Dans la mesure où ne pensons pas avoir de réponses toutes prêtes aux questions que pose la phase actuelle de croissance molle, nous ne pensons pas inutile de faire circuler entre nous des articles issus des experts économiques convoqués par les différents médias. Nous pensons qu’il y a souvent plus à en tirer, à condition de garder une distance critique suffisante, que dans une référence constante aux théories historiques sur la crise, répétées à satiété et plaquées de façon artificielle sur les transformations actuelles du capital.
Voici un exemple de ces échanges :
Le 11 janvier 2017
Dans les Echos.fr, lire : Et si Trump était le remède à la stagnation séculaire ?
Juste non ? Intuitivement il me semble qu’il a raison…
B.
Le 17 janvier 2017
B.,
Peu probant pour moi car trop descriptif comme d’ailleurs Piketty en sens inverse. De plus croissance lente et stagnation séculaire ne sont justement pas de même niveau, la seconde se voulant justement prospective et non descriptive.
Je t’ai déjà dit que je préférais rester sur mon intuition de reproduction rétrécie que je n’arrive pas vraiment à fonder mais qui s’appuie en arrière fond sur quelques points de Keynes style équilibres sous-optimaux et quelques faits comme prédominance de la concentration par fusions/acquisitions, rachats d’action, captation (le pays le plus endetté est le pays le plus riche, etc), capitalisation plutôt qu’accumulation. Tout cela ne peut se concevoir que dans un schéma explicatif (pour nous la révolution du capital) qui n’a plus pour but principal la croissance et le progrès. C’est à une rupture majeure d’avec l’économie classique et sa variante marxiste. Je ne développe pas plus.
A plus tard
JW
17 janvier 2017
Cher Jacques,
Effectivement les articles restent le plus souvent à la surface et dans le court ou moyen terme.
Je n’y vois pas plus clair que toi (sans doute moins).
Le concept de reproduction rétrécie me semble en contradiction avec le passé récent de la mondialisation qui a vu le cycle du capital s’élargir à la Chine et aux émergents, tout en maintenant tant bien que mal un équilibre précaire dans la reproduction au centre avec effectivement une forte tendance à la quête de profit dans la fictivité et la dévalorisation des vieux capitaux investis dans « la brique et le mortier », ainsi que la réalisation de valeur dans la privatisation des « communs » héritiers de l’après guerre.
L’avenir me semble plus porteur de questionnements qui pourrait aller dans ce sens (qu’il conviendrait de théoriser et de fonder empiriquement).
En effet, les effets de la révolution technologique sur le travail et l’emploi (qu’il convient de distinguer) restent encore confus et font l’objet de prévisions contrastées. Mais il semble que les tâches répétitives soient menacées quel que soit leur niveau de qualification. La possibilité de valoriser des capitaux sans avoir recours au travail humain poserait évidemment un problème d’intégration sociale majeur que l’on voit poindre avec des propositions comme le revenu universel. Par ailleurs, le développement de formes d’emplois précaires et d’entrepreneurs individuels sans protection accentueraient les tendances « à la Castel » de « déstabilisation des stables ». Ces tendances porteuses d’angoisses sociales pourraient toutefois être contre-balancées par l’idéologie de l’individu libre et créateur, en quête d’aventure et de réalisation de soi (voir Macron en France…).
De nouveaux clivages internes aux sociétés verraient le jour entre « surnuméraires » plus ou moins qualifiées, entrepreneurs d’eux-mêmes, salariés précaires, serviteurs (voir Gorz), super cadres, et capitalistes aux revenus exponentiels…
La quête de profits pourraient passer par la liquidation des formes devenues obsolètes d’entreprises oligopolistiques (type SNCF, Orange, etc..), la prédation de rentes par des plate-formes type Uber, ou Airbnb (entreprises sans capitaux, ni salariés, parfois sans profits, mais valorisés des milliards en bourse, ), la spéculation financière, etc… Effectivement nous serions sortis du modèle théorisé par Marx au Livre II, la régulation, Keynes, etc… d’un capital se valorisant par investissement productif dans le capital industriel et commercial, créant des emplois au rythme suffisant pour créer un salariat intégrant des masses croissantes de personnes, etc… Ce modèle en crise depuis en gros les années 70-80 dont on a cherché la reviviscence par des politiques de relance, puis d’austérité semble avoir vécu…
Ce qui me semble dominer récemment, c’est le sauve qui peut et après moi le déluge voir Trump, May, baisse drastique des impôts, captation de la valeur par tout moyen au détriment des autres zones appelées à se débrouiller seules…
Ce schéma nouveau pourrait être porteur de conflits majeurs (d’ailleurs la période ressemble un peu aux années 1910 avec recomposition des empires, montée des nationalismes ethniques et religieux, quête de nouvelles frontières…). Rien de rassurant…
Amitiés,
B.
17 janvier 2017
B.,
Pour ce qui est de la Chine et autres pays émergents je vois plutôt ça comme un rattrapage extensif qui ne change pas vraiment la donne dans la mesure ou des pays comme la Chine et l’Inde participent de ce mouvement de fluidification du capital et de capitalisation. C’est bien sûr accompagné en Chine par des sortes de grands travaux perpétuels à mi chemin entre accumulation stalinienne et mode de production asiatique, mais ça semble s’essouffler. Un double virage vers plus de consommation interne et une accélération du processus de substitution capital/travail vont arrêter progressivement cette croissance extensive.
A mon avis c’est en distinguant mieux globalisation et mondialisation qu’on peut peut être dégager une tendance dominante. Dit en langage marxiste type Théorie communiste faire la différence entre extension par la plv absolue reproduction de la plv relative, la première venant au secours de la seconde. Phénomène qui me semble atteindre ses limites, par exemple dans un pays comme la Corée du sud.
JW
2 Comments for “Quelques interrogations sur la « reproduction rétrécie » à l’heure de la croissance molle”
JW
says:Bonsoir,
Plusieurs remarques par rapport votre réponse :
– la baisse des taux de croissance n’est qu’une inflexion de croissance et on ne connaît plus (pour le moment en tout cas) les taux négatifs qu’ont connu certains pays dans les années 1980.
– la notion de reproduction rétrécie n’est donc pas, pour moi en tout cas, synonyme de décroissance automatique ou même de stagnation séculaire, notion qui revient à la mode aux Etats-Unis, dans la mesure ou la dynamique d’innovation reste forte et qu’elle est le prélude non pas essentiellement à des positions rentières (car elles sont forcément de faible durée dans le contexte actuel de globalisation), mais à ce que nous appelons une capitalisation différenciée qui s’appuie sur les profits extra. Cela transparaît dans le fait qu’une des formes de cette capitalisation différenciée est la concentration par fusions/acquisitions.
– je suis en gros d’accord avec ce que vous dites sur le rapport productivité/travail (c’est notre hypothèse d’inessentialisation de la force de travail), mais il est obscurci par plusieurs choses qui rendent sa lecture peu claire
1) Comme je l’ai déjà dit dans plusieurs articles dont mon dernier sur le site de la revue, intitulé : « La crise et ses annonceurs », le calcul quantitatif de productivité est devenu très difficile quand on ne sait plus discerner ce qui est véritablement facteur de productivité, dans quelle proportion et avec quel outil le mesurer (je ne développe pas et vous renvoie à l’article en question).
2) Je ne pense pas que le nombre de salariés baisse de façon absolue car le travail est de plus en plus remplacé par l’emploi tant que le salariat reste institué comme système de régulation ds rapports sociaux. On crée donc des emplois de toute pièce, une tendance qui prédomine pour le moment par rapport à la mise en place de mesures de revenu universel. Donc pour nous, inessentialisation de la force de travail dans le procès de valorisation n’égale pas fin du travail. Par contre il diminue de façon relative dans la mesure où de plus en plus de masses d’individus sont projetés en dehors de leurs anciennes conditions, un peu comme à l’époque de l’accumulation primitive et des débuts de la révolution industrielle, que ce processus est mondial, mais qu’il s’effectue aussi dans des conditions où cette masse projetée de salariés potentiels est immédiatement surnuméraire à son utilisation capitaliste,à un point tel qu’elle ne sert même pas « d’armée industrielle de réserve ». En effet, très rapidement comme on a pu le voir avec la Corée du Sud et maintenant dans beaucoup de régions de Chine, le niveau immédiat de rapport entre capital fixe et utilisation des machines et projet d’automatisation d’un côté, et la main d’oeuvre nécessaire de l’autre est très défavorable aux salariés potentiels. La transformation des conditions de production est si rapide qu’elle empêche même toute stabilisation et croissance d’une classe ouvrière locale sauf en Corée qui avait un train d’avance. A peine se développe-t-elle que le processus de délocalisation s’enclenche et renvoie les surnuméraires dans les bidonvilles des grandes capitales ou alors dans leurs campagnes d’origine aggravant les conditions et exacerbant les tensions comme en Chine et en Inde qui sont grosses de jacqueries paysannes.
Ce n’est pas un hasard si, à part quelques luttes dans quelques entreprises de pointe chinoises, les mouvements de grèves les plus importants de la part des salariés concernent des pays de vieille tradition ouvrière mais ultra-minoritaire par rapport à l’ensemble de la population, en Inde et au Bengladesh dans le vieux secteur du textile.
Voilà pour le moment, mais entre temps le débat s’est un peu nourri et nous allons actualiser le blog sur ce point.
Bien à vous et à vous lire,
Pour Temps critiques,
JW
Jao Aliber
says:Il y a une baisse tendancielle du taux de croissance en Europe, USA, Japon et même en Chine même si le taux chinois est haut.On se dirige effectivement inévitablement vers une reproduction rétrécie ou décroissance.C’est à dire une économie où la productivité(surtout mondiale qui rendra les exportations des biens industriels très difficile) est tellement élevé que chaque année le nombre absolue des salariés diminue.