Quelques mots sur le consumérisme

Bruno S. a écrit le texte suivant après une réunion du réseau « soubis1 » sur la consommation au cours de laquelle le texte de J.Wajnsztejn Consommation et dynamique du capital a été discuté et critiqué par certaines personnes présentes :

Je souhaitais compléter le point suivant : rapport entre le développement de la société de consommation à partir des Trente glorieuses (voir avant les prémisses dans les années 1920) et l’aliénation du prolétariat à ce mode de vie.

Comme le précise Jacques W, c’est à partir du fordisme que les salariés ont été considérés comme de futurs clients.

L’avènement de la société de consommation a probablement pour source la production de masse qui a été mise en branle aux États-Unis à partir des années 1920 avec la montée du taylorisme. Suite au développement de la production de masse, il faut écouler tous ces produits qui arrivent sur le marché, ce qui sera une caractéristique du fordisme ; un fordisme qui se mettra en place progressivement, l’une des causes rarement évoquée de la crise des années 1930 se situant justement dans cet écart entre production de masse déjà atteinte aux États-Unis alors que la consommation de masse restait un processus en devenir, mais bloqué conjoncturellement par la politique d’austérité déflationniste menée par les autorités américaines au cours des années qui précède le New Deal. A partir de ce dernier, pour activer le processus de sortie de crise reposant sur les théories keynésiennes d’une relance par la demande, l’État va se faire providence (welfare state) et engendrer avec l’aide d’un secteur privé redevenu dynamique à partir des années 1940 « un mode de production consumériste » appuyé sur la publicité, les techniques de manipulation des individus. Par ailleurs, dès les années 30, la publicité aux États-Unis connaît un développement fulgurant. Elle présente un idéal abondanciste reposant sur une foi absolue en le progrès technique.

Le marketing est né en même temps que le travail à la chaîne et dans la même région le Middle West pour permettre l’adéquation entre production et consommation de masse.

La production automobile en grande série vient de Ford. Le fordisme a été le précurseur dans la création de services de sociologie industrielle pour contrôler les ouvriers.

Ce fordisme a crée les bases de l’américan way of life en conditionnant les individus aussi bien au travail (le travailleur échange l’augmentation de l’intensité du travail à laquelle il consent contre l’augmentation du pouvoir d’achat qui lui est distribué) que dans la vie quotidienne à travers des rôles sociaux ou familiaux restés très traditionnels. Les schémas et les rôles de la famille ont été utilisés «à « tout va » avec la femme perçu en tant que maîtresse de maison gestionnaire du foyer, le père réduit à des fonctions de pourvoyeurs de salaire et les enfants certes choyés mais encore considérés comme des personnes dépendantes ne remettant pas en cause le modèle familial patriarcal et autoritaire, bref l’unité de la famille. Aujourd’hui c’est tout autre chose, la société capitalisée se débarrasse de l’image de la famille passée et met en avant les désirs individuels d’une famille plus égalitaire, non seulement dans sa fonction de production (les femmes travaillent de plus en plus ce qu’on oublie trop souvent lorsque l’on parle uniquement en termes de salaires individuels et non de revenus disponibles des ménages), mais en tant que centre multidimensionnel de consommation.

Cette tendance présente dès les années 60 avec l’arrivée d’une mode »jeune » correspondant au développement sociologique et médiatique d’une catégorie d’âge intermédiaire va s’accentuer avec la révolution du capital post 68. Diverses techniques de marketing ont été crées pour impulser une consommation qui se fonde sur la production de marchandises « révolutionnaires »( en référence, on peut signaler une publicité qui présentait une nouvelle Citroën sur fond de muraille de Chine).

Avec la voiture s’ouvre l’ère du loisir. Avec la société de consommation, peu à peu on programme le temps libre pour en faire du temps pour la consommation. Désormais, les travailleurs ne sont plus perçus comme des producteurs de valeur d’usage mais aussi comme des consommateurs, c’est-à-dire des usagers du capital.

Ce processus est à relier là encore avec la part que la jeunesse prend dans cette dynamique. Elle représente le mieux cette situation objective d’une consommation qui dit et parfois dicte son désir sans répondre à des besoins précis puisqu’ils sont censés être illimités comme la production.

La croissance d’une production accrue de marchandises prévoyait un plan pour doter les masses d’un plus grand pouvoir d’achat afin qu’elles dépensent : l’État-providence et le fordisme lui donnèrent en maniant augmentation des salaires réels (avec « l’échelle mobile » par exemple) et mesures de redistribution visant à augmenter le revenu disponible.

En revendiquant son droit de consommer ou d’avoir accès à la consommation, le travailleur voyait ses aspirations rejoindre celles du capitaliste.

Le culte de la consommation progressivement s’apparentait au culte d’une civilisation. Une société serait civilisée à partir du moment où elle développerait des biens matériels ou des services immatériels qui deviennent utiles pour leur simple existence et peu importe si cette utilité est toute relative puisqu’elle s’accompagne de nuisances (industrielles, encombrement des routes, destruction des espaces et des villes). La consommation ou son accès est devenu le leitmotiv de la démocratie de marché. C’est l’américan way of life qui se transforme en universal way of life à travers mondialisation et globalisation.

La fascination envers les objets dit de luxe mis en évidence par Veblen sur la parodie de consommation que représente la consommation ostentatoire observée chez les élites de la haute sphère de la société, provoqua des émules à l’échelle des masses. On convoite des biens chers pour accéder à …une image ou une autre. On le voit aujourd’hui avec l’attraction des jeunes pour les marques.

Si après la seconde guerre mondiale, la télévision a été le support de diffusion idéologique de cette dite société de consommation, aujourd’hui, les NTIC et Internet, prennent le pas par rapport à cette dernière.

En guise de conclusion,

Il est certain que face à la désocialisation et à la perte du lien social, l’acte de consommation devient pour beaucoup un acte d’identification. Mais de quelle identité s’agit-il ? Baudrillard disait que la consommation est un mode actif de relation non seulement aux objets mais aussi à la collectivité. Il disait aussi qu’avec l’attrait pour la consommation, l’individu comme la société se sent exister. De quelle relation parle-t-on ! Il n’y a qu’à voir ce qu’ont produit les centres commerciaux gigantesques ressemblant à des villes où y règne un univers factice.

Quelle agrégation sociale !

Le marxisme établit une corrélation entre besoins/subsistance comme si le capital était seulement un mode de production sans être autre chose, sans être un mode civilisationnel qui aujourd’hui lie indissociablement production et consommation. Démocratisation et organisation de marché vont de pair parce qu’elles réalisent cette liaison. C’est avec le processus démocratique que tout le procès se met en branle. La démocratie de marché sous-entend aussi le mythe de l’abondance : production illimitée-consommation illimitée et pour tous.

L’éclosion du marché dans les pays émergents permet aux couches aisées de consommer comme ailleurs (les exemples du Brésil, de l’Inde et même de l’Indonésie nous le montrent alors que la Chine et la Russie connaissent des entraves multiples) parce que la massification est la première forme qu’y prend la démocratisation.

Si la consommation a été conspuée comme dit B., c’est aussi parce qu’elle est le symptôme d’un système basé sur la vénération de la marchandise et que tout a été mis en œuvre pour que l’on soit tenté par l’acquisition. À défaut de s’approprier les moyens de production on pense s’approprier les choses, une récupération de ce dont on a été dépossédé qui peut donner l’impression d’une désaliénation.

Bruno S.

Février 2013

  1. voir les billets liés : A partir du n°16 de Temps Critiques et Les transformations du procès de travail à l’ère de l’inessentialisation de la force de travail []

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