Plus que l’émancipation, écart et sécession en questions

Dans la correspondance que nous vous présentons ci-dessous s’est d’abord affirmé une interrogation des différentes initiatives, récemment développées, sur l’émancipation. A la suite de différents développements s’est ouvert la question de l’écart ou de la sécession, leurs définitions comme leurs différences, et plus encore…

Bonne lecture

Le 18/02/2014

Salut,

voici à nouveau un lien vers fRance-culure :

http://www.franceculture.fr/emission-la-grande-table-2eme-partie-la-grande-table-2eme-partie-2014-02-18

Il y est question de tous les sujets abordés ici (http://blog.tempscritiques.net/archives/726 ), mais comme dans l’interview de Sophie Wahnich, on les aborde, on les critique, pour finalement toujours retomber dans l’entourloupe de la stratégie globale, unifiante et homogénéisatrice, donc totalisante. En quelque sorte, on peut craindre ici encore une forme de récupération des dynamiques locales, confluentes, individuelles, collectives et émancipatrices (vis à vis de toutes les formes de dominations à identifier et à analyser) pour les aliéner et les soumettre à un espèce de nouveau pouvoir global à reconstituer (un parti, une idéologie, un universel, etc…)

En gros, je trouve que ça sent le souffre…

Amicalement,
Blaise


Le 19/02/2014

Salut Blaise,
ton commentaire/ajout est visible sur le blog depuis hier. As-tu refait un envoi car j’ai une relance sur ce commentaire ?

a+
Gzavier


Le 19/02/2014

Salut Gzavier,

Sinon, Vous -l’équipe Temps critique- connaissiez cette initiative de ce réseau « Penser l’Émancipation » ?

Perso, je serai preneur d’infos si certains des collaborateurs de Temps Critiques intervenaient publiquement…

À bientôt,
Blaise


Le 21/02/2014

Blaise,

(…)

J’avais connaissance d’un séminaire « émancipation » à l’ENS Lyon dont on trouve la présentation et des résumés ici :

http://www.inter-seminaire.org/chantiers/seminaire-autogere-sur-lemancipation-2011-2012/

J’ai fréquenté certains des étudiants de ce séminaire autogéré dans le cadre d’un inter-séminaire post mouvement anti-LRU2. De mon côté ma participation à l’inter-séminaire s’est faite à partir d’une expérience que nous avons appelé « université autogérée » dont tous les textes sont disponible à : http://univautogeree.canalblog.com Je t’invite à lire le dossier final qui regroupe des textes divers dont l’un est de moi-même sur le parcours de ce type d’expérience.

Depuis la fin de l’UA je n’ai eu aucune nouvelle précise, ni contact avec tous ce monde de l’ENS donc je découvre ce colloque qu’il soit à Lausanne ou à Nanterre (texte là http://www3.unil.ch/wpmu/ple/).

Déjà au moment de l’UA je trouvais bien peu pertinent de parler d’émancipation. S’émanciper de quoi dirais-je ? Ceci alors que tout est transparent et en même temps pré-pensé pour « notre bien ». Par exemple une réelle émancipation par la connaissance ne peut se faire que contre toute institutionnalisation et surtout contre l’État et sa forme réseau. En parallèle l’émancipation se fait aujourd’hui au travers de la techno-science, moteur premier de la « réinvention des métiers ». A ce titre il n’y a pas d’université à sauver comme si un jour il y avait eu une « bonne » université comme il y aurait des métiers où conserver « les bons aspects » comme si faire le tri suffisait. La société capitalisée n’ayant pas d’extérieur à proprement parler l’émancipation ne peut que se penser contre le monde empoisonné qui se perpétue chaque jour aussi grâce à nous (je ne mets pas pour autant sur le même plan les décideurs en tous genres et l’individu lambda mais le capitalisme étant un rapport social nous avons notre mot à dire).

Avec les « Journées Critiques » (http://journcritiques.canalblog.com/) j’ai pu constater qu’on ne sortait pas des apories classiques de la forme colloque, forme de rencontre que les universitaires aiment tant. Mais penser en marge de l’université c’est aussi à terme en sortir et c’est là le bilan de mon expérience. Ainsi pour résumer il est clair que les étudiants sont des « glaneurs d’informations » dans une démarche utilitaire avec pour but un diplôme. Constituer un savoir en commun, demande un effort qui n’est tout simplement pas très porteur et qui nous a amenés à clore notre expérience de transformation des rapports universitaire classique.

Cordialement

Gzavier


Le 21/02/2014
Salut Gzavier,

Tendre à l’émancipation vis-à-vis de quoi ?

Et bien, vis à vis de toutes formes de dominations, certes définies et identifiées de manières subjectives.
Je pense personnellement que ce qui compte dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, c’est bien la tension. C’est à dire ici, les tensions des processus émancipateurs, générées au travers de leurs mouvements, de leurs mises en marche dans plusieurs sens, de leurs remises en question, permanentes, de leurs reculs, de leurs remises en marches, etc… Je pense que ce qui compte en l’occurrence ce sont ces tensions et leurs critiques; c’est de penser les processus émancipateurs et ne jamais s’arrêter. Le leurre effectivement c’est de croire à l’Émancipation en soi et pour soi, c’est à dire de croire au paradis de l’Émancipation, et au totalitarisme qu’il impose. C’est toujours là le schéma typique de la croyance, celui du mythe dans lequel on croît, ou pas. C’est d’ailleurs dans ce schéma dominant là que la critique n’a plus sa place…

Aussi, j’ai lu ton texte épilogue sur l’UA.

Oui, je pense que s’émanciper c’est forcément refuser de s’instituer. C’est refuser l’institution, et toutes les institutions formelles, donc l’université. N’empêche que si la société capitalisée tend à être partout, y compris en nous par les rapports sociaux qu’elle impose, comme tu le dis, alors à moins de s’émanciper définitivement avec une bonne corde, ou si l’on ne se sent pas l’âme fataliste ni ermite, il nous faut bien la traverser cette société. Que ce soit dans la rue, dans son taf, dans sa tête, dans son lit, ou dans une université… Des endroits finalement, dans lesquels en furetant ou en dérivant, on peut peut-être rencontrer d’autres sujets critiques, eux mêmes ou elles mêmes en recherche. J’avoue, c’est dur !
Pour l’instant dans la vrai vie, j’en ai trouvé, mais y sont tous dans ma tête… (blague)

Sinon, dernier point concernant l’UA :
Dans son but de mieux comprendre et de renforcer le mouvement social en cours, un des soucis de l’UA a peut-être été d’avoir voulu créer des outils auto-institués ?

Peut-être que la même dynamique, au sein même de l’enceinte universitaire, mais sans cette auto-institution, aurait été plus fructueuse ??

Voilà,
à te lire,
cordialement,

Blaise


Le 22/02/2014

Super, j’apprécie cette forme de partage. Je la pratique moi aussi.
Depuis hier, j’apporterai une nuance supplémentaire à ma critique de l’institutionnalisation : Dans l’institutionnalisation, d’après moi, le problème n’est pas de constituer une dynamique formelle (individuelle ou collective), mais bien de sacraliser cette formalisation.

La définition du sacré dans le dico (Hachette 2003) : Sacré : qui appelle un respect absolu, digne de vénération. Vénération et absolu, voici donc bien deux ingrédients de l’aliénation, de la domination.
Dans cette même logique, on peut donc tout à fait formaliser une démarche individuelle ou
collective, et donc créer un groupe formel. Cependant, on se doit alors d’être toujours vigilant à ne jamais sacraliser ces démarches, ne jamais les transformer en sujets de vénération, ne jamais les considérer avec un respect absolu. Les logiques dominantes dans lesquelles nous vivons nous incitent pourtant à chaque instant de faiblesse à tomber dans ce piège de la sacralisation. C’est pourquoi, à mon avis, il faut cultiver encore et toujours la démarche critique, individuelle et collective. Dans un monde aseptisé, notamment par le confort et notamment celui du prêt-à penser grégaire, cette tension critique est très mal vécue par bon nombre de personnes. C’est un combat en soi…

Si tu me donnes ton accord, je transmets aussi ce partage avec un copain.
à plus,

Blaise


Le 22/02/2014

Salut Blaise,

Peut-être ai-je été trop rapide dans mon développement mais il est très clair pour moi qu’il est nécessaire de tenir une tension qui provienne de la confrontation avec le monde tel qu’il se donne, une tension entre l’existant et le devenir, une tension entre ce que l’on tente et ce qui est présentement là. C’est une démarche qui est faite de composition avec les difficultés de la vie de tous les jours, au travail, à l’université, chez soi, etc. C’est en cela que l’on ne peut que composer sans exclure un des termes en présence contrairement au mythe (gauchiste) de la pureté (de classe, de sexe, de provenance, etc.) comme point de départ. Je ne crois pas que l’on puisse s’émanciper au travail ou, devrais-je dire, ce qui est de l’ordre de l’activité salariale aujourd’hui comme nous l’avons évoqué lors de notre débat sur les transformations du travail au salon du livre libertaire 2013 à Lyon (voir sur le blog). Comme il faut bien encore continuer cette activité salariée pour quelque temps encore, il s’agit de construire des collectifs visant la sortie de ce salariat par la sape de son imaginaire et de ces emprises (je devrais relire Castoriadis je crois). Vaste programme dont la question de la finalité par exemple, d’un mouvement peut ne pas être la même pour tous, certains comme nous viserons parfois très loin, d’autres voudrons juste souffler parce qu’ils ne sont pas (encore!) des cyborgs. Mais globalement c’est l’horizon que l’on dessine alors qui est porteur.

Faire la somme des dominations aujourd’hui engendre souvent une perte d’horizon justement (on est toujours le dominant d’un autre, etc.). À cela je préfère un axe fort sur un monde où la domination est celle d’un capital qui s’arrange de tous, c’est ce qui m’a amené à écrire dans Temps Critiques.

Avec cela ce sont les pratiques d’écarts qui me semblent intéressante par rapport à ce que je formule ici. L’écart comme rapport entre ce que l’on est censé faire et ce que l’on accompli à la place tel que les désobeisseurs dans l’enseignement l’ont fait. Cette tangente doit tenir à la fois de l’alternative et de la révolution, tension sous-jacente à ce que je disais plus haut.

Pour resituer dans le contexte, l’UA s’est construite à la fin d’un mouvement social et non pendant. Cela se présentait comme une continuité de l’effort d’alors consistant à sortir l’université de ces murs en s’appuyant sur des points forts de celle-ci. Points fort comme la possibilité de constitution d’un « esprit critique » ou encore de lieu de transmission des savoirs. Concernant l’esprit critique je renvoie au texte de J.Guigou « Activités critiques et éducation » (http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article169) dans le numéro 14 de la revue. Quant à la transmission des savoirs ils relèvent énormément du travail personnel pour les premières années d’université (et après ?) d’où l’approche de l’UA consistant à vouloir développer ce travail personnel mais en l’encrant dans le collectif. Sur ce point le résultat fut décevant et des notions sont restées en suspens.

La dimension d’auto-institution était effectivement là comme pour d’autres collectifs qui ont rapidement investi d’eux-mêmes dans l’université qui les hébergeait tel le Comité 227 avec une bibliothèque alternative sur Toulouse Le Mirail. Je ne sais pas ce qu’il reste de cet exemple mais du côté du séminaire « émancipation » il y a eu dès le départ une plus grande présence dans l’ENS même, certains de ces participants ayant constitué en plus une section syndicale étudiante remuante. Il faudrait donc comprendre comment tout s’est développé, perpétué et transformé. Cependant j’avoue que la plaquette du programme du colloque ressemble à pleines d’autres, têtes d’affiches à l’appui. En sommes lire ce qui en sera publié me suffira pour l’instant.

a+
Gzavier


Le 25/02/2014

Salut Gzavier,

Perso je suis sorti de « l’axe fort  » anti-capitaliste. Aujourd’hui, je suis encore en mode maturation. Maturation d’autres choses. Des choses ayant plus avoir avec « l’écart », non pas du salariat, mais du système capitalisé. Je reviens vers ce que l’on appelle les alternatives, au niveau théorique pour le moins, après avoir quitté au niveau pratique certaines lignes de front de la lutte des classes.
C’est ce vers quoi je tends à nouveau. Ce que Temps Critiques appellerait individualisation (si j’ai bien compris), et que d’autres appelleraient la rupture, la sécession.
Pour l’instant ce n’est qu’une maturation critique et pas vraiment pratique – tout est une question de proportions en fait. Du coup, je ne veux plus exclusivement focaliser sur l’axe fort anticapitaliste. Quoi que gardant cet axe bien en vue, je me concentre à nouveau sur l’idée de la dynamique locale, diffuse, et constructrice.
En gros, en cessant de m’attaquer de front au système, je ne veux plus participer à l’amélioration et au renforcement de son pouvoir oppressif et répressif. Je préfère à cela, l’idée de l’écart, du pas de côté, de la rupture, de la sécession. De manière à pouvoir d’ors et déjà chercher à m’impliquer dans d’autres types de processus. Des processus critiques et constructeurs de nouveaux mondes. Des processus plus en dehors, bien qu’en partie en dedans quand même certes. Des processus critiques et diffus. Je pense qu’une société totalisante, quelle qu’elle soit, a peu de prise sur ce type de processus, en tous cas beaucoup moins.

Pour l’instant, je ne vois pas d’autres moyens qui soient cohérents par rapport aux idées que je me fais de nouveaux mondes…

À te lire,
Blaise


Le 28/02/2014

Blaise,

Si nous parlons d’écart plutôt que de sécession, c’est que pour nous, le capital reste un rapport social. Il n’y a donc pas un « système » qui serait extérieur à nous et qui ferait qu’on pourrait s’en distancier ou même en réchapper. C’est bien ça la société capitalisée; elle nous englobe et en même temps nous y participons. À l’inverse, l’idée de sécession est liée à l’image d’un monstre-capital avec lequel nous n’aurions rien à faire. Tout serait alors question de volonté. Il y aurait des individus soumis et des individus réfractaires. Malheureusement, non seulement cette vision me paraît erronée du point de vue théorique, mais en plus elle a des implications pratiques sur la conception des luttes qu’on peut avoir puisqu’elle suppose, pour que le « système » continue à fonctionner malgré ses horreurs, que l’immense majorité des individus sont soumis ou décervelés et en conséquence qu’une petite minorité serait seule à même d’y voir clair et de mener le combat. On connaît la chanson.
Contrairement à la sécession qui, à de rares exceptions près, exotiques qui plus est (Chiapas, Oaxaca), rest de l’ordre des idées, l’idée d’écart s’incarne dans des pratiques parce que sa prémisse est déjà la reconnaissance de l’existence du capital comme rapport social et en conséquence du rapport de dépendance réciproque qui agit le rapport de subordination dominants/dominés. Là, nous restons dans la dialectique des luttes même si ce n’est plus celle de la lutte des classes, et nous n’avons pas besoin de fixer des priorités en leur sein. Ce n’est plus le temps du programme de classe ou même celui imposé par un principe communisateur. Il faut s’insérer dans les processus de conflictualité, mais en tenant compte de la nouvelle donne qui résulte de la révolution du capital (restructuration des entreprises avec baisse de centralité de la force de travail ; passage à la forme État-réseau). Il n’y a donc pas plus à privilégier un affrontement frontal puisque nous n’affrontons pas la bête ou le Léviathan, mais des rapports de domination ou d’exploitation concrets, chaque jour au travail ou dans la vie quotidienne (la révolution type prise du Palais d’hiver est caduque), qu’un émiettement dans le local et le partiel qui banaliserait tous les types de domination.L’alternative oui, mais avec la conscience de la tendance (ou des tendances) et de l’unité (par exemple dans le capitalisme du sommet (notre niveau I)

Gzavier et moi avons justement critiqué, dans La tentation insurrectionniste (p. 101), l’idée d’un capital comme simple relation de pouvoir entre dominants et dominés, relation qu’on pourrait faire cesser comme n’importe quelle relation amicale ou sur un coup de tête de jeunesse. Nous ne sommes plus à l’époque des classes dangereuses où le capital n’avait encore englobé qu’une petite partie de la population, laissant penser qu’on pouvait refuser son devenir (c’est par exemple la position des anarchistes individualistes de l’époque qui refusent de se transformer en ouvriers). Et ce n’est pas parce que aujourd’hui le capital semble exclure et recréer des marges avec l’inessentialisation de la force de travail que la situation se rejouerait dans les mêmes termes. Le plus marginal des marginal d’aujourd’hui est bien moins à la marge qu’hier, son téléphone portable à la main, son baladeur sur les oreilles, sa carte vitale dans la poche, sans parler de son utilisation de l’automobile, co-voiturage compris ou son utilisation du TGV en circulation pour se rendre à une manifestation anti-TGV ailleurs, j’en passe et des pires !

Aujourd’hui, en tout cas pour le moment, il n’y a pas de luttes de rupture et la sécession n’est qu’une idée de militants.

On peut même dire qu’il y a peu de luttes qui se situent dans l’écart : les luttes des salariés qui menacent de dynamiter leur entreprise ou d’empoisonner la rivière environnante (les grèves « désespérados »), les luttes des salariés qui ne cherchent plus qu’à monnayer leur licenciement (Continental), les luttes des fonctionnaires « désobéisseurs » nous donnent trois exemples d’écart par rapport à la fonction (les fonctionnaires doivent toujours « fonctionner » ; écart par rapport à une identité ouvrière qui est devenue un icône de musée, écart par rapport à l’image du bon travailleur et à une attitude citoyenne. Par ailleurs, les affrontements style anti-TAV dans le Val Suza ou à Notre Dame des Landes parce qu’ils ne respectent pas les codes d’expression démocratique représentent des luttes dans le secteur de la reproduction qui ne jouent pas le jeu de la modernisation des infrastructures et du quadrillage territorial. Mais cela fait peu par rapport à toutes ces luttes convenues qui s’inscrivent dans la reproduction des rapports sociaux et dans la dynamique du capital. (lutte pour les droits, luttes plus ou moins corporatistes comme celle qui se prépare avec les intermittents du spectacle, lutte anti-fasciste).

Sur ces points tu peux aussi te reporter aux pages 18-24 du n°16 de Temps critiques car je ne veux pas trop surcharger.

Voilà pour le moment,
Bien à toi,

JW


Le 19/05/2014

Salut à vous,
Juste quelques petits points :

1) Écart ou Sécession ?
Je n’ai pas lu « La tentation insurrectionniste ».
Il n’était pas je crois dans la liste des bouquins sur le site ?
Personnellement, je ne fais pas de différence entre « le pas de côté » (l’écart) et le « faire sécession ».
Pour moi, il s’agit d’un même mouvement de distanciation. Je pense que oui on peut se distancier du système capitaliste, et de ses rapports sociaux qu’il induit. Tendre vers d’autres mondes possibles. Je pense qu’il puisse s’agir effectivement de processus diffus, collectifs et individuels.
Je reconnais tout à fait la différence théorique entre :
Être en-dehors VERSUS être en rupture = être en sécession = faire des pas de côté = faire des écarts

2) Si l’on admet la notion de rapport social, alors on admet la notion de proportionnalité.
De ce fait, si le capitalisme est en nous (société capitalisé, individu-e-s capitalisé-e-s), il ne l’est en tous cas pas à 100 %. Cela veut dire que nous ne sommes pas fait que de pensées et d’actions capitalistes. Que même si le capitalisme nous habite en notre intérieur, il n’y a pas que lui en nous. Les proportions varient en fonction des individu-e-s et des situations sociales de chacun et chacune.
Se distancier, rompre, faire sécession, faire des pas de côté, faire des écarts, s’est chercher par la démarche critique (théorie + mise en pratique) à faire grandir en nous et dans nos collectifs des potentiels non capitalistes.
Effectivement, s’il est faux de prétendre que l’on soit « en-dehors » du capitalisme (avec en nous 0% de capitalisme et 100% de non-capitalisme), il l’est tout autant de prétendre que l’on ne soit constitué que de capitalisme (avec en nous 100% de capitalisme et 0 % de non-capitalisme).
Ces proportions varient en fonction des situations sociales vécues par les individu-e-s, en même temps que varient leurs marges de manœuvre respectives pour sortir des processus de reproduction de la domination:

– Des individu-e-s broyé-e-s en permanence par un rapport sociale barbare auront peu d’autres possibilités, s’ils et elles veulent survivre, que de créer un rapport de force, et de s’insurger contre leurs dominant-e-s. Si elles parviennent à leur fin, ces personnes reproduisent alors malgré elles de nouvelles conditions de domination (elles deviennent, momentanément ou pas, les nouveaux dominant-e-s). Mais elles survivent. Cependant, le nouveau contexte de guerre sociale généré ne leur permettra certainement pas de construire des mondes « meilleurs ».

– Des individu-e-s qui vivent plus mal que bien dans cette société capitalisée, mais qui n’y sont pas complètement broyé-e-s, physiquement ou psychiquement, ont plus de marges de manœuvre pour faire leurs pas de côté, faire sécession. Ces personnes ne sont pas forcément contraintes de reproduire de nouveaux processus de domination. Je pense par exemple que c’est notre cas (Jacques, Gzavier, Blaise).
Peut-on condamner (moraliser) celles et ceux qui par légitime défense tentent de survivre dans des situation « extrêmes » (fort degré de barbarie, fortes proportions de barbarie, rapports sociaux fortement barbares). Ce sont pourtant ces situations qui sont les plus répandues sur la planète ? Peut-on condamner (moraliser) leurs soutiens ?
Peu-on condamner (moraliser) celles et ceux qui ne ne sont pas dans ces situations extrêmes et qui cherchent de nouvelles voies, alternatives ?
Ces deux voies sont-elles antagoniques ? Sont-elles homogènes ou hétérogènes ?
Peuvent-elles cohabiter sur la planète ? Peuvent-elles exister en même temps ?
Peuvent-elles être complémentaires ?
Quelles peuvent-être, pour les individu-e-s et les collectifs, toutes les marges (rapports) possibles de cohabitation, de coexistence, de complémentarité ? Ces marges peuvent-elles être réellement quantifiées ? Peuvent-elles être condamnées, moralisées ?

3) Sinon rien avoir avec ce qui précède :
Maintenant que se sont achevées les Rencontres de Saint Félix, auxquelles j’ai dédié la plupart de mon temps « libre » ces derniers mois, j’ai prévu de me lancer par le biais associatif dans la vente ponctuelle de livres de critiques et de constructions sociales, et écologiques. J’ai bien évidemment pensé à proposer les livres de la collection Temps Critiques, ainsi que la revue. Je ne suis pas encore prêt pour lancer tout de suite cette activité, mais d’ici quelques semaines. Aussi déjà, je voulais vous soumettre l’idée. Qu’en pensez-vous ?
Voilà, je vous laisse pour ce soir, en vous souhaitant le meilleur,

À vous lire,
Blaise


Le 05/06/2014

Blaise,

C’est effectivement dans La tentation insurrectionniste que nous abordons l’idée de sécession à travers la critique de ce qui nous est apparu comme sa meilleure expression dans le texte intitulé « Rupture … », mais aussi à travers la critique des prémisses théoriques de tout ce courant (Deleuze et les « lignes de fuite », Foucault et les micro-pouvoirs, les dominations etc).

Dans la mesure où tu déclares être d’accord avec notre distinction au niveau conceptuel (les deux mouvements : sécession et écart sont non contradictoires) je n’épiloguerais pas plus à ce niveau car nous risquerions de rester sur des voies parallèles qui ne se rencontrent jamais. Par contre, le fait que tu remettes cette distinction en cause au niveau des pratiques, croise alors deux discussions que nous avons mené entre nous dans Temps critiques. D’abord celle qui a permis de nous mettre d’accord, à Temps critiques, sur l’importance à accorder à l’alternative. Et cela, en liaison avec la révolution et non plus en opposition irréductible à celle-ci comme dans la tradition marxiste (condamnation des positions utopistes d’un côté, des positions réformistes de l’autre au profit de la seule révolution qui vaille, celle qui est le produit de la conjonction entre conditions objectives et conditions subjectives débouchant sur l’inéluctabilité de la révolution prolétarienne dont l’imagerie va du « Grand soir » des anars à la « prise du Palais d’Hiver » pour les différentes variétés de léninistes).

Après se pose deux questions : tout d’abord celle du type d’alternative et de leur rapport à un devenir autre et là nous restons dans le cadre d’une appréciation politique et/ou subjective ; ensuite, celle du type de révolution envisagé ou envisageable. On est peut être un peu plus avancé là-dessus car nous sommes de plus en plus nombreux à penser que les deux imageries révolutionnaires invoquées précédemment ne sont plus adéquates et ce pour différentes raisons sur lesquelles je ne m’attarderais pas ici. Le fait nouveau est que ce changement d’imagerie ou plutôt le fait que la symbolique soit aujourd’hui moins présente, la perspective moins messianiste et pour tout dire moins claire, permet justement d’aborder le lien entre alternative et révolution de façon moins mécanique. C’est dans cet espace que ce que nous avons appelé la « tentation insurrectionniste » a ouvert une brèche bienvenue. Dans notre livre il n’était d’ailleurs pas question de clouer au pilori cette « tentation », mais premièrement de reconnaître son existence historique récente, deuxièmement de tenter de l’expliquer, enfin de voir ses limites au moins dans ses formes actuelles qui nous semblaient s’idéologiser, se transformer en recettes insurrectionnalistes dont le livre L’insurrection qui vient représentait un premier exemple et dont les Premières mesures révolutionnaires d’Hazan et Coupat viennent de nous donner un expression plus récente et encore plus simpliste pour ne pas dire caricaturale.

Ensuite, une seconde discussion qui nous a un peu partagé ou qui a en tout cas fait question quand il nous a fallu discuter de l’intérêt respectif d’un texte autour de l’accord national interprofessionnel (ANI) et d’un autre sur Notre Dame Des Landes (NDDL) pour le n°17 de la revue. Discussion intéressante du point de vue formel et dont tu peux avoir une idée en consultant les passages suivantes de notre blog,
La double voie – partie 1
La double voie – partie 2
mais discussion un peu vaine et en tout cas asymétrique du point de vue pratique puisque d’un côté certains d’entre nous avaient déjà mené un travail approfondi sur l’ANI avec des personnes proches de la revue, intervention débouchant sur deux brochures sur les transformations actuelles du travail et du salariat et quelques débats publics à Lyon et Paris sur ce thème, alors que sur NDDL nous en étions restés à l’état de vœu pieux, n’ayant participé ni directement ni indirectement à la lutte et n’ayant pas utilisé les éléments que nous avait pourtant fourni la personne qui a écrit le texte du n°17 sur mépris et travail et qui lui se rendait sur place épisodiquement et avait des liens directs avec des personnes en lutte quotidienne dans le bocage nantais.

À ces occasions, étions-nous si loin de la question de l’écart ? Je ne le crois pas car en fait derrière cette discussion s’exprimait une différence d’appréciation sur la centralité des luttes : sont-elles encore dans la production et l’opposition capital/travail ou dans le secteur de la reproduction, de la maîtrise des territoires et des flux etc. Or si nous avons plus ou moins tranché au niveau théorique en affirmant depuis grosso modo notre n°4, la centralité des luttes dans les secteurs de la reproduction, notre propre origine critique nous rattache toujours aux luttes de classes, même si nous affirmons, depuis notre n°12 que le fil rouge de ces luttes est rompu. S’il est difficile de trancher, c’est que nombre de ces luttes dans le secteur de la reproduction sont de fait aussi des luttes en période d’inessentialissation de la force de travail et de crise du salariat. Leurs acteurs sont pour la plupart (sauf pour les paysans) encore soumis aux règles du salariat, même négativement, sans être forcément dans un rapport salarial concret. L’écart est alors d’abord objectif et la lutte devient une façon de reproduire un rapport social aléatoire insuffisamment défini et reproduit par le salariat. L’écart objectif peut donc conduire à la sécession à partir du moment où il se double d’un écart subjectif (révolte, militance etc) qui le plus souvent est toléré (cf. les indignados et autres occupy ou membres de la ZAD) , même si parfois il peut être criminalisé (cf. les insurrectionnistes italiens dans le Val de Suze). S’il est toléré, c’est aussi parce qu’il « dézone » en cherchant sa fixation à la périphérie du capital (périphérie industrielle dans les friches occupées ou squattées ; périphérie urbaine comme dans les ZAD ou encore plus au Chiapas) où il se constitue en base arrière d’un projet parce qu’on lui laisse le temps de s’organiser de par justement cet aspect périphérique.
Il n’en est pas de même dans le rapport salarial qui en temps normal, ne produit pas d’écart objectif mais une interdépendance quotidienne qui n’empêche pas les conflits ou même l’antagonisme mais repose sur une coopération productive même entachée de hiérarchie et d’exploitation. Cette coopération ne produit pas d’écart, même dans l’hypothèse d’une gestion ouvrière comme on a pu le voir dans les usines catalanes sous direction CNT en 1936. Ou plutôt elle produit l’écart entre l’organisation syndicale fut-elle révolutionnaire et la base ouvrière qui ne ressent pas objectivement de différence au travail. Il n’y a pas plus d’écart dans le cadre de la situation de chômage comme le montre l’échec des différents mouvements de chômeurs,leur incapacité à durer, à s’organiser dans l’écart puisque tant que leur revendication reste interne au rapport salarial, c’est l’essence même de leur lutte que de tendre à la résorption de l’écart objectif. À moins qu’ils ne produisent un écart subjectif comme les « chômeurs heureux » mais cela reste à la marge pour l’instant du moins.
L’écart ne peut alors être qu’un produit de la lutte quand elle prend un aspect anti-travail ou alors d’une situation de déstructuration du rapport salarial ou professionnel (fermeture d’usine, grève sauvage, refus de faire « fonctionner » une réforme dans la fonction publique etc) qui produit une situation d’urgence qui doit se régler rapidement et où il faut utiliser tous les moyens à disposition y compris les plus violents (séquestrations, cassage de gueules de « jaunes », menaces de tout faire sauter etc), mais hors cette période de lutte intense, les pratiques d’écart se heurtent à la dureté du rapport salarial, à l’absence de base arrière ou de repli. L’affrontement violent ou feutré est quotidien et produit son lot de harcèment et en conséquence de différentes variétés de dépressions et burn out.
Pour finir pour cette fois et pour répondre à ton vocable employé, il n’est pas question de « moraliser » quiconque mais il faut essayer de s’extraire de tout immédiatisme qui est souvent, aujourd’hui surtout, l’envers activiste de la passivité dominante. Il faut je crois, malgré tout, maintenir l’idée de pratiques critiques capables d’être à la fois présentes dans ce qui se passe, mais pas dans tout ce qui se passe et avec une perspective surplombante qui ne relève pas de l’avant-gardisme.

Bien à toi,

Jacques W


Le 20/07/2014

Jacques,
Ce genre d’exercice de vulgarisation est très utile et stimulant.
Je reviendrai ici sur quelques points relevés dans ta réponse sur l’écart.
Mais il est bien évident qu’il me faudra aussi lire La tentation insurrectionniste.

Quel « type de révolution envisagée ou envisageable » ?

Cette question est on ne peut plus d’actualité. Elle m’intéresse effectivement beaucoup et je crois d’ailleurs que nous sommes nombreux et nombreuses sur la planète à nous la poser.
Il semblerait pour ta part que tu donnes la priorité non-exclusive à l’alternative, après avoir pris soin de mettre de côté les options envisagées par le passé de façon majoritaire que sont les grands soirs, d’obédiences anarchistes, et les prises de Palais, d’obédiences léninistes.
À propos de la question « Quel type de révolution envisagée ou envisageable », tu écris :  » On est peut être un peu plus avancé là-dessus […]  »
Si tu as des pistes de réponses plus précises sur cette question, voire même des imageries qui je sais ne seront pas messianistes, ça m’intéresserait de les lire et de les imaginer…

« Quel type d’alternative » ?

Pour pouvoir répondre à cette question il s’agit d’établir avant tout un champ réflexif et sémantique commun à propos de la dite alternative. Alors je me lance en tendant des perches plus ou moins approximatives, en sachant néanmoins qu’elles permettront d’affiner la question…

Il faut donc définir :
Alternative d’accord, mais vis à vis de quoi ?
Alternative vis à vis de toutes les formes de domination de l’humain sur l’humain ?
Il s’agirait là en effet d’un postulat global qui permettrait un champs de réflexion global.

Et par conséquent puisqu’il s’agit de préciser sans réduire, il semblerait que l’utilisation du pluriel soit nécessaire dans cette lutte plurielle contre toutes les formes de domination de l’humain sur l’humain.
[On peut parler en terme générique d’un phénomène complexe hétérogène, mais souvent c’est favoriser son homogénéisation dans la pensée, c’est- à-dire en gros favoriser souvent sa falsification conceptuelle. Je préfère donc souvent par précaution sémantique rajouter des pluriels aux termes génériques. Bernard a pu nous rappeler il n’y pas si longtemps combien la sémantique agit sur la pensée, et vice et versa.]

Aussi, lorsque tu évoques l’importance de l’alternative en l’opposant à l’ immédiatisme, tu ajoutes le facteur temporel au champs réflexif de l’alternative. Il semblerait donc que tu veuilles plutôt parler de processus alternatifs ?
Nous sommes d’accord aussi sur le fait que ces processus alternatifs ne soient pas cantonnés aux réformismes et aux utopies. Tu parles d’alternatives en liaison avec la révolution. Personnellement après avoir été pendant des années moi-même un promoteur zélé de la révolution et ayant aujourd’hui abandonné pour mon compte l’adhésion à toutes formes d’étiquetages et de concepts pré-fabriqués, je préfère parler de transformations radicales plutôt que de révolution.

On pourrait donc reposer la question en ces termes :

Quels types de processus de transformations radicales et alternatifs à toutes formes de dominations de l’humain sur l’humain » ?

Je pense notamment qu’une différence majeure entre le concept de Révolution et celui de transformations radicales se situe à nouveau dans la différence entre l’homogène et l’hétérogène, dans la différence entre le singulier et le pluriel. La révolution seraient donc le produit de LA conjonction entre conditions objectives et conditions subjectives , tandis que les transformations radicales seraient le produit DE conjonctionS entre conditions objectives et conditions subjectives.

Donc si l’on pense que l’individu a la possibilité d’intervenir dans les phénomènes socio-économicaux globaux à très fortes inertie, tel le capitalisme, et de les transformer radicalement, alors on en vient à se poser la question suivante :

Comment transformer des écarts subjectifs en écarts objectifs, et vice et versa1 ?
Comment créer des conjonctions de ces écarts entre eux ?

– Transitionnisme :
Être en quête d’une et une seule conjonction universelle entre des écarts subjectifs et objectifs, en affirmant de surcroît qu’elle ne peut être que le résultat d’une planification et de la production d’une période de transition, telle par exemple la dictature d’un prolétariat, c’est tomber dans le travers d’une exigence exclusive, celle du transitionnisme et de son obligation de résultat indirectes et à longs termes.

– Immédiatisme :
À l’inverse, ne plus concevoir le monde que dans l’immédiateté du présent et ne s’engager que dans la succession d’actions ponctuelles, c’est tomber dans le travers d’une exigence exclusive, celle de l’ immédiatisme et de son obligation de résultat directes et immédiats.

Or, comme je l’évoquais dans mes mails précédents, il est nécessaire de se défaire de ces réflexes idéalistes positivistes qui consistent à isoler des éléments du « réel » (des réels) et de les ériger en fer de lance exclusifs, créant ainsi de nouvelles doctrines et idéologies. Ici, le transitionnisme et le long terme, ou l’ immédiatisme et l’immédiat.
Et pourtant, ni le long terme, ni l’immédiat ne sont à proscrire du réel et des processus qui le traversent. Les individus et collectifs qui n’ont pas renoncé à comprendre ce qui nous arrive, ni à s’y opposer2 et qui désirent s’engager de manière critique et active dans la construction de nouveaux mondes ne peuvent se couper de cette compréhension des processus en cours qui font le présent, et ce afin de pouvoir mieux les pénétrer et les transformer.

– Expériences et empirismes :
Ainsi, les expériences individuées du « burn out » et de la dépression, ou celles collectives de l’autogestion de l’espagne 36, des luttes de chômeurs ou de toutes les luttes Capital/Travail ne peuvent être réduites à la sémantique de l’échec. Sauf si évidemment seules ne devaient plus compter que des expériences nous faisant entrer directement et immédiatement dans une ère de révolution durable. C’est-à-dire objectivement aucune expérience ne serait concernée jusqu’à aujourd’hui.
Or, c’est bien grâce à l’identification et l’analyse de ces expériences individuées et collectives, sociologiques et sociétales, que l’on peut par la critique espérer pousser plus loin les processus de transformations radicales. Paradoxalement ce sont aussi ces expériences de désenchantement qui nous aident à affiner nos recherches.
Ces expériences passent donc du statut de l’échec à celui de l’expérience utile, puisque ‘elles nous permettent de ne plus les reproduire – si on le veut et le peut – et donc d’avancer dans ces processus…

J’enchaîne avec une autre question qui me semble importante :

À quelles échelles construit-on ces processus de transformations radicales et alternatifs : Micro ou Macro ?

J’ai une réflexion assez succincte sur ce sujet, mais malgré tout je pars du principe qu’au delà d’une échelle assez petite, celle de la commune, l’organisation humaine ne peut que générer des formes de dominations de plus en plus importantes à mesure qu’elle s’en éloigne. En d’autre terme, je pense que c’est seulement quand les humains peuvent directement organiser leur vie et leurs règles de vie en commun, là où ils vivent, qu’ils peuvent prétendre vivre avec toujours moins de dominations entre eux. Je pense donc que de manière récurrente plus on éloigne les lieux de décisions des lieux de vie des individus, plus ces individus sont alors déconsidérés, plus ils sont méprisés, plus ils sont dominés.
On peut donc se poser la question suivante : Tout macro est-il nécessairement pervers ?
Un peu plus sérieusement, je le reformulerai ainsi : Tout ce qui est organisé à l’échelle macro génère-t-il forcément de la domination ?
Aussi, il est difficile d’aborder la micro-organisation sans aborder le danger du repli sur soi, de la crainte de l’autre, de la peur de l’étranger, de la haine, d’ un certain type de fascisme…
J’aime à penser la commune ouverte sur le monde.

Il est certes question de participer à la construction de processus individuels et collectifs alternatifs à toutes formes de domination.

Mais qu’en est-il de la sphère privée et de l’intime ?

Est-elle concernée directement par ces questions plus ou moins formelles, ou devrait-elle simplement être influencée par osmose, indirectement ?

Encore un ultime point à soulevé pour aujourd’hui :

Les capitalismes ont-ils des failles ? Ces failles peuvent-elles grandir ?

Tu parles à un moment, à propos d’écarts objectifs et subjectifs, d’espaces périphériques souvent « tolérés ».
Cette manière de parler de tolérance de la part de pouvoirs en place interroge.
Ces pouvoirs en place seraient-ils à ce point-là tout-puissants pour considérer que ces écarts et ces espaces périphériques n’existeraient seulement que parce qu’ils voudraient bien les tolérer ?
Dans quelle mesure, l’énergie alternative et subversive alors déployée n’est-elle pas aussi une des causes de leur existence et de leur durée dans le temps ? Autrement dit, dans quelle mesure la perte de pouvoirs subjectifs et objectifs des capitalismes, pourtant encore largement dominants, ne leur permet pas de toujours pouvoir contenir, par une gestion rationnelle et répressive, le développement global et diffus de ces alternatives de transformations radicales ? Les pouvoirs en place sont-ils toujours en capacité de contrôler, contraindre, réprimer comme ils le voudraient les processus de transformations radicales et alternatifs ?

Dans ton propos, tu utilises à un moment le vocable de base arrière et de base de repli. Pourrais-tu développer ces concepts s’il te plaît. À moins que vous n’en parliez déjà dans La tentation insurectionniste ?
En conclusion, voici donc toute une série de questions plus ou moins approximatives qui me semblent importantes et que je laisse ici en suspend, satisfait déjà d’avoir pu les formuler en ces termes. Ces questions pourraient éventuellement paraître naïves aux yeux de certains ou certaines, mais peu importe en fait car ce type de questionnement me fait bien avancer dans mes réflexions.
Cependant, comme je l’ai écrit plusieurs fois dans mes mails précédents, j’aime à rappeler toujours que nous nous pouvons nous les poser toutes ces questions fondamentales car nous en avons le privilège : nous en avons le temps. Mais qu’en est-il de celles et ceux qui dans l’immédiateté du quotidien sont broyé-e-s jusqu’en des points de non retour, tant dans leur intégrité physique ou psychique.
Pouvoir s’engager dans ces réflexions et dans ces processus alternatifs est une opportunité. Il est donc important de s’en saisir…

Au plaisir de te lire,

À bientôt,

Blaise

  1. Les fascismes sont eux aussi concernés par ces questions formelles, voire méthodologiques, et par les réponses qui en découlent, car les fascismes cherchent eux aussi à construire des processus de transformations radicales, ayant quant à eux pour vocation de sacraliser et d’imposer la domination de l’humain sur l’humain, assumée et revendiquée, et non de la combattre.
    D’ailleurs, cette problématique formelle commune aux alternatives et aux fascismes permet aux médias dominants aliénés aux capitalismes de discréditer les processus alternatifs en les amalgamant aux processus fascistes, sous la bannière usée à la corde de « populisme ».
    Aussi, ces questions formelles, voire méthodologiques, et leurs réponses intéressent aussi de près les pouvoirs en place qui ont eux aussi intérêt à savoir ce qui se pense et se conçoit dans leurs périphéries, afin d’anticiper des processus naissant, de tenter de les neutraliser, les contrôler et les instrumentaliser… []
  2. 2. Dédicace d’Aurélien Berlan à l’ouverture de son livre La fabrique des derniers hommes :
    « À toutes celles et tous ceux qui n’ont pas renoncé à comprendre ce qui nous arrive, ni à s’y opposer » []

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