Journal de bord autour du mouvement des Gilets jaunes

Le clap de fin

Le fait qu’au cours du mouvement des Gilets jaunes, les interventions de Temps critiques ont été plus reprises (Lundi matin, Ni Patrie ni frontière, A contre temps, L’herbe entre les pavés, etc) nous incite à préciser un certain nombre de choses car même si tous ces sites ou revues se sont manifestés par des références bienveillantes ou/et par une reprise intégrale de nos textes, il n’en est pas moins nécessaire de lever quelques ambiguïtés apparues ici ou là. La principale étant liée à la difficulté de saisir la position de la revue Temps critiques par rapport au mouvement dans la mesure où venait s’y ajouter, surtout à partir de Lyon, l’existence d’un autre type d’intervention de notre part au sein d’un groupe encore plus informel que celui qui préside à l’existence de la revue, autour d’un « journal de bord » de lutte accueillie sur le blog de Temps critiques.

Si les membres de Temps critiques sont intervenus dans le mouvement des Gilets jaunes c’est parce qu’ils lui ont reconnu un caractère d’évènement au sens fort, imprévu et stupéfiant à bien des égards. Un soulèvement contre le pouvoir politique ne correspondant à rien de connu dans sa forme comme sur le fond. D’où le désarroi qu’il a pu susciter aussi bien de la part du pouvoir politique que des groupes politiques censés posséder les cartes théoriques permettant d’anticiper les situations de crise ou révolutionnaires.

Très vite, nous nous sommes aperçus que ce soulèvement contenait une dynamique dépassant à la fois les revendications conjoncturelles d’origine et les modes habituels d’action. C’est cette dynamique qui explique sa durée et aussi le nombre de brochures que nous avons produites à cette occasion et qui suivent son évolution puis essaient d’anticiper son devenir. Mais, à la limite, c’est ce que nous faisons pour beaucoup de lutte et cela n’explique pas le fait que nous ayons eu une réception beaucoup plus importante de ces brochures auprès d’un large éventail de protagonistes du mouvement, bien au-delà de notre habituel influence qu’on pourrait dire captive et réduite à un petit milieu qu’on le veuille ou non. Cette réceptivité particulière était due aussi au fait que ces brochures étaient le produit non seulement de l’activité critique de Temps critiques, mais de la pratique du Journal de bord entretenue par une quinzaine de personnes, pour la plupart extérieure à Temps critiques dont seuls trois ou quatre connaissaient l’existence. Le Journal de bord avait pour but, a minima, dans un premier temps, de rendre compte le plus fidèlement possible de toutes les actions sur Lyon et le département, en y participant. Une participation amorcée dès le 20 novembre sur le rond-point de Feyzin. Nos interventions dans les manifestations du samedi, les AG du lundi soir, dans les commissions en semaine et particulièrement dans la commission action et notre participation aux actions coup de poing, ont fait que progressivement le « Journal de bord » a été perçu, pour le reste du mouvement, comme un groupe plus ou moins formel pouvant mobiliser, pour diverses actions une cinquantaine de personnes et dont les réunion chez l’un d’entre nous en brassaient à chaque fois une trentaine. Puis, à partir de mai, nous avons été peu ou prou reconnu comme une sorte de groupe Gilet jaune parmi d’autres, ce que pourtant nous ne voulions pas être, mais qu’il était difficile de masquer du fait de nos interventions qui tiraient dans un même sens et s’avéraient parfois, à tort ou à raison, comme coordonnée : et de refuser à partir du moment où nous étions sollicités par les groupes Gilets jaunes à participer à l’organisation du mouvement et à ses prises de décision (ce fut le cas pour la préparation d’une interdépartementale en mai) après que nous ayons œuvré pendant environ un mois en tant que passerelle « neutre » ou en tout cas extérieure (et à leur demande), à une nouvelle unité des groupes de Gilets jaunes dont l’éclatement était de plus en plus évident et s’avérait rédhibitoire.

C’est tout ce travail développé dans un mouvement qui atteignait à ce moment, comme on l’a dit dans un supplément Temps critiques, sa ligne de crête, qui s’est par la suite avéré, si ce n’est vain, un échec, en bout de course, dans un moment où le mouvement subissait une retombée de mobilisation spectaculaire et une absence de perspective que rendaient encore plus évidente son isolement ou les tentatives d’instrumentalisation à son égard de la part des militants climat ou de certaines fractions syndicales ou encore d’antennes politiques comme Fakir avec son OPA sur le RIP AdP proposé en ersatz du RIC…

La masse des Gilets jaunes n’étant plus là, les AG se réduisant à peau de chagrin, les actions ne correspondant plus qu’à des initiatives de petits groupes guidés par leurs affects ou des questions de concurrence si ce n’est de pouvoir, le summum étant atteint autour du 14 juillet, nous avons alors commencé à « décrocher » et à ne plus répondre collectivement ni publiquement aux groupes qui nous sollicitaient encore, pour à la fois ne pas alimenter les polémiques et prendre des distances par rapport à ce qui nous paraissaient des dérives de fin de mouvement.

C’est sur cette base inchangée que nous nous sommes réunis en tant que Journal de bord le jeudi 5 septembre, d’où il est ressorti (cf. infra la synthèse de la réunion) une auto-dissolution du Journal de bord pour des raisons que nous expliquons.

Cela ne préjuge aucunement de positions individuelles à venir des ex membres de Journal de bord, mais pour les membres de Temps critiques qui y participaient à ce n’est plus pour nous un mouvement mais un processus de décomposition. Cela n’empêchera pas la revue de continuer son activité critique dans cette direction comme le montre la parution actuelle d’un supplément n°8 au numéro 19 de la revue. Mais de par le titre même de cette brochure : « Un analyseur de la crise de reproduction des rapports sociaux capitalistes : les Gilets jaunes« , il est facile de comprendre que l’analyse se développe ici dans un cadre plus théorique général et moins dans une intervention pratique au sein d’un mouvement des Gilets qui, en tant que tel, pour nous, n’existe plus même si différents groupes continuent à lancer des appels et à se manifester ici et là et plus ou moins au nom des Gilets jaunes.

>>Page récapitulative de tout les écrits sur le mouvement des Gilets jaunes
 



Compte-rendu de la réunion du Journal de bord du 5 septembre

Onze présents.

Gzav, à l’initiative de la réunion a proposé un bilan de l’été puisque certains d’entre nous n’étaient pas là à ce moment et que la situation a encore évolué avec ce qui s’est passé au contre-G7 de Biarritz, et à Lyon même par exemple avec la dernière action du lundi 2 en soutien aux décrocheurs de portraits de Macron qui passaient au tribunal. Il n’a pas été difficile de faire le lien entre le général et le local puisque, dans les deux cas, on a pu voir se développer des pratiques de manipulation politique de la part de groupes comme Alternatiba, ANV-COP21 et Attac sur les bases d’un consensus pour des actions non violentes, des dialogues avec les autorités sur fond idéologique de verdissement du jaune au sein d’un ensemble rassemblant une proportion inversée de militants par rapport aux débuts du mouvement en octobre-novembre 2018. Ch. est le seul parmi nous à avoir vu l’action de lundi comme une certaine réussite, au moins du point de vue de la communication, aussi bien vis-à-vis de la couverture médiatique que du lien que ça maintiendrait entre les Gilets jaunes et leurs proches, puisqu’il reconnaît par ailleurs qu’il n’y a plus que ça avec une distorsion de plus en plus grande entre les appels à mobilisation et la réalité de celles-ci.

J. fait alors remarquer qu’un bilan de l’été ne doit pas occulter le fait qu’une cassure s’était produite bien avant l’été, dans le mouvement et dans notre rapport au mouvement et que l’on ne peut faire de l’été le bouc émissaire facile de sa décroissance continue. D’ailleurs, un bilan plus général avait déjà été fait en juin nous amenant à prendre une certaine distance avec ce que nous ne considérions plus que comme des restes du mouvement, sa tendance à la groupuscularisation, la sourde violence qui animait ces réunions et les dérives de toute sorte de fractions prenant des initiatives plus ou moins secrètes et les faisant ensuite endosser aux autres ou les sommant de s’y joindre sous peine d’accusation de trahison. Le summum de la situation ayant été atteint avec les préparatifs autour du 14 juillet et particulièrement avec le tract d’Act-Article 35.

Certes, à ce moment-là une majorité d’entre nous a refusé de répondre publiquement au groupe Article 35 qui nous accusait de maltraiter son initiative. En effet, nous ne voulions pas aviver les tensions internes cela aurait pu être perçu à l’extérieur comme une querelle entre groupes, alors justement que toute notre action des deux mois précédents avait visé à les apaiser pour retrouver une unité dans les objectifs comme dans les types