Echange sur Ni patrie ni frontière n°42-43 « Nos tares politiques »

Nous vous proposons à la lecture un échange de courriels entre J.Wajnsztejn et Y.Coleman traitant du n°42-43 de Ni patrie ni frontière, intitulé « Nos tares politiques » tome 1 sorti en juin 2014.


Le 15 août 2014

Yves,

Après notre échange à propos de ton texte sur l’antisémitisme de gauche j’ai lu ton recueil NPNF (« Nos tares politiques », vol I) sur les convergences éventuelles ou avérées entre extrême droite et extrême gauche et je voudrais te faire quelques brèves remarques.

– la critique politique doit éviter autant que faire se peut le ton de la dénonciation parce qu’alors elle peut se voir reprocher le procès d’intention, ce que ne manquent d’ailleurs pas de faire, par exemple, les responsables du journal Militant. Il leur est alors facile de te transformer, dans un premier temps en quelqu’un qui procède par raccourcis, amalgames et autres, dans un deuxième temps, en flic de la pensée. Pour ne prendre qu’un exemple du « à vouloir trop prouver », je prendrais la note 1 de la page 27 dans laquelle à propos de Krisis, non seulement tu accuses D. Collin de ne pas signaler la différence entre la revue de de Benoist et la revue allemande du même nom, mais tu trouves que la première est scandaleusement homonyme de la seconde parce que postérieure alors qu’elle lui est au contraire antérieure (1988 pour la revue de de Benoist ; 1989 pour le groupe Kurz-Lohoff-Sholz) ! Une fois reconnu cela va-t-on alors accuser Kurz et autres d’homonymie scandaleuse ? Bien sûr que non.

– la critique politique doit donc éviter de prendre les moyens d’investigation et les finalités de l’enquête de police. Attirer l’attention sur des ambiguïtés ou des compromissions ne doit pas conduire à des condamnations comme au tribunal car à partir de quelle position condamner puisque tu le dis toi-même ton point de vue n’est pas celui du démocrate (p. 78) ? Est-ce alors à partir d’une position de classe ? Bien malin qui la déterminerait aussi bien historiquement comme on a pu déjà en parler avec l’antisémitisme au sein d’une partie de l’anarchisme historique et dans le courant stalinien, qu’aujourd’hui où les « frontières de classes » sont aussi mouvantes que les frontières nationales et où la notion de classe elle-même, si on veut la considérer comme catégorie historique et non comme simple réalité sociologique, pose elle aussi problème. Est-ce alors à partir de la position du « révolutionnaire » ? Si c’est le cas alors je ne peux te suivre car pour moi il n’y a pas de révolutionnaires en dehors de la révolution. Il y a des individus ou/et groupes qui peuvent développer des positions et activités pratiques dans une perspective qu’ils pensent révolutionnaire, mais c’est tout.

– la critique politique ne doit pas être une chasse à l’homme, ce qui menace toujours quand les deux premiers points que j’ai cités sont réunis et surtout redoublés par une continuité dans cette activité qui peut virer à l’obsession. C’est ce qui est arrivé au sieur Daenincks et je souhaite bien évidemment que ça ne t’arrive pas parce que c’est une maladie dans laquelle on s’enfonce jusqu’à en devenir autiste.

D’autre part, si ton intervention se concentre sur des critiques ad hominem elle risque de manquer son objet en ne prenant pas le problème de la convergence à la racine mais en en faisant des questions d’ego. Par exemple, p. 44, à propos de Costanzo Preve, il ne s’agit pas pour l’extrême droite de « flatter l’ego de Preve » en lui donnant de la place ou de l’importance mais bien d’utiliser son revirement parce qu’ils le considèrent comme un grand penseur et un grand penseur qui aurait viré de bord. Je te rappelle que tu as chez toi un livre de Preve en italien qui plus est, sur la théorie opéraïste (que tu m’as d’ailleurs prêté) que tu ne t’es sûrement pas procuré par hasard. Preve est donc suffisamment connu par des gens comme nous, sans parler de l’Italie, pour qu’il n’ait pas besoin de flatter son ego dans d’obscures revues numériques comme Rébellion. Il n’est pas non plus étonnant que la sortie récente de son Histoire critique du marxisme ait été saluée à l’extrême gauche comme une contribution intéressante car ce n’est pas tout le monde qui va, comme toi et moi, par exemple s’apercevoir que Preve publie de longs interviews sur Rébellion. Ce qui va être considéré c’est ce qui est dans le livre et c’est bien normal après tout pour celui qui ne connaît pas « tout ». Dans le même ordre d’idée, p. 70, ceux qui signent Poulpe se trompent s’ils pensent que ce qui est fondamental pour les penseurs « anti-système » en provenance de la gauche, c’est de ne pas se « mouiller » avec l’extrême droite pour ne pas nuire à leur « respectabilité ». C’est croire qu’ils ne sont que des politiciens alors qu’ils se voient comme « penseurs » justement. S’ils ne se mouillent pas avec les fascistes de base ou avérés c’est pour ne pas mettre les mains dans le cambouis, mais les ont-ils déjà mis ailleurs ? L’exemple de Philippe Marx le candidat du PCF et du Parti de gauche aux législatives est au contraire un exemple de cette absence de peur de prendre des positions anti-système au risque de la respectabilité, au risque de l’exclusion. Le parti et les organisations staliniennes ne forment plus un monde clos dont on ne sort jamais et qui s’exprimerait en une seule voix.

Comme tu le dis très bien p. 75, le ras-le-bol de certains vis-à-vis de la « pensée unique » ou du « politiquement correct » conduit parfois (et pas qu’au parti de Gauche) à des aventurismes ou dérapages. D’ailleurs, Max Vincent que tu cites longuement pour sa critique du livre sur les « 20 penseurs vraiment critiques » des éd. L’Échappée, le dit clairement p. 167 : « D’aucuns parleront de ‘récupération’ chez Soral. Une explication un peu rapide ». Michéa et une certaine critique comme « boîte à idée » de la droite !

Refuser toute posture victimaire comme « brasiers et cerisiers » le proposent p. 189 est certes juste mais cela ne doit pas conduire à nier certains faits. Par exemple ce n’est pas parce que parmi les « économistes atterrés » il y a le souverainiste Courtot qu’il faut nier le fait que la pensée unique existe bel et bien en économie, que ce soit pour postuler à un poste universitaire ou pour avoir accès à une publication dans les revues « scientifiques » anglo-saxonnes. Et si le refuge c’est internet c’est bien parce qu’il n’y a plus que ça pour certains. Oublies-tu que de nombreux universitaires critiques « non suspects » de ton point de vue sont obligés aujourd’hui de se réfugier chez l’Harmattan parce que plus personne ne veut les éditer ?

Les mêmes « Brasiers et cerisiers » jouent les sentinelles mais au nom de quoi ? « des rapports de classe » ((p.194) qui font que la bourgeoisie (non définie, Ndlr) connaît des contradictions et qu’elle doit utiliser tous les moyens pour contrer les mouvements sociaux. On connaît l’antienne, mais de quels mouvements sociaux parlent-ils (en Allemagne et en Italie, à la naissance du fascisme il y en avait effectivement, mais aujourd’hui ?) En fait, ils confondent les mouvements sociaux avec les banderoles de la CNT Vignolles ou autres gauchistes (« C’est pas à l’Élysée, c’est pas à l’assemblée, mais bien dans la rue qu’il faut lutter/qu’on va gagner », p. 195). Il en est de même pour ceux qui signent « des prolétaires de gauche » (p. 216) qui opposent une rage ouvrière qui existe peut être mais de façon souterraine et les fausses mobilisations des centrales syndicales et partis de gauche. Les souverainistes de gauche se voient même reprocher de pleurer parce qu’ils ne sont plus des interlocuteurs crédibles alors qu’ils ne l’ont jamais été puisque le gaullisme a rempli cette fonction en France en synthétisant tendances de gauche et de droite du souverainisme (avec appui de l’URSS si ce n’est du PCF).

Ce qui est grave, Yves, ce n’est pas la convergence dans les mots. Par exemple, tu montres bien p. 54 que que le site OSRE de Rébellion est capable d’utiliser les mots de « Gemeinwesen » et « d’extrême gauche du capital » qui sont des concepts de Marx et des communistes radicaux (« l’ultra-gauche »), ce qui est grave, c’est que eux ils lisent, ils développent une pensée politique syncrétique faite de recyclages divers (la communauté humaine ils la transforment en une pensée communautariste mais cela ne doit pas nous amener à réduire la première à la seconde, là serait le danger d’une contre-dépendance critique pour parler comme JG) ; alors que le « milieu » auquel tu t’adresses principalement (c’est net dans tes réponses aussi bien à moi qu’à Okapi) est un milieu qui ne lit pratiquement plus rien de théorique, à la limite un peu de l’historique orienté.

Cela nous amène à considérer la question de l’anticapitalisme parce que finalement c’est bien de ça qu’il s’agit si on élargit pour ne pas en rester à l’antisémitisme de gauche ou même à la convergence. Comme cela apparaît bien dans ta compilation, il y a déjà, si ce n’est un courant ou une pensée, une opinion qu’on peut qualifier « d’anti-système », une opinion largement partagée parce que c’est celle du « moins disant » politique mais qui paradoxalement en dit le plus par sa façon de se lâcher, y compris au coin de la rue. Ce n’est certes pas la parole du peuple que les souverainistes de gauche voudraient retrouver alors qu’elle est d’un autre siècle mais sa version populacière, celle qui est en partie canalisée par le vote FN. Ce courant s’alimente des fractures sociales, de la crise de la classe ouvrière, de celle de l’État-nation-providence etc. Elle est donc loin d’être anti-capitaliste même si elle est en général anti-mondialisation et anti-finance, mais on y trouve aussi, de façon minoritaire des fractions qui expriment tout ça en termes plus politiques de droite comme de gauche. Elles ne raisonnent pas principalement en termes de « tous pourris », mais en termes de domination des « gros » sur les « petits », de la finance et des profiteurs et assistés sur les travailleurs, de l’Europe sur la nation, des États-unis et de ses alliés (surtout GB et Israël) sur le reste du monde. Pour ce qui est des fractions de gauche, la plupart de leurs composantes ne sont pas « anti-système » car elles se reconnaissent plus ou moins dans certains éléments systémiques parce que le « système », est à distinguer de la société, de sa forme démocratique et de certaines de ses institutions. Leur anti-capitalisme est donc limité aux dysfonctionnements que celui-ci produit sur ce qu’on pourrait appeler la marche normale de la société (progrès, croissance, emploi, bien être, pas trop d’inégalités et de discriminations, liberté individuelle) et ces dysfonctionnements proviendraient d’organisations ou de personnes qui sont très visibles (les banques, la finance en général, le FMI, les FMN, les tenants de l’universalisme abstrait, les blancs) mais derrière lesquelles se cachent des forces plus occultes (les services secrets américains, les juifs, les francs-maçons, etc). On peut trouver au sein de toutes ces fractions des tendances ou idées que nous refusons totalement ou que nous attaquons, mais vu qu’elles sont à la fois bien partagées et très particularisées, en faire un cheval de bataille reviendrait à se battre contre des moulins à vent.

C’est plus le contexte historique et les événements qui surviendront qui permettront que se clarifient les confusions plutôt que de croire que c’est à nous de le faire et surtout d’en faire une priorité. Marqué un peu trop, à mon avis, par ton ancien passé gauchiste, tu crois trop à l’importance du combat idéologique comme possibilité d’inverser les tendances surgies de crises réelles. À l’inverse, le choix de la librairie la Vieille Taupe, première manière (cf. ta note p. 78) a été d’exhumer un large éventail de publication oubliées, mais quoique tu en dises bien marquées à gauche (même si l’anti-stalinisme basique a permis une convergence certaine parfois) et que les lecteurs fassent leur propre tri, en conscience. Il est vrai que l’époque n’était pas tout à fait la même, au moins à partir de 1967-68 et que c’est bien l’époque et comment on peut y intervenir qui permet de se frayer un chemin et de clarifier ce qui est confus : ce n’est pas par la recherche de la vérité ou uniquement à partir de grands principes qu’on peut espérer dégager une perspective. On reste dans la vigilance au mieux. Pour prendre un exemple décalé, mais pas tant que ça si on a en tête mon dernier livre autour de la nature et du genre, regarde ce qui se passe au sein du féminisme à propos de la prostitution et de PMA/GPA. Cela tire à hue et à dia malgré ou à cause des grands principes.

Voilà pour le moment,
Amicalement,

JW


Le 6 septembre 2014

Cher Jacques,
Je vais essayer de te répondre sur quelques points.

1° Tu écris que le premier numéro de la série « Nos tares politiques » porterait sur les « convergences éventuelles ou avérées entre extrême droite et extrême gauche ». Or ce n’est pas du tout son sujet!
Cela c’était le thème de « L’inventaire de la confusion » (n° 36/37) il y a trois ans en septembre 2011, et tes critiques pourraient s’appliquer à ce numéro-là même si je ne les partage pas. D’ailleurs, dès l’introduction qui situe le cadre de cette série de numéros sur NOS tares politiques, j’évoque les alliances sans principes, le souverainisme, la xénophobie de gauche (et même d’ultragauche), le social-chauvinisme, la « liberté d’expression » et le complotisme, sans compter l’antisémitisme, le racisme, le sexisme (viol et harcèlement de militantes au sein de groupes d’extrême gauche), l’homophobie (idem) dans l’extrême gauche et dans la gauche. Le sommaire de ce numéro et des suivants qui figure en fin de volume aurait dû t’indiquer que ta critique était totalement à côté de la plaque, puisque les sujets annoncés sont « l’opportunisme vis-à-vis des religions, les vieux dogmes, les illusions autogestionnaires, les impasses du post-modernisme: nation, religion, genre, «race» et classe, le pessimisme des militants”. Où vois-tu des convergences avec l’extrême droite dans cette liste de thèmes ?
Quant au numéro lui-même, il évoque des questions comme le nationalisme de gauche, l’antisémitisme de gauche voire libertaire (article de soutien à Dieudonné dans « Le Monde libertaire »), l’hostilité à l’immigration parmi les intellectuels de gauche comme Michéa, Collin ou un auteur raciste d’ultragauche, toutes tares qui ont une longue tradition gauloise, indépendante de l’extrême droite. J’ai d’ailleurs déjà consacré de nombreux articles à la question de la xénophobie de gauche (à propos de Riposte laïque mais aussi de la politique des syndicats et partis de gauche français ; de la laïcité républicaine, de l’islam en France, etc.) et au racisme (http://www.mondialisme.org/spip.php?article1057 qui porte sur le racisme institutionnel qui n’a rien à voir avec l’extrême droite), « Haine de l’autre, racisme et religion » – http://mondialisme.org/spip.php?article2084 – ou ma lettre à Philippe Coutant sur le racisme à Air France, entreprise dans laquelle j’ai travaillé quatre ans, et texte dans lequel j’essaie justement de combattre le mantra gauchiste selon lequel le racisme parmi les salariés viendrait uniquement de la propagande du méchant FN : http://1libertaire.free.fr/DiscrimationPrejuges.html). Idem pour mes critiques de Michéa sur le fait qu’il propage des idées réactionnaires à propos toutes sortes de questions sans pour autant que j’y dénonce la main invisible de l’extrême droite.

2) « la critique politique doit éviter autant que faire se peut le ton de la dénonciation », écris-tu. Je ne comprends pas bien ce que tu appelles la dénonciation, sauf si tu entends par là qu’il ne faut jamais polémiquer ou du moins polémiquer le moins possible. Dans ce cas-là, je ne comprends pas bien pourquoi tu as polémiqué à plusieurs reprises à propos d’articles que j’ai écrits ou même ton mail lui-même…. Ou alors faut-il comprendre par « dénonciation » ce que tu énonces un peu plus loin: le fait de « prendre les moyens d’investigation et les finalités de l’enquête de police » ? J’utiliserais les mêmes « moyens d’investigation » et j’aurais les mêmes « finalités » qu’un flic ? Et mes « condamnations » auraient les mêmes « finalités » et les mêmes conséquences que celles d’un « tribunal » (« conduire à des condamnations comme au tribunal ») comme tu l’écris plus loin ?
Cela me semble absurde de te le rappeler, mais je n’ai aucun pouvoir d’infliger la moindre amende, le moindre travail d’intérêt général, la moindre peine de prison à qui que ce soit. Cette comparaison est gratuite et insultante comme les précédentes.
A moins que tu entendes par « condamnation » le simple fait d’avoir une opinion et de la défendre contre d’autres ? Mais un « tribunal » ne défend pas une opinion, il sanctionne et impose son avis.
Utiliser Internet serait avoir un esprit « policier » ? Internet permet de retrouver tout un tas de textes et de vérifier des données biographiques et bibliographiques rapidement, et de façon beaucoup plus commode que d’aller à la Bibliothèque nationale si l’on veut reconstituer le parcours politique ou idéologique d’un militant ou d’un groupe. Et à condition de confronter plusieurs sources, bien sûr.
Quant à mes prétendues « finalités » policières, il me semble que celles de la Maison Poulaga sont de ficher les militants pour éventuellement exercer sur eux du chantage, les arrêter, les amener à dénoncer leurs camarades, les emprisonner, les torturer, les livrer à la justice ou les flinguer, non ? Ou alors de mener une « chasse à l’homme » comme tu m’en accuses plus loin ?
Penses-tu que ce sont mes « finalités » ?
Tu affirmes que je ferais des « procès d’intention », mais j’ai du mal à comprendre ce qu’impliquent tes propos et quelles sont tes « intentions ».
Pour conclure je ne peux que t’inciter à méditer sur ces 2 citations
« On en a marre de ce genre d’ouvrages d’apprentis-procureurs: il est tellement plus facile d’être clairvoyant avec dix ou vingt ans de recul. »  Didier Eribon dans un article éreintant un livre de Serge Quadruppani dans Libération
« Ceux qui traitent ma critique de “travail de procureur” révèlent seulement leur mentalité policière: pour ces gens-là, dénoncer, ce ne peut être que pour, tôt ou tard, dénoncer à la police. (…) Crier au flicage chaque fois qu’on rappelle à un auteur ses propos de la veille, ou qu’on attire l’attention sur la faiblesse de son texte, est un procédé courant du terrorisme intellectuel. » Serge Quadruppani, Catalogue du prêt à penser, Balland, 1983
Pour ma part, je ne parlerais pas, comme Serge Quadruppani, de « terrorisme intellectuel » mais plus simplement et plus crûment de paresse intellectuelle, d’absence d’esprit critique, d’incapacité de débattre et de mauvaise foi chez ces individus que tu évoques sans indiquer qu’ils inventent des positions que je ne défends pas.

3) Tu écris que mes accusations contre Denis Collin seraient infondées. Il existe DEUX revues du même nom (« Krisis »), une d’extrême droite, française, et une autre de gauche, allemande. Peu de gens le savent mais Denis Collin lui le sait parfaitement, puisqu’il a publié en 2013 un article dans la « Krisis » allemande. Il n’est pas du tout innocent que Collin oublie de mentionner que Costanzo Preve a écrit dans la revue française d’extrême droite « Krisis », et non dans la « Krisis » allemande. Tu m’indiques que la création de la revue d’Alain de Benoist (« Krisis ») serait antérieure de quelques mois à celle de Kurz. Admettons que je me sois trompé, mais ce n’est pas là l’essentiel. Le mensonge par omission de Collin n’est pas dû à l’ignorance ou à sa distraction (contrairement à ce que tu sembles penser), mais à une volonté délibérée d’entretenir la confusion entre une revue fasciste et une revue de gauche.
Tu me signales, toujours à propos de Preve, que j’aurais dans ma bibliothèque un de ses livres sur l’ « operaismo ». Je ne vois pas le rapport entre un livre de Preve écrit en 1984 alors qu’il collaborait avec l’extrême gauche (Democrazia Proletaria) et animait des colloques rassemblant la fine fleur des marxistes européens et les ouvrages qu’il a publiés après son tournant nationalitaire (au milieu des années 90 apparemment) dans des maisons d’extrême droite. Et même s’il s’agissait d’un livre plus récent, je ne vois pas le moindre rapport entre LIRE un ouvrage et en FAIRE LA PROMOTION comme le fait Collin, en dissimulant sciemment son involution politique, ses positions nationalitaires en ce qui concerne l’Italie et ses alliances éditoriales et politiques avec les fascistes italiens, français, russes, etc. J’ai un certain nombre de livres de réacs chez moi, je n’en fais pas la promotion et quand je les cite c’est en indiquant leurs positions (cf. par exemple ma critique du livre d’Alain Bauer http://www.mondialisme.org/spip.php?article1525) et en les critiquant, pas en les dissimulant….

4) « à partir de quelle position condamner puisque tu le dis toi-même ton point de vue n’est pas celui du démocrate ? Est-ce alors à partir d’une position de classe ? »
A partir de principes élémentaires de non-collaboration de classe, antihiérarchiques, de solidarité entre exploités face aux chefs et aux patrons. Si l’on défend ce type de principes (qu’on appelait dans l’ancien mouvement ouvrier des principes de lutte de classe et auxquels je suis toujours attaché, ne t’en déplaise) il est évident que l’on ne peut, comme Denis Collin, aller donner une conférence sur « Le marxisme et la nation » au local du fasciste Serge Ayoub, le 19 décembre 2009 ; ni accepter comme Alain Krivine d’être invité à se goberger tous frais payés par le régime castriste (même s’il regrette d’avoir accepté cette prébende dans son autobiographie Ca te passera avec l’âge, Flammarion, 2006) ; ou, à une échelle plus importante et plus grave, comme le Front populaire de libération de la Palestine (icône de l’extrême gauche occidentale), accepter d’être financé par l’Iran, en échange d’un soutien au régime Bachar al-Assad.

5) « Est-ce alors à partir de la position du « révolutionnaire » ?
Sur cette question je t’ai déjà longuement répondu dans la première partie de « Malentendus et désaccords » http://mondialisme.org/spip.php?article548 donc je ne répète pas ce que j’ai déjà écrit. Mais il me semble que tu me prêtes généreusement des positions que je n’ai pas.

6) 
 »Ce qui est grave, Yves, ce n’est pas la convergence dans les mots. (…) ce qui est grave, c’est que eux ils lisent, ils développent une pensée politique syncrétique faite de recyclages divers ».
Je pense que je ne m’attache pas simplement à la « convergence dans les mots », mais aussi à des liens humains précis, des collaborations éditoriales, des réunions communes voire la participation à des manifestations communes. Et je m’intéresse à l’extrême gauche pas à l’extrême droite !!!!
Pour prendre un exemple récent, le fait que la droite islamiste ou pro-islamiste (PIR, collectif Cheikh Yassine) manifeste aux côtés du NPA et de l’UJFP et que tous les quatre signent des communiqués communs ne traduit pas simplement une « convergence dans les mots ». C’est une convergence dans les faits, qui explique en partie comment les attaques de synagogues et de magasins juifs, cet été, ont pu se dérouler dans les marges de manifestations appelées en commun par ces organisations ou groupuscules. Le NPA et l’UJFP ne sont nullement manipulés par l’extrême droite islamiste. Ils font consciemment alliance avec elle, ils défendent sur certains points exactement les mêmes positions et pleurnichent ensuite parce qu’ils doivent en assumer les conséquences MATERIELLES…

8) « C’est plus le contexte historique et les événements qui surviendront qui permettront que se clarifient les confusions plutôt que de croire que c’est à nous de le faire et surtout d’en faire une priorité (…) tu crois trop à l’importance du combat idéologique comme possibilité d’inverser les tendances surgies de crises réelles ».
Tu animes avec d’autres copains une revue qui s’appelle « Temps critiques » et vous menez ensemble un combat idéologique depuis des années, donc je ne comprends pas ce que tu veux dire. On peut juger que sur la forme, dans le style, vous menez ce combat d’une façon différente de la mienne, mais sur le fond vous menez bel et bien un combat au niveau des idées !!!
Je n’ai jamais prétendu « inverser les tendances surgies de crises réelles ». Il faudrait être complètement mythomane pour croire qu’une revue qui vend entre 60 (le plus souvent) et 140 exemplaires (exceptionnellement) depuis 12 ans, comme « Ni patrie ni frontières », puisse « inverser » quoi que ce soit, à part le cours de mes finances vers un déficit permanent…. Même en tenant compte des quelques dizaines de hits quotidiens sur la partie de mondialisme.org consacrée à Ni patrie ni frontières, il est impossible de se faire un plan mytho comme celui que tu me prêtes…
Sans compter que le contenu de cette revue n’a absolument rien d’original, puisqu’il reprend pour moitié des textes déjà publiés en français ou traduits d’autres langues mais écrits par d’autres groupes…. Contrairement à « Temps critiques » je ne prétends proposer aucune explication nouvelle du fonctionnement de la société, du mode de production capitaliste ou de l’Etat. Je n’ai aucune prétention théorique. Je me contente de présenter des analyses issues de différents groupes ou individus sur des thèmes précis. Quant à ce que j’écris, ce sont neuf fois sur dix des descriptions de la situation française destinées à des camarades américains, britanniques ou néerlandais qui me demandent quelques éclaircissements. Je n’ai donc aucune illusion quant à l’inversion d’une quelconque tendance…

Amitiés
Yves

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