Les deux textes « États-Unis : Réorganisation chaotique au sommet du capitalisme » et « Puissance et déclin. La fragile synthèse trumpienne » présents dans le numéro 23 de la revue Temps critiques autour des Etats-Unis tiennent évidemment compte du phénomène Trump, mais ils essaient de ne pas céder à l’actualisme en abordant un contexte plus large. Ils ont tous deux fait l’objet d’une discussion à Paris avec le groupe « soubis » et ont fait l’objet de comptes-rendus collectifs de la part de ce même groupe que nous publions.
Dans « Puissance et déclin. La fragile synthèse trumpienne » il s’agissait de sortir de cette mode post-moderne qui réintroduit du binaire pourtant dénoncée par ailleurs. Rapporté aux E-U il s’agissait de tenir les 2 bouts en réaffirmant le maintien de leur statut de puissance au sein d’un monde occidental globalement en déclin parce que son progressisme originel s’est épuisé. Dans cette mesure le trumpisme n’est pas un nouvel extrémisme mais une tentative d’improbable synthèse entre accélération capitaliste et conservatisme.
JW : Larry et moi avons travaillé de façon indépendante, donc nos articles ne se chevauchent pas. Je traite du contexte plus global, Larry de la situation plus particulière aux USA.
J’ai en effet voulu remettre en perspective théorique et historique la question du déclin ou celle de décadence puisqu’elles réapparaissaient aujourd’hui en filigrane autour de la politique de Trump et de son équipe. C’est pourquoi, sans cuistrerie aucune, j’ai cité Derrida et Lyotard, qui sont des auteurs assumés de la décadence.
A propos des USA, on parle de déclin de puissance par rapport à la Chine et de déclin de la démocratie. Or une puissance peut être hégémonique et en déclin du fait de contre-tendances fortes à sa domination. Trump a bien conscience du déclin : les mesures protectionnistes sont toujours une forme de défense des puissances dominantes par rapport au dynamisme produit par le libre-échange. Aspect malthusien de sa politique économique : le pays participait largement à la « globalisation heureuse » et au donnant-donnant que présupposait le développement de l’OMC ; or la crise sanitaire a montré que la division internationale du travail ainsi créée avait amené les pays à trop se spécialiser : une harmonie illusoire donc, qui indique que la complémentarité économique peut se transformer en concurrence en période de crise. La question nationale et politique n’est donc pas réglée, car les accords entre les puissances au sommet n’empêchent pas les conflits. Cette division internationale du travail fonctionne encore, mais une vision critique souverainiste déjà repérable avec le Brexit s’est développée. Et par exemple, dans la vision trumpienne, il n’y a pas que des gagnants si le « gâteau » n’augmente plus de taille.
La question de l’Ukraine a aussi montré que les questions géopolitiques pouvaient intervenir dans le cadre de cette nouvelle tendance souverainiste à l’oeuvre.
A : Je pense qu’il y a un déclin économique. Reste à voir si c’est inéluctable ou non. Ce sont les ruptures qui se créent dans le monde qui sont intéressantes. Dans certains textes, on veut voir une continuité entre Démocrates et Républicains sans voir les ruptures en cours.
JW : Larry voit beaucoup plus la continuité, je vois un peu plus de discontinuité, mais on est d’accord tous les deux pour dire que la puissance économique des USA demeure : voir les chiffres avancés dans ma brochure sur les investissements directs à l’étranger (IDE), la puissance des firmes multinationales (FMN) américaines et leur énorme pouvoir de capitalisation qui mesure bien plus la puissance qu’un niveau de PIB.
G : Je suis impressionné par la quantité des éléments que tu fournis, mais ne comprends pas où tu veux en venir. Dans ta conclusion tu parles des « lumières noires » qui nous ramèneraient à une spécificité occidentale mais non universaliste, comme avant la Première Guerre mondiale. Que vois-tu comme perspective à partir de là ?
JW : On a dû boucler les textes très vite pour garantir la sortie de la revue d’où le fait que certains points sont posés plus qu’explicités. Les attaques contre les Lumières traditionnelles et l’universalisme qui sont portées aux Etats-unis proviennent aussi bien des tendances de la nouvelle droite américaine que de la gauche démocrate, et de fait elles se rejoignent, fragilisant un possible retour à la question sociale par la polarisation sur le débat woke/antiwoke. De ce point de vue il n’y a guère de perspective pour nous, puisque le combat pour l’hégémonie culturelle se joue en fait dans la perspective américaine, d’où par exemple l’extension des courants racialistes dans le monde, alors que jusque-là la question de la race était considérée comme une spécificité américaine et le concept négligé ailleurs. Donc, si perspective il y a, c’est en dehors ou au-delà de cette polémique idéologique. Sur le terrain comme l’ont fait les GJ. Mais pour le moment on ne voit rien venir comme pôle significatif de résistance, malgré le côté inquiétant de ce qui se passe aux Etats-Unis comme en Allemagne.
G : La Californie, c’est l’extrême Occident.
A : C’est un camp à l’intérieur de ces pays qui remet en question les valeurs des Lumières.
JW : Cela rentre dans le cadre de la bataille pour l’hégémonie culturelle. Mais celle-ci est aussi définie par l’évolution des rapports de classe. Ca n’entre pas dans la tradition du mouvement révolutionnaire ni ouvrier : c’est pour cela que ça nous secoue. On observe un retour en grâce de l’idéalisme – voir l’usage de Gramsci par des gens de tout bord. L’insistance sur l’aspect performatif (imposer la révolution par le langage) se retrouve dans tous les termes employés par les essayistes, qui cherchent à nommer les choses pour les faire exister.
G : Allusion finale du texte. Allusif aussi dans « le premier des déclins est celui de la gauche qui n’a plus rien à dire que la défense de l’Etat de droit protecteur ».
JW : C’était exceptionnel de voir la presse quotidienne défendre l’existence d’institutions américaines vilipendées encore hier, mais qui trouvent un retour en grâce (de l’OMC jusqu’à l’OTAN, en passant par CNN et les grandes universités de classe) du simple fait qu’elles sont attaquées aujourd’hui par Musk, et aussi la prolifération d’articles sur l’Etat de droit et sa pure défense du pouvoir judiciaire sans analyse théorique de l’Etat. Simple désir de retour à une légalité de société capitalisée enserrée dans des règles normatives acceptables. Le trumpisme serait illégal. Il s’agissait alors, pour la bonne gauche démocrate d’essayer de faire la différence entre un Etat de droit et un état d’exception. Tous les états d’exception ont fait attention à la dimension de l’Etat de droit. C’est ce qui les différencie des Etats issus de pronunciamentos (ex. Argentine ou Afrique), où il n’y a pas de Constitution ni d’élections, où l’armée intervient en tant que corps de la nation. La défense de l’Etat de droit par la gauche se fait maintenant au nom de la défense des acquis. Le risque est qu’aux échappements des démocraties dites illibérales et à leur durcissement répressif ne soit opposé qu’un retour à la démocratie libérale. Une exigence de légalité bien plus que de légitimité, qui ne peut guère être mobilisatrice.
G : Dans un passage tu montres une fracture au sein du capital. Paradoxalement ces gens dénoncés autrefois par la gauche sont perçus comme un rempart face au trumpisme. Ce que cela montre, c’est l’effondrement de la capacité de la gauche à penser autre chose. Ce que le trumpisme vient mettre en lumière.
JW : Il passe tout au révélateur parce qu’il contredit l’idée qu’il s’agit d’un système où rien ne serait repérable et où tout irait dans le même sens parce que suivant un « plan du capital ». Rien de plus faux pour nous. La victoire de Trump et la recomposition du pouvoir qui s’effectue autour de lui sont plutôt le signe de la dureté des luttes entre fractions du capital, comme je le développais dans un précédent numéro. J’y attirais aussi l’attention sur « la démocratisation du capital » (fonds de pension et capital fictif) et ma critique de toute théorie en termes de pouvoir oligarchique. En effet, l’apparition et le développement des plateformes a été favorisé par la financiarisation du capital, et cette même « démocratisation » a aussi affaibli les positions hiérarchiques héritées. Je parlais alors, dans ce numéro 21 de la revue, des fractions financières ; cette fois, autour de Trump, il s’agit des fractions technologiques. Il y a un renouvellement des élites. Il ne faut pas oublier que dans la modernité le brassage s’est toujours fait par le biais des classes moyennes, et cela dès le développement des villes et de la première bourgeoisie, avant même la Révolution française par exemple, parce que ce sont les lieux de brassage entre nouvelles et anciennes couches (par exemple, plus personne ne parle en termes de petite bourgeoisie parce que cette ancienne fraction propriétaire a été remplacée par les nouvelles couches moyennes salariées). A présent on observe un peu le même phénomène dans les cercles dirigeants : ce sont les marginaux de la classe capitaliste qui ont formé des fractions très dynamiques et les plus innovantes, parce qu’elles n’avaient rien à perdre (elles n’avaient rien accumulé) et tout à gagner, le risque étant pris par d’autres (capital-risque) en échange du contrôle de la capitalisation finale. C’est encore plus net aux USA où la mobilité est bien plus forte, mais en France il y a eu une mise au rancart progressive des capitalistes traditionnels (voir l’évolution du CNPF devenu Medef et maintenant dirigé par les secteurs de pointe et non plus par les mines et la sidérurgie).
A : Les idées nouvelles viennent des classes moyennes ?
JW : Oui, car ce sont les classes du brassage des idées et des pratiques ; elles ne viennent jamais de l’aristocratie ni du prolétariat (l’idée de révolution, contrairement à celle de révolte ou d’émeute, est bourgeoise et sera seulement reprise plus tard par le prolétariat). Mais il faut qu’il y ait des possibilités. La « révolution du capital » l’a permis.
A : La grande rupture d’aujourd’hui est portée par des puissants.
JW : Ce gens-là ont remplacé les dynasties. Il faut voir aussi combien de gens de la finance ont chuté. Ce sont des fractions du capital sans assise stable, ni héréditaire, ni fonctionnelle, ni juridique. La source de leur puissance, c’est la prise de risque, l’innovation, la circulation, pas l’accumulation.
A : Ceux qui financent sont souvent des héritiers. Les ruptures actuelles ne sont pas seulement sociétales. La gauche a des raisons d’être inquiète de l’illibéralisme montant. L’Etat de droit, c’est un rempart par rapport à cette autre chose qu’est le trumpisme. Bernard Aspe dans Lundi matin (https://lundi.am/La-division-du-politique) dit vouloir reconstituer un mouvement révolutionnaire, il reprend des concepts comme « matérialisme historique », ramène la question du travail.
JW : Je n’ai jamais attaqué le libéralisme. Ceux qui l’ont fait ne s’attaquaient pas au capitalisme, ils voulaient réinstaurer le programme du Centre national de la Résistance. Le libéralisme est une des formes du capitalisme. Démission théorique de la gauche avec rattachement à l’Etat. Dans les luttes c’est souvent l’Etat qu’on a en face de nous et non pas le « patronat », car le capital est plus que jamais puissance et pouvoir (et non pas taux de profit, ce que ne peuvent comprendre les tenants du décrochage entre « économie réelle » et finance – économie irréelle !).
N : On se trompe en parlant de crise du capitalisme ?
JW : Il n’y a pas de crise finale, pas de parachèvement, le capitalisme a gagné (au moins pour l’instant) par sa dynamique de fuite en avant autant que par la résolution qu’il apporte à ses contradictions ; il essaie de les englober. Dans sa dynamique, le capitalisme se nourrit des luttes (de classe), comme on a pu le voir après les mouvements d’insubordination des années 1960-1970, mais, même en leur absence significative, il ne supprime pas tous les conflits. Il n’a ainsi résolu ni la question de la religion ni la question de la nation. Le dépassement de la nation s’est avéré en partie illusoire. Elle revient sous la forme des souverainismes et de l’isolationnisme, ou à l’inverse par le retour de certaines tendances impériales comme en Russie.
Avec Trump le souverainisme n’est pas équivalent à la forme Brexit : il n’est pas pur isolationnisme, mais coexiste avec une théorie des zones d’influence (Amérique centrale et du Sud pour lui, éventuellement Canada ; Europe de l’Est pour la Russie, Taiwan pour la Chine, etc. Ce retour à l’expression d’une puissance nationale vient bloquer le fonctionnement du capitalisme du sommet tel qu’il s’était organisé à partir de l’OMC au niveau de la division internationale du travail et des G7 à G+++ qui lui ont succédé.
N : Pourtant, Internet et le rôle des plateformes, ça tend plutôt à effacer les frontières nationales.
JW : Toutes les mesures de Trump sont anti-plateformes. C’est aussi instable que le sont les différentes luttes de fraction pour le partage ou la prédominance du pouvoir…
G : Ce n’est pas un retour du nationalisme, c’est autre chose. Autrefois, le nationalisme correspondait à l’émergence de nouveaux Etats cassant les empires (Autriche-Hongrie et Russie) et ensuite à l’affrontement entre Etats repus (Grande-Bretagne et France) et Etats faméliques (Allemagne, Italie, Japon). C’étaient des sociétés jeunes, en recherche d’expansion. Les Etats-Unis ont profité de ces affrontements pour affirmer et consolider leur suprématie. Les souverainismes d’aujourd’hui sont des formes de repli sur soi : des sociétés vieillissantes qui ont peur des nouveaux arrivants, qui fuient les guerres qu’elles ont elles-mêmes alimentées. Exemple du Brexit. Pour ce qui est du retour des zones d’influence, il faut se rappeler qu’on les a connues à l’époque de la guerre froide.
JW : Fluidité et non pas fixité de l’époque de la guerre froide.
La Chine est la grande gagnante de la période OMC.
N: Tout ça donne l’impression que la classe dirigeante ne sait pas où elle va.
JW : Parce qu’il n’y a plus de classe dirigeante au sens de l’ancienne bourgeoisie et cela au moins depuis les années 1930 et 1940. D’où le fait qu’ait fleuri, à l’ultragauche, la théorie d’un « capital automate » déjà quelque peu esquissée par Marx dans les Grundrisse. D’où aussi, mais en contrepoint, mes notes sur les fractions du capital.
On vit une accélération qui se met hors du temps historique. Fuite en avant. Cela correspond aussi à la transformation des éléments de base du capitalisme. Dans un système fondé sur la circulation de l’information, il n’y a plus de processus de longue durée comme celui qui a permis la formation de la classe bourgeoise. Le temps de l’accumulation est très lent. Même la révolution industrielle s’est faite lentement. Aujourd’hui le rythme est plus rapide pour tout le monde, la diffusion des innovations, la circulation des marchandises se sont accélérées. Les théories classiques de l’échange étaient fondées sur l’idée que le capital fixe (les immobilisations patrimoniales) ne circulait pas, seules le faisaient les matières premières (rapports coloniaux) et la force de travail (immigration), c’est-à-dire ce qu’on appelle techniquement le « capital circulant ». Par exemple, Staline et Mao, mais aussi l’Inde, pour d’autres raisons, avaient décidé de faire avec leurs propres forces. Mais aujourd’hui il est impossible d’empêcher la circulation du capital non seulement à travers la puissance loin d’être nouvelle des FMN, qui se rattachait plus à l’ancienne forme de domination impérialiste, que par le poids des investissements directs à l’étranger. Le développement du capitalisme n’est plus essentiellement par enclaves, comme avant la révolution du capital, car, avec la globalisation, la diffusion des innovations est formidable et bouleverse l’ensemble des conditions de vie — avec, par exemple, l’urbanisation sauvage, la production agricole intensive sous OGM, les élevages en batterie.
A : Autrefois les productions étaient proches de leurs marchés. L’énorme concentration du capital conjuguée à plusieurs révolutions techniques (porte-conteneurs, télécoms…) ont permis la mondialisation.
JW : On a connu les start-up sous d’autres formes (cf. les majors, qui faisaient travailler des « indépendants » dans le secteur artistique). Aujourd’hui c’est caricatural car tu fructifies à partir de rien.
N : Une démondialisation est-elle concevable, à ton avis ?
JW : Relocaliser artificiellement est impossible. Tout le monde est pris. C’était possible quand les Etats avaient une autonomie (une production et un marché national et colonial autosuffisant permettant la fermeture des frontières), autonomie qui a mené à la guerre comme dans les années 1930. Or, quelque chose qui pousse en avant empêche de revenir en arrière. Revenir à un temps historique ne peut venir que de luttes qui perturberaient la « fuite effrénée du monde », comme nous le disons en sous-titre de couverture de notre dernier numéro de la revue. La relocalisation ne pourrait se faire que sous une forme nouvelle d’artisanat, et encore, car l’exemple allemand de la petite et moyenne entreprise et de l’apprentissage bat de l’aile.
La fraction technologique du capital, au-delà de la dimension géopolitique de la lutte entre grandes puissances, vise à imposer une nouvelle vision du monde qui remplace l’ancienne Weltanschauung bourgeoise (d’où à nouveau l’idée de conquête de l’espace, le développement de l’IA, le transhumanisme). Encore plus que l’adhésion à la notion de progrès, il s’agit, pour les décideurs ou autres influenceurs, d’obtenir une adhésion immédiate de la population au « tout est possible ». Ce qui est grosso modo le cas et renvoie, pour le moment du moins, les actions de résistance à l’éclatement ou/et à l’infinitésimal.
Pour faire face, peu d’alternative et de marge de manoeuvre et au niveau théorique, cf. La synthèse de R. Garcia dans Le Désert de la critique. Avant, deux visions du monde s’opposaient et surtout une perspective (ex : « socialisme ou barbarie »). Puis période sans visions autre que le vague des « alternatives ». Aujourd’hui, une vision qui pousse à l’accélération, très en prise avec le quotidien, avec adhésion objective et subjective parce que, sensiblement et aussi insensiblement, il y a une transformation des rapports sociaux. La dépendance réciproque capital/travail, sans cesser d’exister, est aujourd’hui incluse dans une dépendance réciproque qui dépasse la seule exploitation pour toucher à une aliénation plus générale, mais contradictoire : dit autrement, à une coexistence entre aliénation et libération/émancipation. Exemple : avant, si j’étais obligé d’aller travailler, je n’étais pas obligé d’avoir une voiture, un téléphone ; aujourd’hui, je suis bien plus contraint. Les robots accèlèrent les choses. On est contraint et pris dans cette vision du monde. En vingt ans il s’est dégagé une vision, on n’est plus dans une simple nouveauté techno avec laquelle on peut jouer.
Mais dans ce processus, tout ne se joue pas à la même vitesse. Le marasme de l’industrie automobile européenne et particulièrement allemande est lié à son impossibilité à accélérer à la même vitesse que les entreprises plus jeunes du même secteur, mais agissant à l’autre bout du monde et dans un pays qui n’est pas limité par les mêmes barrières capitalistes. Ce qui faisait sa force était son avancée à un rythme maîtrisé basé sur des savoir-faire, les avantages sociaux de la classe ouvrière allemande en tant que catégorie sociale et non pas en tant que classe antagonique (cogestion, 32 à 35 heures dans la grande industrie, etc.) et des innovations de confort. La seule défense qu’elle peut avoir, c’est de retarder le moment de l’application des mesures et préparer des plans sociaux.
Le poids des entreprises dans les décisions est aujourd’hui fonction d’une structuration plus globale (au niveau de l’hypercapitalisme, comme on le voit par rapport aux questions de climat). Les lieux de décision ont changé : ils sont non seulement encore répartis et hiérarchisés verticalement, mais aussi organisés horizontalement en réseaux.
A : Zuckerberg est le seul à prendre des décisions dans sa boîte. Les entrepreneurs font tout pour s’émanciper des mesures gouvernementales.
JW : Ce sont les libertariens. Mais il y a aussi des entrepreneurs en marge qui ne sont pas dans l’establishment ou la politique.
On est dans un temps du capital qui n’est plus celui de la bourgeoisie qui intégrait le temps historique dans la mesure où il intégrait aussi les luttes de classe et la notion de conflit — la « grande politique », comme disait Mario Tronti. Mais là j’anticipe sur mon livre à venir…