Nouvel échange Ch. Hamelin – J.Wajnsztejn

Nous reprenons la discussion avec Christophe Hamelin amorcée autour du RIC à partir de son texte et maintenant enrichie par ses remarques sur notre supplément sur les origines historiques du RIC avec le droit de pétition de la révolution française. Il y aborde plus largement la question du pouvoir en général dans une perspective qu’il définit lui-même comme quelque peu arendtienne et et donc assez distante de nos propres énoncés signalés en fin d’échange.

 



 

Le 30 décembre 2019

Christophe

Depuis les critiques envoyées dans notre dernière lettre à propos de votre texte sur le RIC nous avons publié un texte avec un retour historique sur l’origine du droit de pétition. Est-ce que je vous ai bien envoyé une version numérique ?

Jacques W

 



 

Bonjour,

je vous réponds avec un peu de retard (en plus des fêtes, je n’ai pas internet chez moi). Oui, vous m’avez bien envoyé ce papier sur le droit de pétition. A vrai dire, j’avais négligé de le lire du fait de la mise en page, me disant que je ferai le découpage un peu plus tard. Du coup, je viens de le lire avec beaucoup d’intérêt. Il est très éclairant et je note en particulier les références des livres « les voix de la révolution » et « la lutte des classes sous la première république » qui me semblent importants.

Du coup, je vous fais un petit commentaire avec quelques remarques rapides :

Vous écrivez : « Pour Rousseau, par exemple, la volonté de tous (unité concrète du peuple) est cacophonie et la volonté générale (comme unité transcendante) qu’il désire souveraine doit être confiée à une aristocratie élective. » Il me semble que Rousseau est plus précis que cela puisqu’il indique que seul le pouvoir exécutif doit être remis à des représentants (« Du contrat social », livre III, chap XV). Le législatif reste au peuple sans représentation.

De plus, je ne vois pas d’écart entre la conception antique de la démocratie et la conception moderne en ce que je considère la dernière comme un piège idéologique tendu par des penseurs réformistes (c’est-à-dire la plupart des philosophes des Lumières – à part peut-être Rousseau – et leurs suivants) qui ont nommé une chose (la démocratie) par son contraire (l’oligarchie). Il n’y a pas d’écart en ce que lorsque l’on regarde la structure du pouvoir issu de la représentation, on s’aperçoit que, conformément aux observations des Grecs, il y a une sur-représentation des classes dominantes, ce qui est l’essence du pouvoir oligarchique dont la pente naturelle est d’ailleurs de se confondre avec la ploutocratie. Donc, en ce sens, il n’y a qu’une conception valable de la démocratie, c’est la conception antique. L’autre n’est qu’un piège…
Vous écrivez: « Les droits du citoyen s’ajoutent alors aux droits naturels : la démocratie est le propre de l’homme. »

La recherche historique que vous avez menée est vraiment intéressante sur plusieurs points. Par exemple, il faudrait voir dans quelle mesure l’instauration de « droits » n’est justement pas l’inverse de la démocratie. Il y a un très bon bouquin d’Arendt là-dessus qui s’appelle « De la révolution » et qui montre comment l’instauration de droits a été en fait le soubassement d’une gestion bureaucratique des peuples, et donc de la fin de la démocratie.

Le paragraphe sur le droit de pétition de 1793 me semble confirmer Arendt en ce qu’on voit bien ici qu’il s’agit d’attribuer des droits à une population pour la protéger des abus d’un pouvoir centralisé. Je reprends d’ailleurs cette idée dans l’article-réponse que j’ai fait suite à votre premier article : « Le droit est ce que le dominé demande au dominant pour se protéger de sa férocité. »

Le débat Condorcet/Robespierre est d’une incroyable actualité. Condorcet voit, me semble-t-il, les corps constitués comme disposant d’une légitimité égale à celle du corps constituant (la rue). Il me semble que Robespierre remet les choses à l’endroit. Cela n’est pas sans rappeler la situation actuelle mais aussi bien des précédentes dans lesquelles certains dirigeants affirmaient que « ce n’est pas la rue qui commande ».

La tournure que le droit de pétition prend sous les troisième et quatrième républiques ne fait que confirmer la sensation de plus en plus prégnante que j’ai sur la progressive radicalisation des pouvoirs centralisés occidentaux, pouvoirs qui deviennent de plus en plus autoritaires. Le détournement du RIP de Sarkozy en une sorte de motion de censure (vous faites ici une mise en mots très éclairante d’ailleurs) me semble symptomatique de cet autoritarisme dans le sens où quand le parti au gouvernement possède la majorité absolue à l’assemblée, il ne reste plus beaucoup d’espace à une quelconque opposition pour exister.

Après, je ne suis pas au fait de ce que vous appelez l’État-réseau mais il m’en semble comprendre le sens. Je me demande dans quelle mesure une solution ne serait pas de faire plusieurs RIC en fonction des étages du mille-feuilles institutionnel. Pourquoi pas un RIC dans les Communautés de communes ou les Pays (on peut toujours rêver…)?

Le fait que le RIC semble lié à la forme État-nation est intéressant dans le sens où, effectivement, on sent une tentative de « restaurer cette ancienne puissance étatique (l’État-Providence, les Trente Glorieuses, etc.) ». Il me semble ici déceler dans cette revendication une volonté de revenir à la précédente configuration du mode de production (Fordisme, Trente Glorieuses) alors qu’on peut tout à fait concevoir que les Trente Glorieuses n’ont existé que pour juguler la menace communiste et éteindre ce qu’il restait de la ruralité (c’est-à-dire les restes de l’ancien mode de production). En réalité, il me semble qu’elles étaient déjà grosses de la catastrophe écologique et humaine actuelle. Cependant, et je veux développer ce point là, le RIC pourrait être un moyen d’en finir avec l’actuel mode de production (c’est ce que j’écris rapidement dans mon article sur le RIC) et, en cela, serait le seul remède possible à la crise écologique actuelle. En cela, je me sens proche des Enragés de février 1793 que vous décrivez.

Enfin la fin à partir de « Retour sur une histoire avortée du droit de pétition » est très instructive.

Bref, merci pour cette référence que je ne manquerai pas de relire.

Cordialement

Christophe Hamelin

PS: Vous écrivez : « L’abstraction classique en philosophie va préparer l’abstraction réelle des droits formels de la société bourgeoise. »

Une telle phrase crée un effet de clarté assez frappant. Si l’on va au bout de cette logique, il me semble qu’il n’est pas absurde de considérer que la philosophie n’a que rarement été du coté du peuple.

Ch. H
 



 
Le 9 janvier 2020

Pour le reste et en particulier sur la critique de la démocratie grecque vous pouvez vous reporter à notre article Les nostalgiques de la cité grecque de J. Guigou (Temps critiques n°15, 2010) et aussi de façon complémentaire à trois articles du n°16 (2012) : État-réseau et genèse de l’État ; Réseau et/ou oligarchie : les voix impénétrables de la révolution du capital ; « le retour en grâce du mot oligarchie.
Tous ces textes sont disponibles en libre accès sur notre site.

Bien à vous

Pour Temps critiques,

JW