D’une lutte de travailleurs précaires du point de vue syndical

En réponse à l’article de Gzavier intitulé Salariat et précarité : conditions et luttes du travailleur précaire, Catherine L. délégué SNASUB-FSU nous parle de l’ébauche de lutte de vacataires où elle a eu un rôle.


Ce qui est qualifié ici de « micro-lutte » me paraît en réalité révélateur des mécanismes à l’œuvre dans les divers combats quotidiens menés actuellement dans la fonction publique, et particulièrement dans l’enseignement supérieur qui est mon terrain d’exercice en tant que travailleuse et militante syndicale.

Dans l’exemple qui nous occupe, la mobilisation s’est cristallisée autour d’un ou deux individus seulement, déjà militants par ailleurs et rompus à l’exercice qui consiste à aller trouver les personnes concernées les unes après les autres, collecter les données, organiser des rencontres, alerter les autres collègues. Travail préparatoire indispensable sur lequel les représentants syndicaux se sont greffés ensuite avec la certitude de ne pas intervenir « à la place des agents concernés » mais bien « en soutien aux collègues mobilisés ». Situation, avouons-le, désormais assez rare, et qui constitue la condition sine qua non de la crédibilité d’une lutte appelée parfois, comme ce fut le cas ici, à durer plusieurs mois.

Cependant, l’aspect le plus exemplaire de cette lutte, de mon point de vue, réside dans la nature du bras de fer qui s’est engagé avec l’administration de l’université concernée. Dès les premiers échanges, cette dernière s’est retranchée derrière des arguments présentés comme imparables, de nature technique (« le logiciel ne permet pas de faire autrement ») et juridique (« le code du travail ne s’applique pas dans la fonction publique »). Dans les deux cas, ces arguments n’étaient ni recevables ni valables. Encore fallait-il être capable de le prouver. Là intervient alors l’intérêt du travail syndical en réseau qui, par contacts successifs et recours à des spécialistes, a permis de démonter les arguties qui nous étaient opposées et de brandir en toute connaissance de cause la menace d’un recours au tribunal administratif.

La dérive technocratique à l’œuvre jusque dans les services de GRH nous oblige, en tant que militants, à devenir nous aussi techniciens, juristes, informaticiens, pour pouvoir démonter les mécanismes de la manière scandaleuse, indigne et parfois illégale avec laquelle l’administration traite son personnel. La construction du rapport de force ne suffit pas. Ce n’est pas parce que la totalité des agents concernés était mobilisée, ni parce que les représentants syndicaux, installés, connus, élus dans les instances, leur ont emboîtés le pas, que la DRH a fini par céder. L’expertise du militant, formé, expérimenté est une nécessité sans laquelle nos actions ont tôt fait de tourner à la gesticulation stérile. Ce point est à souligner à l’heure où toute une génération de militants part à la retraite sans que la relève soit toujours perceptible.

Ce qui est en cause ici également est l’absente totale d’éthique professionnelle des responsables administratifs. Ce n’est que face à la menace d’un recours juridique que la Direction des Ressources Humaines a enfin daigné se pencher sérieusement sur le dossier et proposer une solution. Cette expérience, confortée par d’autres, manifeste une tendance lourde. Dans un récent dialogue autour de la souffrance au travail, c’est une psychologue cette fois qui établissait peu ou prou le même constat : face aux « âmes engourdies » qui exécutent leurs tâches sans conscience et face à la puissance des systèmes déshumanisés d’organisation du travail, c’est encore la Justice, avec son arsenal de lois et de jurisprudences, qui constitue l’un des derniers recours contre la destruction des individus et pour le respect de leurs droits1.

La « micro-lutte » dont il est question est évidemment modeste par son périmètre et par ses résultats. Pour ceux qui en furent partie prenante elle fut pourtant l’occasion d’affirmer, malgré l’extrême précarité à laquelle on voulait les réduire, la force du Droit et le nécessaire respect de leur dignité.

Catherine L.
SNASUB-FSU


Reprenons quelques éléments important,

alors que certains activistes dénoncent allègrement l’illégitimité des syndicalistes qui siègent dans des instances paritaires, la réponse que nous propose Catherine L. dément cette vision. Introduit dans ces instances cette collègue a bien représentée les intérêts des personnels même précaires pour qu’ils soient payés alors qu’ils n’avaient pas de représentation formelle. Par ailleurs, prolongeant une action de terrain et en lien avec son mandat elle a permis que s’expriment, in fine, les collègue salariés titulaires, avis divers qui peuvent être contradictoires avec une lutte en cours. Ce serait donc une erreur de concevoir les délégués syndicaux comme des « traîtres ». En fait, ils sont censés représenter l’ensemble des salariés qui n’ont pas de fonction véritable d’encadrement (la CGC exceptée). La conséquence en est qu’ils ne privilégient jamais les situations d’exception ou minoritaires. C’est pour cela qu’ils sont réticents à défendre catégoriellement les chômeurs et les précaires et qu’au niveau pratique ils sont amenés à s’opposer aux éléments radicaux souvent issus de ces catégories ou alors aux militants révolutionnaires qui privilégient les comportements avant-gardistes. Pour ces derniers, c’est la masse qui doit rejoindre l’avant-garde, le mouvement étant censé transcender des séparations hiérarchiques qui ne seraient dues qu’à la volonté capitaliste de diviser pour régner2 ; pour les syndicats, c’est l’inverse, on doit s’aligner sur les fractions les moins combatives afin de maintenir l’unité3.
Mais pour en revenir à notre déléguée, ce qui est intéressant dans sa position c’est qu’elle nous permet de comprendre non pas seulement ce que je viens d’énoncer et qui est vieux comme le mouvement ouvrier lui-même, mais aussi les nouvelles pratiques syndicales prônée ouvertement par la CFDT, pratique qui ne reposent plus essentiellement sur l’action des masses mais sur celles des « camarades experts ». Cette transformation de l’action syndicale est typique de la rupture du fil historique des luttes de classes. Les syndicats vont tendre de plus en plus à :

– conforter leur rôle institutionnel, ce qui est la spécialité de FO
– prendre acte de la décomposition de la classe sans tomber dans les corporatismes et donc prendre acte que les combats se mènent autrement, à partir de l’utilisation de tout l’arsenal juridique et légal à disposition. A cet égard il semble que tout ce qui a été répertorié dans la rubrique de « la souffrance au travail » a amené certains syndicats et syndicalistes à comprendre les limites de l’action collectives quand les attaques sont individuelles et de l’ordre du harcèlement.

C. Gzavier

  1. La souffrance au travail, conférence de Marie Pezé organisée par la Bibliothèque Municipale de Lyon le 9 avril 2013. []
  2. C’est là une croyance typiquement gauchiste qui ne comprend pas la dépendance réciproque entre le pôle travail et le pôle capital du rapport social capitaliste et aussi le fait que les valeurs du capitalisme (valeur-travail surtout ici) sont les choses les mieux partagées qui soient. []
  3. Cette divergence stratégique est apparue clairement pendant le « mai rampant italien » (1968-1973) pendant lequel les groupes Lotta Continua et Potere Operaio soutenaient une position « d’avant-garde de masse » axée sur la force contestatrice des « OS » alors que la CGIL (équivalent de la CGT) et le syndicat unifié de la métallurgie soutenaient une position de compromis de classe avec maintien de la hiérarchie ouvrière interne aux usines []

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