Manifestation syndicale du 12 décembre
Après l’allocution du premier ministre le 11 décembre, la CGT a appelé à une manifestation le lendemain, jeudi 12. Sur un relai médiatique parisien (« Démosphère »), le rendez-vous est censé être à 12 h à Nation.
En fait à cette heure il n’y a personne hormis les cars de Gendarmes mobiles.
La manif aurait « été décalée » pour 14 h vue la précipitation avec laquelle elle a été décidée. Vers 13 h arrive le service d’ordre de la CGT. Il est plaisant de constater qu’on peut aujourd’hui discuter avec lui. Il est vrai que parmi celui-ci figurent des enseignants (où sont passés les gros bras staliniens ?). Ils ne se font aucune illusion sur la manifestation puisque, selon leurs propres dires, elle a juste été décidée pour répondre symboliquement à Philippe et ne pas laisser trop de temps entre deux « temps forts ». Mais de « temps fort » il n’y aura là qu’une caricature, les manifestants étant bien peu nombreux et les drapeaux gauchistes plus nombreux que les grévistes. Même les autres syndicats ne sont pas là.
En fait, pour être juste, il y a eu des appels à faire de petites manifestations locales à la suite des AG de grévistes du matin.
Dernière impression : les membres de base du SO de la CGT se demandent en fait pourquoi ils sont là et ils ne semblent pas tant craindre d’hypothétiques BB que la police. Je les renseigne sur ce qui s’est passé le 10 décembre à Lyon entre SO CGT et bacqueux et ils semblent persuadés d’être dans le collimateur de la police depuis la manifestation du 1er mai 2018.
La courte manifestation se passe sans incident.
Manifestation des Gilets jaunes le samedi 14 décembre
Le départ a été fixé à 13 h 30 à la station Trinité proche de Saint-Lazare qui se trouve sur l’une des deux lignes automatiques du Métro qui fonctionnent à plein. C’est une manifestation déclarée par le groupe de Gilets jaunes « Décla ta manif1» qui est plus ou moins dirigée par une femme très combative ancienne de Nuit debout, mais très contestée par ailleurs pour sa ligne « autonome » par rapport à d’éventuelles convergences. Dis autrement, elle est accusée de sectarisme et de trop se mettre en avant. C’est ce groupe (création le 28 décembre 2018) qui a appelé à la première manifestation parisienne déclarée le 5 janvier 2019 pour que les manifestations puissent perdurer malgré la répression.
Le rendez-vous pour les acharnés a été fixé à 10 h 30 et effectivement, à cette heure-là il y a déjà une cinquantaine de Gilets jaunes qui font du bruit et affichent pancartes, chantent slogans. Leur nombre monte vite à 100-150.
De nombreux tracts sont échangés. « Plateforme jaune » s’oppose à la fausse démocratie qui n’est en fait que la « démocratie patronale ». Elle s’oppose à tous les RIC et autres RIP et appelle à des comités de lutte avec délégués révocables. Le groupe « Gilets jaunes constituants 91 » distribue un tract plus inquiétant dans un « manifeste politique » antimondialiste et contre les principaux ennemis que sont la finance et la spéculation. Sans être fasciste, la tonalité est souverainiste. Il n’est d’ailleurs pas fait référence au peuple (contrairement à « Décla ta manif »), mais au « peuple français ». Un autre groupe de constituants « les ateliers constituants » proposent un programme plus classique autour de l’instauration du RIC au cours d’une première phase de transition démocratique œuvrant pour une nouvelle constituante. La continuité de ce processus réglerait le problème de la révolution et des forces de l’ordre qui pourraient garder leur fonction pendant cette période et ne pourraient donc que se rallier au mouvement.
Des manifestants originaires de Belgique distribuent un tract sur leur résistance réussie à la réforme de la retraite par un système à points. Ils rappellent que cette réforme est impulsée par l’Union européenne.
Un « Manifeste communiste » contre l’argent est aussi largement exposé. Bref, une sorte de cour des miracles politique, mais avec une proportion importante de « visiblement pauvres » d’un âge assez avancé. Beaucoup plus d’hommes que de femmes aussi.
La manifestation va faire le tour des beaux quartiers, mais pas ceux de la consommation de luxe comme en décembre de l’année précédente, mais ceux des belles habitations du XVIIe arrondissement en direction de la porte Champerret pour finir à la Défense. La manifestation est complètement encadrée : devant, derrière, sur les côtés, il est quasiment impossible de la quitter. C’est semble-t-il le cas tous ces derniers samedis. Il y a environ 2000-2500 personnes avec des participants un peu plus mélangés en âge, sexe et origine sociale.
Aucun incident, même si quelques apprentis BB gueulent ACAB de temps en temps. Les gens discutent beaucoup par groupes. On me montre six manifestants du groupe Ananas lié à Dieudonné ! Le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils sont entre eux.
La manifestation se disperse sans incident sur l’esplanade vers 17 h. Un rendez-vous « sauvage » est suggéré vers les Halles…
Manifestation syndicale du mardi 17 décembre
Le rendez-vous est à République à 14 h. Forte présence des Gilets jaunes qui, dès 12 h 30 montent sur la statue, lancent des fumigènes et font un foin de tous les diables. Les passants et autres manifestants font des photos.
Un ordre de cortège a été établi (comme d’habitude à Paris il est tiré au sort entre syndicats) et cette fois la CGT est reléguée en queue ce qui ne va pas lui permettre de faire régner l’ordre comme elle a su le faire le 10 décembre. Ce sont les étudiants puis la FSU qui sont censés ouvrir le cortège. En fait, c’est l’imbroglio complet, car la police est venue fermer la manif derrière un présumé cortège de tête qui n’existe pas. Le but est, dès le départ, de scinder la manifestation en plusieurs tronçons. Alors que les manifestants en aval des cordons et camions de police essaient péniblement d’avancer, les manifestants qui se sont retrouvés en amont essaient de revenir en arrière. Pagaille monstre. Les manifestants en amont essaient de repousser les forces de police en poussant sporadiquement, mais il y a peu de détermination, une incompréhension par rapport à la stratégie policière plus qu’une révolte contre celle-ci. Finalement, au bout de presque une heure de tergiversations la police abandonne l’idée de scinder la manifestation (peut-on appeler ça une victoire de notre part ?) et nous progressons en un seul cortège, mais complètement encadré devant derrière et surtout sur les côtés. Toutes les rues adjacentes sont bloquées par des cars ou camions et des forces de l’ordre qui semblent insensibles aux quolibets et aux remarques indignées. Mais, plus dangereux, de temps en temps, les forces de l’ordre dont certaines doivent rester mobiles, peinent et prennent du retard ; elles déboulent alors sur les trottoirs par groupes de 50 ou cent en bousculant littéralement tout sur leur passage au risque de chute de manifestants qui ne se retireraient pas assez vite. Quand on leur fait remarquer, ils répondent par la menace.
Cette situation va perdurer jusqu’à Bastille où un regroupement partiel s’effectue. Quand elle repart, elle semble encore avoir perdu de son dynamisme qui n’était déjà pas évident. Par ailleurs la police se fait de plus en plus présente (le retour d’une « police de proximité » en quelque sorte) et les provocations policières vont commencer à partir de Reuilly-Diderot. Les grenades explosent et une charge s’en suit, matraque au vent. Résultats quelques blessés à la tête (apparemment peu grave) soignés par des street medics. Les manifestants hésitent, beaucoup reculent puis finalement on avance de nouveau et cinq minutes ne se sont pas passés que l’on ne voit des bacqueux courant sur le côté faisant une incursion sauvage au milieu de la manifestation et en fait la traversant sans que l’on sache après qui ils en ont. Sans doute leur a-t-on fait savoir qu’il y avait quelques hommes en noir qui se regroupaient.
Les manifestants en sont quittes pour la peur. Plus rien ne se passe jusqu’à Nation où sporadiquement s’échangent lancers de projectiles divers contre grenades. À partir de 17 h 30 la police annonce qu’elle va évacuer la place. Avec la tombée de la nuit, les projectiles redoublent, les gaz aussi. Fin de l’épisode.
J.
- Sur leur tract, on peut lire un écusson indiquant : « Gilets jaunes pour la démocratie ». Le pouvoir au peuple, dissolution assemblée nationale, création d’une constituante. Dans sa déclaration de principe le groupe s’adresse « au mouvement » en dehors donc de tous les corps intermédiaires et militants. Le groupe se veut un lieu d’accueil des convergences de toutes les urgences : politiques, sociales, écologiques. Son vœu d’une manifestation à la fois non violente et déterminée est néanmoins entachée d’une forte empathie pour les forces de l’ordre qui ne seraient pas majoritairement contre nous. [↩]