté à rassembler sur les sujets initiaux des Gilets jaunes. C’est une véritable dépendance vis-à-vis des manœuvres du pouvoir qui s’est installée, devenant par là le seul moteur de cette survie artificielle du mouvement (cf. ceux qui ont pensé répondre au « Grand débat » de Macron par le « Vrai débat »). D’autres thématiques marquent la perte d’initiative du mouvement parce qu’elles ne sont que réactives : « manifester contre la répression policière », « pour le droit de manifester » ou « le soutien aux emprisonnés ». Elles font certes partie du mouvement, mais elles ne peuvent que l’accompagner, non le remplacer en ne portant plus l’accent que sur ces points. Protester contre les organes de répression du pouvoir, la législation et la justice en s’imaginant qu’ils vont rendre des comptes paraît bien peu à même d’obtenir quoi que ce soit dans la phase actuelle de décrue et encore moins de nature à favoriser une reprise de l’initiative. La question de l’État, le rôle des élus ne sont plus à l’ordre du jour sans parler d’une meilleure répartition de la fiscalité, évanouie. Pourtant pierre angulaire du mouvement, ces sujets particuliers laissent place à des sujets vus et revus à gauche. Ainsi la gauche « qui lutte » (des syndicalistes aux activistes de toutes sortes) comme lors du contre-sommet du G7 à Biarritz semble prendre les Gilets jaunes qui perdurent comme une force d’appoint à tout ce qui traîne dans leur bazar sans lendemain. Évidemment il y a encore des sujets qu’ils considèrent comme leur pré-carré, mais une nouvelle force qui viendrait pallier aux manquements d’une gauche qui a abandonné la question sociale est quand même fort intéressante pour certains groupes politiques ou syndicaux en mal de mobilisation et de recrutement. La pêche à la ligne est ouverte afin que tout change pour que rien ne change.

Certains groupes de Gilets jaunes s’y prêtent d’autant plus volontiers que le « Tout est dans le jaune et le jaune peut-être dans tout » sert de substitut au défunt « Tous Gilets jaunes ». Symptomatique est à cet égard le programme de la quatrième Assemblée des assemblées à Montpellier début novembre 2019. Six axes sont dressés : 1) l’organisation de l’AG et sa finalité ; 2) comment retrouver un lien avec la population ? ; 3) convergence avec l’extérieur et principalement avec Extinction-rébellion dont l’action à Italie II semble avoir rappelé quelque chose ; 4) lutte contre la répression ; 5) définir alliés et ennemis ; 6) municipalisme libertaire en lieu et place du RIC qui, quoi qu’on en pense n’est même pas mentionné.

Exit l’urgence sociale et l’autonomie du mouvement ! Mais quoi de plus normal quand la base du mouvement s’est complètement transformée sociologiquement, non pas par l’adjonction de nouveaux venus, mais par la disparition de la plupart des protagonistes d’origine.
 
De la répétition au rituel

Parmi les formes d’actions collectives, la manifestation du samedi en restera certainement le point d’orgue. L’aspect spectaculaire des actes lancés sur Facebook et relayés par d’autres biais d’information a grandement participé à gonfler la mobilisation ce qui explique en partie une telle durée. De plus, au fil des actes le Gilet jaune s’est formé à la lutte avec d’autant plus de rapidité que la répression l’y a contraint. Ce côté incontrôlable caractérisait donc ces premiers temps et les forces de l’ordre, mal préparées, étaient régulièrement débordées de toute part. Par contre, à partir de janvier et le démantèlement des zones occupées (ronds-points, péages, hypercentres) la démonstration de force changea de camp et si la fréquence des manifestations en villes ne fut pas remise en cause, la forme même de la manifestation du samedi changea avec l’établissement des zones interdites. Ainsi son éloignement du centre et son blocage sur les quais du Rhône fit que la manifestation perdit son objectif de blocage économique des commerces commença peu à peu à se figer dans la répétition. Certains acteurs de la lutte qui, à Lyon, souhaitaient clairement maîtriser pour ne pas dire prendre le contrôle de la manifestation en la déclarant dorénavant systématiquement en Préfecture avec indication du trajet, contribua à renforcer la tendance à la manifestation pour la manifestation.

À présent, avec la baisse quantitative des participants, le samedi (ultime point d’agitation du mouvement) est devenu un véritable rituel (avec signes de reconnaissance et autres démonstrations de foi en la force Gilets jaunes) et certains manifestants refusent de tirer un quelconque bilan tant que des « fidèles » continuent de se rendre sur le « sacro-saint » lieu de rendez-vous à Poncet-Bellecour. Se raccrochant régulièrement, au passage, à toute manifestation qui se déroule près d’eux dans un opportunisme tout à fait inconséquent. La fraternité n’est pas un vain mot pour parler du mouvement, mais cette ritualisation montre un aspect des plus contradictoire avec ce que représentait l’inventivité des actions des Gilets jaunes qui à présent, à Lyon du moins, s’enferment dans une reproduction vide de sens.
 
En guise de conclusion

Le mouvement des Gilets jaunes avait réussi spontanément à donner corps à un élan protestataire dans un « tout » inédit. Il palliait à son hétérogénéité en s’appuyant sur une détermination sans faille, ni politique ni idéologique, mais marquée d’une forme de radicalité quant à ses exigences immédiates. Il refusait de s’inscrire à travers les canaux habituels de revendication et de contestation des sociétés dites démocratiques et comme dans les « Printemps arabes », il ne s’agissait pas de s’adresser aux députés et aux institutions, mais « d’aller les chercher » et de les « dégager », ainsi que tous les détenteurs de poste de pouvoir, même si ceux-ci ont eu du mal à être définis et donc ciblés. Et c’est cela qui faisait peur à tous les pouvoirs. Mais force est de constater que ce corps collectif n’est plus. S’y substituent à présent celui, moléculaire, de groupements spécifiques d’individus Gilets jaunes (groupes Facebook à l’appui) qui se rattachent aux « nouvelles colères », faute d’occuper le terrain sur les leurs, et bénéficient en même temps d’une couverture médiatique fort appréciable alors qu’ils ne représentent souvent plus que des coquilles vides qui laissent la place libre pour l’ascension des organisations écologiques dites « radicales » à l’affût. Une radicalité d’ailleurs toute relative tant sont étroits leurs liens avec des forces économiques et politiques de l’hypercapitalisme (cf. les manifestations climat) qui se félicitent d’une jeunesse enfin sage et responsable par rapport à ses devancières.

En somme, on peut donc dire que le « tous Gilets jaunes » des grands moments de ce mouvement a vécu. Mais peut-être l’anti destin des gilets jaunes est-il de continuer à exister… avec d’autres luttes mêmes si elles n’ont qu’un rapport ténu d’avec le mouvement d’origine des mois de novembre/décembre à proprement parler. Ceci signifie reconnaître une discontinuité, une « petite mort » de ce mouvement et sa transmutation possible sous l’effet de milliers de personnes ayant désormais à cœur de lutter3. Cette brèche qui s’est ouverte est bien sûr à prendre en compte et doit nous faire évaluer quand être à leur côté et quand déjouer quelques pièges bien connus notamment de la part de forces qui ne les ont jamais rejoints… mais n’ont cessé d’escompter en tirer profit.

Ju, G, J, ex-participants au Journal de bord Gilets jaunes du blog Temps critiques, le 24/10/2019.

  1. Cf. L’article « Clap de fin » du Journal de bord de Temps critiques disponible sur le blog à l’article http://blog.tempscritiques.net/archives/2231 []
  2. https://www.lefigaro.fr/actualite-france/pourquoi-certains-gilets-jaunes-defilent-dorenavant-sans-gilet-jaune-20190922 []
  3. C’est une position proche qui s’exprime dans un des derniers posts Facebook du groupe Lyon-résistance. []