La valeur, les théories de la valeur, « l’école critique de la valeur », la « création de valeur », les « valeurs », le plus grand flou artistique règne au dessus d’un concept qui s’est transformé en une simple idée ou même tend à n’être plus qu’un mot. Le résultat en est que les discussions autour de la valeur sont biaisées par le fait qu’il est devenu un mot valise qui emporte toute sorte de contenu en voyage. Il est donc nécessaire de revenir ou de remonter au concept comme nous avons essayé de le faire dans L’évanescence de la valeur, mais sans invoquer la moindre antériorité dans ce travail puisqu’il est le fruit de toute une décantation théorique et historique qui a commencé bien en dehors de nous et dès le début des années soixante. C’est pour cette raison que j’ai adressé cette lettre aux organisateurs d’un débat autour de la théorie de la valeur à partir de la lecture de textes de la revue allemande Krisis et de Moïshe Postone qui en a inspiré nombre de positions1.
Ce courrier a entraîné des échanges avec un des participants au débat (non organisateur), que nous faisons suivre.
Le 23/11/2016
Bonjour,
Suite à la réunion autour de la valeur qui s’est déroulée au CEDRATS, je voulais faire une remarque générale que je n’ai pu faire sur place, premièrement parce que je n’ai pas assisté à la fin de la RU et deuxièmement parce que j’ai jugé que j’étais déjà pas mal intervenu dans la discussion.
En effet, ce qui me semble choquant ce n’est pas la volonté de discuter autour de la valeur et du travail mais de faire comme si cette discussion ne pouvait partir que du courant dit de l’école critique de la valeur, courant qui se présenterait comme le seul à avoir fait exhaustivement le tour de la question et surtout comme si ces questions de la valeur et la critique du travail n’avaient pas été abordées aussi bien en France qu’en Italie et il y a bien longtemps déjà (années soixante et dix surtout) pour ne citer que ces deux pays.
Il ne s’agit pas pour moi d’une crise de susceptibilité franchouillarde puisque, la revue Temps critiques dont je suis un membre fondateur a été la première à traduire en français un texte de Moïshe Postone (« La logique de l’antisémitisme ») dans son numéro 2 de 1990, que j’ai un certain temps eu des contacts et discuté avec les trois traducteurs de Krisis, Kurz et Postone et que j’ai d’ailleurs écrit une présentation critique du groupe Krisis (L’évanescence de la valeur, L’Harmattan 2004).
Non, il s’agit plutôt de rétablir un certain nombre de « vérités » occultées par ignorance ou pour je ne sais quelles raisons plus obscures. Denis semble conscient de cela puisque dans sa présentation il a souligné qu’il y avait (ou qu’il avait) d’autres sources et qu’il ne voulait pas faire « école ». C’est bien de le dire mais alors peut être aurait-il fallu être plus précis car là tel que ça apparaissait on a l’impression que la critique de la valeur a commencé à la critique de la « forme valeur » et à Krisis. D’ailleurs c’est bien la position de cette « école » qui, pour fonder son originalité (toute relative quand on pense à Althusser et sa malheureuse théorie de la coupure) a été inventer une distinction complètement a-historique entre un Marx exotérique et un Marx ésotérique (celui de la forme-valeur et du communisme), d’origine aristotélicienne d’ailleurs, ce qu’elle ne mentionne pas non plus, au risque d’enfermer le premier dans le mouvement ouvrier, la théorie de la valeur-travail forcément réformiste car elle constitue une des contradiction interne au capital dans la mesure où elle se référerait « positivement au développement immanent du capital »2 (le progressisme de Marx et le « programme prolétarien » du mouvement communiste orthodoxe) et le second dans une variante radicale de l’idéalisme allemand, la théorie de la forme valeur et « la transcendance catégorielle » ! (ibid, p. 25)
Cette coupure n’est plus exactement celle entre le Marx humaniste révolutionnaire et hégélien de sa jeunesse et le Marx communiste et scientiste de la maturité, mais entre celui qui s’adresserait à la classe ouvrière pour être compris, le Marx militant finalement, vulgarisant le corpus comme un bateleur de foire en direction du « parti formel » de la classe et le Marx théoricien jonglant avec les concepts abstraits réservé aux Happy few du « parti historique », du « parti-Marx »3. A la limite, on peu même dire que cette coupure est plus arbitraire et même absurde que celle pratiquée par les althussériens car effectivement, cette dernière à quelques bases objectives du point de vue de la maturation des oeuvres et même du rapport au développement du capitalisme sur presque un demi siècle, alors que pensez que Marx avait un double langage, l’un « tourné vers l’extérieur et compréhensible » (toujours Kurz, ibid, p. 25) et l’autre qui « pense en catégories et difficilement accessible » (ibid) relève d’une drôle de conception de l’activité théorique critique !
L’unité de la théorie de Marx qui subit évidemment les convulsions historiques de l’époque et varie donc dans ce contexte, est niée ce qui ne permet pas de la comprendre comme théorie communiste, donc en partie théorie d’une classe, le prolétariat et perspective dialectique d’un au-delà des classes vers la communauté humaine (Gemeinwesen4 ).
Que cette distinction soit artificielle est bien montrée par la façon dont Jappe, Lohoff et Trenkle sont amenés, pour essayer de comprendre la crise actuelle, à faire un retour à la théorie « exotérique » de la valeur-travail (cf. les deux textes joints en fichier)
Ainsi, pour ne prendre que quelques exemples de textes disponibles en français :
– la critique de la théorie de la valeur-travail par Cardan-Castoriadis au sein de la revue Socialisme ou Barbarie dans les années 1960-65 (la « métaphysique de la valeur »)
– celle de J. Barrot dans Le mouvement communiste (Payot, 1972) et celle des séries II et III de la revue Invariance et plus près de nous celle qui figure sur le site de Bruno Astarian pour ce qui est des critiques en provenance de la mouvance issue de l’ultra-gauche au sens historique (gauche italienne et gauche germano-hollandaise) et non au sens journalistique et policier (« autonomes », IQV, etc).
– la critique des opéraïstes italiens pour qui la valeur est surtout un concept politique utilisable pendant le mai rampant italien pour pour comprendre le salaire comme variable indépendante et le « salaire politique » comme exigence subversive ; puis en exil, une critique proprement dite de la valeur au sein de la revue Futur antérieur (par exemple dans le n° 10 de 1992 : Antonio Negri : « Valeur-travail : crise et problèmes de reconstruction dans le post-moderne ».
– les critiques fondamentales de la valeur et son statut de représentation chez François Fourquet (Les comptes de la puissance, Recherches, 1980 ; et Richesse et puissance, La Découverte, 1989)
– la critique de la valeur par J-M Vincent (Critique du travail, 1987), pourtant directeur de thèse de Jappe que ce dernier ne cite pourtant jamais !!!
– le volume II de l’anthologie des textes de la revue Temps critiques : La valeur sans le travail (L’Harmattan, 1999).
Un coup d’oeil sur les dates n’est pas inintéressant non plus : le premier texte paru en français de ce courant dit de l’école critique de la valeur date de 1997 et provient d’une revue canadienne confidentielle (Conjonctures, n° 25) et je doute qu’elle ait été lue par beaucoup de lecteurs en France où elle n’est pas diffusée sauf à la librairie Compagnie à Paris (de temps en temps) ; ensuite, il faut attendre 2002 pour le recueil de Kurz : Lire Marx.
En fait il semblerait que Le Manifeste contre le travail (2003) ait eu un effet de loupe sur la visibilité du courant dans la mesure où il s’agissait d’une sorte de digest, mais n’apportant rien de nouveau par rapport à la critique situationniste faite près de quarante ans auparavant et avec les mêmes limites qui se révélèrent cruellement dans l’après années 1960-70, c’est-à-dire quand le cycle de lutte fut retourné. Alors que ses traducteurs y annonçaient un « second manifeste communiste » (rien de moins !), il s’agissait plutôt et plus modestement d’un nouveau Traité à l’usage des jeunes générations.
Un dernier point, au cours de la réunion au Cedrats fut exprimé le souhait que la discussion ne soit pas centrée sur le caractère d’objectivité de l’analyse de la valeur (grosso modo l’économie et ses conditions), mais laisse s’exprimer l’idée d’une lutte subjective contre la valeur. Tout à fait d’accord, mais alors il faut relire précisément les textes de ce courant pour voir à quel point il est éloigné de cette idée (cf. déjà toute sa critique des mouvements des années 1960-705 et la notion de mouvement de rattrapage, toute sa conception d’un Marx exotérique, celui des luttes de classes). Un exemple de ce grand écart nous est montré récemment dans l’intervention de Jappe place de la République pendant Nuit debout même si ça s’est passé un samedi après-midi : elle a porté abstraitement sur la crise et la valeur dans une sorte de cours magistral.
Je pense, pour ma part que les concepts n’ont de valeur que s’ils sont opératoires, même indirectement dans les luttes, ce que nous avons essayé de rendre avec notre brochure « Un printemps en France ? « .
Bien à vous,
JW
Le 23/11/2016
Merci pour ces apports théoriques précieux et ces réflexions o combien éclairantes pour le militant en quête de modalités pratiques nouvelles pour tenter de rendre opérationnel des « saisissements » possibles de cette étoile filante plus que forteresse qu’est la dynamique du Capital .
La poliorcétique des postures stratégiques des appareils syndicaux sont donc inopérants face à l’évanescence de la valeur.
Les points « d’ancrage traditionnels » restent cois face à l’ubiquité/volatilité de la valeur présente dans l’ensemble de l’appareil productif .
Pour paraphraser Gondi : « on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens » et chaque gréve met en peinture cette position intenable qu’est l’immobilisme de nos bureaucrates désarmés et impuissants .
L’impasse de la « critique » de la valeur de Krisis est criant. Le recours in fine à la valeur travail signe la défaite théorique de leurs tentatives .
Je suis intéressé par le développement critique de la représentation du Capital fictif que vous formulez .
Cependant mon absence de formation philosophique me freine dans une compréhension pleine et entière de ce « phénomène » qui ouvre par sa négation une accroche dialectique utile du moins c’est ainsi que je le saisis .
Le vecteur technologique « actualise » le capital fictif en niant les temporalités humaines niant la dynamique de représentation du capital fictif .
Cet échec de la représentation/objet du capital fictif est il matérialisé dans l’appareil productif par le travail abstrait en ces traductions technologiques ?
Peux-t-on dire que la tentative de représentation/objet du capital fictif est diluée, éparpillée à l’ensemble des rapports sociaux ouvrant la voie d’un dévoilement actif et combatif pour rendre présent l’immanence du capital à l’esprit par le biais d’actions politiques (exemple ZAD Notre dames des landes) ?
J’ai hâte d’échanger au plus vite mais pour cela il faut que je lise , digère et chemine corps et âme pour que ces instants s’imprègnent durablement.
Merci encore et à très bientôt
David
Le 23/11/2016
Bonjour,
Oui, je peux répondre à ces interrogations de David notamment en soulignant que le capital fictif — pas plus que le capital, les deux dynamiques ne sont pas séparables — n’a quasiment plus aujourd’hui de représentation ; il est avant tout actualité (et non pas présence), actualisation permanente…
à suivre donc,
JG
Bonjour,
Juste quelques mots pour le moment.
– la dynamique et le mouvement sont effectivement ce qui caractérise le capitalisme à partir du moment où il tend à faire « système », ce qui ne veut pas dire qu’il y parvient (nous parlons du capitalisme comme un exemple de domination non systémique), mais en tout cas cela permet déjà de dégager un mouvement de la valeur qui pré-existe largement au capitalisme dans le cadre de formes marchandes simples, mais aussi comme je l’ai dit à la réunion, dans le commerce au long cours. Mais ce mouvement de la valeur (car il y a déjà bien mouvement) est constamment freiné par un environnement qui s’y oppose, par exemple très clairement dans ce que Marx a appelé le « mode de production asiatique », comme en Chine impériale où l’empereur et les mandarins font obstacle au développement du commerce intérieur pour que la classe des marchands en formation ne viennent pas remettre en cause leurs positions et privilèges qui sont surtout statutaires et seulement secondairement financiers. Même chose, dans le système féodal des ordres en Europe, mais pour d’autres raisons (mépris par rapport au travail de la part de la noblesse, servage et rente prédominant, éclatement politique jusqu’au XVème-XVIème siècle sans Etat fort, condamnation du commerce de l’argent et de la banque, etc). Dans ces deux exemples qui ne sont pas des « modes de production », même si Marx envisage toute l’évolution historique en termes de mode de production, on n’est pas forcé de le suivre, le but poursuivi est la reproduction des rapports sociaux dans l’immobilité, la reproduction du même, éventuellement sur un plus grand espace mais sur un même « mode ». N’est développé économiquement que ce qui ne nuit pas trop à la souveraineté politique ou politico-religieuse en exercice.
Il en va tout autrement à partir du moment ou on passe d’un mouvement de la valeur ou celle-ci est encore contenue et retenue dans les anciennes formes de reproduction, à un mouvement de la valeur qui les déborde concrètement par l’accroissement de la production, des échanges, de l’argent qui quitte son aspect de « trésor » (par exemple chez le seigneur, le rentier, l’usurier) pour devenir capital chez le bourgeois, le propriétaire terrien, le banquier, les cités italiennes ou hanséatiques, puis l’Etat de type colbertiste. C’est le début du premier véritable mode de production et des classes sociales au sens moderne (la bourgeoisie libre d’abord de ses anciennes obligations par rapport aux seigneurs et souverain ; le travailleur libre ensuite dans le contrat de travail).
Mouvement et dynamique du capital donc et cette dernière peut apparaître folle tant elle semble sans limite (une « étoile filante » dis-tu) : nouvelles technologies, obsolescence programmée des produits, destruction de la nature), mais en même temps dynamique contrôlée au niveau du capitalisme du sommet comme le montrent les réactions à la crise de 2008, les conférences sur le climat, le nouveau rôle de l’Etat réorganisé en forme réseau, une forme vers laquelle tend maintenant aussi le capital. Inhérence entre les deux, au moins au niveau du capitalisme du sommet (ce qu’on appelle le niveau I de la domination), même s’il en va différemment au niveau des la gestion/reproduction des rapports sociaux au niveau national (ce qu’on appelle le niveau II de la domination6 ).
Cette dynamique correspond certes à une logique interne que Marx voyait dans la « reproduction élargie » du capital, une vision peut être marquée par son époque de révolutions bourgeoises, de révolution industrielle et où profit et progrès semblait marcher de paire, mais qui ne se comprend aujourd’hui que comme logique de puissance. Non pas comme une logique de « Système » au sens fort, comme logique du « capital automate » impersonnel, mais comme choix stratégiques des Etats et des grandes firmes et banques, paris schumpeteriens des dirigeants des starts up et de différents nouveaux secteurs en bio et nano technologies lancés dans les recherches d’artificialisation de l’humain et de transhumanisme. Et cette dynamique peut perdurer, au moins un temps, même dans une perspective de « reproduction rétrécie », de capitalisation plus que d’accumulation (cf. le processus de concentration par fusions/acquisitions, le rachat de leurs propres actions par les entreprises émettrices).
– le capital fictif est un pilier de ce processus parce que c’est en premier lieu une forme adéquate à la dynamique du capital. Par sa nature il est anticipation de valeur future, prise de risque et non pas systématiquement spéculation sauf à traiter de spéculation au sens large comme on peut parler de spéculation philosophique, c-à-d sans sens péjoratif et moral. Je l’ai précisé à la réunion, le capital n’a pas de forme privilégiée, mais il a toujours pour objectif de raccourcir le temps d’un cycle que ce soit de production ou de circulation car le temps c’est de l’argent c’est bien connu. Fluidité, flexibilité, volatilité comme tu dis encore, participent de ce raccourcissement du temps et en conséquence cela produit un effet de virtualisation généralisée aussi bien de ce temps que de la matérialité des choses.
Quand tu dis que « le vecteur technologique » actualise le capital fictif, le contraire est aussi vrai. Il y a renvoi de l’un à l’autre parce qu’ils sont en phase. Les deux cherchent d’ailleurs à maîtriser le temps en en faisant un temps non humain. Ce n’est pour le moment qu’une utopie du capital comme celle de se passer du travail et des hommes en général, mais le problème c’est qu’il y a bien des forces derrière ces tentatives qui visent à changer le paradigme traditionnel des rapports à la nature.
Nous sommes dans une problématique qui dépasse largement toutes les discussions en terme de taux de profit. A cet égard et comme entre parenthèse j’ai été assez surpris qu’au cours de la réunion, toi et d’autres, par exemple à propos de la tendance à la baisse du taux de profit, vous en fassiez une loi. Elle n’a en effet jamais été démontrée et même Marx l’invalidait de fait par le nombre de contre tendances qu’il relevait. Ce qui est étonnant, ce n’est pas que cette tendance soit fausse hier (pour moi elle est incompatible avec toute critique de la théorie de la valeur-travail) ou aujourd’hui, parce que personne n’est capable de calculer ce taux et c’est pour cela que ce n’est pas un outil statistique utilisé, mais que des personnes disent d’un côté qu’ils ne veulent pas s’en laisser compter par l’objectivisme économiciste et font assaut de volonté subjectivistes et quasi désirantes de révolution ou au moins de révolte et que de l’autre côté, ils s’accrochent à des « lois » sous prétextes qu’elles proviennent de Marx … tout en se prétendant en plus libertaires !
Je reprends : tu dis que le capital fictif nie les temporalités humaines. Pourtant, dans les faits on reste bien dans la circularité du temps puisque le capital fictif, quand il n’est pas pure spéculation, s’inscrit bien le retour (« le retour sur investissement » où l’effacement technique comptable au bilan de la banque) ; c’est pour cela aussi que l’on ne peut pas dire strictement qu’il s’autonomise du capital productif ou qu’il s’en « déconnecte » (la vulgate marxiste vulgaire ou altermondialiste style ATTAC-Monde Diplomatique). C’est même la distinction fictif/productif qui tend à se réduire dans ce qu’on appelle le processus de totalisation du capital, comme la distinction matériel/immatériel pour l’investissement ; productif/improductif pour le travail, production/circulation pour la marchandise.
Quant au fait de nier la temporalité humaine, cela paraît séduisant comme idée … philosophique pure, mais ça me paraît dangereux politiquement parce que cela voudrait dire qu’on passe à une analyse en terme de « le capital est un monstre froid face à nous qui va nous imposer par sa propre logique … », alors qu’il y a bien là encore une volonté de puissance tout ce qu’il y a de plus humaine à l’origine et une ou des stratégies de puissances de forces sociales qui viennent se greffer là-dessus ensuite. Le capital est bien encore un rapport social hiérarchisé que l’on reproduit chacun à sa place, dans la dépendance réciproque comme dans l’antagonisme.
S’il y a un endroit où je replacerait ton concept de polorciétique c’est bien ici même si je lui préfère le mot plus simple bien que malheureusement d’origine heideggerienne, « d’emparement ». Et il est d’une autre nature que ceux qui chercheraient à en produire une version bureaucratico-syndicale.
C’est la fin de ta phrase que je ne comprends pas bien avec la double négation. Voilà ce que tu dis : Le vecteur technologique « actualise » le capital fictif en niant les temporalités humaines niant la dynamique de représentation du capital fictif. Ce que je crois comprendre c’est que le vecteur technologique ne fait pas que nier les temporalités humaines, non seulement il « actualise » le capital fictif mais il lui confère de la matérialité. Cela répondrait alors à ta question de la phrase suivante.
Autrement si c’est en niant une première fois qu’il nie une seconde je ne comprends plus la phrase et je trouve qu’elle serait plus correcte alors en remplaçant le second « niant » par, au contraire « s’inscrit dans ». Mais bon, c’est de la « spéculation » ! Éclaire-moi là-dessus.
– le capital fictif est effectivement dilué et éparpillé dans tout le rapport social à travers prioritairement la dématérialisation de la monnaie et la consommation des ménages à crédit, puis aussi par le développement de l’actionnariat populaire. On peut alors parler comme tu le fais « d’immanence du capital » au rapport social, mais elle n’est pas spécifiquement celle du capital fictif. C’est en ce sens que nous parlons de « société capitalisée ». A un autre niveau on retrouve cette immanence du capital dans l’évanescence de la valeur qui se produit justement quand le capital domine la valeur.
Je termine là-dessus pour aujourd’hui, mais je pense que JG te fera une réponse à son retour d’Angleterre.
Jacques W
- Ces positions sont rassemblées sur le site palim-psao.fr. [↩]
- Cf. R. Kurz, Lire Marx, La balustrade, 2002, p. 25. On remarquera le clin d’oeil à peine voilé au Lire le Capital d’Althusser et alii. [↩]
- Sur parti historique et parti formel on peut se reporter au texte de Bordiga de 1961 : « Origine et fonction de la forme parti », disponible sur le site de la revue Invariance. [↩]
- Cf. Jacques Camatte : Capital et Gemeinwesen, Spartacus. [↩]
- Ainsi, Kurz et toujours dans Lire Marx, (p. cit, p. 31), sous-titre un passage : « Le mouvement de 68 : rameau tardif du Marx exotérique ». Une affirmation dans la droite ligne des positions d’Adorno et Horkheimer sur le mouvement extra-parlementaire allemand, mais et quoiqu’on pense de l’intervention des francfortiens sur le mouvement –une incapacité à comprendre le nouveau à l’oeuvre mais une juste critique de l’activisme aussi à mon avis –, c’est ne pas tenir compte des 68 français et italiens qui sont d’une toute autre teneur et qui, en dehors du mouvement pratique lui-même, permettra dans l’après 68, d’exhumer les anciens textes communistes envoyés aux poubelles de l’histoire par le stalinisme.
Mais si Adorno et Horkheimer ont eu la dent dure contre leurs étudiants, c’est parce qu’ils y étaient si l’on peut dire, ils s’y sont confrontés concrètement. Mais que dire de la phrase de Kurz, digne d’un chroniqueur en voyage touristique : (de ce printemps de 68 « ne va rester qu’une légère brise qui effleurera la société par un mouvement culturel symbolique » (ibid, p. 31.)
Ce n’est d’ailleurs pas une charge isolée. On la retrouve chez un auteur de cette « école » Götz Eisenberg qui, dans l’article: « D’Orlando à Münich, Amok ou terrorisme », Disponible sur internet à http://www.lesauterhin.eu/dorlando-a-munich-amok-terrorisme-gotz-eisenberg/, réduit la profondeur de la critique du mouvement de 68 à la « longueur des cheveux des contestataires »
Ce qu’on peut retirer de ces divers exemples, c’est que la conception ésotérique de la théorie critique n’est pas prête de mettre les mains dans le cambouis ! [↩]
- Sur l’organisation en réseau et niveaux, cf. le n°15 de Temps critiques et le livre de JW : Après la révolution du capital, L’Harmattan, 2007). [↩]
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