Lettres autour du 13 novembre 2015

Suite aux attentats du 13 novembre 2015, vous trouverez dans ce billet des échanges auxquels participent des individus de la revue Temps Critiques, ou des proches. Les messages se suivent de manière logique et le billet a été actualisé pour la dernière fois le 8 décembre 2015.


Le 17/11/2015

Il s’agit d’un propos d’Erri de Luca que le journal Libération a publié le 15 novembre. Ici Il faut lancer l’alerte au niveau zéro de la société

Je viens de le lire : « il est évident qu’il ne s’agit pas d’un hoax et que l’intervention d’Erri des Luca est cohérente avec son actuelle position citoyenne, démocrate et antifa. Il propose l’organisation d’une défense citoyenne dans les quartiers pour neutraliser les terroristes et ainsi éviter ce qu’il nomme un risque de « militarisation » excessive de l’État et donc sa droitisation extrême. Les dispositifs stratégiques imaginés par l’ancien dirigeant du service d’ordre de Lotta continua refont surface mais converties pour un usage citoyen dans l’État de Droit »

Sans partager le propos d’Erri de Luca, le réduire un appel à la délation auprès de la police est un réflexe anarcho-gauchiste inepte ; il présuppose une guerre (de classe ?) entre deux ennemis, d’une part un Etat-policier et d’autre part des « révolutionnaires » qui le combattent. Où trouverait-on un collégien, même intoxiqué par le NPA, pour croire à cette fiction ?
JG


Le 18/11/2015

J’ai relevé la position de Erri de Luca parce qu’il y a une distance qui me semble incompréhensible entre l’appel à saboter un projet d’une envergure considérable, qui concerne de grosses entreprises privées et deux États (et de maintenir sa position en dépit d’une possible condamnation), et la position exprimée dans l’article de Libération. L’appel au sabotage d’une ligne TGV touchait au cœur même du système fluidique et il était donc peu susceptible, a priori, de mériter une quelconque indulgence. Il était donc éminemment louable.

Cela dit, je ne vois pas ce que la position exprimée dans l’article de Libération aurait « d’antifa » ou présupposerait seulement une guerre de classe entre peuple et État policier, comme l’écrit JG.

E de L affirme explicitement qu’un « réseau qui s’organise pour faire de la résistance d’en bas, des quartiers, est à la portée d’un président de gauche. »

Il envisage donc une incitation institutionnelle à sa constitution, ou pour le moins une attitude bienveillante de la part de l’État.

Il demande aussi à l’État une « garantie » que les informations seront exploitées par la police : « Il faut une grande mobilisation de cette responsabilité civile avec la garantie que les forces de l’ordre créeront un réseau pour exploiter les informations qui remontent. »

C’est au fond une reprise du programme des « comités de vigilance » que l’État s’efforce de mettre en place depuis longtemps, bien avant les récents événements, avec des initiatives du type « voisins vigilants » (voir par exemple la circulaire Guéant de 2011 – http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2011/06/cir_33332.pdf) et des « citoyens référents » qui assument un rôle semi-officiel d’auxiliaires de police bénévoles et participent parfois à des « rondes » avec cette dernière. Ces organismes de vigilance ont principalement pour mission de protéger les biens et propriétés (là où les classes moyennes ne se sont pas encore refugiées dans des résidences-casernes clôturées et sécurisées). Mais leur tâche s’étend évidemment au-delà de la lutte contre la « délinquance d’appropriation » (quelle invention !) et prend dans certaines zones l’aspect d’une surveillance ethnique (Arabes, Roms, Noirs, etc.) ou sociale (SDF, marginaux, migrants, chômeurs…), bref des « populations à risque » ou des « terroristes » potentiels.

Tout cela est archiconnu et E de L ne cherche pas à s’en démarquer d’un iota. A-t-il vraiment dit tout cela en ces termes ? Ce n’est pas un texte écrit de sa main qui a été publié, mais des propos rapportés et on sait combien les journalistes entendent leurs interlocuteurs à travers leur propre inconscient. En tout cas, E de L n’a pas démenti.

La question n’est pas sans importance et je crois qu’il ne faut pas prendre à la légère les scenarii possibles dans ce domaine, comme ceux qu’envisage Yves.

Si nous sommes témoin d’un fait grave qui met notre vie en danger ou celle d’autrui, que ce soit en étant confronté à un terroriste prêt à passer à l’acte ou à un policier brutal, ou même dans des circonstances plus anodines, à des attitudes sadiques à l’égard d’êtres vivants ou de simples nuisances, il est conseillé de réagir pour tenter au moins de conserver son équilibre psychique. D’agir en premier lieu, par la persuasion ou par l’action individuelle ou collective, si c’est possible. Mais il peut aussi s’avérer nécessaire, à moins d’être masochiste, de « collaborer » avec la police. Or il y a, je crois, une différence notable entre une attitude de soumission individuelle aux mécanismes légaux, voire répressifs, et une préconisation sociale ou une tentative d’institutionnalisation de cette obéissance, surtout dans un domaine aussi grave que le terrorisme. C’est cette limite qu’à mes yeux franchit malheureusement le texte d’E de L.

Bernard Pasobrola


Le 18/11/2015

J’ai lu l’intervention d’Erri de Luca. Il me semble qu’il y a une marge entre :

– appeler à une mobilisation locale pour disons discuter au maximum avec les éléments qui se radicalisent tant qu’ils n’ont pas d’armes… Croire en la force de la parole, voire de la solidarité vis à vis de personnes qui s’enferment dans une idéologie mortifère, c’est effectivement une position juste même si j’ignore si elle peut être efficace

– et demander aux flics de faire leur travail (y compris de risquer leur peau pour arrêter ces djihadistes à partir du moment où ils ont des armes chez eux).

Dans le 2e cas (on a affaire à des individus dont on subodore qu’ils sont armés et prêts à tuer), le choix est

– on la ferme et on attend la catastrophe

– on les dénonce par lettre anonyme

– on contacte les flics soi-même (notamment les amis ou la famille proche font cette démarche)

Erri de Luca parle explicitement d’une division du travail et d’une coopération entre d’un côté la gauche et les services de police. Ce n’est pas être anarchogauchiste que de le dire. Après on peut considérer que tant que « les masses », « le prolétariat », le « peuple révolté », « les individus en quête d’une communauté universelle égalitaire » (rayez la mention inutile) n’a pas les armes et n’est pas capable de faire le boulot des flics face à des individus voire des groupes armés, on doit rappeler aux flics qu’ils doivent faire le boulot pour lequel ils sont payés et risquer leur vie pour nous (ne jamais oublier cette deuxième partie car elle conditionne beaucoup de choses…).

On peut tenir ce discours-là, mais il faut être encore plus clair que l’est Erri de Luca dans ce texte…. C’est admettre que la police et l’État sont là, entre autres, pour protéger les citoyens et que nous voulons qu’ils fassent cette partie de leur travail et pas l’autre partie (réprimer les grèves ou les manifestations, voire soutenir tel ou tel régime autoritaire). Cette gymnastique complexe est celle de tous les courants réformistes depuis des décennies.

Rien de vraiment neuf… Mais peut-être peut-on moderniser ce discours ?

Je crois qu’il ne faut critiquer radicalement personne tant qu’il ou elle n’explicite pas totalement sa pensée et nous en explique toutes les conséquences pratiques. C’est le sujet de ma discussion avec Patsy qui paraîtra dans quelques jours certainement modifiée avec sa réponse et ensuite ma réponse. Je pense qu’il est sain de discuter sereinement de ce que veut dire aujourd’hui être « révolutionnaire », « radical », « anticapitaliste » (encore une fois rayez la mention inutile) et de nos rapports avec l’Etat et les forces de répression.

Les réformistes ont depuis longtemps résolu le problème puisqu’ils pensent qu’une police républicaine, propre et efficace, est possible de même qu’une armée républicaine…

A nous de clarifier nos idées.
Y.Coleman


Le 23/11/2015

Différence avec Charlie et super-casher : c’est une attaque contre l’État français même si des lieux et mode de vie sont aussi des objectifs de l’opération. En conséquence de quoi, la réponse est beaucoup plus une réponse d’État qui a tout de suite pris la mesure des choses et a de fait empêché tout autre sorte de réponse, du type, par exemple, de celle des 6-7 janvier, essentiellement spontanée à l’origine.

Pour Charlie, de notre point de vue, le danger n’était pas celui de la reconstitution de la communauté nationale, mais au contraire celui d’un fractionnement de la population par rapport aux positions universalistes (les anti-Charlie sous toutes leurs formes). Ce n’est plus le cas aujourd’hui où il n’y a même pas besoin de décréter l’unité nationale pour qu’elle se réalise. Mais attention cette unité des populations se fait sur le territoire national et concerne des personnes de toutes nationalités comme le montrent les statistiques des décès. C’est donc plutôt l’unité des populations civiles en Europe et ailleurs dont il s’agit, à preuve la solidarité qui se manifeste dans les autres pays souvent de façon assez spontanée (voir ton idée de « mode de vie » commun). Cette unité inclut donc aussi ceux qu’on appelle « les musulmans ». En effet, si certains d’entre eux et même nombre d’entre eux peut-on se risquer ne se retrouvaient pas, et pour plusieurs raisons, dans le « nous sommes tous Charlie », ils se retrouvent bien dans le « nous sommes tous contre les terroristes » islamistes … qui n’ont rien à voir avec l’Islam. Ce sont des monstres. Non seulement c’est jugé indiscutable mais ce n’est pas considéré comme discutable. Et les voix qui s’élèvent pour chercher quelques explications du type : là-dessous se cachent la misère et une sorte de guerre sociale diffuse, sont beaucoup moins nombreuses qu’au moment de Charlie. Comme disait Victor Hugo : « Car l’explication finit par ressembler / à l’indulgence affreuse et cela fait trembler ».

Sur ce point, on peut dire que l’EI est en échec. Comme tous les actes purement terroristes, c-à-d visant à terroriser plutôt qu’à appuyer de façon violente un mouvement de masse, le 13 novembre est un échec politique dans le champ du pouvoir (dans lequel se situe l’EI — ce ne sont pas des dominés) même si c’est une victoire symbolique puisque « ça a fait mal ». C’était déjà le cas d’Al Quaida le 11 septembre. Mais c’est un échec aussi, pour « notre camp » parce que la réponse de l’État apparaît comme la seule réponse possible ou pouvant être proportionnelle à l’attaque. La marge de manoeuvre est alors étroite. Certains vont braver les interdictions de manifester comme au cours de la manifestation du 22 nov à Paris en faveur des migrants mais ce n’est pas une riposte à ce qui vient de se passer, c’est seulement une résistance à l’état d’urgence et à la limite une dénonciation de sa légitimité. Certes, on peut juger cette réponse de l’État disproportionnée mais qui mesurera les proportions ? et quelle position par rapport à l’État en l’état actuel des choses ? Est-ce bien approprié de parler aujourd’hui d’État policier comme l’ont fait certains participants à cette manif qui s’est transformée en manif anti état d’urgence ? Toujours les vieux réflexes gauchistes déjà faux à l’époque de Marcellin il y a quarante cinq ans durant laquelle la présence policière était d’ailleurs bien supérieure à celle d’aujourd’hui.

D’autres vont faire comme de Luca . Je reviens sur sa prise de position. Il me semble coincé par ses références implicites à l’Italie des années 70 alors justement qu’on n’y est plus dans cette période. Pour être plus précis, on ne peut reproduire aujourd’hui l’équivalent du « Ni avec l’État ni avec les BR » qui était sa position à l’époque et d’ailleurs celle de la majorité du mouvement autonome italien. C’est que le « terrorisme » des BR était non seulement ciblé mais il accompagnait les actions de masse et elles étaient parfois même mandatées (quoiqu’on en ait pensé à l’époque et quoi qu’on en pense rétrospectivement) par les ouvriers (par exemple pour les jambisations des chefs). Or là, il n’y a pas chez les groupes islamistes radicaux la moindre filiation, même dévoyée, léniniste ou même stalinienne, avec une perspective révolutionnaire ou d’émancipation. Il n’y a pas d’autre terme à l’alternative; il ne reste que l’État ! C’est comme si, du fait des actes proférés par des terroristes islamistes, était abolie toute distance entre une société civile dont Erri de Luca semble reconnaître encore l’existence (d’où sa position citoyenniste) et l’État.

Par rapport à l’étonnement de BP dans une lettre précédente sur la position de de Luca, le citoyennisme n’est ni le mal ni le bien mais une incompréhension de ce qu’est la société capitalisée dans laquelle il ne peut y avoir de société civile. Cette absence d’autonomie possible fait tout d’abord que la démarche du citoyen au sens de la révolution française n’est plus possible et surtout que le citoyennisme est un pragmatisme politique qui évolue au fil de l’eau. De Luca est citoyenniste contre l’État italien et l’État français pour le TGV Lyon-Turin et citoyenniste pour l’État français dans le cadre du 13 novembre.

Pour terminer pour aujourd’hui, le fondamentalisme religieux islamique est bel et bien religieux. Il n’est pas une nouvelle forme de fascisme ni une nouvelle forme d’extrémisme politique. Il est donc faux de penser qu’on pourrait lui substituer n’importe quelle idéologie (cf. déclaration d’Akhenaton le chanteur de rap qui compare le djihadiste de banlieue d’aujourd’hui à l’autonome d’AD d’hier) qui donnerait les mêmes résultats. Il ne peut donc être rabattu sur le social ou l’économique, une fâcheuse habitude de la gauche, sans gommer sa spécificité. Pour se garder un peu d’optimisme et faire un peu bondir aussi BP, il n’est pas dans « le sens de l’histoire » et il ne faut donc pas lui accorder trop d’importance. C’est dur à court terme, mais il est aussi le fruit du triomphe de la mondialisation et de la néo-modernité. Il ne peut donc à proprement parler représenter une résistance à leurs développements. Si le cœur du capitalisme réussit à continuer à battre (ce qui n’est jamais sûr), ils seront balayés parce qu’on a pas à faire à un « choc entre civilisations ». Si on veut parler en ces termes là, on peut alors dire que l’occident a plus que jamais gagné.

J.Wajnsztejn


Le 26/11/2015

Jacques,

Juste quelques remarques (sans doute encore trop vagues et imprécises) sur seulement un point, pour le moment. Tu écris que les « fondamentalismes religieux sont bel et bien religieux » et qu’ « ils ne sont pas dans « le sens de l’histoire » et il ne faut donc pas leur accorder trop d’importance. […] Si le cœur du capitalisme réussit à continuer à battre (ce qui n’est jamais sûr), ils seront balayés parce qu’on a pas à faire à un « choc entre civilisations ». Si on veut parler en ces termes là, on peut alors dire que l ‘occident a plus que jamais gagné. »

Rien n’est moins sûr à mon avis.

1) Nous ne sommes pas confrontés à une forme pure de fondamentalisme religieux, mais à un fondamentalisme doublé d’une politique de conquête. Les groupes comme Daech s’appuient sur la religion en soi, et aussi sur les oppositions entre courants religieux, pour mener une politique d’extension territoriale, de rapine, de domination violente et d’extorsion – ce qu’ont toujours fait les armées mercenaires en envahissant un territoire –, sans pouvoir ni vraisemblablement vouloir créer un semblant d’État, parce que la légitimité « civile » ne les intéresse pas. Mais c’est justement cette absence d’État qui montre la puissance encore réelle des institutions – en particulier religieuse et familiale – parmi les populations vivant dans ces territoires. Et comme je ne partage pas votre vision étatiste de l’institution, je dirai que ces régions sont capables de survivre sans État, puisque les institutions (au sens anthropologique du terme) sont le véritable fondement de toute société, avec ou sans État. J’ajoute que dans ces régions structurellement réfractaires à la forme étatique de type occidental, cette dernière n’a réussi à s’imposer que sous forme de dictature, sans détruire les pouvoirs claniques ou lignagers, et même au besoin en s’appuyant sur eux. Ce qui est masqué chez nous parce que secondarisé par le « politique », à savoir la puissance des institutions non directement politiques (cultures, mœurs, religions, croyances en général), est suffisant là-bas pour permettre à la société d’exister et empêcher qu’elle ne dégénère, même dans une situation de violence et d’oppression, par une dissociation excessive de ses liens. C’est en s’appuyant sur ces institutions et en voulant les « purifier » que les islamistes ont gagné en autorité, en plus de l’usage de la force et de la richesse.

2) Ne sous-estimons pas ceux qu’on appelle avec mépris « les barbares » et souvenons-nous de cette observation de Braudel : « Quand les civilisations perdent ou semblent perdre, le vainqueur est toujours un “barbare”. C’est façon de parler. Pour un Grec, est barbare quiconque n’est pas Grec ; pour un Chinois, quiconque n’est pas Chinois ; et ç’a été la grande excuse de la colonisation européenne, hier, que de porter la « civilisation » aux barbares et aux primitifs. Bien sûr, ce sont les civilisés qui ont fait au barbare une réputation qu’il ne mérite, au mieux, qu’à moitié. […] Mais ce qu’il faut réviser, à coup sûr, c’est le mythe de la force barbare. Chaque fois que le barbare triomphe, c’est qu’il est déjà plus qu’à demi civilisé. Toujours, il a fait longuement antichambre et avant de pénétrer dans la maison, frappé dix fois pour une à la porte. Il s’est, sinon à la perfection, du moins sérieusement frotté à la civilisation du voisin. » (Civilisation matérielle… TI, p 96)

Rien n’est donc joué parce qu’ils connaissent bien la vulnérabilité croissante de nos institutions « laïques », de notre religion laïque, et savent que l’occident n’a pas grand chose à opposer à leur fanatisme religieux (de même qu’à la foi sincère des populations musulmanes) qu’eux, ces « barbares », n’aient déjà. La forme régressive que prend la riposte de la doxa occidentale – défense de notre « style de vie », celui-là même qui asphyxie la planète, la bonne blague… – et le resserrement quasi unanime autour des institutions politico-culturelles traditionnelles (État, famille, police et armée, cérémoniels de toute sortes et même le drapeau et la Tour Eiffel…) sont une preuve réelle de la faiblesse de nos institutions –desséchées mais non « résorbées » – et de leur caractère muséal. Là, « chez nous » peut-être autant que « chez eux », on assiste à une crispation identitaire et à un contre-courant historique inquiétants.

Bernard


Le 27/11/2015

Bonjour,

Une remarque à propos de cet extrait du message de Bernard

« Mais c’est justement cette absence d’État qui montre la puissance encore réelle des institutions – en particulier religieuse et familiale – parmi les populations vivant dans ces territoires. Et comme je ne partage pas votre vision étatiste de l’institution, je dirai que ces régions sont capables de survivre sans État, puisque les institutions (au sens anthropologique du terme) sont le véritable fondement de toute société, avec ou sans État. J’ajoute que dans ces régions structurellement réfractaires à la forme étatique de type occidental, cette dernière n’a réussi à s’imposer que sous forme de dictature, sans détruire les pouvoirs claniques ou lignagers, et même au besoin en s’appuyant sur eux. Ce qui est masqué chez nous parce que secondarisé par le « politique », à savoir la puissance des institutions non directement politiques (cultures, mœurs, religions, croyances en général), est suffisant là-bas pour permettre à la société d’exister et empêcher qu’elle ne dégénère, même dans une situation de violence et d’oppression, par une dissociation excessive de ses liens. C’est en s’appuyant sur ces institutions et en voulant les « purifier » que les islamistes ont gagné en autorité, en plus de l’usage de la force et de la richesse. »

Ce que nous avons écrit sur « l’institution résorbée » ne relève pas d’une conception « étatiste » de l’institution. C’est une tentative pour rendre compte de l’affaiblissement des médiations historiques de l’Etat-nation et de leur résorption dans « une gestion des intermédiaires » c-a-d dans l’État-réseau. Il s’agit de caractériser les institutions comme des médiations qui modèlent les rapports sociaux ; médiations qui courbent les finalités et les normes collectives en les rapportant à la forme État.

Notre effort théorique s’écarte nettement des conceptions culturalistes et anthropologiques de l’institution qui, justement, occultent les déterminations étatiques des institutions. Cette conception culturaliste (et souvent organiciste) de l’institution est très répandue dans les divers courants de l’ethnologie européenne mais c’est l’anthropologie culturelle anglo-saxonne (Boas, Mead, etc.) qui lui a donné ses fondements et ses références « de terrain ». Un « terrain », celui des « sociétés primitives » qui a totalement disparu aujourd’hui mais qui fonctionne toujours comme un mythe fondateur du culturalisme. En évacuant la détermination politique et donc étatique de l’institution, le culturalisme a recours à des métaphores et des approximations pour la définir. C’est par exemple le cas de BP qui qualifie les institutions actuelles de « desséchées » ou encore de « muséales ». Mais il ne dit pas comment et pourquoi les institutions se seraient desséchées ; présuppose-t-il qu’elles pourraient trouver leur vitalité après … une bonne pluie ?

A propos de l’EI cette définition culturaliste et organiciste des institutions montre ses limites. La culture, les moeurs, la religion ne sont pas « les liens qui empêchent la société de dégénérer » car, là-bas, il n’y a plus de « société » ; il y a une communauté despotique qui oriente et finalise toutes les formes sociales préexistantes. La puissance (relative et multipolaire) de l’EI opère en captant les relations tribales, économiques, religieuses et en les enveloppant dans une organisation de type mafieux.

Dans les territoires conquis par l’EI, il n’y a pas d’un côté des cultures, des moeurs, des croyances préexistantes et d’un autre une puissance qui, selon l’idéologie djihadiste viendrait les « purifier ». Il y a une seul et même mouvement de décompositions des rapports sociaux antérieurs et de recomposition de ce que je persiste à nommer une communauté despotique.

Bref, évacuer de l’analyse la question de l’État et la question du rapport individu/communauté conduit à des méprises sur la situation présente.

JG


Le 27/11/2015

Jacques,

Évite, s’il te plaît, ce type d’ironie scolaire comme celle que t’inspire le mot « desséchées ». Si on commence à décortiquer les métaphores des uns et des autres…

Desséchée veut tout simplement dire rationalisées au sens wébérien.

Mais sur l’origine (culturaliste selon toi) de la conception anthropologique de l’institution, tu es dans l’erreur. Car elle est fondée sur l’acception à la fois classique et moderne du concept, celle qu’emploient Cicéron ou Bossuet, Condillac ou Rousseau, Condorcet ou Saint-Just, au sens de création humaine par opposition à ce qui est « de nature ». Conception que Durkheim (et Mauss à sa suite) a formalisée ainsi : « toutes les croyances et tous les modes de conduite institués par la collectivité », écrit Durkheim qui se réfère à Montesquieu (Défense de l’esprit des lois) : « cet ouvrage a pour objet les lois, les coutumes et les divers usages de tous les peuples de la terre. On peut dire que le sujet en est immense, puisqu’il embrasse toutes les institutions qui sont reçues parmi les hommes ».

Rares sont les auteurs comme Machiavel qui ne considèrent l’institution que sous son angle politique, évacuant tout le reste, conception que je qualifie d’étatiste.

Donc lorsque tu écris : « La puissance (relative et multipolaire) de l’EI opère en captant les relations tribales, économiques, religieuses et en les enveloppant dans une organisation de type mafieux », tu expliques, loin d’infirmer mon raisonnement, comment le politique capte l’institutionnel, que ce soit au nom de la « purification » comme le cas cité, ou, plus près d’ici, de « nos libertés, symboles et mode de vie » etc.

Sur la question du rapport individu/communauté, nous ne sommes pas d’accord sur le sens de ces mots. S’il y a opposition irréductible, c’est entre psyché et société et non entre individu (ou communauté) et société puisqu’il s’agit dans ce dernier cas d’un même processus. On aura probablement l’occasion d’y revenir.

Bernard


Le 25/11/2015

Bernard,

J’attire votre attention sur l’article d’Olivier Roy dans Le Monde daté du mercredi 25 (http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/11/24/le-djihadisme-une-revolte-generationnelle-et-nihiliste_4815992_3232.html?). Roy, spécialiste de l’Islam y prend clairement position contre ce qui serait les deux interprétations dominantes à propos des attentats, la culturaliste d’abord (le choc des civilisations et le musulman inintégrable) la post-coloniale ensuite qu’il appelle « tiers-mondiste ». Mais cette critique justifiée est avancée pour mieux défendre la religion en général et l’Islam en particulier (Daech et le Califat là non plus, pour lui, ce n’est pas l’Islam). Il ne s’agirait donc pas d’une radicalisation de l’Islam mais « d’une islamisation de la radicalité » sous-tendue par un conflit générationnel. En cela il rejoint Akhenaton que je citais dans ma lettre précédente qui comparait les djihadistes européens aux membres de la fraction armée rouge allemande (RAF). Il s’embourbe alors, quand il lui faut expliquer les raisons communes qui verraient des jeunes musulmans et des jeunes convertis se rejoindre dans un même combat « nihiliste ». En réalité, il n’y en a pas d’autres que celles d’habiter dans le même quartier ou d’avoir les mêmes fréquentations y compris en prison et de rechercher la même puissance dans le fait de « terroriser ». Sur ce que Roy appelle « le marché de la révolte radicale », rejoindre Daech ce serait aujourd’hui « la certitude de terroriser ». L’explication est psychologisante (ce sont des terroristes sans « cause » animés par la haine de soi) mais finalement n’explique rien puisque si tout l’article s’est évertué à montrer la continuité de ce terrorisme que Daech existe ou non, c’est pour aboutir, à la fin, à l’idée qu’ils ont besoin de Daech comme référence comme si ce n’était qu’une référence et pas seulement de l’argent, des armes, une logistique, des puissances (islamistes) du Golfe etc.

JW


Le 26/11/2015

C’est ce même Roy dont j’ai lu les propos dans l’Obs il y a quelques jours.

Malgré son aspect schématique, son analyse ici résumée ne me paraît pas invraisemblable.

Bernard


Le 26/11/2015

PS 1 : le titre de l’article de Roy est : Le djihadisme est une révolte nihiliste

PS 2 : Le fait que Roy utilise le terme de « révolte » m’a fait retourner à la 4 de couv de mon livre Individu, révolte et terrorisme (1987) qui commence par : « La société fait peser sur l’individu atomisé une violence telle que celui-ci lui la renvoie dans un langage spontanément terroriste : ‘Je vais lui mettre une bombe ! »; « Je vais en flinguer deux ou trois ! ». Or cette violence reste la plupart du temps intériorisée et ne s’exprime que dans des rapports quotidiens d’agressivité et des manifestations d’autodestruction. Quand elle s’extériorise elle est révolte contre la société et prend la forme de la délinquance et du terrorisme ».

À la réflexion, ce n’est pas si loin de ce que dit Roy. Mais ce qui a changé aujourd’hui c’est que les racines de fixation de la lutte armée ou du terrorisme des années 1960 jusqu’à la fin des années 70 étaient la nation (IRA et ETA plus les organisations palestiniennes et arméniennes) ou le prolétariat et le mouvement révolutionnaire anticapitaliste c-à-dire le rattachement à des idéologies supposée à la base d’une émancipation particulière ou générale (qu’on ait pu les critiquer est un autre problème) et non à la base d’une restauration (religieuse) ou au service d’une puissance agissant contre d’autres puissances (la thèse complotiste). Comme le dit bien cette fois Roy, aucun des djihadistes connus ou autoproclamés n’a participé à un mouvement politique ou armée en soutien à la lutte palestinienne.

JW


Le 26/11/2015

Je crains que le terme de nihilisme ne soit pas beaucoup plus parlant que ceux de barbares, de terroristes, de totalitaire, etc. Sauf à développer et à spécifier en quoi ce nihilisme là est différent des autres…

Il y a un immense travail théorique à faire si l’on ne veut pas répéter toujours les mêmes choses à propos de réalités sociales, politiques et culturelles totalement différentes des réalités occidentales et que nous connaissons mal.

Deux Iraniens marxistes (issus de la mouvance du PCOI mais maintenant au CPGB du moins pour l’un d’entre eux) avaient écrit un article pas mal (à part la traduction de secular par séculaire au lieu de séculier ou laïque) qui a été traduit engrande partie dans Carré rouge en 2006. Je vais le mettre sur le site mondialisme en corrigeant le malheureux « séculaire » mais en attendant vous pouvez le lire ici (corriger juste le séculaire !)

http://www.carre-rouge.org/IMG/pdf/LIBAN_Mise_en_page_1.pdf

Ils expliquent bien notamment les effets désagrégateurs de l’islamisme au niveau social et psychologique en Iran et leur analyse est sans doute utile pour d’autres pays et d’autres situations où le mouvement islamiste introduit toutes sortes de clivages religieux/sociaux/moraux et pourrit tous les combats….

C’est marrant mais en lisant ce que les auteurs disent des effets désagrégateurs de l’islam politique j’ai pensé aux postmodernes….

Bonne lecture
Amitiés
Yves


Le 26/11/2015

Davantage qu’aux mouvements idéologiques radicaux des années 70, ou « au mécanisme qui envoyait des jeunes dans les maquis d’Amérique latine au temps du Che », selon l’exemple pas très heureux à mon sens que prend Roy, il me semble que ce phénomène se rapproche de la mystique du légionnaire, avec, dans sa version guerre d’Espagne, le cri de José Millán Astray Viva la muerte et l’hymne de la Légion El novio de la muerte.

Rien à voir évidemment avec l’imaginaire du jeune engagé patriote que l’armée recrute à tour de bras actuellement, auquel on fait miroiter un plan de carrière et une retraite précoce, un suréquipent technologique et une « formation », dans une sorte de mission de « service public » où la mort ressemble à un simple accident de circulation.

Bernard


Le 04/12/2014

L’État et la qualification de l’ennemi.

Dire actuellement qu’il n’y a pas en France d’État policier ne veut pas dire qu’il n’y a pas de bavures policières commises, de dérives juridiques comme la loi de 2008 sur la rétention de sécurité, des mesures administratives répressives mises en place, le projet de constitutionnaliser des mesures d’exception et plus globalement un changement de logique avec la mise en place d’une justice de prédiction fondée plus sur l’intentionnalité que sur les faits.

Mais reconnaître qu’il y a des mesures d’état d’urgence prises par l’État ce n’est pas reconnaître non plus que nous serions en voie d’institutionnalisation d’un État d’exception permanent. Il faut faire attention aux mots et au sens des mots qu’on emploie, surtout en ce moment.

Par exemple, la théorie schmittienne de la nécessité d’un État d’exception permanent repose sur l’hypothèse que les ennemis de l’État ne sont plus essentiellement extérieurs comme dans les guerres conventionnelles, mais que le premier ennemi serait un ennemi intérieur1.

Qu’en est-il concrètement en France ? Il paraît évident que ni dans le cas des accusations contre les « Sept de Tarnac », ni dans le cas des activités des djihadistes de banlieues, l’État français n’en a fait un ennemi et en tout cas pas un ennemi principal de l’intérieur2.

Pour les premiers, le fait d’avoir été poursuivi en justice n’en fait pas des ennemis intérieurs et à plus forte raison puisqu’ils se disent innocents de cette accusation. On peut même dire que leur reprise des thèses de Schmitt dans leur argumentaire les a amenés à s’auto-désigner comme tels plus qu’à l’être vraiment reconnu par l’État justement.

Pour les seconds, c’est l’une des raisons qui explique que les différents services de renseignements3 sachant à peu près tout sur les titulaires de fichiers « S » interviennent néanmoins si peu de façon préventive. Comme nous l’avons dit dans notre brochure sur les 6 et 7 janvier 2015, la réforme des renseignements sous Sarkozy a non seulement désorganisé les services (suppression des RG), mais elle a orienté le renseignement vers sa branche extérieure (DGSE) au détriment de la branche intérieure (DGSI). L’ennemi désigné est donc bien désigné comme extérieur : Syrie d’Assad, Daech (« EI ») à l’heure actuelle, Iran puis Libye auparavant.

Ce qui n’est pas conventionnel, du point de vue des experts de la chose militaire, c’est le fait que ces ennemis de l’extérieur s’expriment par l’exportation ou l’utilisation de terroristes non seulement sur le terrain local où existent des forces militaires « occidentales » d’intervention, comme en Syrie aujourd’hui ou en Irak et en Afghanistan depuis déjà de nombreuses années, mais aussi sur le territoire d’origine de ces mêmes forces, contre des populations civiles. Cela ne transforme pas mécaniquement les auteurs de ces attentats en ennemis de l’intérieur à partir du moment où ils apparaissent comme isolés ici et non pas comme la partie émergée d’un iceberg islamiste radical ayant pour ambition l’établissement d’un califat mondial non seulement à partir des « terres d’Islam » mais aussi à partir de d’un terreau potentiel au sein des pays occidentaux que seraient devenues « les banlieues de l’Islam ».
Nous en sommes donc bien plus actuellement au stade d’un affrontement entre différentes puissances de l’aire musulmane par le biais d’oppositions entre branches de l’Islam qui ont succédé aux oppositions issues de la guerre froide entre nationalismes progressistes et monarchies conservatrices, qu’au stade d’un « choc des civilisations » ou d’une guerre entre Occident et Orient.

Ces oppositions sont en effet inclues aujourd’hui dans une néo-modernité qui fait coexister coups de fouets, décapitation, entreprises high tech et esclavage à l’image de l’Arabie saoudite et du Qatar d’un côté, de l’Iran de l’autre. Difficile de croire que le but de ces puissances soit un panislamisme violent en direction des pays occidentaux. En effet, ce ne sont pas des puissances dominées victimes de l’impérialisme mais des puissances dominantes, non seulement dans leur aire d’influence mais aussi au niveau international puisqu’elles participent aux grandes messes internationales. Il est en tout cas difficile d’imaginer qu’elles pourront continuer à faire le grand écart4 entre ouverture à la globalisation et fermeture obscurantiste. C’est pour cela que je ne saurait être d’accord avec G. Achcar5. Malgré l’intérêt de son ouvrage, sa vision d’un fondamentalisme de nature médiévaliste6 ( cf.p. 29) me paraît irrecevable. Al Quaida et Daech ne sont pas des seigneurs de guerre.

JW


Le 04/12/2015, lettre à S.B.

Bonsoir,

Le texte de Guillon est de 2009 et il me paraît pourtant très daté dans la mesure où il ne tient pas compte des caractères particuliers du terrorisme d’origine islamique depuis 2001.En effet,celui-ci ne surgit pas en premier lieu de nos banlieues mais des conflits intermusulmans (chiites/sunnites) recouvrant des rivalités de puissance (guerre Iran-Irak), conflits qui se poursuivent aujourd’hui à travers le conflit syrien. Sans oublier la guerre en Afghanistan et les interventions en Irak des grandes puissances. De cet absence d’ordre mondial stable sont nés des groupes comme Al Quaida et Daech.
Malheureusement, comme beaucoup de libertaires et gauchistes, Guillon, implicitement ou explicitement, nie le développement de l’islamisme radical depuis 20 ans, sûrement parce que ce développement lui paraît incompatible avec son analyse socio-politique finalement très traditionnelle, quasiment en termes de classes. Donc, pour lui un jeune de banlieue (sous-entendu immigré) ne peut être qu’un membre des classes dangereuses au sens que lui donnaient, pour des raisons évidemment différentes, la bourgeoisie et les anarchistes de la fin du XIXème siècle (mais pas Marx méfiant vis-à-vis du lumpen) … et pas un salafiste qui fait régner l’ordre dans sa cité et a fortiori encore moins un candidat au départ en Syrie ou encore un djihadiste.
Toujours malheureusement comme beaucoup à l’extrême gauche, Guillon trace un signe égal entre d’un côté l’action de l’État visant à terroriser (la terreur figurée donc qui peut bien sûr avoir des conséquences réelles) et de l’autre, la terreur qui tue vraiment. Un signe égal qu’on trouve souvent aussi quand est comparée « la barbarie capitaliste/impérialiste » à la « barbarie islamiste » (cf. la dernière intervention publique de Badiou). On sait aussi que dans des approximations encore pires des membres de l’ultra-gauche partis de l’idée que démocratie et fascisme étaient deux formes équivalentes du capitalisme se laissèrent tenter au bout du compte par le négationnisme. Renvoyer dos-à-dos n’est jamais sans danger !
Par ailleurs, il confond criminalisation des luttes sociales et terrorisation. La première est réelle, la seconde ne se base finalement que sur l’exemple de Tarnac qui paraît pourtant n’avoir été qu’une bourde du sarkhozisme. Mais dans tous les cas pourquoi n’y voir qu’une machination de l’État pour maintenir une paix sociale … qui n’a justement jamais été si peu mise en danger par les forces sociales visant une perspective qu’on pouvait appeler révolutionnaire ?
Le rapport de force nous est devenu complètement défavorable mais cela n’a pas rassuré les pouvoirs en place, bien au contraire. Ne plus voir son « ennemi » traditionnel (de classe) et même ne plus voir d’ennemi déclaré du tout peut produire un « effroi sans fin » comme disait l’IS dans les années 1960. Le schéma est d’ailleurs en partie réversible si on se place du point de vue des exploités et « l’effet de »sidération » qui en découle n’a vraiment pas besoin de la « terrorisation  » étatique ou djihadiste pour s’exprimer et expliquer leur silence ou leur résignation ou encore la transformation de la révolte et de la lutte en ressentiment . D’où, un retour en force des théories de Schmitt sur la délimitation ami/ennemi qui sont reprises à la fois par les tenants de « l’insurrection qui vient » (« Lettre à nos amis ») et par les pouvoirs en place (désignation « d’États-voyous » et d’organisations classées « terroristes » + ou – arbitrairement comme pour les Kurdes de Turquie).
Voilà pour le moment et à te lire.

JW

  1. Pour plus d’informations sur Carl Schmitt, cf. JW et C.Gzavier: La tentation insurrectionniste, Acratie, 2012, p. 35-37. []
  2. Quant à la classe ouvrière désarmée idéologiquement et pratiquement, elle n’est plus une force qui fait peur, elle n’est plus une « classe dangereuse » et Billancourt n’enrhume plus personne. []
  3. La DGSI et les nouveaux « Renseignement territoriaux » crées récemment et qui reproduisent finalement l’ancienne division entre RG et DST. []
  4. Grand écart qu’on retrouve chez le djihadiste de base : il représente la version banlieusarde du monde néo-moderne (où postmoderne si on veut) parce que tout coexiste chez lui, même si c’est conflictuel. Avant que sonne l’heure de prononcer son Viva la muerte il est comme tous les autres jeunes du quartier, de l’avis même de ceux qui l’entourent : il boit, il fume, drague les filles, mange Mac Do et il est le roi du téléphone portable ; il est aussi un grand frère puisqu’il vit le plus souvent encore dans sa famille ; il fait le ramadan, n’est pas particulièrement assidu à la prière, ne travaille pas spécialement, commet quelques actes illégaux relevant de la petite délinquance le plus souvent. Donc il est fondu ou se fond dans la masse, d’où la stupéfaction quand il fait son coming out. Et comment alors survient la décision de partir en Syrie ? Les profils de djihadistes revenus de Syrie ou ceux arrêtés avant d’y partir montrent des individus qui, lorsqu’ils se « convertissent » au djihad se coupent de leur milieu, deviennent mutiques mêmes si pendant un certain temps ils sont obligés de vivre dans leur famille ou dans des squats. Il n’y a plus, alors, de grand écart mais une homogénéité dans la vie chaotique d’un terroriste. []
  5. G.Achcar: Marxisme, orientalisme, cosmopolitisme, Sindbad-Actes Sud, 2015. []
  6. Son discours est biaisé par une analyse marxiste en termes de classes. Dans le but,certes louable, de ne pas attribuer aux forces intégristes des objectifs bourgeois, il en fait de simples représentants de la petite bourgeoisie. Dans cette mesure, il ne peut intégrer une perspective telle celle de la communauté despotique qui, justement, ne se pose pas les questions dans ces termes.. Je renvoie ici au dernier texte de J. Guigou. []

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