Quelques remarques sur tes deux livres1.
– Tu signales que la mondialisation voit l’émergence d’un « monde américain ». Je suis d’abord surpris parce que, dans un premier temps, on peut penser que tu critiques ce fait et je pense que c’est le cas … sauf que tout au long de tes deux livres on trouve une sorte d’empathie pour ce qui est devenu, de par tes propres termes, la culture de la mondialisation à travers, par exemple, l’extension planétaire des culturals studies et de leur champ. Que ce mouvement ait été ou non impulsé par la French theory n’empêche pas que sa prégnance actuelle au niveau mondial me semble manifester cette émergence d’un modèle américain plus que d’un « monde américain ». Le passage d’une théorie disons communiste historiquement issue de l’Europe et imprégnée d’universalisme, de dialectique et de désir de s’emparer de la totalité (hégélienne ou marxienne), à une théorie relativiste et particulariste dissolvant la totalité (le molaire) dans le moléculaire, l’unité dans l’intersectionnel, le temps dans l’espace, l’historicité dans les cultures, fait justement florès à partir de ce modèle américain et de ses thématiques2. Si je résume, on pourrait dire que la modernité révolutionnaire a été européenne et que la post-modernité est l’émanation de la domination du monde américain. Ce « monde américain » est toutefois à relativiser dans la mesure où les USA ont eux aussi été altérés et bouleversés par la révolution du capital. Même si nous avons critiqué leur ouvrage3, Hardt et Négri ont au moins tenté de tenir compte de cette transformation à l’œuvre avec leur notion d’Empire. La globalisation n’est pas « américaine » ; elle est englobante sur toute la planète (cf. le rôle de la Chine et de l’Inde dans ce processus). Dans cette mesure, la domination ne peut plus être hégémonique au sens où l’entend Giovanni Arrighi quand il pense les anciennes hégémonies anglaise puis américaine et celle de demain qui serait chinoise, sur le même modèle de l’impérialisme. À la limite, il s’agit donc plus de la persistance d’un modèle américain que d’un monde américain.
-D’accord aussi pour dire que cette « postmodernité » court-circuite la temporalité (cf. tes références à F. Jameson et la prédominance croissante de l’espace sur le temps ; et à D. Harvey et la « compression de l’espace-temps ») et fait que « nous sommes piégés dans le présent ». Mais on peut en dire plus là-dessus. Voilà, par exemple, ce que J. Guigou de Temps critiques, avançait sur cette question dans un courrier extérieur : « J’ai à maintes reprises à propos de la virtualisation de la valeur et de la capitalisation des activités humaines, indiqué que les réseaux sous toutes leurs formes, engendrent une actualisation permanente… de l’actuel. J’ai pu le nommer parfois “actualisme”. L’utopie du capital aujourd’hui, via le virtuel, c’est de créer non pas un « présent éternel » comme dans les mythes paradisiaques ou sataniques, mais une actualisation continue qui tente d’échapper au temps (c’est le « temps réel » de l’informatique ; celui de la vitesse de la lumière) ; de telle sorte que la temporalité humaine est décomposée, altérée, détemporalisée et donc aussi bien sûr, déshistoricisée. Le présent ne peut pas être pérennisé : il passe nécessairement depuis un passé vers un futur. L’actuel est susceptible d’être totalisé dans une actualisation permanente ; une répétition sans histoire (à tous les sens de l’expression « sans histoire ») ; une « mise à jour » des individus… comme le sont les logiciels. C’est la temporalité anthropologique d’homo sapiens qui est altérée par la puissante tendance de la dynamique du capital à actualiser l’actuel ; à tenter de créer un monde de l’actualité et de l’actualisation continue. Dans cette perspective, j’avance qu’il n’y a pas aujourd’hui une domination du « présentisme » (que cette domination soit répressive ou/et sublimation répressive (cf. Marcuse), car le présent n’échappe pas à la « flèche du temps » ; le virtuel et son actualisation continue cherchent à y échapper…et finalement, ils y parviennent assez, malgré tout ce qui s’y oppose ou y résiste ».
-Comme tu le suggères à demi-mot, la floraison actuelle des théories conspirationnistes peut être lue comme une tentative de réintroduire de l’histoire et du récit de façon à se situer par rapport au triptyque passé-présent-devenir, « à visualiser sa propre place dans la totalité du mode de production capitaliste » comme le dit Jameson (Hegel après Occupy, p. 36).
Dans cette mesure, ce complotisme « à la base » et via les réseaux sociaux n’est pas de même nature que le complotisme de l’époque du « Protocole des Sages de Sion » qui relevait de l’État et pour cet exemple précis, de la police secrète de l’Empire russe. Les médias et les pouvoirs politiques des « démocraties libérales » ne s’y trompent pas qui traitent toute contestation des discours de pouvoir, de populiste à tendance complotiste en provenance des bas fonds des réseaux sociaux, même s’ils s’accordent pour dire qu’elle peut être alimentée où instrumentalisée par les dirigeants des « démocraties illibérales » (appellation qui vient de sortir).
-Il y a une idée à creuser dans le fait que la domination actuelle du présent ou de la « contemporanéité » pour Osborne, suppose l’absence d’avant-garde et je dirais même son impossibilité. Là vous partez de l’art, mais il en est de même au niveau de la théorie et de l’intervention politique. Depuis les années 60-70 et a fortiori aujourd’hui il n’y a plus d’avant-garde politiques ni même théoriques, tout juste parfois des avant-gardes de fait. C’est aussi pour ça, qu’à Temps critiques nous n’avons jamais cherché à reconstituer ou refonder une « théorie », malgré les critiques que nous portons maintenant à la théorie communiste.
-Mais le postmodernisme n’est pas le signe de la crise comme tu sembles le penser. Il est plutôt le moment du capital dans lequel sa dynamique n’est pas cassée par de grandes crises successives (les cycles longs de Kondratief ou les « crises finales » du marxisme orthodoxe), mais alimentée par une succession de ce qu’on continue à appeler « crise » comme si elles pouvaient être « finales » parce qu’elles seraient assimilables à la crise des années 1930, alors que les « crises » ne font que se répéter sous différentes formes tous les dix ans environ depuis le krach boursier de 1987. Ainsi, en 2008 avons-nous vu ressortir cette antienne de façon particulièrement abusive et avec elle toute la panoplie habituelle sur la mauvaise finance à opposer au bon capital productif (tu reprends cet argumentaire p. 34 d’Hegel après Occupy) sans chercher à dégager le rôle du capital fictif aujourd’hui4. C’est sans doute parce que tu reprends cela que tu te réfères à Jameson et son affirmation de 40 années de long déclin et particulièrement des États-Unis, alors que P. Osborne voit 1991 et la chute du mur de Berlin (c’est 1989 !) comme le signe le plus puissant du renouvellement du capitalisme. Sans se fixer absolument et précisément sur cette date, c’est de cette époque aussi que je date ce que j’ai appelé « la révolution du capital ». Le reproche que tu fais à ce dernier (p. 49) d’adopter un point de vue « surplombant » retombe à mon avis dans le champ post-moderne qui considère toute position théorique unitaire et visant la totalité comme surplombante par définition. Je ne dis pas qu’Osborne ne l’adopte pas puisque je ne peux en juger avec le peu que tu nous en dit, mais opposer à ce type de position le simple fait qu’il existe des luttes chez les artistes et précaires comme le font Corsini et Lazzarato me paraît un peu léger comme base d’appui. Mais bien sûr ce n’est pas parce qu’on ne peut pas se contenter d’une position mouvementiste et immédiatiste qui cherche dans les mouvements la vérification de sa théorie (les post-opéraïstes pour faire bref) qu’il n’y a plus place que pour la politique comme idée, une position que tu critiques avec à propos chez Badiou et Rancière. Ce que nous avons vécu en France avec le mouvement des Gilets jaunes peut en témoigner et rétablit, à mon avis, la notion d’événement au sens où nous l’entendons, c’est-à-dire un fait ou un court processus qui rompt, même partiellement, le bon ordonnancement des choses, qui rompt avec ce qui est attendu et qui fait peur parce que malgré les limites internes ou externes de l’événement, il porte un basculement possible. Ce que ne portent, à mon avis ni le « non mouvement » actuel sur le passe sanitaire ni un mouvement pourtant plus important comme Black lives matter. Mais franchement, quand tu opposes au subjectivisme sans contenu de Badiou et Rancière, la « détermination objective », « la nécessité historique » ou pire encore peut être, « l’économie politique marxiste », je ne peux te suivre. Je ne peux d’autant moins te suivre que, quelques lignes plus loin (p. 55) tu énonces « qu’il n’est sans doute plus possible de partir de la situation objective pour établir l’action subjective », l’idée « qu’il y aurait un sens de l’histoire » étant frappé « d’un profond soupçon pratique et théorique ». Page 56 tu reconnais aussi que « ces mouvements sont surgis de rien ». C’est un peu vite dit pour le mouvement des Gilets jaunes, même si personne ne l’a vu venir ; mais même en admettant qu’il soit parti de rien, alors il est vain de reprocher à Osborne une analyse qui ne part pas des contradictions du rapport social capitaliste, c’est-à-dire, d’après toi, des conditions objectives de l’exploitation. Cela te conduit à affirmer, à mon avis sans argumentation solide, que depuis 40 ans le prolétariat s’est reconstitué (nous pensons exactement le contraire), mais finalement qu’il manquerait un « parti du mouvement » (le « parti invisible » de l’IQV ?), alors que l’identité ouvrière n’est plus disponible (p. 59 et Théorie Communiste). Or, c’est bien parce qu’il n’est plus possible de l’affirmer que Théorie Communiste envoie la classe par dessus bord au profit de la communisation d’abord et de l’affirmation des autres identités ensuite, identités de genre et de race qu’il serait possible d’affirmer et que ce groupe vient de découvrir comme produit de remplacement.
Quand pour conclure tu en arrives à dire que « nous arrivons après la révolution », on pourrait être d’accord parce que nous arrivons après l’ère des révolutions prolétariennes et leur défaite historique et après la « révolution du capital » que nous n’avons pu empêcher du fait, cette fois, de notre défaite à nous qui avons participé au dernier assaut des années 1966-78. Mais alors, en reconnaissant cela, tu es obligé d’en revenir aux conclusions « pessimistes » d’Osborne, le reste n’étant plus qu’écume sans force de vague, simple résistance « naturelle » à l’exploitation/domination. Sinon, on tombe dans la croyance sans religion.
En conséquence de quoi, la phrase de Marx que tu cites en note 82 : Le communisme n’est pas une idée, mais « le mouvement réel qui abolit l’état des choses actuel » qui a servi de sésame à l’ultra gauche depuis la fin des années 1960 jusqu’à la fin des années 1970, n’a plus de sens aujourd’hui pour nous. Elle n’avait de toute façon qu’une valeur heuristique et historique5 par rapport à ce qui aurait été le mouvement ouvrier réformiste par rapport à la révolution prolétarienne en jouant sur l’illusion de ce que serait l’essence du prolétariat par rapport à ce que faisait la classe Il y avait le présupposé d’un hiatus entre mouvement (le réformisme ouvrier ) et but (le communisme) que le « mouvement réel » devait venir combler. Mais aujourd’hui, parler de « mouvement réel » n’a pas plus de sens que de parler « d’économie réelle » ou de « peuple réel » A la limite, le terme de « socialisme réel » sonne moins faux car il n’est pas purement idéologique puisqu’il correspond bien, lui, au devenu de l’idée socialiste telle qu’elle a été écrite et mise en pratique par les Lénine, Staline, Mao, Castro et consorts, c’est-à-dire les « socialismes réellement existants ».
-Le plus discutable (dans tous les sens du terme) de ton livre sur la contre révolution de Trump est justement de conforter une idée obsolète à savoir que la contre révolution succède à la révolution comme dans la périodisation de Marx telle qu’il l’a élaborée au XIXe siècle. Or pour qu’il y ait contre révolution, il faut qu’il y ait eu révolution ce qui n’est pas le cas, les mouvements des années 1960-70 n’ayant marqué qu’un dernier sursaut prolétarien d’insubordination et une révolte de la jeunesse. En référer à Korsch qui est effectivement une référence historique et théorique ne l’est, sur ce point en tout cas, que pour son époque où alors il eut fallu que les mouvements des années 1960-70 puissent être comparées aux révolutions allemandes et hongroise des années 1920. A mon avis, ce n’est pas le cas car il y a bien eu à l’époque des révolutions et non de simples révoltes, actes d’insubordination, émeutes, etc.
-Si révolution il y a aujourd’hui, en tout cas depuis les années 1980, c’est de « révolution du capital6 » dont il s’agit. Et si on veut bien admettre qu’à cet égard le mouvement des tea party puis l’orientation vers la défense des «valeurs » du parti républicain ont pu constituer un nouveau mouvement conservateur, il ne s’est pas transformé en mouvement contre révolutionnaire, d’abord parce que le mouvement des tea party n’a jamais été très loin de l’establishment en cultivant un aspect bien propre sur lui et pour tout dire bourgeois qui ne pouvait frayer avec les survivalistes ou suprématistes ; ensuite parce que Trump n’a pas correspondu à une tendance structurelle du capitalisme américain rompant avec l’évolution précédente qui aurait constitué une erreur ou une « décadence », mais a plus constitué un accident électoral provoqué par les vrais comptes d’apothicaires que constituent les résultats des élections américaines, qu’un accident de l’histoire. Or ton livre, écrit certes dans la précipitation immédiate, semble considérer sa victoire comme définitive parce qu’il représenterait les intérêts du « grand capital » (p. 11) ; mais de quel grand capital parles-tu ? Si c’est de la référence historique à Daniel Guérin et à son livre Fascisme et grand capital, cela relève de l’anachronisme. En tout cas, tu en déduis, avec peu de présomptions, que Trump est fasciste. Mais le plus important est que l’histoire du fascisme et l’actualité de Trump te donnent tort. En effet et en premier lieu du point de vue historique, le fascisme n’est jamais éliminé par les élections (et pour cause puisque arrivés au pouvoir ils les suppriment), mais par les guerres et les coups d’État ; en second lieu , du point de vue actuel qui est celui des élections, Trump est redevenu grenouille après avoir tenté vainement de faire le bœuf pendant sa mandature et en désespoir de cause en fin, avec la farce lamentable de la marche sur le Capitole singeant la marche mussolinienne sur Rome. On en connaît le résultat.
Comme tu ne peux trouver de révolution à laquelle répondrait la contre révolution de Trump tu inverses le raisonnement en disant que le néo-fascisme peut intervenir de façon préventive (p. 78). Mais contre qui, on se le demande. Contre les Occupy ou les Gilets jaunes ? Tu y crois vraiment. Comme le dit Mario Tronti dans La politique au crépuscule, « nous avons été vaincu par la démocratie » (et donc sûrement pas par le fascisme) et le discours de Bordiga à Agamben pour dire que le fascisme n’est pas si différent de la démocratie, qui pouvait avoir une certaine valeur contre l’idéologie antifasciste et résistancialiste des années 1940, a perdu tout contenu aujourd’hui et est à l’origine de nombreuses errances d’interprétations quant à la crise sanitaire et sa gestion, les éventuelles positions et interventions possibles pour nous dans ce contexte.
-Que Trump soit le représentant du « grand capital », une expression qui n’a plus de sens aujourd’hui où nous sommes loin des « Cent familles » de la propagande stalinienne des années 1930, les Gafam le montrent d’abondance, qui ont toujours été contre ce ringard de Trump, alors que Wall Street soutenait Hillary Clinton, représentante des fractions dominantes du capital. Dans le même ordre d’idée ton livre trace une victoire partout dans le monde des tendances anti-systémiques à la Trump alors que Biden fait du Keynes7, que la sociale-démocratie relève partout la tête et que les partis écologistes s’apprêtent à participer aux gouvernements dans divers pays. Trump, Orban, Bolsonaro et Modi ou un polonais ne font pas et ne sont pas le monde. Mais comme tu crois que nous sommes dans une tendance générale de crise et de « dépression » (p. 126) tu cherches partout des éléments qui pourraient reproduire les années 1930, alors que le contexte de globalisation et d’interdépendance est totalement différent des politiques nationales protectionnistes menées alors. La typologie de la sortie de crise sanitaire est d’ailleurs parlante à ce propos. Il y a tendance à la surchauffe États-Unis et Chine) et non pas dépression ; il y a accentuation de la mondialisation et non pas relocalisations souverainistes. Et les investissements d’aujourd’hui se font dans les nouvelles technologies et pas dans la sidérurgie base de l’industrie de guerre. La sidérurgie était nationale, les batteries et puces sont globales/mondiales d’où les interdépendances des puissances.
Tout cela sur la base d’une analyse économique qui voit de la « crise » partout sans jamais la définir Ainsi, tu parles d’une baisse du taux de profit, mais à partir de quel calcul ? La baisse tendancielle du taux de profit8 est de toute façon un des plus gros bobard de la critique marxiste de l’économie politique s’étant faite science économique marxiste contre son projet originel. Bientôt deux cent ans de tendance à la baisse du taux de profit tu te rends comptes de la baisse de la baisse que ça représente …. toujours compensée par la tendance à la prolifération et à la pérennité des contre tendances ! Ce n’est plus une référence, c’est de la religion. De la même façon tu parles de la tendance profonde à l’inflation (où tu confonds crédit, dette et inflation) là où la tendance profonde et structurelle est à la déflation même si la réponse des États et des banques centrales à la crise sanitaire a des effets pervers.
-Quand tu fais référence à la symbolique trumpienne de la communauté des américains, on peut y voir une résistance où le fruit d’une décomposition d’un État-nation qui n’a jamais vraiment été consolidé du fait du fédéralisme. De la même façon, tu ne peux rattacher les américains à une « communauté nationale » comme pouvait à la rigueur se l’imaginer les allemands sur la base de la théorie allemande de la nation chère à Fichte et Herder. Rien de tel aux États-Unis. Cela tire donc à hue et à dia parce qu’il n’y a pas véritablement d’histoire commune et de Volkgeist, par exemple entre le Nord et le Sud, entre la Californie postmoderne et le Texas prémoderne pour ne prendre que cet exemple (le capital progresse par englobement, mais ne dépasse rien). C’est peut être ce qui explique que Trump veuille revenir à une Amérique originelle comme tu le dis p. 88, mais cette communauté originelle si elle se veut certes blanche s’attaque surtout aux particularismes et identités minoritaires. Or là encore ton discours post-moderne sur les identités t’amène à faire se côtoyer comme ennemis de Trump tous ceux qu’ils désignent comme « anti-américains » et non comme non blancs. Les latino-américains qui votent contre l’avortement et contre les associations Lgbt sont-ils à ranger dans les « blancs » eux qui sont les grands oubliés des défenseurs des minorités ? Et ces mêmes associations Lgbt sont-elles essentiellement formées de « noirs » (ça se saurait !) ou bien de la fameuse classe moyenne blanche que tu dis fournir les troupes de Trump contre apparemment tous les sondages qui relativisent si ce n’est nient cette affirmation que tu énonces pourtant ? (p. 121).
À vrai dire, si tu me dis dans ta lettre que tu tires profit de la lecture de nos textes, indépendamment que tu ne nous cites jamais, j’avoue ne guère en voir de traces … À toi de m’éclairer si j’ai mal lu…
Pour Temps critiques, JW le 21 octobre 2021
- Hegel après Occupy, Divergences, 2020 et La contre révolution de Trump, Divergences, 2019 [↩]
- Pour avoir une idée de nos positions générales sur cette question tu peux te reporter à mon livre : Rapports à la nature, sexe, genre et capitalisme (Acratie, 2014). Mais pour serrer de plus près cette question on peut aussi se reporter à certains auteurs qui voient dans la mondialisation de la pensée critique leur américanisation et en fonction de cela, leur neutralisation politique (cf. par exemple, City of Quartz, Los Angelès ville du futur, La Découverte, 2000 et plus particulièrement le chapitre intitulé : « Les mercenaires », p. 70 et sq. [↩]
- JW, « De la souveraineté nationale à l’Empire, présentation et remarques critiques sur Empire » de Hardt et Negri, Exils, 2000 in Temps critiques n°13 (hiver 2003). [↩]
- Dans le monde anglo-saxon seul Loren Goldner, à ma connaissance, semble avoir cherché à dépasser la conception vulgaire du capital fictif comme « crédit à mort » (Jappe). Pour notre propre approche, cf : JG et JW : Capital fictif et crise financière (L’Harmattan, 2008) et la brochure de JW : Une énième diatribe contre la chrématistique (novembre 2011), disponible sur le site de la revue. [↩]
- Cf. notre brochure : « Pourquoi le communisme n’est-il plus qu’une référence historique pour les membres de Temps critiques » (mai 2019), disponible sur notre site. [↩]
- Cf. JW, Après la révolution du capital, L’Harmattan, 2007. [↩]
- J’avoue ne pas comprendre quelle mouche racialiste te pique quand tu parles du New Deal pour les « blancs » uniquement alors que les analyses de Keynes sur le circuit économique, le rapport investissement-consommation-épargne et le rôle de l’augmentation des bas salaires ne permet aucune analyse en ces termes. Tu oublies aussi complètement le mouvement d’accès à la propriété des noirs dans certains États du nord dans lesquels les noirs étaient déjà rentrés massivement dans les usines et villes industrielles, même si avant la guerre, c’était rarement à un poste à la production. Tu sembles réécrire l’histoire sur les bases d’une lecture rétrospective avec les lunettes postmodernes d’aujourd’hui. Je t’y oppose ce passage qui relativise le racisme structurel dont tu taxes le New Deal : « La population afro-américaine parut néanmoins peu réceptive aux arguments du candidat démocrate, et accorda plus de deux tiers de ses suffrages à Herbert Hoover, le président républicain sortant. Hoover ne devait toutefois ce soutien ni à son bilan, bien terne, à la tête du pays, ni à son intérêt, très limité, pour la cause noire, mais à une fidélité des électeurs noirs au Parti républicain qui remontait au Grand Émancipateur, Abraham Lincoln. Roosevelt pâtissait, a contrario, de la mauvaise image de son parti auprès de la population noire. Le Parti démocrate était en effet dominé par sa puissante faction sudiste, conservatrice et raciste, les dixiecrats, dont le candidat à la vice-présidence, John Nance Garner, était lui-même un représentant. La priorité de Roosevelt était de recouvrer la croissance économique, et parce qu’il avait pour cela besoin du soutien de son parti, il ne pouvait remettre en cause le statu quo racial en prenant des mesures en faveur des Noirs. Comment expliquer, dès lors, qu’à l’occasion du scrutin de mi-mandat de 1934, soit deux années seulement après l’élection de Roosevelt, l’électorat noir bascula de façon durable dans le camp démocrate ? Il convient de s’interroger sur les raisons qui amenèrent une majorité d’Afro-Américains à prendre parti pour le New Deal, en dépit du fait que la politique de Roosevelt n’était pas a priori destinée à leur venir en aide. En ces temps de crise économique, il semble que ce soient les aides apportées par le New Deal qui emportèrent l’adhésion de la population noire. Ainsi, si les Afro-Américains bénéficièrent du New Deal, c’est davantage en tant que catégorie socio-économique défavorisée qu’en tant que minorité raciale (Fabien Curie, Université de Strasbourg). Lors des élections de mi-mandat en 1934, la population noire des pôles industriels, qui était en mesure de voter, avait davantage bénéficié des mesures du New Deal, comme l’explique l’historienne Cheryl Lynn Greenberg, en prenant l’exemple de New York : Le New Deal contribua aussi à améliorer significativement la situation à Harlem. En dépit de ses limites, les Noirs profitèrent considérablement des programmes d’aides sociales. Les aides financières n’étaient peut-être pas aussi importantes qu’elles auraient pu l’être, ou aussi généreuses qu’elles l’étaient vis-à-vis des Blancs, mais elles empêchèrent néanmoins des milliers de personnes d’avoir faim ou d’être expulsées de chez elles. Dans le Sud, les Noirs américains purent s’appuyer sur une nouvelle entité créée en 1937, l’Agence de sécurité agricole (Farm Security Administration ou FSA). Il s’agissait pour le gouvernement d’acheter des terres, puis de les louer ou de les vendre à de petits exploitants agricoles. Grâce à des taux d’intérêt peu élevés, nombre de fermiers purent ainsi réhabiliter leurs terres, voire en acquérir de nouvelles. À la tête du FSA, Will Alexander, originaire du Sud, veilla à ne pas renouveler les erreurs de l’AAA en évitant toute discrimination à l’égard des fermiers noirs. L’Agence nationale pour la jeunesse (National Youth Administration ou NYA) avait pour objectif d’aider de jeunes Américains déscolarisés en leur offrant du travail. Il s’agissait, là encore, d’éviter les écueils passés en veillant à ce que les jeunes Afro-Américains soient aidés au même titre que les jeunes Blancs. Lors de l’élection présidentielle de 1936, Roosevelt remporta 70 % des votes dans certaines circonscriptions noires, et même 81 % à Harlem. À l’approche des élections présidentielles de 1940, la NAACP jugea son bilan « inégal » mais largement positif en comparaison avec d’autres : M. Roosevelt […] est parvenu à inclure les citoyens noirs dans presque toutes les phases du programme gouvernemental. À cet égard, peu importe qu’il soit loin d’atteindre l’idéal, car il devance de beaucoup n’importe quel autre président démocrate ainsi que les derniers présidents républicains. (The Crisis 47.11 : 343). Source : Fabien Curie, Roosevelt et les Afro-Américains :
une nouvelle donne ? [↩] - Sur ces points, cf. JG et JW : L’évanescence de la valeur, L’Harmattan, 2004. [↩]