Pour toutes ces actions nous réaffirmons que c’est une des forces principales du soulèvement des Gilets jaunes que d’avoir veillé à ce qu’aucun groupement d’intérêts particuliers (de classe, professionnel, syndical, religieux, d’âge ou de sexe) ne prenne le pas sur l’universalité de la lutte contre les conditions générales aliénées de vie actuelle. Les habitants des villages, des petites villes et même des « quartiers » des grandes villes étaient présents sur les lieux de blocage et actifs dans les actions, mais ils y étaient en tant qu’individus ; individus-citoyens aimaient à le dire les occupants des ronds-points et les autres protagonistes du soulèvement.
Citoyens, donc, mais pas au sens de l’assignation par le pouvoir en place d’une sorte de donnant-donnant contractuel entre devoirs et droits.
Citoyens au sens de la Révolution française dans ses meilleurs moments, ceux des articles 34 et 35 de la Déclaration des droits et du citoyen de 1793 consacrant les droits à la révolte et à l’insubordination en cas de perte de légitimité du pouvoir en place, l’abolition de l’esclavage, etc. C’est justement ce que les Gilets jaunes ont affirmé dans leur mouvement de confrontation avec l’État.
En effet, les droits ne peuvent avoir une réelle valeur pratique que s’ils sont portés par des individus associés dans l’action commune de bouleversement politique et social. Le caractère abstrait et formel de ces droits à l’insubordination ne peut trouver sa concrétisation que dans la lutte collective ; une lutte que le révolutionnaire Anacharsis Cloots appelait « La République du genre humain » dont le nom définit la perspective universaliste et elle seule.
Le « Tous Gilets jaunes » proclamé aux moments les plus intenses du soulèvement ne signifie donc pas, dans notre acception, que nous sommes déjà tous citoyens et que cela ne serait qu’un droit à faire valoir, au-delà de toutes nos différences, mais que cette qualité s’acquiert dans la lutte. D’où la référence historique à la sans-culotterie de la Révolution française porteuse de la mémoire collective d’un bouleversement social et politique auquel il est possible de s’identifier. Tout le monde peut être Gilet jaune, mais à partir du moment où on se dépouille de ses vieux oripeaux particularistes. Revêtir le gilet jaune exprime cet aspect symbolique. De ce point de vue, beaucoup de personnes participant au mouvement ont eu du mal à le revêtir parce que l’ancien leur collait à la peau.
Est donc citoyen celui qui « décourbe le dos », celui qui avec d’autres se soulève et participe à la seule médiation qu’il reconnaît parce qu’elle le fait advenir à autre chose que ce qu’il était, celle de la communauté de lutte.
C’est avant tout dans cette perspective universaliste que les actions du 14 juillet peuvent acquérir une portée politique générale et non pas par un recours à des groupes et identités qui devraient se coaguler dans leurs différences.
Temps critiques, le 11 juillet 2019