Le présent texte de C.Gzavier renvoi à celui de Clément Homs : De quoi l’indignation est-elle le nom ? Au coeur de la société capitaliste, une nécessaire rupture.
Les indignés seraient prisonniers du mirage de la politique bourgeoise
La politique que les indignés voudrait infléchir serait fondamentalement « bourgeoise » ce qui grèverait immédiatement leur action. On a l’impression avec cette affirmation d’être renvoyé à des réflexes militants très traditionnel du type de ceux utilisés quand on ne sait plus quoi dire pour dénigrer un adversaire politique. Cela représenterait une régression théorique par rapport aux acquis anti-politiques des mouvements révolutionnaires !
Mais le fil rouge des luttes de classes s’est rompu et les « indignés » ne sont pas plus une avancée qu’une régression. Ils constituent un pas de côté qui pose une question de fond à tous une série de marxiste actuels et à d’autres observateurs comme nous entre autres parce que ce n’est pas un mouvement classiste ni même un mouvement interclassiste.
C. Homs ne saisit le mouvement des indignés que par ses limites, par exemple celle qui consiste à reporter toute action à l’horizon de la démocratie et aux formes institutionnelles de la politique. Ce qu’on peut dire déjà c’est que ce n’est pas exact. Ils interpellent éventuellement les partis comme en Espagne, mais on l’a vu à travers les dernières élections, il n’appelle pas à voter. Pourtant il y a dans la pratique des indignés autre chose que l’appel à une démocratie représentative non seulement avec leur pratique d’occupation des places et des assemblées souveraines et ouvertes, mais aussi avec les actions anti-expulsion dans les quartiers ou les essais de grèves de loyers qui rappellent, plus modestement, l’Italie des années 70. Certes on peut dire1 que ce mouvement n’a pas un contenu révolutionnaire donné d’emblée, mais faut-il le condamner pour autant ?
Là n’est pas le problème pour C.Homs car de façon répétée on trébuche sur son affirmation que rien n’est faisable sans la remise en cause des « rapports sociaux fétichistes » et en fait sans une sortie de l’économie. Il n’y aurait donc le choix qu’entre le tout ou rien, une position quasi insurrectionnaliste ou alternativiste radicale, mais s’appuyant sur quelle pratique autre qu’individuelle ? Quel rôle donner aux mouvements sociaux, aux résistances dans les institutions et au travail, etc… ? La question est déjà réglée à partir du traitement de choc réservé à des « indignés » considérés comme un bloc car ce mouvement n’aurait aucune possibilité de transcendance. On lui applique le même schéma que l’ultra-gauche applique traditionnellement aux mouvements sociaux non prolétariens. Leur limite est une nature consubstantielle à leur création.
En réalité les indignés seraient prisonniers de la « conscience bourgeoise2 » et de leur appréciation de la société comme étant « une société auto-fondée consciemment et librement ». Tout le mouvement d’auto-institution commencée en Grèce antique puis le mouvement d’individualisation à travers l’action théorique et pratique des Lumières n’est plus que du fétichisme (d’autres plus classiques diraient, de l’aliénation). Tout cela aurait foiré en route (on se bat sur les dates!) et il ne resterait que quelques individus élevés à la condition d’une « dignité » et « à une hauteur » (facilitée par l’exercice « d’un travail bien fait ») permettant d’échapper à la « cage de fer (utilisation peu contextualisée de la métaphore wéberienne) de la forme valeur.
Le piège de ce type d’affirmation étant que si on infirme cette proposition ont est bien vite désigné comme des prisonniers de cette même conscience bourgeoise… Passons, mais alors même qu’il remet en cause l’idée d’un voile qui cacherait un complot capitaliste quelconque, C.Homs renvoie à la question de la conscience (bourgeoise) justement comme rêve éveillé, comme une fausse conscience. Pour être dans le vrai il faudrait reconnaître cette abstraction qui nous gouverne qu’est la valeur et quoi d’autres ? La conscience dans cette approche doit être apportée de l’extérieur à travers une pensée critique de la valeur qui ne se conçoit pas elle-même comme intervention pratique.
La révolution française n’a jamais existé
La thèse présentée dans ce texte est qu’entre la Révolution française et « l’ordre politico-religieux » de l’Ancien Régime il n’y aurait qu’un passage de pouvoir en faveur de la bourgeoisie. Homs ne paraît pas comprendre que la maxime au fronton des Mairies, Liberté-Égalité-Fraternité n’est pas la marque d’une basse propagande de la bourgeoisie mais la sédimentation par l’État des tendances de fond imprimées par les Lumières et la Révolution Française. L’auto-fondation de la société c’est quand on a cessé de croire au divin roi et ces caprices, pour certes y mettre à la place une République certes de plus en plus bourgeoise atteignant son apogée avec la IIIème République, mais avec des lois que des Hommes discutent même si c’est à l’aune de l’institution Étatique. Par ailleurs les principes issus de 1789 ont tout les jours des effets sur le service public et au-delà lors de mouvements sociaux par exemple qui revendiquent parfois des formes d’Égalité entre tous comme en novembre 2010 ou aujourd’hui avec les Indignés.
Il est étonnant de parler de la politique comme étant bourgeoise par nature (le citoyen athénien est donc un bourgeois!). Il est encore plus étonnant de dénoncer comme bourgeoise la politique quand pourtant il n’y a plus de classe bourgeoise (et même de classe tout court) au sens de Marx (« classe en soi » et « classe pour soi ») et comme Adorno et d’autres l’ont analysé ; c’est un drôle de retournement. Mais il est encore plus étonnant de voir C.Homs défendre ce point de vue quand par ailleurs il se rattache à la théorie du capital automate et non à celle des luttes de classes.
Pur finir, C.Homs doit se tromper de cible lorsqu’il parle d’un contenu visant à « l’élimination physique au travers d’une guerre sociale de la classe bourgeoise (et de sa flicaille) ». Il confond là les visées de certains insurrectionnalistes ou marxistes en mal de luttes alors même que le mouvement des indignés est parfaitement pacifiste, ad nauseam même.
L’inutilité du politique ?
En lisant De quoi l’indignation est-elle le nom ? on comprend bien à quel point le fait politique en général serait soumis à la forme-valeur. Faire de la politique semble inutile tant « l’économique domine finalement le politique » alors que le rôle des États dans l’orientation des investissements est souvent crucial. Il suffit pourtant de penser, comme cas paradigmatique, à l’industrie du nucléaire pour voir le croisement des intérêts privés et publics dans le cadre d’un redéploiement stratégique de l’État français.
Le politique d’aujourd’hui ne peut rien faire « parce ce monde social fétichisé ne peut qu’échapper à la forme moderne de la politique et de l’Etat3. ». Ou comment évacuer en une ligne le rôle de l’Etat et ces dirigeant sans compter les agences supranationales. Partir de ce genre de position c’est se retrouver pied et poings liés tout autant que le sont les indignées dans leur démocratisme radical.
Reconnaitre que l’oligarchie est elle même sous la coupe de la logique de la valeur qui est une « domination abstraite, indirecte et impersonnelle4 » est une thèse qui ne permet pas de comprendre comment nous sommes tous liés dans une même société du capital. Il est intéressant de voir qu’à l’intérieur de l’oligarchie il y a une guerre des places mais encore faut-il en saisir le sens. En réalité quel intérêt alors de faire partie de cette oligarchie si la « lutte des places » vaut aussi au sommet de la société du capital ? Ce que ne voit pas C.Homs c’est comment les choses sont lié à des jeux de la puissance. En effet on peut avoir au manette quelqu’un comme Berlusconi qui allie sont rôle de grand entrepreneur et celui d’homme d’Etat (bon ou mauvais là n’est pas la question) comme un tout qui à permit à l’Italie de nager correctement dans la course mondiale jusqu’à récemment.
Travail, Argent, Valeur
La forme de vie capitaliste que nous menons serait « historiquement structurée par les médiations sociales de l’argent, du travail et de la valeur qui se valorise5 ». L’argent est « l’abstraction sociale principale6 » auquel l’Homme aurait à faire. Il faudrait donc combattre cette abstraction et non des rapports sociaux qui font le capitalisme au jour le jour. Par cette entrée nous laissons la porte ouverte aux indignés comme à toute une série de mouvement possible sans chercher à les juger avant qu’ils aient fini de montrer ce qu’ils avaient dans le ventre.
Alors même que l’histoire serait celle d’un fétichisme le lecteur est rabattu de façon un peu étonnante sur « la production réelle insuffisante de survaleur3». C.Homs nous renvoie en définitive sur la valeur-travail et sa « crise » qui irait vers la perte du capitalisme.
Par ailleurs, sans trop de précaution, on a le droit à une vision de l’histoire des plus improbable : « L’histoire des sociétés humaines est donc d’abord une histoire de rapports sociaux fétichistes ». On peut supposer que la formule veut faire autant recette que celle de Marx sur l’histoire des sociétés comme histoire des luttes classes. Ou comment tout ramener à sa théorie qui pourtant prend la peine la plupart du temps de ne parler que dans le cadre de l’avènement du capitalisme. Ainsi il est certain que si le capitalisme n’est qu’un système économique comme un autre il « suffit » de sortir de l’économie capitaliste pour avoir raison. Pourtant comme nous le disons par ailleurs7, le capitalisme n’est pas un système économique, c’est, pour faire simple, l’organisation et la représentation d’une puissance que la recherche du profit permet d’accroître. Seulement Homs, en voulant caractériser le capitalisme par ce qu’il désigne comme des « catégories capitalistes » que seraient « l’argent, des marchandises, des retraites et du travail8 », oublie que ces catégories ne sont pas le propre du capitalisme comme J.Wajnsztejn l’introduit dans un échange récent9, il se pourrait que le travail persiste au-delà du capitalisme.
C’est ainsi que la communisation est compris comme une séparation à réaliser entre les rapports sociaux et l’économie. Il faudrait en quelque sorte sortir de « l’économisme du capital » pour passer aux vrais rapport sociaux, ceux non reliés à l’économie.
La fin du document parle des intiatives des piqueteros issu de la crise en Argentine. L’expérience de Lip n’est vu que retrospectivement à l’aune d’une autogestion réduite à une gestion « alternative » à l’intérieur des rapports sociaux capitalistes. Il n’est pas vu qu’au moment de Lip, c’est une certaine phase de la contradiction entre capital et travail qui à poussé un nombre important de personnes à soutenir cette lutte.
Gzavier, décembre 201110
- Les indignés : écart ou sur-place ? Désobéissance, résistance et insubordination [↩]
- p.4 du pdf à disposition sur le blog. [↩]
- p.4, op. cit. [↩] [↩]
- p.3, op. cit. [↩]
- p.3, op. cit. [↩]
- p.6, op. cit. [↩]
- Temps Critiques n°15, Jacques Wajnsztejn, Le cours chaotique de la révolution du capital [↩]
- p.4, op. cit. [↩]
- Texte de réponse de J.Wajnsztejn à D.Hoss disponible sur le site des « Journées critiques » à télécharger [↩]
- Je signale avoir bénéficié pour ce texte des notes instructives de J. Wajnsztejn [↩]
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