Capitalisme de commandement et commandement capitaliste

Il nous semble toujours nécessaire, du point de vue théorique comme dans des perspectives de lutte, de faire ressortir le fait que le capital est avant tout un rapport social de forces en interaction dialectique qui toutes participent, certes à des pôles différents (capital, travail, État), de sa reproduction ; et non pas un « système » essentiellement abstrait régi soit par des automatismes dont les agents ne seraient que des fonctionnaires impersonnels (cf. la notion de « capital-automate » qu’on rencontre parfois chez Marx puis Bordiga), soit par des forces plus ou moins occultes tirant les ficelles (finance, « banque juive », franc-maçonnerie, etc). 

Dans cet ordre d’idées, nous vous proposons ici un compte rendu d’une réunion débat organisée le 17 décembre 2023 par le groupe de discussion et de rencontre « soubis » autour de l’article de Larry Cohen : « Victimes, complices ou acteurs de premier plan ; le rôle des États dans le tournant dit néolibéral » paru dans le numéro 22 de Temps critiques (automne 2023).


SouBis – Compte rendu de la réunion du 17 décembre 2023

Débat avec Larry Cohen sur son article paru dans Temps critiques n° 22, « Victimes, complices ou acteurs de premier plan ? Le rôle des États dans le tournant dit néolibéral »

Larry : Pourquoi j’ai écrit cet article ? Je suis tombé par hasard sur l’article de Jack Copley [auteur du livre Governing Financialization, sur le Royaume-Uni], qui m’a intrigué : je pourrais jeter trente ans de Monde diplomatique car son discours sur le tournant néolibéral est faux. Tournant oui, mais pas la forme exposée jusque-là. Donc je me suis proposé d’approfondir le sujet, sachant que les auteurs qui ont écrit sur le sujet l’ont tous fait en anglais ou en allemand. La question qu’il y a derrière, c’est : quel est le rôle de l’État dans l’économie capitaliste ? En France le débat sur ce point s’est peu ou prou éteint après Poulantzas. Se focaliser sur les USA et la Grande-Bretagne est justifié, car ces deux pays ont été les premiers à faire ce tournant, et aussi compte tenu de l’impact mondial des USA et l’impact de la politique de Thatcher.

J’ai découvert dans ces livres que curieusement le travail idéologique de préparation par les courants néolibéral ou ordolibéral existait bien, mais que ce n’est pas ce qui a enclenché le mouvement. Et que ce ne sont pas les banques non plus. Tout s’est joué au niveau des États. Daniel a dit dans un de nos débats que Castoriadis n’avait pas voulu voir à quel point l’économie capitaliste s’était imposée et  n’avait voulu voir que le poids du rôle de l’État. Mais Castoriadis n’avait pas si tort que ça. Mes lectures montrent plutôt que les acteurs de ce changement, ce sont les États.

On peut se demander : quel est l’intérêt de le savoir ? Je pense que ce n’est pas anodin ; l’idée que les pauvres États ont subi impuissants la menace des grandes entreprises de délocaliser ne tient pas la route.

Pierre-Do : J’ai été très intéressé par ce texte. L’idée que la responsabilité du tournant néolibéral de l’économie capitaliste provient essentiellement des grandes entreprises, du secteur bancaire, des idéologues néolibéraux, c’est aussi une manière d’évacuer la question de la responsabilité politique de l’Etat. L’économie capitaliste demande avant tout deux types d’action à l’État : d’une part de favoriser l’extraction de la plus-value en assurant des conditions optimales à sa reproduction : transports, santé, éducation, aides et subventions publiques au secteur privé en cas de difficultés ; d’autre part de s’immiscer le moins possible dans l’économie. Dans le contexte de la mondialisation du marché et des échanges, et ultérieurement du déficit des dépenses publiques en Europe de l’Ouest, l’État dit « surchargé » a cherché, pour résister à la double pression du marché et de la pression sociale, à s’alléger politiquement en se plaçant volontairement sous la contrainte d’organismes supranationaux, OMC, FMI, UE… et au niveau micro-économique en initiant graduellement : privatisations, réforme des systèmes de retraite, de santé, d’éducation. Tout cela en tentant d’éviter l’affrontement social massif. En dernier ressort est posée la question de la légitimité de l’État. C’est bien l’État qui décide, dans le cadre contraint auquel il a volontairement consenti, de la redistribution des richesses, des aides aux secteurs de l’économie capitaliste qu’il souhaite favoriser. Enfin l’État possède l’appareil coercitif pour faire appliquer les mesures prises en particulier les plus socialement funestes.

Larry : Selon les auteurs canadiens que je cite, Panitch et Gindin, casser le mouvement ouvrier américain était encore plus important que casser les mouvements ouvriers européens. La défaite de la grève des aiguilleurs du ciel a ouvert les vannes qui ont permis aux entreprises de négocier les salaires et les conditions à la baisse. Pourquoi aux USA ? Parce qu’ils représentaient encore 25 % de la production capitaliste globale.

André : Oui, il me semble que c’est bien ce qu’il faudrait comprendre, pourquoi les luttes ouvrières deviennent si violentes au tournant des années 70-80, qu’est-ce qui explique le basculement néo-libéral ? L’idée d’un État qui n’est pas la marionnette des grandes entreprises m’a intéressé. Mais ton argumentation part sur deux des grands thèmes des années 80-90 : la critique de la mondialisation et celle de la financiarisation. Pour la financiarisation, tu dis : le manque de rentabilité des entreprises, la baisse de leur taux de profit, a poussé celles-ci à placer dans la sphère financière l’argent qu’elles n’avaient plus intérêt à investir dans leurs propres activités, thèse défendue par beaucoup d’économistes. D’après toi, cette baisse serait due aux taux d’intérêt très élevés. Mais la mise en place de cette politique monétaire par le président de la réserve fédérale Paul Volcker pour lutter contre l’inflation arrive après cette baisse du taux de profit. La très nette baisse du taux de profit s’observe sur la période 74-75 jusqu’à 80-82 en Grande-Bretagne et en France, peut-être un peu plus tôt aux USA. Dans ton article la politique monétaire occupe une grande place, tant dans le cas de la financiarisation que dans celui de la mondialisation. Je pense qu’à tout le moins c’est discutable.

Larry : Ce n’était pas mon propos d’expliquer la baisse du taux de profit. La concurrence grandissante subie par les USA, qui a mis à mal leur domination de l’économie mondiale, a fait que les marges bénéficiaires ont rétréci (les capitalistes n’aiment pas beaucoup la concurrence en fait). Cela explique donc pourquoi les entreprises étaient en difficulté, mais pas leur orientation vers la finance. Greta Krippner [autrice de Capitalizing on Crisis, sur les USA] a pu s’entretenir longuement avec les acteurs de l’époque. Les pays développés ne pouvaient pas assumer les taux d’intérêt de 20 % atteints aux USA sous l’effet de la politique anti-inflationniste de la Réserve fédérale sous Paul Volcker. La fronde contre cette politique de taux élevés de dollar fort a été menée par la Business Roundtable, dont le texte a été rédigé par le patron de Caterpillar, qui a presque demandé : « Vous voulez désindustrialiser notre pays ? » Avec un dollar fort on n’arrive pas à exporter, mais avec un taux d’intérêt élevé c’est intéressant d’investir dans des outils financiers.

André : On peut également discuter le point de vue que tu adoptes : l’État a en main les instruments monétaires (keynésianisme). Il est intéressant de prendre la thèse d’autres économistes comme Michel Husson ou ceux de la théorie de la valeur pour qui le tournant néolibéral est le produit d’une crise structurelle du capital. L’industrie automobile n’est plus rentable. La survaleur extraite est insuffisante. Pourquoi les luttes sociales en Grande Bretagne devenaient-elles aussi violentes ? Durant les années 70, les travaillistes cherchent à sortir de la crise, c’est-à-dire à restaurer un taux de profit suffisant, et n’y arrivent pas. Ce seront ces nouvelles politiques dites néolibérales qui vont permettre le rétablissement des taux de profit à leur ancien niveau (cela au détriment des rémunérations, de l’emploi, des conditions de travail, des solidarités nationales, des services publics). Je pense qu’il est important de discuter de ces thèses, car selon l’explication que l’on a de ces crises, la critique et les luttes dans lesquelles on s’engage peuvent être très différentes.

Pierre-Do : Il y a un ajournement continuel de la crise structurelle du capitalisme. Cette crise n’a pas l’effet décrit par la théorie marxiste. Car le capitalisme continue à fonctionner pas trop mal. Il y a eu déplacement de la lutte de classe vers une lutte fiscale (« lutte des taxes ») dans les années 80-85.

Larry : James O’Connor a écrit au début des années 1970 que c’était ce qui se profilait. Ce que dit André ne contredit pas ce que je soutiens. Les États ont agi sous l’effet d’une pression objective : le gâteau à répartir avait rétréci. Si les États avaient agi autrement, je ne sais pas quelle forme la crise aurait pris. Je veux seulement mettre en avant des aspects sous-estimés à gauche.

André : Je trouve très intéressante ta thèse principale, le fait que les politiques menées ne sont pas dictées par tel ou tel pouvoir occulte. On constate que les gouvernements ont très peu de marge de manœuvre. La même politique se met en place partout, par des gouvernements de droite comme de gauche.

Larry : Une voie a été essayée mais pas prise au sérieux par des gens comme nous, celle préconisée par l’union de la gauche, qui était une autre façon de réagir. Est-ce qu’il était possible de convaincre le gouvernement allemand de faire cause commune sur cette base ? S’il avait refusé le tournant néolibéral, on ne sait pas ce qui se serait passé.

Pierre-Do : En 1981 la gauche dite « plurielle » n’aurait eu aucune chance de succès en proposant une politique économique néolibérale. Plus tard Mélenchon, pour se faire élire, faisait essentiellement des propositions de redistribution différente de la richesse sans toucher aux fondements du système capitaliste.

Gianni : Tu dis qu’à l’origine du tournant il y a à la fois la crise fiscale de l’État et une baisse de la productivité qui les empêchent d’ouvrir les cordons de la bourse pour acheter la paix sociale. Mais un aspect des choses me laisse perplexe : l’endettement des États ne baisse pas, il y a seulement redirection de l’investissement public vers d’autres investissements, avec recours à la répression une fois qu’on ne peut plus acheter la paix sociale. La révolution informatique a supposé d’énormes investissements de la part de l’État ; or ces investissements ont coupé l’herbe sous les pieds aux salariés, donc sapé les rapports de force qui leur permettaient d’obtenir des avancées – rendant les salariés « inessentiels », pour utiliser le vocabulaire de Temps critiques. Tu n’abordes pas cette question.

Pierre-Do : L’endettement et le déficit public : on vient bien comment c’est devenu une méthodologie de gestion de l’État. Il y a mise en avant constante d’une contrainte présentée comme supranationale. Contrainte établie par l’UE à partir de ce qu’Alfred Sauvy avait écrit en 1952sur le niveau de déficit qui permettrait d’avoir une gestion saine des finances publiques. Les 3 % sont devenus un dogme, constamment remis en question mais maintenu comme ligne de conduite, et utilisé par l’Etat pour justifier les privatisations par exemple. Le prix ridiculement bas de l’action France Telecom mise en vente par l’État, c’était une façon d’accoutumer les gens au système boursier et  par là de dévier la colère sociale. L’ajournement de la dette structurelle se fait à travers un certain nombre d’artifices. Point intéressant dans l’article : l’importance de l’adhésion de la population à ces programmes. Au bout d’un moment, c’est le public qui devient cogestionnaire. Il a le sentiment de faire un choix devant une offre de services, que ce n’est pas l’État qui l’impose. Bien sûr il faut avoir obtenu auparavant un consensus public, une intégration idéologique de secteurs entiers de la population au système.

Nicole : Sous le « néolibéralisme », il y a eu aussi une transformation de la nature de l’État. En France, la décentralisation a beaucoup transformé le paysage politique, avec des décisions qui se prennent désormais à niveaux multiples, et pas toujours de façon cohérente, mais qui impliquent bien plus la population notamment à travers le tissu associatif.

Larry : C’est ce que Temps critiques appelle l’État-réseau. Jusqu’où va l’État ? Il y a à ça une dimension technique, mais il est plus intéressant de comprendre ce que ça implique socialement. C’est appuyé par une partie de la population, militante pour une partie d’entre elle. Exemple avancé par Todd : dans son coin de Bretagne, une soixantaine de personnes sont mobilisées pour aider une seule famille de réfugiés ; on pourrait penser que ce devrait être la tâche de l’État. Cette évolution vers l’État-réseau représente aussi une manière de répondre aux attentes de la population. En 2015 en Allemagne, les associations caritatives ont été débordées par les demandes des citoyens volontaires pour accueillir la vague des réfugiés. L’argent public est là, mais l’action est faite par d’autres agents que l’État.

Jackie : La décentralisation, c’est quand même un phénomène franco-français.

Monique : C’était une revendication sociale en raison de la grande centralisation du pays héritée de l’histoire. La gauche s’est fait plaisir idéologiquement en la mettant en œuvre. Mais l’abondement des collectivités locales par l’État central a toujours été insuffisant. Et la gauche a largement participé à ce phénomène.

L’idée que l’État est une marionnette aux mains du capital ne tient pas la route dès que l’on se renseigne un peu. Même chez Adam Smith il est expliqué que, pour que le marché fonctionne, il faut un État qui crée des structures juridiques adaptées. Balancer l’État, c’est l’idée des libertariens (Rothbard). Même Marx lorsqu’il analyse la Commune reconnaît une certaine autonomie de l’État. Le pouvoir des entrepreneurs est réel, mais ils n’ont pas de force de frappe. La répression est la tâche de l’État. L’État démantèle les services publics et assure la répression.

Il y a une chose que je n’ai pas bien comprise : pourquoi à la fin des années 70 il y a une rupture fiscale ? Je me souviens d’une période où la dette publique n’était pas une obsession. Le dogme de la dette est apparu au début des années 80.

Larry : C’est un problème européen plus qu’américain. L’Allemagne a l’obsession, pour des raisons historiques, de la stabilité financière et économique. Mais cela n’est pas pire que la méthode italienne qui consistait à distribuer de l’argent ici et là puis de temps en temps à dévaluer la monnaie. Streek dit qu’un pays peut choisir d’opter pour l’équilibre économique ou pour l’équilibre social – en gros, la division entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud.  La France est en position intermédiaire. Depuis les années 80, on ne compte pas les gouvernements qui ont voulu réduire ceci ou cela. La France est plutôt du côté des pays égalitaires. Certes on va dans le sens de l’inégalité, mais depuis vingt-cinq ans. Rien à voir avec ce qu’ils se sont permis aux USA et en Grande-Bretagne.

Henri D : Les États sont intervenus massivement pour sauver les banques en 2008, au détriment de la population. L’État est bien au service des puissants.

Larry : Oui, mais ils l’ont fait surtout pour maintenir l’équilibre du système. Il fallait sauver les banques. Pendant la crise des subprime, la Réserve fédérale a ouvert avec l’UE une ligne de swaps de devises donnant accès à une quantité quasi illimitée de dollars. Sans ça, on aurait eu une crise bien pire que celle de 1929. Et ils ont en grande partie réussi. Le niveau de vie a baissé, certes, mais ce n’est rien par rapport à ce que c’était en 1929. Un de mes profs de lycée aux USA, fils de paysans du Sud profond, évoquait une armée de gens venue quémander du travail sans salaire, en échange d’un repas pour la famille.

Henri S : Il y a une question centrale, à savoir le déséquilibre dans la loi de l’offre et la demande, quand l’offre ne répond pas à la demande. Le taux d’inflation est la pomme de discorde de tout le système. Tous les États font des efforts pour la contrer.

André : Wolfgang Streeck que tu cites avait publié dans Le Monde diplomatique en 2008 un article décrivant les diverses politiques mises en place depuis le début des années 70 pour tenter de résoudre la crise tout en achetant la paix sociale. L’endettement explose à partir des années 80. La première manière d’acheter la paix sociale, dans les années 70, c’est l’inflation, mais ça ne marche pas. La politique néolibérale se met alors en place, lutte contre l’inflation, envol de la dette publique. Vu l’ampleur prise par la dette, l’État cherche à en faire porter le poids par le public en desserrant fortement les règles encadrant le crédit aux ménages ; la crise des subprime en découle.

Larry : Les auteurs canadiens disent que l’offre de crédits immobiliers à des gens aux très faibles moyens ne peut se comprendre sans tenir compte de la stratégie d’intégration de la classe ouvrière par la propriété : le cadre est idéologique au moins autant qu’économique.

André : Idem pour les participations au capital des entreprises proposées aux salariés.

Larry : A la fin des années 50, on était encore dans un niveau de vie très bas. L’endettement des États, au fond, je m’en fous. La dette américaine des années Reagan et après était astronomique et ils ont réussi à l’endiguer.

Henri S : La pandémie a limité la production, donc l’inflation.

Larry : Je voudrais revenir à un aspect qui m’est cher car il rejoint un débat qui a eu lieu à Socialisme ou Barbarie. Habermas parlait de crise de légitimation – on n’est pas très loin des thèses de Castoriadis. Il disait que c’est le succès même de ce type de capitalisme qui va faire perdre de sa légitimité au système ; or ça ne s’est pas produit à l’époque, comme n’ont pas manqué de le signaler des critiques comme Perry Anderson, de la New Left Review. Mais je pense que cette délégitimation du système, on est en train de la vivre maintenant. Il y a dans l’air un anticapitalisme certes superficiel, mais qui traduit une certaine perte de légitimité des institutions. Les défenseurs du marché se font très très discrets depuis 2008.

André : Musk réclame moins d’État.

Nicole : Dans une conception devenue commune aujourd’hui au moins à gauche, le tournant néolibéral est associé à la montée des inégalités. Tu ne dis rien de cet aspect des choses, pourquoi ?

Larry : Mon texte parle très peu de l’actualité. Il y a aujourd’hui la question des inégalités, mais aussi celle des discriminations. Autrefois on disait que toute la classe ouvrière était soumise à l’exploitation, et qu’il s’agissait de la faire progresser ensemble. Aujourd’hui, c’est : que les meilleurs gagnent, qu’ils soient noirs, handicapés ou trans. Le système d’accès aux facs d’élite est accepté aux USA malgré ses inégalités fondamentales, puis dans ces facs on chipote sur la représentation des minorités… Par exemple, Louis Maurin, fondateur de l’Observatoire des inégalités, n’a aucune culture politique qui aille au-delà du keynésianisme. Dans la gauche française, c’est la nostalgie de l’époque keynésienne. Je ne sais pas comment faire comprendre à nos interlocuteurs plus jeunes que réduire les inégalités ne réglerait pas le problème. Quand le gâteau n’est pas en expansion, il y a des choix douloureux à faire. Quand c’est l’État qui les fait, cela comporte un risque politique. Quand ça vient de mécanismes en apparence de marché, comme avec la déréglementation, on peut dire : c’est pas nous, ce sont les taux qui nous l’imposent. Or c’est la Banque centrale et pas les marchés qui gère les taux d’intérêt.

Henri D : Il va y avoir un mur : quand il n’y aura plus de services publics, avec de plus en plus de pauvres, ça va devenir ingérable.

André : Le secteur de la santé représente encore 15% des dépenses publiques.

Gianni : Il y a des dépenses publiques non inflationnistes, notamment les dépenses militaires (pour aider l’Ukraine par exemple). 413 milliards d’euros programmés sur sept ans…

Pierre-Do : Les deux fonctions de l’État : créer les conditions nécessaires à l’accumulation du capital, ce qui a un coût ; et acheter la paix sociale ou organiser la guerre sociale (rôle coercitif). C’est en 68 que j’ai eu le sentiment d’une délégitimation de l’État, puis de nouveau avec le mouvement des gilets jaunes. Il y a eu une lutte des taxes très violente à ce moment-là, avec une violente réponse militaire de l’État. Puis est arrivée la crise du Covid, avec le « quoi qu’il en coûte » et les confinements majoritairement respectés, et l’État s’est appuyé sur de nouveaux outils de contrôle.

Monique : L’éducation fait aussi partie des fonctions de l’État. Or on est arrivé à un point où cela est devenu dysfonctionnel, ça se délite. On ne sait même plus quel type de formation va être utile dans les années qui viennent. Mais surtout, alors que l’éducation nationale servait malgré tout à intégrer les individus, aujourd’hui elle semble être la fabrique des exclus, condamner certaines catégories à être des « superflus », comme disait H. Arendt.

Pierre-Do : il y a une forme de privatisation de l’école, une partie des couches sociales s’oriente vers le privé.

Helen : Aux USA, le fait qu’une bonne partie de la population est sous-instruite ne pose pas problème aux dirigeants. D’ailleurs il y a toute une partie de la population américaine noirs et « petits blancs » pauvres, qui sont exclus, économiquement et socialement, et personne ne s’en soucie.

Larry : Il y a aussi le phénomène d’importation massive de personnel qualifié aux USA. Si un pays peut le faire aux frais d’autres pays, pourquoi payer une scolarité normale aux enfants du pays ? On parle de morts de désespoir aux USA, les taux de drogue et de suicides ont explosé, bien au-delà des ghettos noirs. Mais est-ce que tous les pays peuvent se permettre de jouer là-dessus ? Ce n’est pas évident.

André : Un gouvernement qui ferait le choix d’abandonner l’éducation d’une grande partie de la population me semble d’une grande absurdité, ce serait aller vers une société très violente, la fin de la société. Les gouvernants peuvent-ils dire : on s’en fout ? Je ne le crois pas, je pense que les difficultés du système éducatif relèvent de multiples causes, sociales, économiques culturelles, historiques ; mais pas d’une volonté délibérée d’abandonner l’instruction du plus grand nombre.

Larry : Je ne dis pas qu’un comité central l’a décidé, mais si une entreprise cherche à recruter du personnel compétent et y arrive…

Monique : Ce n’est pas un complot mais une pente vers laquelle ils sont entraînés.

Henri D : On parle de métiers en tension, mais on ne dit jamais que si les boulots étaient bien payés le problème serait résolu.

Larry : Larry : Tout à fait. La question est : à quel prix ? Quand la voirie des villes américaines payaient de hauts salaires, par exemple, personne ne faisait la fine bouche devant ce type d’emplois.

André : Aux USA, il y a un clivage dans la société qui est effrayant. Des dirigeants politiques fous prennent le pouvoir un peu partout…

Larry : Le rôle traditionnel des États-nations n’a pas disparu dans les discours aux USA, Trump peut tenir ce langage. Mais entre la France, la Belgique, l’Allemagne… je ne vois pas quelles sont les tensions qui pourraient alimenter ce discours. Les jeunes européens ne semblent pas avoir une forte identité nationale.

Nicole : Une fois pris en compte le rôle décisif des États dans le tournant néolibéral, quel serait d’après toi le discours anticapitaliste cohérent à tenir aux nombreux « anticapitalistes » avec qui on est amené à discuter ?

Larry : Je me pose cette même question, vu mon expérience récente dans un débat à Figeac. J’essaie de m’adresser à ceux qui veulent renforcer l’État pour parvenir à une situation plus humaine pour leur dire que c’est une illusion.

Gianni : Il faut remettre l’accent sur l’exploitation et sur le fait que le capitalisme est un rapport social.

Helen : Convaincre qu’il faut avoir une vision un peu complexe des choses.

Nicole : Oui, mais la complexité sert aujourd’hui d’argument pour à peu près tout…

Larry : Le discours du type « c’est la finance qui dirige tout » est omniprésent. Même Trotsky, qui se piquait d’être le plus révolutionnaire de tous, ne pouvait pas s’empêcher de simplifier son message en parlant des 200 familles. C’est un problème qui se pose à nous tous ici, de poser autrement la question de l’anticapitalisme, et en des termes compréhensibles.

Compte rendu de la manifestation du 24 janvier à Lyon.

Environ 10000 personnes maximum (la préfecture annonce 8000 soit le plus haut chiffre de province).

La mobilisation s’est donc non seulement maintenue mais s’est un peu amplifiée par rapport au jeudi précédent. Toutefois, un changement dans la composition du cortège. Pour la première fois depuis longtemps le cortège de tête qui a atteint parfois les 40 à 50% de la manifestation totale est cette fois beaucoup plus réduit avec à peine 2000-2500 personnes. Pas vraiment de Black bloc et moins de Gilets jaunes que la semaine précédente. La manifestation s’élance avec toujours autant de retard (la stratégie habituelle de remplissage du vide par la CGT) ce qui cette fois provoque plus que d’ordinaire une absence de combativité et un air de discussion entre copains au soleil d’hiver où invariablement se pose la question de savoir ce qu’on fait là.

Aussi des lycéens nettement moins nombreux que la semaine précédente (d’après L.).

La manifestation est sans entrain, la police très en retrait et on apprend assez rapidement que cela s’explique en partie par des négociations à même la manif entre responsables syndicaux et la Préfecture parce que cette dernière vient d’interdire le passage par la rue de la Barre pour éviter les dégradations diverses qui affectent le nouveau « temple du capitalisme » qu’est devenu l’Hôtel Dieu.

Mais la CGT a dû obtenir quand même de maintenir le terminus de la manif à Bellecour puisque la police ne nous empêche pas de traverser le Rhône.

A proximité de la rue de la Barre le dispositif policier est en place. Les premiers rangs de manifestants se rapprochent des camions et les premières grenades éclatent. Mais c’est moins violent que la semaine passée car le cortège de tête s’est disséminé et ne fait pas vraiment bloc alors que la CGT a freiné, mais accélère dès les premières grenades pour éviter tout abcès de fixation de manifestants pouvant entraîner des incidents. Dès lors les grenades et le camion CGT poussent dans le même sens à une dérivation vers Antonin Poncet plutôt que d’aller au contact des camions de la police. Quelques nouveaux grenadages plus loin la foule rejoint Bellecour, mais comme la police a l’air de trouver que ça ne se disperse pas assez vite, nouveaux grenadage sur les traînes savates de la fin de cortège.

Un feu de poubelles devant le Monoprix attire une dizaine de policiers qui se blottissent contre un ancien kiosque à journaux pour surveiller la situation. Ils subissent insultes et quolibets, mais la situation en reste là puisque pas de bacqueux à l’horizon et pas de volonté d’en découdre de part et d’autre.

Compte rendu de la manifestation du 16 janvier 2020, Lyon

11h30 Manufacture des tabacs

Environ 8000 personnes soit la moitié du jeudi précédent. Cortège de tête en baisse dans les mêmes proportions avec environ 2000 personnes composée des Gilets jaunes en assez grand nombre puis les « indépendants » ou manifestants « en liberté » autour des Gilets jaunes. Le bloc en noir ne se mettra en place que progressivement.

Un assez gros groupe plus ou moins étudiant suit derrière une banderole contre la réforme, mais il hésite à rester coller en arrière à la manif CGT ou à se coller avec l’avant ce qui fait que l’avant de la manif n’arrêtera pas de freiner car elle avance à une vitesse Gilets jaunes.

Le camion CGT a appelé en début de manif le ban et l’arrière ban des syndicats pour arriver à trouver deux personnes par syndicat pour faire le SO de la manif syndicale. La CGT est toujours dans l’ouverture et une forme de déconfiture si l’on peut dire puisqu’elle en appelle non seulement à la CNT, ayant fait ce qu’il faut pour « en être », mais aussi la CNT-SO dont à peine dix manifestants doivent savoir qui ils sont !

La manifestation part avec une heure de retard, normal, tactique CGT pour récupérer les intermittents de la manifestation qui sortent du boulot entre 12 et 14H ce qui permet de gonfler les chiffres.

Pas un uniforme aux environs. La police ouvre peut être le bal, mais de très loin et personne sur les trottoirs ni dans les rues perpendiculaires adjacentes.

Tension zéro dans la manifestation. Saxe-Gambetta se passe sans incident, Place du pont de même ainsi que Fosse aux ours les lieux d’accrochage habituels.

Mais une fois passée le pont de la Guille, l’honneur de la police va être sauf. La présence policière est plus rapprochée et défend le côté de l’ancien Hôtel-Dieu.

Quelques jets de peinture sur la façade de la part de BB qui se protège au-delà du passage de la masse des manifestants de la CGT qui arrivent et les CRS se déchaînes en grenades jetées au ras du sol et en grand nombre. Suffocation générale et charge des bacqueux qui ont surgi de derrière l’Hôtel et ont rejoints la rue de la Barre. Ils attaquent les banderoles en priorité à coups de matraque. Des jeunes résistent. Peu de blessés, mais beaucoup de personnes incommodées. La police barre le passage en direction de Bellecour. Ils sont une trentaine et tout à coup la masse de la manif menée par les gazés de la phase précédente déboule sur eux. Ils n’en mènent pas large et reculent sous les cris de « manifestation solidaire, on avance » ; « tout le monde déteste la police » et « barrez-vous » ! Ils reculent en plus ou moins bon ordre et comme il ne peuvent tenir toute la largeur de la rue ils se regroupent sur la droite et se réfugient dans une rue adjacente.

Bellecour, dispersion sans incident.

La foule a démontré que, dans les conditions d’un Etat de droit, les violences policières existent surtout parce que justement la masse des manifestants laisse isolée une partie d’entre eux qui deviennent alors des cibles.

Quelques Gilets jaunes vont se retrouver devant le Printemps pour scander : « 10-20-30 % Macron solde les retraites », tandis que d’autres sont partis dans le quartier de la Part-Dieu.

Comptes rendus des manifestations du 9 et 11 janvier à Lyon

Compte rendu de la manifestation syndicale du 9 janvier 2020

Rendez-vous pour départ prévu à 11h30 de la Manufacture des Tabacs

La CGT bien qu’assez en avant et nombreuse voit petit à petit un cortège de tête gonfler de façon incontrôlée. Le cortège classique lui voit des avocats se joindre de façon ostentatoire tandis que les égoutiers sont venus mettre un temps l’ambiance au-devant. Pas moins de 4000 personnes vont constituer le cortège de tête avec toujours les Gilets jaunes à la pointe suivi du black bloc, étudiants et autres quidams ne souhaitant pas être dans le cortège syndical.

La manif démarre avec plus d’une demie heure de retard sur l’horaire officiel. Les flics se font discrets malgré des contrôles et même les bacqueux, un peu trop entreprenant au niveau de la rue Rachais à Garibaldi, s’éclipsent face à une réaction de la foule. A Saxe, encadré par des GM et CRS sans qu’ait lieu un vrai contact, a lieu un peu de casse sur des banques mais ce n’est qu’après vers la rue Auguste Lacroix que les premières lacrymos sont envoyées sur un cortège qui encaisse bien et redémarre malgré des tirs de LBD.

La place de la Guillotière est sous bonne surveillance latérale et après des tags et une attaque de banque on a le droit à une salve de lacrymo à partir de la rue Mortier, vent dans le dos qui va étouffer tout l’avant du cortège de tête. Les plus en avant justement se voient donc coupés du reste de la manifestation au niveau de la place Raspail par un cordon de CRS et de la BAC. Cela ressemble plus à de l’intimidation qu’autre chose car ce cordon se retire après à peine 5 minutes de présence.

La CGT fait barrage à l’arrière pour essayer de scinder la manifestation, mais avec le retrait de forces de police le cortège se réunit, camion sono de la CGT à l’appui donnant même un instant le micro à une Gilets jaunes historique pour redonner de l’entrain aux présents.

Devant l’Hôtel Dieu, au niveau de la rue de la Barre, jets de peinture noire sur la façade. Des personnes forts aimables dans l’Hôtel Dieu font des gestes d’insultes aux manifestants qui s’échauffent et répliquent avec des projectiles. Dégagement du point d’abcès par des CRS,lacrymo à l’appui.

Tout se monde redémarre, la CGT entonnant du « Police nationale, milice du Capital » pour s’échouer tranquillement quelques mètres plus loin sur la place Bellecour bien encadrée.

 



 

Compte rendu de la manifestation du 11 janvier 2020 à Lyon

14 h Place du Maréchal-Lyautey

Manifestation intersyndicale et Gilets jaunes avec une grosse présence de la CGT tandis que les autres syndicats n’ont pas vraiment mobilisé ce samedi. La CGT à un service d’ordre, mais cela n’empêche pas du tout les Gilets jaunes et d’autres de se placer devant la tête officielle des « invités » du jour.

14 h 30 on démarre une manifestation qui comprendra jusqu’à 4000 présents avec un arrêt au beau milieu du pont Morand : par et pour le « bloc » qui se forme. Pendant ce temps les Gilets jaunes sont pour la plupart déjà de l’autre côté du pont (avançant à un tout autre rythme que les syndicats). Cela redémarre pour remonter le quai Jean-Moulin direction Bellecour comme annoncé ce qui fait que beaucoup du cortège de tête se rendent compte que la manif va être de courte durée… Mais on sent vite que du coté Gilets jaunes on a gardé ses propres pratiques avec invectives des policiers et tentative d’aller là ou il y a du monde et non des quais désertés : objectif centre de la Presqu’île ?

Première tentative dans une petite rue (rue de l’Arbre-sec ou du Bât-d’Argent ?) avortée assez rapidement, tentative de nouveau aux Cordeliers avec le premier gazage. Première embrouille aussi avec le service d’ordre de la CGT (SO qui prend sa mission d’Ordre au pied et à la lettre) et des personnes du black bloc durant la remonté du quai Jules Courmont. Nouvel échauffement rue Childebert qui ne dure pas et avec la manifestation syndicale qui continue son bonhomme de chemin comme si de rien n’était. S’enchaînent de la peinture sur l’Hôtel Dieu plus quelques tags. On tourne rue de la Barre après avoir vu que la place Antonin-Poncet était inaccessible directement, tout comme le Pont de la Guillotière barré par des barrières. Fermant l’accès à la rue Bellecordière une petite unité de CRS est là comme à portée de main. Une banderole se met bien devant eux et à son abri commencent quelques jets de projectiles. Gros gazage et on ne l’apprendra que le soir, mais une lacrymo est partie dans un appartement en hauteur face à la rue Bellecordière (une vidéo à fait le tour d’internet).

La CGT, une fois les gaz retombés, reprend son cours normal pour aller sur Bellecour.

À Bellecour une banderole qui a correctement manœuvré tout le long de la manif, avance et on se dit qu’on va tenter de repartir avec elle. Celle-ci se fixe devant la rue Émile Zola où les Gendarmes mobiles vont servir d’exutoire pendant de longues minutes, eux gazant pour se dégager. La banderole et une masse de manifestants en noir reculent vers le centre de la place Bellecour et se font rapidement attaquer par des CRS, gaz à l’appui, qui ne veulent pas les laisser se disperser trop facilement.

On se retourne et là embrouille au motif peu clair entre Gilets jaunes et cégétistes a priori du SO (?) mais assurément dont la jauge d’acceptation de pratiques qui ne sont pas les leurs à atteint, semble-t-il, le maximum aujourd’hui, alors que deux jours auparavant le camion CGT poussait au risque tout ! D’ailleurs l’incompréhension règne, car l’on voit des cégétistes faire le tour pour que tout ce monde se disperse, et ce après 2 h de manifestation grand maximum, ce qui n’est pas ce qu’entendent faire les Gilets jaunes en présence…
Un semblant de cortège hétéroclite se dirige vers la rue de la République, mais la tentative est vite avortée au profit d’une course vers Antonin Poncet. Salve de lacrymos quasi immédiate et reculade de CRS en embuscade sur la place et nouvelle tentative avec gazage derrière. Cela va stagner dans ce coin de la place Bellecour au gré de gazage et autres manœuvres tandis que tout ce monde se disperse très lentement sans avoir réussi à trouver de brèche dans le dispositif policier. Quelques-uns se rendront rue de la République sans le gilet, mais sans succès vu leur petit nombre.

Quelques nouvelles de Paris

Manifestation syndicale du 12 décembre

Après l’allocution du premier ministre le 11 décembre, la CGT a appelé à une manifestation le lendemain, jeudi 12. Sur un relai médiatique parisien (« Démosphère »), le rendez-vous est censé être à 12 h à Nation.
En fait à cette heure il n’y a personne hormis les cars de Gendarmes mobiles.

La manif aurait « été décalée » pour 14 h vue la précipitation avec laquelle elle a été décidée. Vers 13 h arrive le service d’ordre de la CGT. Il est plaisant de constater qu’on peut aujourd’hui discuter avec lui. Il est vrai que parmi celui-ci figurent des enseignants (où sont passés les gros bras staliniens ?). Ils ne se font aucune illusion sur la manifestation puisque, selon leurs propres dires, elle a juste été décidée pour répondre symboliquement à Philippe et ne pas laisser trop de temps entre deux « temps forts ». Mais de « temps fort » il n’y aura là qu’une caricature, les manifestants étant bien peu nombreux et les drapeaux gauchistes plus nombreux que les grévistes. Même les autres syndicats ne sont pas là.

En fait, pour être juste, il y a eu des appels à faire de petites manifestations locales à la suite des AG de grévistes du matin.

Dernière impression : les membres de base du SO de la CGT se demandent en fait pourquoi ils sont là et ils ne semblent pas tant craindre d’hypothétiques BB que la police. Je les renseigne sur ce qui s’est passé le 10 décembre à Lyon entre SO CGT et bacqueux et ils semblent persuadés d’être dans le collimateur de la police depuis la manifestation du 1er mai 2018.

La courte manifestation se passe sans incident.

Manifestation des Gilets jaunes le samedi 14 décembre

Le départ a été fixé à 13 h 30 à la station Trinité proche de Saint-Lazare qui se trouve sur l’une des deux lignes automatiques du Métro qui fonctionnent à plein. C’est une manifestation déclarée par le groupe de Gilets jaunes « Décla ta manif 1» qui est plus ou moins dirigée par une femme très combative ancienne de Nuit debout, mais très contestée par ailleurs pour sa ligne « autonome » par rapport à d’éventuelles convergences. Dis autrement, elle est accusée de sectarisme et de trop se mettre en avant. C’est ce groupe (création le 28 décembre 2018) qui a appelé à la première manifestation parisienne déclarée le 5 janvier 2019 pour que les manifestations puissent perdurer malgré la répression.

Le rendez-vous pour les acharnés a été fixé à 10 h 30 et effectivement, à cette heure-là il y a déjà une cinquantaine de Gilets jaunes qui font du bruit et affichent pancartes, chantent slogans. Leur nombre monte vite à 100-150.

De nombreux tracts sont échangés. « Plateforme jaune » s’oppose à la fausse démocratie qui n’est en fait que la « démocratie patronale ». Elle s’oppose à tous les RIC et autres RIP et appelle à des comités de lutte avec délégués révocables. Le groupe « Gilets jaunes constituants 91 » distribue un tract plus inquiétant dans un « manifeste politique » antimondialiste et contre les principaux ennemis que sont la finance et la spéculation. Sans être fasciste, la tonalité est souverainiste. Il n’est d’ailleurs pas fait référence au peuple (contrairement à « Décla ta manif »), mais au « peuple français ». Un autre groupe de constituants « les ateliers constituants » proposent un programme plus classique autour de l’instauration du RIC au cours d’une première phase de transition démocratique œuvrant pour une nouvelle constituante. La continuité de ce processus réglerait le problème de la révolution et des forces de l’ordre qui pourraient garder leur fonction pendant cette période et ne pourraient donc que se rallier au mouvement.

Des manifestants originaires de Belgique distribuent un tract sur leur résistance réussie à la réforme de la retraite par un système à points. Ils rappellent que cette réforme est impulsée par l’Union européenne.

Un « Manifeste communiste » contre l’argent est aussi largement exposé. Bref, une sorte de cour des miracles politique, mais avec une proportion importante de « visiblement pauvres » d’un âge assez avancé. Beaucoup plus d’hommes que de femmes aussi.

La manifestation va faire le tour des beaux quartiers, mais pas ceux de la consommation de luxe comme en décembre de l’année précédente, mais ceux des belles habitations du XVIIe arrondissement en direction de la porte Champerret pour finir à la Défense. La manifestation est complètement encadrée : devant, derrière, sur les côtés, il est quasiment impossible de la quitter. C’est semble-t-il le cas tous ces derniers samedis. Il y a environ 2000-2500 personnes avec des participants un peu plus mélangés en âge, sexe et origine sociale.

Aucun incident, même si quelques apprentis BB gueulent ACAB de temps en temps. Les gens discutent beaucoup par groupes. On me montre six manifestants du groupe Ananas lié à Dieudonné ! Le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils sont entre eux.

La manifestation se disperse sans incident sur l’esplanade vers 17 h. Un rendez-vous « sauvage » est suggéré vers les Halles…

Manifestation syndicale du mardi 17 décembre

Le rendez-vous est à République à 14 h. Forte présence des Gilets jaunes qui, dès 12 h 30 montent sur la statue, lancent des fumigènes et font un foin de tous les diables. Les passants et autres manifestants font des photos.

Un ordre de cortège a été établi (comme d’habitude à Paris il est tiré au sort entre syndicats) et cette fois la CGT est reléguée en queue ce qui ne va pas lui permettre de faire régner l’ordre comme elle a su le faire le 10 décembre. Ce sont les étudiants puis la FSU qui sont censés ouvrir le cortège. En fait, c’est l’imbroglio complet, car la police est venue fermer la manif derrière un présumé cortège de tête qui n’existe pas. Le but est, dès le départ, de scinder la manifestation en plusieurs tronçons. Alors que les manifestants en aval des cordons et camions de police essaient péniblement d’avancer, les manifestants qui se sont retrouvés en amont essaient de revenir en arrière. Pagaille monstre. Les manifestants en amont essaient de repousser les forces de police en poussant sporadiquement, mais il y a peu de détermination, une incompréhension par rapport à la stratégie policière plus qu’une révolte contre celle-ci. Finalement, au bout de presque une heure de tergiversations la police abandonne l’idée de scinder la manifestation (peut-on appeler ça une victoire de notre part ?) et nous progressons en un seul cortège, mais complètement encadré devant derrière et surtout sur les côtés. Toutes les rues adjacentes sont bloquées par des cars ou camions et des forces de l’ordre qui semblent insensibles aux quolibets et aux remarques indignées. Mais, plus dangereux, de temps en temps, les forces de l’ordre dont certaines doivent rester mobiles, peinent et prennent du retard ; elles déboulent alors sur les trottoirs par groupes de 50 ou cent en bousculant littéralement tout sur leur passage au risque de chute de manifestants qui ne se retireraient pas assez vite. Quand on leur fait remarquer, ils répondent par la menace.

Cette situation va perdurer jusqu’à Bastille où un regroupement partiel s’effectue. Quand elle repart, elle semble encore avoir perdu de son dynamisme qui n’était déjà pas évident. Par ailleurs la police se fait de plus en plus présente (le retour d’une « police de proximité » en quelque sorte) et les provocations policières vont commencer à partir de Reuilly-Diderot. Les grenades explosent et une charge s’en suit, matraque au vent. Résultats quelques blessés à la tête (apparemment peu grave) soignés par des street medics. Les manifestants hésitent, beaucoup reculent puis finalement on avance de nouveau et cinq minutes ne se sont pas passés que l’on ne voit des bacqueux courant sur le côté faisant une incursion sauvage au milieu de la manifestation et en fait la traversant sans que l’on sache après qui ils en ont. Sans doute leur a-t-on fait savoir qu’il y avait quelques hommes en noir qui se regroupaient.

Les manifestants en sont quittes pour la peur. Plus rien ne se passe jusqu’à Nation où sporadiquement s’échangent lancers de projectiles divers contre grenades. À partir de 17 h 30 la police annonce qu’elle va évacuer la place. Avec la tombée de la nuit, les projectiles redoublent, les gaz aussi. Fin de l’épisode.

J.

Notes de bas de page :
  1. Sur leur tract, on peut lire un écusson indiquant : « Gilets jaunes pour la démocratie ». Le pouvoir au peuple, dissolution assemblée nationale, création d’une constituante. Dans sa déclaration de principe le groupe s’adresse « au mouvement » en dehors donc de tous les corps intermédiaires et militants. Le groupe se veut un lieu d’accueil des convergences de toutes les urgences : politiques, sociales, écologiques. Son vœu d’une manifestation à la fois non violente et déterminée est néanmoins entachée d’une forte empathie pour les forces de l’ordre qui ne seraient pas majoritairement contre nous.[]

Compte rendu de la manifestation « unitaire » du 14 décembre à Lyon

14h. Brotteaux

Des Gilets jaunes 400 environ blottis contre la gare des Brotteaux alors qu’une fine pluie donne le ton de la future manifestation. Pas l’ombre d’un syndicat, mais par contre des drapeaux LFI car il y aurait un appel aux partis à rejoindre cette manifestation… pourtant l’appel « unitaire », qui n’a rien d’un appel de Gilets jaunes, semblait bien permettre aux syndicats de venir, d’autant que c’est la seule vraie justification pour un parcours déposé en préfecture. Nous allons donc goûter à la convergence faite à nos dépens.

La banderole de tête portée tour à tour par des Gilets jaunes de bonne volonté à pour inscription « Pour nos droits » avec une signature : « Gilets jaunes Croix-Rousse », là aussi cela n’est pas très unitaire même au sein des Gilets jaunes.

Démarrage de la manifestation vers 14 h 20 qui semble déterminée, mais la succession des rues et des avenues vides va donner un ton mortuaire à tout cela. Aux abords de la Part-Dieu vague tentative d’avancer, mais le cortège bloque toute initiative. Passage sur l’avenue Garibaldi à proximité des Halles-Paul Bocuse bien gardées par 3 camions de GM.
Arrêt, mais on sent bien que ce n’est pas là que quelque chose pourrait se passer. Suivent des tentatives, rapidement circonscrites, de bifurcation tandis que monte chez certains la conscience que cette manifestation nous balade, au sens strict du terme. L’exaspération monte notamment au moment de quitter Garibaldi pour prendre la direction de la Guillotière. Une personne avec un mégaphone (du NPA ?) s’emploie à faire avancer tout ce monde dans la « la bonne direction » alors que la voie est libre : la combine fonctionne et cela redémarre ! Des militants du NPA sont bien présent mais qui agissent, de fait, à l’insu de tous.

Direction la Guillotière et le cortège va s’échouer devant le pont du même nom, grille devant et GM de chaque coté. Cela stagne, certains s’énervent d’une manifestation aussi calme tandis que d’autres font tourner un mot pour se rejoindre à Bellecour, mais nous n’y trouverons quasiment personne. La « balade du samedi » des Gilets jaunes est finie à 16 h 30.

On apprendra que ce type de manifestation se décide en AG interluttes avec des représentants des « Gilets jaunes ». Qui sont ces « représentants », qui ne veulent pas apparaître comme responsables de pareil cortège mortuaire, demande des éclaircissements…

Compte rendu partiel de la journée du 9 décembre 2019 à Lyon

Partiel car centré sur les lycées mobilisés pour dénoncer l’action de la police la semaine dernière devant le lycée Ampère-Saxe et la blessure à la face par balle de LBD d’un jeune élève de 15 ans.

Dès 8H du matin, le blocage d’Ampère-Bourse est important avec 300 élèves qui bloquent les portes avec des poubelles et autres obstacles. La police est présente mais regarde de loin contrairement à décembre où elle intervenait très rapidement. Le blocage a aussi lieu à l’annexe d’Ampère-Saxe.

Quelques poubelles s’enflamment, la police avance puis recule. Je me fais insulter par le porteur de LBD qui me dit que je devrais avoir honte d’être là à mon âge. L. lui répond vertement et moi de même. Il s’éloigne. Quelques délégués partent à l’AG de la Bourse, mais le blocage tient. Quelques nouveaux feux de poubelles et des élèves bloquent une porte de derrière que l’administration tient à garder ouverte. Un peu de dispersion, de relâchement d’attention et la police en profite pour procéder à deux arrestations de lycéens. Pas de réaction véritable car l’occupation s’est effilochée.

Le rendez-vous de l’après-midi avait été fixé, au cours du W-E, à 14H devant l’annexe d’Ampère-Saxe et les enseignants et autres grévistes étaient censés s’y joindre. Mais en fait, par on ne sait quel tour de passe-passe les syndicats changèrent du tout au tout en convoquant au dernier moment la manifestation sur la place Jean Macé.

Résultat : les lycéens, désorganisés, sont dans la nature. Il n’y en a plus devant le lycée et guère plus à Jean Macé.

Une manifestation d’à peine 500 adultes (il n’y a même pas les étudiants qui pourtant ont eu une AG dans la matinée !) déambule lentement et à sa tête tout ceux qu’on n’a pas vu depuis plus d’un an, les leaders de la CNT qui enfin peuvent reprendre une tête de cortège drapeaux au vent d’autant que s’il y a des enseignants dans le cortège, enfin on peut le supposer, il n’y a pas de drapeau de la FSU et encore moins de cégétistes à par quelques cheminots venus à titre de grévistes, mais pas avec l’attirail syndical. Devant le lycée il y a un arrêt en hommage au lycéen avec prise de parole au micro par un apprenti bonze de la CNT. J’essaie d’intervenir sur le trottoir devant le lycée pour le renvoyer à ses misérables magouilles politiciennes, mais je n’ai pas de micro, il y a du bruit et à part quelques déçus ou coléreux qui se mettent aussi de côté sur le trottoir, tout reste bien dans l’ordre et la dignité. La manif s’ébranle à nouveau car vous savez (et même les déçus le disent) : il ne faut rien sacrifier à l’unité et l’essentiel est demain… D’ailleurs, l’essentiel n’est-il pas toujours pour demain quand certains sont prêts à faire avaler toutes les couleuvres et que d’autres sont prêts à les avaler…

Une remarque finale : pourquoi depuis décembre 2018 avec la force qu’a eu le mouvement lycéen à ce moment les lycéens ne se sont-ils pas constitué en coordination lycéenne comme leurs devanciers historiques. A cette question, L. pourtant lycéen et mobilisé n’apporte pas de réponse.

J. le 9 décembre

Quelques remarques et réflexions suite à la réunion Temps critiques

Réunion Temps critiques à Lyon les 22, 23 & 24 novembre 2019

— Elle a permis la participation/intégration de nouveaux venus.

— L’après-midi du samedi sur les Gilets jaunes a facilité la rencontre. Le revers de la médaille est qu’on a passé pas mal de temps dessus et qu’il est difficile de « bouillonner » toute une journée.

Mais il était logique de passer du temps sur ce qui constitue notre première intervention non sur le mouvement, mais dans le mouvement, à travers l’expérience du Journal de bord à Lyon.
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