Correspondance suite à un texte sur l’antisémitisme de gauche

Courriel du 26 juillet 2014 :

Bonjour,

Je vous informe du texte d’Yves Coleman sur l’antisémitisme de gauche, écrit il y a trois mois et disponible sur mondialisme.org/spip.php?article2055 mais qui me semble particulièrement d’actualité depuis les dernières manifestations. Il est donc indispensable de lire ce texte avant de se plonger dans la correspondance qui suit. Cette correspondance concerne actuellement plusieurs personnes : Y.Coleman, Yolande, J.Guigou, Okapy et J.Wajnsztejn.

Bien à vous,
J.Wajnsztejn


Le 28/07/2014

Jacques, salut.

J’ai écris à Yves Coleman pour lui transmettre mes sentiments sur les récents événements en France. À la fois sur la question de l’antisémitisme (effectivement toujours nié à l’extrême gauche et chez les libertaires pour ce qu’il est) et sur la relative indifférence que suscite la répression du mouvement « pro-pal », dont il faut rappeler qu’il n’est pas « intrinsèquement » antisémite. Comment ne pas voir que le monde ne se résume pas à la région parisienne, et que de nombreuses manifestations partout en France n’ont pas été une seule fois le cas de violences ou d’agressions antisémites, mais que beaucoup portaient aussi simplement des messages de paix, la reconnaissance des bombardements de populations comme crimes de guerre, ou même simplement d’autres « revendications » sur des questions de « droits fondamentaux » qui si elles n’ont rien de révolutionnaires, n’en sont pas pour autant susceptibles d’être taxées d’antisémitisme.
(Voilà le contenu de ma lettre à YC) :

Je partage l’essentiel de ton texte, à deux très notables exceptions :

– Lorsque tu dis que seulement deux groupes se sont démarqués à ta connaissance de ces ambiguités ou de l’antisémitisme tel que dénoncé dans ce texte, je pense que tu as la mémoire courte ou alors que tu n’es vraiment pas bien renseigné. Même si tu ne les apprécies pas ou que tu peux formuler des critiques vers ces autres groupes ou publications (qui sont aussi le produit de groupes, même informels et/ou pas déclarés comme « groupes politiques » au sens traditionnel du terme) ça me semble dommage de ne pas les citer.

Je pense notamment, outre à NPNF / Y.C justement, à Non Fides et d’autres sites ou publications qui ont relayés leurs textes, qui se sont publiquement et notoirement démarqués de l’antisémitisme de gauche/extrême gauche/anar à plusieurs reprises, au point de s’attirer les foudres d’un peu tout le monde à certaines occasions (notamment pour leur texte « Nous ne les soutiendrons jamais » pendant la dernière guerre au Liban en 2008). Je pense aussi à des collectifs tel que LuftMenschen (qu’on peut clairement classer disons « autonome » et antifasciste) qui n’ont pas manqué de signaler publiquement et à plusieurs reprises les dérives ou simplement les traditions antisémites (entre survivances ou backlash judéophobes, « anticapitalistes romantiques », négationnistes) au sein de l’extrême-ultra-hyper-gauche et ses épigones « libertaires » ou anars. D’autres groupes francophones pourraient être cités, mais sont sans doutes « moins notoires ». Mais les deux groupes que je cite bénéficient d’une certaine « aura » et/ou d’un certain lectorat au sein de l’extrême gauche, des anars (in ou hors orgas) aussi bien que des autonomes (pour avoir été largement relayé par certains types de médias « alternatifs », de contre-informations ou autonomes). Donc, je pense qu’on ne peut pas les ignorer ou faire comme si ces divergences n’avaient pas existé. Ça donne un caractère désagréable au texte qui peut laisser planer l’impression que ces critiques seraient « chasse gardée », ce qui me semble contradictoire avec son objectif. Même si ce n’est pas volontaire, je pense que ça n’ajoute rien au texte. Au contraire. Pour info : http://luftmenschen.over-blog.com/

– La deuxième chose, sans doutes que la critique t’as déjà été formulée, c’est que je trouve très problématique de reprendre à son compte l’expression « arabo-musulman » qui me semble véritablement une construction politique aussi raciste que vaseuse (employée autant à profusions par tout les racistes anti-musulmans et anti-arabes que par les médias, etc.).
Même si je ne dis pas que c’est volontaire : c’est un fait. Le racisme et/ou la xénophobie participent aussi d’un processus de construction symbolique qui procède par généralisations abusives, et associations systématiques, notamment à partir de ce type de montage et de mots valises. Les pays « arabo-musulmans » sont d’une part de culture et de langue arabe, et d’autre part musulmans ou influencés par l’islam. Mais les deux ne vont pas forcément de paire. Les récentes révoltes au Maghreb et au Machrek, et la diversité des positions vis à vis de l’islam d’un pays à l’autre aussi bien qu’au sein d’un même pays, comme en Égypte (allant de l’athéisme le plus virulent à l’islamisme le plus autoritaire, le plus orthodoxe et le plus intégriste en passant par des positions mitigées) prouvent à elles seules l’impertinence de ce type d’expressions. Je pense qu’il faut faire preuve si on veut être crédibles ou simplement par soucis de rigueur, faire preuve vis à vis des arabes et de l’islam de la même nuance et des mêmes précautions que quand on aborde la question du sionisme et d’Israël d’une part, et des juifs dans leur immense diversité d’autre part.

Tu pourras toujours m’objecter que la comparaison est bancale ou mal venue, mais j’éprouve vis-à-vis de ce genre de montage la même réprobation que vis-à-vis de termes du style « judéo-maçonique » ou « américano-sioniste » (pour me limiter à ces deux exemples). Bref : Je pense qu’il est au mieux très maladroit de reprendre ce terme. Je t’épargne plus d’argumentaire, je pense que tu as saisi l’idée.

En espérant que tu ne le vois pas comme une attaque personnelle. Je trouve ça juste dommageable au reste du texte dont je partage le fond encore une fois : même les critiques vis à vis de la minimisation ou négation d’un antisémitisme spécifiquement musulman et/ou arabe, ou (pour le dire en d’autres termes) propre à la « culture » des pays arabes d’une part, ou à l’islam (ou certaines de ses interprétations) d’autre part.

Ce qu’il me semble aussi important de dénoncer : mais pas n’importe comment et pas en relayant le même genre de cliché que tu dénonce vis à vis de la religion, de la culture et du/des peuple(s) juif(s).

Je trouve aussi positif que tu notes d’autre part que cet antisémitisme « venu d’ailleurs » est lui aussi très influencé par un antisémitisme à la fois moderne et « bien de chez nous » : celui de la droite et de l’extrême droite « occidentale » quoi que plus spécifiquement française, voir tout simplement néo-nazie ou néo-fasciste (même si je serai presque tenté de retirer le terme « néo-« , tant on voit parfois mal ce que certaines positions ont de nouvelles, précisément).

J’irai même plus loin : l’actuelle remontée de l’antisémitisme se passe dans un cadre traditionnel typiquement français, et dont les plus puissantes influences (comme Céline pour Dieudionné) appartiennent à la littérature et à la culture française la plus chauvine, la plus morbide, la plus antisémite et la plus fasciste. Oserai-je dire, sous bien des travers : la plus typique. On peut relire pour ça les analyses que Claude Guillon fait sur Dieudonné. Un autre anarchiste qui n’a pas manqué de dénoncer l’antisémitisme de gauche ou même anar à de nombreuses reprises. Même s’il ne constitue pas un groupe à lui seul.

Ces théories antisémites (ici et ailleurs) se nourrissent bien sur réciproquement, mais il faut noter et rappeler quel est le cadre ici et maintenant : celui de la France de 2014. A bien des égards, je pense qu’on peut relire, mais pas de manière a-critique, les thèses de Zeev Sternhell sur le fascisme en France, tant elles sont éclairantes sur le sujet.

Et je pense aussi, pour être plus précis, qu’il est extrêmement important quand on aborde ces questions de briser de toutes ses forces la thèse d’un « nouvel antisémitisme », qui serait « d’importation », « exogène », « arabo-musulaman » justement, telle qu’elle est mise en avant et
matraquée avec force par des organisations « pro-sionistes » (même si je n’aime pas ce terme…) de droite ou d’extrême droite en France, et plus généralement par une large partie de l’extrême droite française : anti-musulmane, et plus généralement raciste. Je pense notamment au FN, dont le cœur berce, c’est selon, plutôt du coté de l’antisémitisme, plutôt du coté de la haine des musulmans et des personnes immigrées issues des anciennes colonies et d’ailleurs.

Voilà pour mes « bémoles », même si encore une fois je soutiens la démarche qui me semble noble en dépit des critiques que je formule.

Okapy.


Chers amis, je vous mets tous les deux en copie puisque Jacques m’a transmis ton mail… s’il s’agit bien de celui-là

Bonjour, cher « cri du dodo », merci de tes critiques et « compliments » .

D’habitude l’administrateur du site me transmet les messages, je suppose qu’il y a eu un problème informatique quelconque.

Pour te répondre brièvement, je n’ai pas cité les Luftmenschen et Non Fides (dont je reproduis les textes sur mondialisme.org et dans les numéros de la revue depuis des années y compris dans le numéro précédent et dans le prochain numéro !!!) parce que aucun des deux me semble être un groupe anarchiste ou d’extrême gauche ayant pignon sur rue. Je n’ai jamais vu de banderole d’aucun de ces groupes. Ils ne font pas de réunions publiques, pas de prosélytisme, n’ont pas même la dynamique d’un collectif visant à se transformer en organisation un jour, etc. Ils publient sur Internet, rayonnent dans un petit cercle affinitaire, mais ne s’intéressent pas du tout aux autres groupes anarchistes et d’extrême gauche, et je me suis toujours fait l’écho de leurs écrits dans la revue et sur le site.

Je suis prêt à publier tous les textes intéressants sur la question de l’antisémitisme de gauche, et il y en aura quelques-uns qu’on m’a envoyés depuis la parution de cet article jugé injuste par mes correspondants (mais pas du tout par Non Fides et les Luftmenschen !!) qui touchent un peu à la question, à mon avis par la bande mais bon c’est mieux que rien. Je ne prétends pas tout connaître. Mais la notion même d’antisémitisme de gauche ne me semble PAS DU TOUT être une notion qui fasse consensus chez les militants d’AL, de la CNT, de l’OCL, de la CGA, de LO et du NPA…. En tout cas je n’ai pas trouvé de texte allant dans ce sens. Plutôt des recensions dithyrambiques du livre de Michel Dreyfus qui justement défend la thèse qu’il y a parfois un antisémitisme à gauche (enfin pour lui surtout à l’ultragauche) mais jamais d’antisémitisme DE gauche.
Et récemment les communiqués d’AL, OCL, CNT, NPA ont tous trouvé le bouc émissaire idéal : les « soralo-dieudonnistes »…. Une telle mauvaise foi et une telle cécité sont navrantes.

De plus il faut lire les conneries voire les saloperies qui s’écrivent sur les listes de discussion, les blogs, etc., par des gens qui s’affirment anarchistes ou trotskistes. C’est à vomir. Et je te parle pas des discussions individuelles que j’ai pu avoir. Et pas simplement en France, dans d’autres pays et sur des listes dans d’autres langues, C’EST EXACTEMENT LE MEME ANTISEMITISME DE GAUCHE. Donc même si toutes les organisations anarchistes et trotskistes écrivaient de belles résolutions de congrès sur l’antisémitisme de gauche (résolutions inexistantes jusqu’à présent à ma connaissance), il y aurait un sacré boulot d’éducation politique et du ménage à faire à la base et chez les militants et sympathisants de ces groupes….

Il me semble que dans le fond de ta critique il y a l’idée qu’elle pourrait être récupérée par la droite ou l’extrême droite. C’était la même chose quand je critiquais l’URSS, Cuba, la pseudo révolution culturelle dans les années 60, et même Saddam Hussein en 2003 en distribuant des tracts dans les manif ce qui m’a valu beaucoup d’insultes, de menaces et quelques coups de poing. Il y a toujours des gens pour me dire « ce n’est pas le moment » ou « ta critique peut faire ou fait le jeu de l’ennemi ». Quand ce ne sont pas des accusations les plus fréquentes d’être un agent de la CIA, du Mossad, etc.

Il est impossible, en tout cas très difficile, de trouver une position politique qui soit irrécupérable par tel ou tel démagogue voire par tel ou tel État (cf. Lénine et le wagon plombé, un bel exemple de récupération par l’ennemi, non ?…). Donc je pense que la question est moins « la critique est-elle récupérable ? » (elle l’est presque toujours) que « peut-on discuter oui ou non de l’antisémitisme de gauche et en quels termes » ? Mais s’il n’existe pas en effet, nul besoin d’en discuter….
Pour les manifs, tu as raison, je n’ai pas d’infos sur les principales manifs en dehors de Paris et je ne cours pas à la pêche aux infos sur tous les sites locaux pour savoir quels étaient les slogans. Simplement j’aimerais savoir combien il y a eu en France de slogans et de bannières qui ne soient pas nationalistes (c’est à dire sans drapeaux palestiniens ou du Hamas, etc.) et avec des slogans et des banderoles qui fassent référence à une lutte commune entre travailleurs/exploités/individus opprimés (ce que tu veux) israéliens ET palestiniens. Si tu connais des slogans et des bannières en province qui aient tranché avec le « sionazisme » parisien (l’assimilation du sionisme au nazisme ou au fascisme) cela m’intéresse. Mais quand je vois les reportages et les photos sur le Net je n’ai pas l’impression qu’il y en ait eu beaucoup, même si on n’a pas fait la chasse aux commerçants juifs et aux synagogues dans toute la France. On n’en est pas là.

Quant à l’expression arabo-musulmans elle peut te gêner mais elle est utilisée par toutes sortes de spécialistes arabes ou européens qui n’ont rien de racistes. A commencer par l’institut du monde arabe que je suppose tu ne vas pas accuser de racisme, ou alors les mots n’ont plus aucun sens !!!

Je ne vois donc pas bien le rapport entre ce terme utilisé par de très nombreux savants et spécialistes des sciences sociales, par l’IMA qui est subventionné par les Etats… arabes, et les termes purement polémiques que tu cites comme américano-sionistes.

Amitiés
Yves


Le 31/07/2014

Jacques,

En revanche pour la Syrie il y avait bien des rassemblements. Quelques-uns avec un peu de monde au début la révolution. Les traditionnels gauchistes (la mouvance anarcho-trotskyste) et après moins. Il y a toujours des rassemblements type point info à Châtelet tenus occasionnellement par des réfugiés de Homs me semble-t-il. Il y a aussi en face les manifestations de fachos pro-Bachar ambiance dieudonnistes et soraliennes… qui disaient que c’était « les sionistes qui étaient derrière tout ça » (comme d’hab) ce qui est assez comique quand on sait que les « islamistes » (je n’aime pas ce terme dont je désapprouve l’usage politique même si la j’en vois pas d’autre) syriens sont financés par le Qatar.

Bref. Je vois ce que tu veux dire. Je sais bien qu’il y a une forte motivation populiste et antisémite derrière ces rassemblements même lorsqu’il n’y a pas passage à l’acte. Et néanmoins je suis revenu de la position « nous ne les soutiendrons jamais » si ça implique d’abandonner la question aux intégristes religieux, réacs, fascistes d’ici et ailleurs. Je pense qui faut pas verser dans des considérations simplistes.

Par exemple le texte « lettre ouverte aux manifestants pro-pal » signée par « des anarchistes » publié sur non Fides me blase. C’est une compilation de pétitions de principes qui ne convaincra pas les concernés et qui repose sur le présupposé selon lequel seul eux/elles sont les vrais qui ont participé à toutes les luttes. Je sais que des amis ou connaissances à moi qui participent habituellement aux autres luttes ont fait les premiers rassemblement et sont dégoûtés même si peu surpris par la situation actuelle. En ce qui me concerne j’ai porté autant d’intérêt aux autres luttes sur des questions internationalistes et d’impérialisme disons qui suscitent (c’est vrai) souvent l’indifférence parmi les camarades et compagnons anarchistes ou chez les « totos » comme on dit chez les militants, qui fuient souvent à la première contradiction sérieuse par rapport à leur « position sociale » ou leur corpus politique. J’ai participé à toutes les manifs de tamouls contre le génocide « anti-terroriste » au Sri Lanka, au mouvement de soutien à la révolte en Iran, etc. En 2009 avec des amis nous avions collecté de l’argent pour les AATW israéliens (anarchistes contre le mur) et je sais que c’est le cas de pas mal d’autres camarades qui s’intéresse à la question de la Palestine. Donc je ne me sens que peu concerné par ces critiques. Que je trouve importante, notamment à destination d’une certaine extrême gauche, mais qui peuvent friser la mauvaise foi si on en fait une généralité.

Ce qui est malhonnête et très tendance en ce moment -j’ai l’impression- (je parle de manière générale et pas pour toi ou Yves) c’est de faire comme si l’antisémitisme était un phénomène encore une fois d’importation ou le fait du mouvement pro-pal. Et je pense que c’est un travers dont il faut se méfier. Parce qu’en plus de soutenir des théories droitistes ça exonère les autres de leurs responsabilités dans l’actuelle poussée antisémite qui dure depuis déjà un moment. Même si on pense ce qu’on veut de la sociologie et des statistiques plusieurs classements ont élu la France deuxième pays le plus antisémite d’Europe après la Grèce. Ce qui semble malheureusement vraisemblable. L’extrême gauche à clairement ses responsabilité la dedans et je suis le premier à défendre l’idée que l’antisémitisme et le racisme sont pas propriété de l’extrême droite ou même de la droite. Mais je pense qu’il ne faut pas oublier un contexte plus général. Contexte antisémite que les antifascistes ne posent et n’interrogent pas dans leur immense majorité. La horde en tête.

Quand j’aurai un peu moins la flemme si ça vous intéresse je pourrai vous transmettre des choses sur les manifs type « jour de colère » et manifs pour tous/printemps français. A ce moment la déjà il y a une indifférence quasi-complète aussi bien dans les médias que dans L’E.G vis-à-vis de l’antisémitisme virulent qui s’y exprime.

Pas encore eu le temps de relire ton texte sur Nature et genre. Et je crois que j’aurai besoin de temps pour formuler un avis même si ça m’intéresse toujours.

Bref, salutations en dépit des divergences.

A+


Jacques,

A mon avis, le point 6 du texte de YC est le plus important :
La mise de côté de la Shoah.
Dans tous les groupes que j’ai rencontré, cela m’a apparu de façon massive : la 2eme guerre n’a fait qu’interrompre la 3eme Internationale, et les luttes ouvrières. Ils avaient hâte de retrouver leurs luttes !!! comme si l’ouvrier et le juif n’avaient aucune chance de coïncider dans un sujet.
De plus comme le terme juif, en tant qu’opérateur dans une pratique politique n’a aucune chance de pouvoir être défini de façon « raisonnable », alors autant l’éliminer.
Le mot n’est ici pas anodin : si vous vous définissez en tant que «  catégorie non intéressante », si on parle de classes, alors pourquoi pas parler des catho, des protestants, des musulmans, des sikhs, des hindouistes, etc… Cela était la position marxiste, qui se défendait : ces particularismes n’ont pas à entrer dans la lutte des classes et ne participent d’aucune façon au statut du travailleur.
C’est vrai, c’est indéniable ; la seule chose qu’on puisse dire c’est que désormais, la définition non-rationnelle du sujet est devenue LA revendication la plus commune et qui tend à remplacer tout positionnement et engagement politique pratique ( les grosses femmes, les homos, les queer, gender, 3, 4, 5eme sexe….les handicapés, moteurs, mentaux, les nés sous X, les « qui baisent pas  et à qui ça ne manquent pas ». Le sujet se définit, dans la mesure où il n’existe plus en tant que sujet collectif, par le plus petit particularisme qui le différencie, croit-il, d’un autre.

La mise de côté de la Shoah, cela, par contre, est un problème politique de taille et qui pose la question à tout gauchiste, de savoir s’il est capable de renoncer à un certain type de romantisme (changer le monde, la vie, etc…se donner une mission, un but, une forme d’espérance messianique). La plupart ne le veulent pas, consciemment ou pas, et cela se fait d’autant plus sentir que les conditions objectives de tout changement s’éloignent, disparaissent ( plus de ¨Peuple », plus de classe, plus de seuil critique, plus rien…). Ils répètent donc les récits anciens, comme si ceux-ci, par injonction, allaient pouvoir ressusciter ce qui une fois eut lieu.

Si on dit que le Juif, est celui qui est traître à lui-même, ne peut faire groupe, ne peut adhérer, là on commence déjà à sentir la force d’opposition, de répulsion que ce « nom juif » a suscité partout autour de lui.
Freud, qui amenait la peste brune : s’intéresser à l’insu, va foutre en l’air la puissance mentale et physique des (vrais) hommes
Einstein fout en l’air les données physiques qui nous assuraient que le monde était bien le monde et qu’il obéissait à des lois, certaines, établies- reproductibles.
La haine déchaînée par la physique moderne n’est rien par rapport aux états d’âme des gauchistes et autres – son négatif versant politico-culturel.
Le sème, c’est le sens, le signifiant, et dire que ce qui jusque là était observable, ne le sera plus, que les événements mentaux, physiques, sont non-connaissables, donc non-intelligibles, ( non mesurables et non reproductibles) cela à de quoi laisser pantois.

Ce qui est triste c’est bien entendu que le militant, le révolutionnaire, est incapable de supporter la simple idée, que des événements puissent advenir qui n’auraient pas été par lui, prévus, bref : qui ne découleraient pas en ligne directe de ses analyses théoriques.

Apprendre qu’on peut être inventif même et surtout quand on n’est pas dans un processus de maîtrise du monde ( savoir + pratique) cela ne va pas de soi.

Pour terminer et par rapport à ces jours-ci :
La shoah a été un événement qui est arrivé à l’humanité et pas seulement aux juifs, et qui dit : dans certaines situations, imprévisibles, extrêmes ou banales (droit accordé par l’État à tuer) vous serez le même qu’un nazi. Il est certain que cette donnée fout pas mal en l’air nos raisonnements coutumiers, resserrés autour d’une binarité qui nous protège de tout accident, imprévu dans la pensée : gauche/droite, bon/mauvais, etc.
A ce titre l’État d’Israël n’a pas le droit de s’approprier cet événement, et encore moins pour exterminer les palestiniens – en prétendant se défendre.
Il n’y a pas à mon avis d’antisémitisme en France – pas plus qu’ailleurs, et pas plus que n’importe quelle forme de phobie : contre les laids, les roux, les cons. On ne voit pas bien pourquoi la France devrait protéger les pauvres juifs ( de France !!! ils souffrent de quoi ???) bobard pour ne pas avoir à poser enfin le droit des palestiniens.

Parlez d’antisémitisme aujourd’hui, c’est déjà une façon de ne pas vouloir se préoccuper des palestiniens. C’est ce qu’a décidé le peuple israélien. Droite comme gauche, ils sont tous d’accord désormais pour aller jusqu’au bout :
Extermination de tous les palestiniens. Ils se sont arrangés pour que leur pensée ne puisse les mener qu’à ce bout-là.

Une info : je fais partie d’un groupe qui avait prévu de publier un texte dans la presse 10 jours avant que les 3 gamins soient enlevés, tout cela parce que des négociations étaient en cours, et qu’on se doutait bien qu’Israël allait tout faire pour les faire capoter.
La on peut dire qu’ils ont réussi !!!!
A propos du glissement de sens : pourquoi accuser les gauchistes, les musulmans, d’assimiler «  le nom juif » comme dit Badiou, à l’acceptation du sionisme ?
Pour quasiment tous les juifs c’est un fait inconditionnel, de même nature que ce qui faisait dire à Camus, entre ma mère et mon pays, je choisis ma mère.
Je me suis même trouvée face à un philosophe très connu, avec qui je pensais être amie, engagé et tout et tout, qui à ma grande stupeur, pensait que parce que j’étais juive je ne connaissais pas Mahmoud Darwich et que je ne m’intéressais pas au sort des palestiniens. Il ne savait pas non plus que l’ancien testament ne se lit pas, mais s’interprète. J’avais assez été choquée du fait. Quelqu’un aurait-il une idée de ce que le mot juif signifiait pour lui ??? Moi pas. Un de ses frères est mort à Auschwitz, en tant que communiste.

Si on peut être juif sans être croyant ni pratiquant, effectivement par rapport aux catégories de pensée occidentale, cela pose un problème.
Si ce n’est pas un être religieux, alors c’est quoi ? Génétique ? Biologique ? simplement affectif et traditionnel ?
Cette non possibilité de définition nuit forcément à tous ceux qui veulent créer du collectif autour d’un effet de connivence qui serait à un moment ou à un autre, non-questionnable.

Yolande F.


Le 31/07/2014

Yolande est toujours à la recherche du SUJET, d’un sujet identifiable et « raisonnablement » défini. Sa référence à la rhétorique nominaliste du lacanien Badiou sur « le nom-Juif » est emblématique de cette philosophie du SUJET. Dire que les réalités historiques et politiques relatives aux Juifs trouvent leur compréhension dans la charge sémantique du nom « Juif » (au singulier bien sûr) et situer cette compréhension dans la sphère symbolique relève de ce tour de passe passe discursif tellement entendu dans les années de reflux du mouvement de mai 68 : « ah, mais ça, c’est symbolique !» Lorsqu’un intellectuel ne comprend pas un phénomène, il dit « c’est symbolique… et ça doit le rester ».
Ce n’est pas parce qu’Einstein, Freud, Marx et quelques autres étaient d’origine juive que leurs « découvertes » ont créé de l’instabilité et de l’incertitude dans les idées dominantes de leurs époques ; dans les idées et dans les pratiques. L’importante littérature qui existe sur la judéité des théories de ces individus n’a jamais expliqué quoi que ce soit de la portée scientifique ou politique de leurs œuvres. De même, l’explication sociologique selon laquelle puisque les Juifs n’avaient pas accès à l’exploitation de la terre et à son économie, ils ont été plus nombreux dans les activités abstraites et donc financières, théologiques, administratives, etc. en conséquence de quoi, il y avait plus de probabilité de trouver des Juifs dans les activités de recherche, d’imagination, de prospective, etc. cette explication minimaliste n’est pas fausse, mais elle tourne vite à la tautologie.
Dans la première décennie de Temps critiques, nous avons pas plus de sujet collectif, de sujet historique porteur d’un bouleversement pour l’espèce humaine et son rapport à la nature. Il y a des subjectivités, multiples, particularisées, égogérées etc. qui tentent de se donner des « identités » : c’est la particule multi cartes et toute sa déclinaison d’attributs sans substance…

J.Guigou

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