Théorie de la crise ou crise de la théorie ?

Cette suite d’échanges est le fruit d’une activité de discussions autour de la liste « soubis » dont l’un des membres a proposé un échange sur la crise à partir d’un texte de Robert Kurz, ancien membre de la revue allemande Krisis puis de la revue Exit jusqu’à son décès.

L’intervention de J. Wajnsztejn s’est faite à partir de deux axes principaux, le premier étant le caractère daté de ce texte de Kurz qui concerne la crise de 2008 comme s’il ne s’était rien passé depuis, comme si c’était une évidence que la crise s’étirait sans fin sans que cela soit pourtant une crise finale ; il s’agissait donc de critiquer l’approche qui ne considère le capitalisme que comme un système en crise sans jamais parler de sa dynamique contradictoire de développement plus caractérisée par des cycles courts de croissance et dépression que par des cycles de longue durée comme on avait pu en connaître tout au long des XIXème et XXème siècles ; le second à partir de la critique de l’utilisation de catégories idéalistes (les « abstractions réelles » de l’école critique de la valeur) qui ne sont explicatives de rien quant à la « crise » actuelle et qui sont de fait obligées de se replier sur la théorie de la valeur-travail, la baisse tendancielle du taux de profit et autres croyances marxistes jamais démontrées, ni d’ailleurs mesurables.

Ces remarques ont entraîné de nouveaux échanges inter-individuels entre JW et F. Chesnais qui présentait le texte de Kurz et une discussion publique au sein du groupe « soubis » le 10 mars 2017. Discussion que nous reproduisons ici ainsi que les quelques remarques de conclusion de JW.

Le texte préparatoire à la réunion de Kurz figure en fichier joint.

Suite à cette échange une discussion parallèle s’est engagée, en dehors du cercle « soubis » et cette fois en rapport avec le « réseaudediscussion » entre JW et Gérard. B sur machines et valeur qui est en cours encore et qui s’insérera plus tard dans cet ensemble.

Enfin, différentes remarques et discussions ont amené JW a remanier son texte d’origine « Crise ? » afin d’en faire un article en lui-même à paraître sur le site dans la semaine qui vient.


La crise  ?

 

Théorie de la crise ou analyse du capital tel qu’il va ?

Il me semble qu’en préalable, il faudrait reconnaître que si le capitalisme persiste et perdure c’est qu’il s’avère, aujourd’hui, qu’il fonctionne pratiquement « à la crise » si on veut absolument conserver ce vocable conceptuel devenu passe partout depuis qu’il sert  à caractériser un changement de tendance, un choc (elle n’est donc jamais finale mais toujours corrective) et qu’on l’emploie même dans l’oxymore « crise de croissance » et en dehors de l’économie (crise des générations, crise des banlieues, crise de la quarantaine et j’en passe). Ce n’était pas le cas dans les périodes historiques précédentes et par exemple pour les analyses fonctionnant en termes d’effondrement, de cycles longs (Kondratiev) ou en termes de mode de régulation.

Si on veut continuer à parler en termes de crise, il faut donc dissocier la « crise » de la perspective ancienne de la décadence du capitalisme ou de son effondrement (la « crise finale ») et plus généralement d’une perspective catastrophiste qui, la plupart du temps, s’est exprimée sous l’idée que « la seule limite du capital c’est le capital lui-même 1 ».  Une formule utilisée par Marx qui, accompagnée de l’idée d’un déterminisme du « système » du fait de sa structure de « capital automate », nous renverrait tout simplement à la forclusion de toute idée de dépassement. Sur ce présupposé, le capitalisme n’est alors même plus conçu comme produisant un rapport social entre forces antagonistes.

Si on veut aller à la racine du problème alors on peut dire que c’est l’hypothèse de la crise qui sauve la théorie, la situation de non crise n’étant plus considérée comme « normale » puisqu’elle n’est pas compréhensible par la théorie, que ce soit celle des rendements décroissants ou de la stagnation séculaire de Ricardo ou celle de la baisse tendancielle du taux de profit de Marx. On comprend alors pourquoi la prédiction, si elle veut rester critique, ne peut être que funeste car elle sous-tend la seule possibilité politique d’un autre monde à partir du moment où on a décidé que la limite du capital c’est le capital lui-même puisque le travail n’est qu’une composante du capital 2 et non pas un pôle du rapport social capitaliste qui le contredit.

Cette perspective de l’effondrement a été mise à mal par les analyses régulationnistes (école de la régulation et mode de régulation fordiste), les analyses sur la dynamique du capital (Castoriadis et Souyri) d’une part et par les analyses opéraïstes sur les nouvelles compositions de classes d’autre part , les trois développées à partir du milieu des années soixante.

Le point commun entre les trois, c’est qu’elles insistent plus sur la mise en crise du capitalisme que sur sa « crise ». Une mise en crise par rupture de l’ancien compromis de régulation du fait des luttes ouvrières qui vont se développer sur environ une décennie dans la plupart des pays à capital dominant même si c’est avec plus ou moins d’intensité. La crise peut bien alors être repérée par certains au niveau économique (déclin de la productivité et épuisement de la première phase de consommation disent les régulationnistes, croissance inflationniste diront d’autres, baisse de la part des profits dans la valeur ajoutée enfin), elle a d’abord été un champ de bataille sur lequel se sont affrontées diverses forces, centralement capitalistes et ouvrières, mais aussi les différentes fractions du capital (MIT, club de Rome et croissance zéro contre productivistes, modernistes du travail enrichi et « autonome » de la « ressource humaine » contre traditionalistes des taches contraintes, tenants d’une relance par la demande contre tenants d’une relance par l’offre) et le différentes fractions de la classe du travail (OS, jeunes prolétaires et leurs alliés étudiants contre les syndicats et l’Etat) entre elles.

C’est sur ces décombres ( « le capitalisme est un cimetière d’entreprises sous la lune » disent les japonais, Schumpeter parle quant à lui de « destruction créatrice ») que les vainqueurs ont essayé de restructurer les entreprises et de trouver un nouveau cadre à l’accumulation et à la domination, mais en tenant bien compte de ce qui s’était passé, de ce qui avait « chauffé » pour leur pouvoir.

Ce qu’on a appelé la dialectique des luttes de classes qui s’épuise à la fin des années 1970 (luttes dans la sidérurgie française et mines anglaises n’étant déjà plus que des ilots de résistance) a porté ici ces derniers fruits dans la mesure ou la restructuration du capital a dû en tenir compte pour produire les enchaînements suivants : augmentation du pouvoir d’achat-seconde phase de la société de consommation ; croissance du crédit-déclin de l’Etat social 3 ; forteresses ouvrières-« small is beautiful » et lean production; plans de retraite-dégraissages ; fordisme-toyotisme ; bureaucratie-autonomie ; rigidité-fluidité ; luttes d’OS-robotisation et substitution capital/travail ; absentéisme et turn over-flexibilité patronale ; force de travail-ressources humaines ; classification-compétence ; travail-emploi ; internationalisme des luttes-mondialisation du capital, industrie-services ;  accumulation-capitalisation ; Etat-nation-Etat réseau etc.

La restructuration n’a donc pas été seulement rétablissement de la rentabilité des entreprise, mais quête de la résolution des oppositions de classes caractéristiques du fordisme finissant. Face aux critiques « artiste » et « sociale » (Le nouvel esprit du capitalisme  de Boltanski-Chapiello — tout a été changé au sein des entreprises et de la société « pour que rien ne change » selon la formule consacrée du baron de Lampedusa.

Toutefois, cela ne débouche pas sur un nouveau mode de régulation ni même sur un nouveau modèle de croissance puisque c’est le court-termisme qui semble l’emporter, en parfaite congruence d’ailleurs avec l’absence de visibilité d’un cycle long de reprise de type Kondratiev.

Les analyses traditionnelles de la crise sont mises à mal  par les transformations du capital

– dès 1973, Ch. Levinson,qui analyse les FMN déclare « Le capital n’est plus un facteur de production, c’est la production qui est un facteur de capital ». Dit autrement, la forme A-A’ est la forme pure du capital et d’ailleurs sa forme première 4, celle à laquelle il cherche toujours à retourner même s’il doit parfois emprunter les formes M-A-M ou A-M-A’ (cf. Braudel) pour accroître la capitalisation.

– cette tendance est renforcée par le fait que la croissance actuelle (non, non ce n’est pas un « gros mot ») n’est pas portée comme auparavant par une ou des innovations motrices (Schumpeter) contrairement à l’hypothèse qui sous-tendait les cycles longs de Kondratiev. Il n’y a pas de troisième révolution industrielle ! Les nouvelles technologies de l’information qui apparaissent ne sont en tout cas pas considérées comme telles.

C’est cette absence qui explique le paradoxe relevé par Solow sur le rapport peu évident entre développement des NTIC et gains de productivité si on utilise les outils comptables habituels. Or la nouvelle économie est impulsée par autre chose, à savoir le niveau élevé de vitesse de circulation 5 qui est elle-même un élément de valorisation par la dynamique qu’elle imprime. Le paradoxe de Solow se résout si on considère que les gains de productivité ne sont plus reversés essentiellement sur le procès de production et le rapport capital/travail, mais qu’ils participent à la progression de l’accélération. Il en découle alors que l’invisibilité des gains de productivité due aux NTIC n’est réelle que par rapport au cadre productif strictement défini et que la visibilité se retrouve en fait dans les prix qui globalement sont à la baisse.

Au niveau théorique c’est une autre façon de dire que les prix dominent la valeur. Le nouveau modèle est déflationniste alors que l’ancien était inflationniste. Ce qui est « bien » pour les marxistes, c’est que dans un cas comme dans l’autre ils peuvent continuer à placer leur concept fourre tout de dévalorisation de façon à anticiper la future « grande » crise. 6.

– la plupart des analyses marxistes qui se veulent radicales ignorent la monnaie et oublient que les déficits sont nécessaires à la croissance économique, car ils rendent possible l’accroissement des liquidités. Il existe en effet une corrélation entre ces deux éléments : sans croissance de la masse monétaire, pas de croissance économique. Il y a deux sources de croissance monétaire : l’Etat par la banque centrale et la planche à billets et les banques qui sont habilitées à créer de la monnaie scripturale. Ce mouvement n’est toutefois pas libre puisqu’il y a des institutions monétaires qui le réglemente. Mais des dérives existent et elles se développent selon deux tendances ; d’un côté, les Etats creusent les déficits en dépensant plus d’argent qu’ils n’engrangent d’impôts (c’est particulièrement le cas aujourd’hui avec la baisse des recettes due à la fois à une baisse d’activité et aux baisses d’imposition) et donc ils s’endettent ; les banques, en prêtant au-delà des possibilités de remboursements des ménages et des entreprises et aussi en étant prises dans le tourbillon de la globalisation qui a déréglementé en partie le secteur en lui offrant de formidables opportunités, mais une augmentation aussi des risques. Des nouvelles mesures de réglementation sont donc nécessaires. C’est ce qui aurait dû se mettre en place après 2008 et l’a été (projets de séparation banques d’affaires/banques de dépôt, politiques d’argent facile menée par les banques centrales pour compenser la contraction des activités … due en partie aux politiques de désendettement et donc d’austérité), mais l’a été insuffisamment ou est même aujourd’hui remis en cause comme avec certains projets de Trump.

– Le juste à temps du toyotisme mêle temps de production et temps de non production au sein d’un travail productif général qui ouvrira ensuite sur les théories autour du General intellect. Cela ruine tous les anciens calculs de productivité, celle-ci n’étant déjà plus depuis un certain temps assignable à une force de travail individualisée (Zarifian), mais n’est plus mesurable non plus par le rapport habituel Q/tps. Dans le même ordre d’idées, la combinatoire homme/machine des nouveaux process rend artificielle toute détermination d’une productivité du « travail » sauf à croire qu’un seul agent au milieu d’une usine entièrement automatisée serait le seul producteur de survaleur ! Ce casse-tête n’en est un qu’à cause de cette croyance quasi religieuse aux hypothèses ou tendances dégagées par Marx et ensuite considérées comme des lois économiques par ses disciples transformés en économistes. Ainsi, dans notre exemple, l’idée que seul le travail vivant et non pas le travail mort est créateur de richesse parce que le second ne ferait que transmettre 7 sa valeur est aujourd’hui proprement surréaliste (cf. le livre de Steve Keen : L’imposture économique, L’atelier, 2014).

– Le profit est aujourd’hui dans une large mesure anticipé (on produit ce qui est déjà vendu) ce qui résout le problème dit de la « réalisation » : création et réalisation de la valeur sont rabattus l’un sur l’autre. Unité production/circulation facilitée par le développement des NTIC et la vitesse des flux d’information

– il n’y a pas déconnexion économie réelle/finance d’abord parce qu’il n’y a pas d’économie irréelle ou virtuelle 8, mais surtout parce que la financiarisation n’est pas une technique mais une relation de pouvoir qui inverse l’ancien rapport entre prêteurs et emprunteurs du rapport fordiste. La dette est donc bien domination mais pas domination du grand Léviathan ; elle est rapport social et elle ne fonctionne pas sur la base du 1% l’impose aux 99% comme semble le croire D. Graeber et son histoire de 5000 ans de dette.

La dette n’est donc pas en soi un handicap, mais le plus souvent un choix stratégique 9 si on tient compte du fait que ce n’est que l’autre nom du crédit qui selon les économistes libéraux permet une meilleure allocation des ressources  quand elle s’appuie sur la fiabilité des institutions de crédit et explique la montée en puissance du monde occidental (. D. North, 1973). Une  vision idyllique qui néglige le fait que les crédits aux entreprises vont plus aux grandes qu’aux petites entreprises et aussi le fait qu’historiquement le crédit soit aussi orienté par les pouvoirs publics comme en Europe après 1945 avec la nationalisation des banques de dépôt ou aujourd’hui avec des banques centrales qui pratiquent des politiques monétaires actives et expansionnistes pour relancer une activité brimée par les contraintes des politiques budgétaires restrictives. Leur « indépendance » en fait les nouvelles représentantes du capital collectif alors que c’était le rapport patronat-Etat-syndicat qui le symbolisait dans la phase précédente. L’inflexion n’est pas négligeable.

A contrario, c’est cette absence de fiabilité des institutions de crédit et plus généralement de gouvernementalité qui explique la difficulté de soutenir le développement par le crédit dans les pays pauvres. D »où aussi l’apparition de véritables systèmes de micro-crédit comme au Bangladesh.

De la même façon, l’euro en théorie ne renvoie qu’à lui-même comme expression de la valeur en général dans son espace propre sur fond de banque centrale européenne indépendante. C’est la faillite de la Communauté européenne qui n’est pas une force politique que de ne pas avoir voulu être à la base d’un nouveau mode de régulation, ce qui était une possibilité envisageable en Europe (un keynésianisme élargi et rénové), d’un point de vue capitaliste, du fait de l’histoire politique (Etats-nations) de certains de ses Etats-membres, a priori peu enclins à suivre le sous-modèle anglo-saxon. Le résultat c’est un sous-modèle allemand qui domine dans lequel l’euro s’est retrouvé adossé à l’ancienne valeur du DM et à la politique de monnaie forte de la Bundesbank 10) pour avoir encore son mot à dire au niveau de l’hyper-capitalisme du sommet. C’est cette même incapacité qui a conduit la Grèce à l’étranglement.

Il faut donc éviter les généralisations hâtives car il existe des différences très importantes entre formations sociales. Ainsi, les salaires ont continué à progresser en France, les inégalités y ont été très contenues, le capital y est plus taxé que dans la plupart des autres pays capitalistes, au prix certes d’un chômage plus important… Ailleurs, les salaires ont stagné, baissé, les inégalités ont explosé, les classes moyennes ont été déstabilisées, les classes populaires appauvries (cf. Etats-Unis et GB, par exemple). Donc même si elle n’est ni radicale ni révolutionnaire, la lutte sociale collective permet au moins de résister comme le montre la lutte contre le projet de loi El Khomri.

– C’est la forme A-A’ qui représente le mieux la puissance indifférenciée du capital et qui peut donc le mieux assurer une unité de ses différentes fractions aussi bien dans le cadre du financement des innovations, que du fonctionnement de la Bourse ou que du développement des concentrations par la forme actuellement dominante des fusions/acquisitions 11 signe d’une prédominance de la capitalisation sur l’accumulation, de la fluidité sur la rigidité.

L’une des spécificité du capitalisme est le recyclage continuel de l’argent dans la circulation et non pas dans celle de la production de marchandises qui n’en est qu’une forme indirecte et dont l’importance varie historiquement. Il n’y a pas là un quelconque « capitalisme inversé » comme l’affirment Lohoff et Trenkle dans leur ouvrage  La grande dévalorisation.

Dans la formule A-A’ le capital tend vers l’auto-présupposition, son utopie en quelque sorte. Le capital devient totalité grâce au marché financier où il conjugue alors substance et immatérialité. Par exemple l’entreprise à travers sa transformation en holding est à la fois valeur de capital productif et actifs financiers, stocks (immobilisations en capital fixe et ressources humaines) et flux ( ventes et rachats d’actions, acquisitions délocalisations, mise en réseaux des établissements, investissements directs à l’étranger, salariés précaires).

– la plupart des marxistes considèrent le capital fictif comme un agent pro-cyclique (c-à-d qu’il renforcerait toujours la tendance conjoncturelle, qu’elle soit inflationniste ou déflationniste) alors que, comme Keynes l’a montré, le capital fictif est contra-cyclique parce que justement l’argent n’est pas un simple voile jeté sur « l’économie réelle » ou un moyen technique pour faciliter les échanges, mais un agent économique fondamental. Il est un agent structurel de la dynamique et ce, dès les débuts du capital. Ainsi, la lutte contre l’inflation dans les années 1970 va aller avec un resserrement du crédit et le triomphe des politiques monétaristes qui sont justement à l’opposé extrême des tendances à la « déconnexion ». Or beaucoup d’auteurs et par exemple ceux de la Wertkritik confondent extension du crédit et croissance de la masse de liquidités internationales due aux pétrodollars 12. Or aujourd’hui où dans un environnement déprimé on a une politique de crédit facile, elle pourrait l’être encore plus si elle s’orientait vers un nouveau plan Marshall, mais cette fois en direction du capitalisme vert, des énergies renouvelables, etc. Cela suppose une entente au niveau de l’hyper-capitalisme du sommet.

– la dette ne constitue donc pas un facteur de crise en soi comme dans le porte monnaie de la ménagère à l’époque des bas de laine, mais un rapport de pouvoir et ce, aux deux extrêmes : le pays le plus riche (les Etats-Unis est celui qui est le plus endetté car c’est celui qui peut capter le plus de richesse non pas parce qu’il est le plus endetté évidemment, mais parce qu’on lui reconnaît la capacité à devenir encore plus riche 13, les pays les moins riches comme la Grèce sont endettés comme signe de leur insuffisance de gouvernementalité.

En pratique, la dynamique est forcément déséquilibre alors que la théorie économique a toujours construit ses analyses sur l’équilibre, même quand elle intégrait la possibilité des crises (la crise comme correction et retour à l’équilibre) 14. Et ce sont les institutions du capital qui sont chargées de l’équilibre après coup (cf. Le rôle du FMI, la « troïka » et la Grèce 15). Un journal comme Le Monde diplomatique nous fournit la meilleure expression de cette « crisite » aigüe d’origine marxiste mais transformé en vulgate. Un exemple parmi tant d’autres : « L’onde de choc de la crise financière, partie le 2 juillet 1997 de Thaïlande, n’a pas achevé sa funeste propagation […] La moitié de l’économie mondiale se trouve frappée par un risque systémique » (mars 1999). Rebelote ensuite pour la crise du Nasdaq, puis la crise japonaise jusqu’à celle des subprimes. La seule façon de s’en sortir pour ces augures, c’est de dire que nous ne sommes pas encore sortis de cette crise, ce qui revient à dire que le terme de crise n’a plus de sens quand, comme je le pense, la dynamique est plus instable (« la révolution du capital ») que pendant les Trente glorieuses et qu’il n’y a pas (encore ?) de nouveau mode de régulation lui correspondant.

La dette a d’autre part des vertus reproductives selon Brenner qui souligne seulement qu’il y aura des effets de longue durée. Ce qu’il appelle une « contraction systémique », ce que j’appelle une « reproduction rétrécie ».

– la dynamique du capital n’est pas qu’économique. Elle vise à la « société capitalisée », c’est-à-dire à une transformation profonde (anthropologique ont dit certains) des rapports sociaux et des comportements à la fois dans une perspective idéologique claire, comme celle qui consiste à vouloir transformer tous les individus en « entrepreneurs de soi » à travers des processus aussi contradictoires que l’égogestion de sa ressource humaine, l’accession de tous à la propriété (l’une des bases de la « crise » de l’immobilier en 2008 ), l’ubérisation des rapports de travail au défi du salariat, les innovations trans-humanistes de la part de nouvelles firmes comme les GAFA dont on ne sait encore qualifier le pouvoir comme le prouve l’exemple du Danemark qui vient d’ouvrir une ambassade en Californie pour traiter avec elles, mais dont on sait déjà qu’elles possèdent de véritables « trésors de guerre » (cf. les polémiques autour de la puissance d’Apple qui échapperait aux contraintes étatiques sur l’impôt).

– aucune théorie de la valeur ne peut rendre compte de la transformation de la connaissance et du savoir en valeur ce qui est gênant quand on sait la part de connaissances qu’intègrent les processus de production de l’amont à l’aval ; un facteur endogène de la croissance mais réductible ni au capital fixe ni au travail vivant. Mais si on veut l’isoler, par exemple pour calculer sa productivité en espérant résoudre le paradoxe de Solow, c’est-à-dire l’existence d’une part de productivité qui est au-delà du capital fixe et du travail et qu’on veut encore parler dans les vieux termes, elle a certes une valeur d’usage mais pas de valeur d’échange de référence et elle fonctionne soit au coût marginal (hypothèse néo-classique) soit au coût de reproduction (économistes classiques + Marx) lequel tire très vite vers zéro au fur à mesure de l’augmentation des quantités et de la vitesse de la circulation. Elle n’a donc que peu de rapport avec le coût initial. On voit ici le risque à prendre pour développer des starts up et la nécessité fonctionnelle et productive du crédit sous la forme de « capital-risque », alimenté souvent par des fonds de pension qui doivent se prémunir contre des couacs éventuels comme l’écroulement des valeurs du Nasdaq en demandant de forts retours sur investissement 16.

Sphère financière et sphère du savoir essaient de trouver leur articulation comme dans un jeu … de pouvoir.

– il faut sortir de la haine anti-capitaliste de l’argent, commune à l’extrême droite et à l’extrême gauche et base de l’anti-sémitisme et des théories du complot.

Sortir de la chrématistique d’Aristote et de cette idée quasi religieuse que l’argent n’est réel (ou moral) que s’il est le représentant d’un travail vraiment effectué, idée défendue même par ceux qui sont contre le travail !

« Economie de casino », « mecano industriel », « consumérisme » sont des formules qui, si on les débarrasse de leurs sous-entendus moralistes, signalent que les activités économiques et sociales sont des activités à la fois ludiques et de pouvoir et ne sont donc pas strictement « rationnelles ». Mais le pari de l’entrepreneur schumpeterien, idéal-type du capitaliste pour Weber, l’était-il plus que Gates, Buffett, Zückerberg ou Soros ?

– enfin, il faudrait clarifier la notion de capital fictif. On est déjà peu nombreux à l’utiliser (la Wertkritik, F. Chesnais, Temps critiques), mais en plus on se divise entre ceux qui la réduisent quasiment au capital spéculatif ou au crédit mais avec une vision anti-chrématistique et morale derrière (Jappe) tout en le déclarant parfois productif (quand il n’est pas « à découvert » : Lohoff, Trenkle, Kurz), ceux qui comme F. Chesnais 17 en font le chaînon manquant qui assurerait l’unité entre le monde de l’accumulation et le monde de la circulation (la « déconnexion » chassée par la porte fait son retour par la fenêtre) en créant artificiellement [!!!, ndlr] des débouchés et enfin ceux qui comme Temps critiques en font un agent essentiel de la dynamique du capital et de son procès de totalisation qui tend justement à l’unité production/circulation et production/consommation.

Le financement de l’innovation et plus particulièrement des NTIC par ce capital fictif ne correspond donc pas à un intérêt particulier d’une fraction du capital, ni même principalement à un intérêt collectif certes évident, mais participerait aussi du mouvement de globalisation lui-même et de sa « préférence pour la fluidité » (toujours l’utopie de la forme A-A’).

Mais pour la clarifier il faut, à mon avis, abandonner le déterminisme économique hérité  du diamat, un travail largement entamée par Castoriadis et Socialisme ou Barbarie mais qu’on ne retrouve guère dans la critique marxiste de l’économie politique.

Quelques questionnements :

– la dynamique actuelle du capital est-elle surtout cognitive (cf. Negri et les post-opéraïstes) ou fluidique (Cf. Gaël Giraud et l’idée que sans énergie le capital est immobile)… ou les deux ? Difficile de le dire sans saisir la spécificité des NTIC dans la dynamique générale du capitalisme que ce soit du point de vue du procès de production et de travail, de la valorisation ( Kurz parle à ce propos de « troisième révolution industrielle » sans impact sur la valorisation, cf. sa polémique avec Postone) alors que d’autres y voient au contraire l’avènement d’un capitalisme cognitif ou encore connexionniste, que du point de vue de la transformation des comportements (révolution anthropologique).

– la faiblesse des taux d’intérêt et la surabondance de capitaux « flottants » permettent des investissements dans de nouvelles énergies et bio/nano technologie, capitalisme vert, énergies alternatives, cela contredit-il les augures de l’épuisement ou de l’effondrement ?

En d’autres termes, est-ce réalisable dans le cadre capitaliste ?

– sommes nous dans une phase de transition comme le pensait G. Arrighi (via Braudel + Gramsci) pour qui toutes les périodes de transition 18 d’une hégémonie à l’autre (par exemple EU/Chine pour ce qui est de son hypothèse) se traduirait par une contraction des grands indicateurs économiques et une expansion financière laquelle représente un mouvement récurrent et de longue durée ?

Je reste circonspect sur la transition d’hégémonie perçue par Arrighi, mais ce qui est sûr c’est qu’elle est actuellement plus en phase avec ce qui se passe que l’ancienne analyse de longue durée Kondratiev-Schumpeter.

– comment expliquer la co-existence des tendances à la fluidité du capital et le fait que des tendances rentières semblent non seulement perdurer, mais même se développer ? Est-ce dû à l’absence d’inflation ? On peut en douter puisque les taux d’intérêts sont très bas voir négatifs ce qui va plutôt dans le sens d’une « euthanasie des rentiers » si la tendance se confirme 19. Alors, logiques rentières ou débouchés solvables insuffisants  dans la mesure où si on ne produit que ce qui se vend, faut-il encore que la demande soit solvable ?

Quelques notes pour vendredi

Au texte de Kurz ci-joint (fichier en rtf), dont certaines parties viennent en appui à mes positions, s’ajoute celui envoyé par Jacques W., où mon désaccord est à peu près total.

Aller à la racine de la situation actuelle et à venir

Beaucoup d’essais ont été publiés depuis deux ou trois ans sur les tensions politiques mondiales, domestiques et internationales, sur les malaises sociétaux français et européens, sur le délitement des systèmes politiques. Pas mal d’auteurs rapportent ces questions au néolibéralisme et à la « globalisation ». Elles doivent être rapportées au cours du capitalisme et son impasse. Des événements au niveau de la « superstructure », il faut revenir à « l’infrastructure », au mouvement de l’accumulation du capital en longue période et aux barrières qu’elle rencontre. La perspective est celle d’une situation où les conséquences politiques et sociales d’une faible croissance et d’une instabilité financière endémique, avec le chaos politique que celles-ci créent, dès aujourd’hui dans certaines parties du monde et potentiellement dans d’autres, sont en train de converger avec l’impact social et politique du changement climatique.

Lever tout de suite de possibles malentendus

Le thème majeur est la rencontre par le capitalisme de limites qu’il ne peut pas franchir. Cette situation ne signifie en aucune manière la fin de la domination politique et sociale de la bourgeoisie, encore moins sa mort, mais elle ouvre la perspective qu’elle entraîne l’humanité dans la barbarie. Kurz écrit : « Si le capitalisme se heurte objectivement à des limites historiques absolues, il n’en reste pas moins vrai que, faute d’une conscience critique suffisante, l’émancipation peut échouer aujourd’hui aussi. Le résultat serait alors non pas un nouveau printemps de l’accumulation, mais, comme l’a dit Marx, la chute de tous dans la barbarie » (bas de la page 2).

De mon côté, la question que je pose dans la conclusion de mon livre en anglais (dont une traduction française a été publiée par la revue Inprecor) est celle-ci : « Est-ce que « nous », nous pouvons nous débarrasser du capitalisme, le renverser, afin d’établir « des relations de la société humaine dans la nature » totalement différentes ? Et si nous ne pouvons pas, la société civilisée va-t-elle survivre ?  »

Et ma réponse est de dire : « Les jeunes générations d’aujourd’hui et celles qui les suivront sont et seront de plus en plus confrontées à des problèmes extrêmement difficiles. Les grandes luttes dans quelques pays, mais aussi, dans tous les autres, les innombrables luttes auto-organisées au niveau local démontrent leur capacité d’y faire face. Du point de vue du combat pour l’émancipation sociale, leurs seules perspectives peuvent être résumées par le mot formulé par Marx au cours de sa dernière conversation que nous connaissons, un entretien avec un jeune journaliste américain : « la lutte ».

« Et ce fut comme si son esprit s’était retourné un instant pendant qu’il considérait la mer

mugissante devant nous et la multitude qui s’agitait sur la plage. “Qu’y a-t-il ?” avais-je demandé, à quoi il répondit sur un ton profond et solennel : “La lutte !” Tout d’abord, il m’a semblé que j’entendais l’écho du désespoir ; mais peut-être était-ce la loi de la vie. »

Et je termine en disant que « les soulèvements dans diverses régions du monde, de même que les innombrables luttes locales, aussi importantes et dont bon nombre sont à la fois économiques et écologiques, prouvent que ceci est compris. L’immense défi est de centraliser cette énergie révolutionnaire latente à travers le monde sous des formes politiques qui ne répètent pas celles du siècle dernier et leurs résultats, et donc de créer une force qui pourrait concevoir et établir les conditions de l’émancipation humaine, et serait également en mesure d’arrêter le désastre écologique actuel. »

Faut-il mettre un point d’interrogation au mot « crise » ?

Jacques W. nous présente l’idée selon laquelle, « si le capitalisme persiste et perdure, c’est qu’il s’avère, aujourd’hui, qu’il fonctionne pratiquement « à la crise » », avant de soutenir que « c’est l’hypothèse de la crise qui sauve la théorie, la situation de non-crise n’étant plus considérée comme « normale » puisqu’elle n’est pas compréhensible par la théorie ». Cette pratique théorique remonterait jusqu’à Ricardo. Je ne pense pas qu’il y ait grand intérêt à le suivre dans cette voie. Il faut simplement dire exactement de quoi on parle. Ici je parle d’une situation où, après un épisode de quasi-effondrement du système financier étatsunien et partant mondial, suivi par une récession mondiale à laquelle la Chine a mis très vite un plancher, permettant une courte reprise, les moteurs de l’économie capitaliste mondiale ont calé, comme le montre bien cette figure :

Il faut chercher à comprendre pourquoi les moteurs ont calé et, dans le cas présent, avancer l’hypothèse de la transformation de limites relatives de la production en limites absolues. Il faut suivre Kurz lorsqu’il dit au début de son texte : « Le capitalisme n’est pas l’éternel retour cyclique du même, mais un processus historique dynamique. Chaque grande crise se produit à un niveau d’accumulation et de productivité supérieur à celui du passé. C’est pourquoi la question de savoir si la crise peut être maîtrisée ou non se pose chaque fois d’une manière nouvelle. Certains mécanismes de solution antérieurs perdent leur validité. » On reviendra sur cette dernière phase plus loin.

Que faut-il entendre par barrière ou limite immanente, interne ?

Jacques W. m’a surpris, et peut-être surpris d’autres camarades, par sa forte hostilité envers Kurz. Je me situe largement du côté de Kurz et j’emploie la même expression que lui (page 3 du texte), à savoir « d’une « limite interne du capital » qui finit par devenir une limite absolue ». Je ne vois pas où dans le livre écrit en anglais je « réfute l’idée de contradiction interne » (note 1 du texte de J.W.).

Il est exact que « Marx envisageait la lutte de classes comme faisant partie des limites internes, puisqu’il considérait le capital comme un rapport social ou produisant un rapport social. » (note 1 du texte de J.W.) Mais on ne peut pas imputer à Kurz de le nier. Il dit simplement qu’on ne peut pas s’en tenir à ça.

Le défi est de saisir le capital à la fois comme de l’argent en quête de valorisation selon des configurations diverses  – celle du capital marchand (A-M-A’) ; celle du capital industriel (A-M-P-M’-A’, le M se décomposant en achats de machines et de matières premières d’un côté et de force de travail de l’autre) ; celle du capital-argent fétichisé (A-A’) – ET comme un rapport social radicalement antagonique entre les capitalistes comme bloc et celles et ceux qui doivent vendre leur force de travail.

La façon contradictoire de maximiser la survaleur et son blocage : la « limite interne »

Marx dans le livre III du Capital écrit que « la production capitaliste tend sans cesse à dépasser les limites qui lui sont immanentes, mais elle n’y parvient qu’en employant les moyens qui de nouveau, et à une échelle plus imposante, dressent devant elle les mêmes barrières » (livre III, chapitre XV). Ces « limites immanentes » « reposent sur l’expropriation et l’appauvrissement de la grande masse des producteurs », mais elles résultent de la manière dont la production capitaliste s’y prend dans sa recherche de l’exploitation maximum. Or l’intensification de l’exploitation (taylorisme) se double, et c’est la contradiction que Kurz expose dans son texte (pages 4-5), de celle d’une substitution des machines aux salariés, dont l’aboutissement est l’informatisation/robotisation d’une partie croissante des emplois tertiaires (exemple : les services bancaires aux particuliers) après celle des emplois industriels. Le début de cette contradiction et le principal effet qu’elle engendre, celui d’aboutir à une « production réelle insuffisante de survaleur » (Kurz, page 3), remontent au XIXe siècle.  Le capitalisme a trouvé pendant un siècle et demi les moyens de contrecarrer ce mouvement, mais cette fois-ci, dit Kurz, la rupture structurelle contemporaine, marquée par la microélectronique, n’en a plus, de sorte que la « « limite interne du capital » finit par devenir une limite absolue ».  Il faut placer « la production réelle insuffisante de survaleur » au cœur de la situation qu’un rapport du Sénat français vient de désigner ainsi : « Une crise en quête de fin – Quand l’Histoire bégaie ».

La « limite externe », un échec du marxisme ?

Il est exact, comme l’écrit Jacques W., que Marx « n’envisageait pas de limite externe comme celle liée à un certain rapport à la nature extérieure du capitalisme et à ses effets à long terme et a fortiori dans sa vision du communisme ». Mais faut-il le suivre lorsqu’il soutient ceci : « Quand F. Chesnais se reporte sur la crise climatique comme preuve d’une contradiction externe fondamentale, comment dire mieux alors l’échec du marxisme en tant qu’analyseur des contradictions internes qui ont toujours été l’objet de la critique de la part de « l’économie marxiste » ? » ? La destruction par la production capitaliste des équilibres éco-systémiques, notamment de la biosphère, n’a effectivement pas été prévue par Marx (il pensait que la révolution aurait lieu et il ne pouvait pas prévoir que la seule révolution réussie aurait lieu dans un pays attardé, serait isolée et adopterait le même rapport à la nature que le capitalisme). Des marxistes, dont Jacques W. pense bien sûr pis que pendre, ont cherché à combler le vide. Ils ont effectivement commencé par définir la destruction sous ses multiples formes et ensuite les conséquences du changement climatique comme une « limite externe ». Ce que j’ai fait, c’est défendre la thèse de l’impossibilité pour le capitalisme de modifier ses rapports à l’environnement, de l’internalisation de la limite, de la nécessité d’abandonner l’opposition entre « contradiction interne » et « contradiction externe ».

L’internalisation de la « limite externe »

L’observation méthodologique générale la plus ramassée de Marx sur les rapports des hommes à la nature se trouve dans Travail salarié et capital, un texte peu lu aujourd’hui : « Pour produire, les hommes entrent en relations et en rapports déterminés les uns avec les autres, et ce n’est que dans les limites de ces rapports sociaux que s’établit leur action sur la nature. » Dire que les « rapports sociaux » dans le cadre desquels la société mondiale contemporaine dominée de part en part par le capital « établit son action sur la nature » sont ceux qui opposent le capital et le travail, c’est procéder à une simplification à laquelle Marx ne s’est pas livré et qui ne suffit pas à une compréhension des enjeux actuels.

La définition pertinente est celle de rapports sociaux commandés par la valorisation sans fin de l’argent devenu capital dans un mouvement marqué par la réduction du travail concret au travail abstrait et la production et vente de marchandises, également sans fin. Le capitalisme donc doit puiser sans limites dans les réserves terrestres de matières premières, de ressources du sol et du sous-sol, comme plus récemment de porter atteinte à la biosphère et aux écosystèmes très fragiles qui lui sont liés. L’exploitation sans limites de la force de travail achetée et l’exploitation sans limites et jusqu’à épuisement des ressources naturelles, accompagnées à partir du milieu du XXe siècle par des modes de produire et de consommer provoquant la croissance exponentielle des émissions de gaz à effet de serre, vont ensemble. Elles sont contenues dans la notion de capital et dans celle qui lui est inséparable de production de marchandises, dont une part aujourd’hui massive est socialement inutile. Pour le capital, il est absolument indifférent que ces marchandises représentent réellement des « choses utiles » ou qu’elles en aient simplement l’apparence. Pour le capital, la seule « utilité » est celle qui permet de dégager des profits et de poursuivre le processus de valorisation sans fin, de sorte que les entreprises sont passées maîtres, avec la publicité, dans l’art de démontrer à ceux qui ont réellement ou fictivement (le crédit) du pouvoir d’achat que les marchandises qu’elles leur proposent sont « utiles », mécanisme qui aboutit à la « société de consommation » et à son gaspillage insensé.

« La production réelle insuffisante de survaleur » est quelque chose que les capitalistes ressentent mais ne peuvent pas analyser, et encore moins en arrêter le mécanisme. Plus l’insuffisance s’accroît, plus s’accroît leur acharnement à produire et vendre coûte que coûte, acharnement dans l’exploitation des salariés en poste, acharnement dans l’exploitation des ressources naturelles.

Les mécanismes de solution et de report des grandes crises

La première solution a été celle des dernières décennies du XIXe siècle. Elle a été l’expansion extérieure sous deux formes : 1°, la croissance des Etats-Unis et la marche vers l’ouest, qui ont fait des Etats-Unis à la fois le foyer des première crises financières et l’espace où elles se résorbaient ; 2°, l’expansion mondiale de la Grande-Bretagne, suivie par d’autres pays européens par les conquêtes coloniales.

La seconde réponse a été la guerre. C’est par ce moyen que les puissances capitalistes sont sorties de la crise de 1929. L’Allemagne hitlérienne a éliminé le chômage en préparant la Seconde Guerre mondiale, et aux Etats-Unis la sortie de crise s’est faite définitivement lors de son entrée en guerre en 1942.

Il faut considérer la réintégration de la Chine dans le marché mondial comme l’analogue contemporain de l’expansion extérieure.

Le mécanisme nouveau a été celui qui a permis de reporter la crise, à savoir le recours à l’endettement à partir du milieu des années 1990. Comme l’écrit Kurz, « pendant plus de vingt ans il s’est développé, sur la base de l’endettement et de bulles financières sans substance, une conjoncture globale de déficit qui ne pouvait être viable à long terme. Toute l’ère néolibérale de la dérégulation s’est accompagnée d’une succession inédite de crises financières et d’endettement. Tant que ces crises sont restées limitées à certaines régions du monde ou à des secteurs particuliers, il fut possible de les endiguer grâce à un flot de liquidités émis par les banques centrales. Mais ainsi on a seulement créé les bases de la culmination du processus de crise » (pages 1-2).

Endettement des ménages, comme moyen de soutenir la demande, notamment l’achat de voitures et de logements, l’immobilier devenant le pilier de la croissance. L’accroissement sans précédent du crédit aux ménages a reposé sur la technique financière de la titrisation, qui permet aux banques et aux sociétés de prêt hypothécaire de transformer leurs créances en titres et de les vendre à des investisseurs financiers qui en assument les risques. Mais aussi endettement des entreprises, dans le bâtiment, et des sociétés immobilières. A mesure que la bulle immobilière s’est épuisée, des prêts hypothécaires n’ont plus été proposés seulement aux ménages disposant de revenus relativement élevés et stables, mais aussi à d’autres qui n’étaient pas dans cette situation. La déréglementation accélérée a vu fleurir des sociétés de prêts hypothécaires opérant sur le mode de l’arnaque. Ce sont elles qui sont directement à l’origine du marché des prêts dits subprime. De façon concomitante, les banques ont fabriqué des titres dits « synthétiques » consistant en un assemblage (le « packaging ») parfaitement opaque de créances d’origine et de fiabilité très diverses.

Le capital fictif

Kurz note que la phase contemporaine d’insuffisance de production de survaleur résultant de l’informatisation a été concomitante avec la montée en force des marchés financiers, qu’il réduit à ce qu’il nomme le déplacement, vers ces marchés, des crédits d’Etat. De son côté Jacques W. souligne l’importance du capital fictif et appelle à une clarification de la notion. « On est, dit-il, déjà peu nombreux à l’utiliser (la Wertkritik, F. Chesnais, Temps critiques), mais en plus on se divise entre ceux qui la réduisent quasiment au capital spéculatif ou au crédit mais avec une vision anti-chrématistique et morale derrière (Jappe) tout en le déclarant parfois productif (quand il n’est pas « à découvert » : Lohoff, Trenkle, Kurz), ceux qui comme F. Chesnais en font le chaînon manquant qui assurerait l’unité entre le monde de l’accumulation et le monde de la circulation (la « déconnexion » chassée par la porte fait son retour par la fenêtre) en créant artificiellement [!!!, ndlr] des débouchés, et enfin ceux qui comme Temps critiques en font un agent essentiel de la dynamique du capital et de son procès de totalisation qui tend justement à l’unité production/circulation et production/consommation. » (p. 8)

Je ne me reconnais pas dans la position que Jacques W. me prête. Je vais donc présenter celle que je pense défendre. « L’agent essentiel de la dynamique du capital » dont il parle est le capital porteur d’intérêt dans ses opérations d’offre du crédit à court terme indispensable aux moments M-P et P-M’ du mouvement complet du capital. Ce crédit qui prend la forme d’escompte d’effets de commerce est payé sous forme d’intérêt et ne crée pas d’obligation. Mais les montants nécessaires à ce crédit sont une infime partie du capital-argent accumulé par les banques et, dans les pays de retraite par capitalisation, aussi par les fonds de pension. La figure suivante donne une estimation de la place de l’escompte des effets de commerce dans les profits bancaires.

La valorisation de ces montants se fait par des opérations qui donnent lieu à la création des deux formes de base du « capital fictif », c’est-à-dire 1) des titres de prêt à des entités publiques ou à des entreprises – ce sont les obligations négociables sur des marchés spécifiques rémunérés par l’intérêt – et 2) l’émission par les entreprises ayant la forme de sociétés anonymes d’actions négociables en Bourse et donnant droit à dividendes. Les obligations et les actions sont des droits à participer au partage du profit ; les bons du Trésor, à pomper par le biais du service de la dette publique des revenus centralisés par l’impôt. Pour leurs détenteurs, ces titres, qui doivent être négociables à tout moment sur des marchés spécialisés, représentent un « capital », dont ils attendent un rendement régulier sous forme d’intérêts et de dividendes (une « capitalisation »). Vus sous l’angle du mouvement du capital productif de valeur et de plus-value, ces titres ne sont pas du capital. Dans le meilleur des cas, ils sont le « souvenir » d’un investissement fait depuis longtemps, d’où le terme conçu par Marx de capital fictif.

Le « fétichisme de l’argent »

L’accumulation des deux types de titres et leur négociation sur les marchés financiers donnent lieu à la formation d’une couche de capitalistes pour qui ne compte que le mouvement A-A’ et au développement de ce que Marx nomme le fétichisme de l’argent. Avec cette accumulation, représentée par les trois rectangles de gauche de la figure,

« le rapport capitaliste atteint sa forme la plus extérieure, la plus fétichisée. Nous avons ici A-A’, de l’argent produisant de l’argent, une valeur se mettant en valeur elle-même, sans aucun procès (de production) qui serve de médiation aux deux extrêmes ».

C’est à ces trois rectangles que correspondent les remarques de Marx dans le chapitre XXIV du livre III.

« C’est dans le capital porteur d’intérêt que ce fétiche automate est clairement dégagé : valeur qui se met en valeur elle-même, argent engendrant de l’argent ; sous cette forme, il ne porte plus les marques de son origine. (….) L’argent acquiert ainsi la propriété de créer de la valeur, de rapporter de l’intérêt, tout aussi naturellement que le poirier porte des poires ».

Les capitalistes financiers délèguent la tâche de s’assurer qu’il en soit ainsi pour eux aux managers des entreprises (dividendes et intérêts), aux gouvernements (service des intérêts de la dette publique) et aussi, dans la période, pour les prêts, aux gérants des parcs immobiliers.

De ces formes primaires de capital fictif « l’ingénierie financière » a fait naître ce qu’on nomme les « produits dérivés » (en anglais derivatives). Le grand cabinet d’affaires McKinsey a publié jusqu’en 2012 des données estimatives des flux de dividendes et d’intérêts et de la capitalisation (valeur sur les marchés financiers) de ces formes primaires. Une économiste brésilienne s’en est servie pour dessiner cette courbe. McKinsey attribue la reprise de la croissance de courbe au bond dans les dettes publiques après le choc financier et la récession mondiale de 2008-2010.

La faiblesse de l’investissement productif fait que cette masse de capital fictif vit en vase clos, le travail des gestionnaires et des traders consistant à faire des profits, qui peuvent être minuscules sur certaines transactions, en passant d’un compartiment du marché à l’autre. Le résultat est l’instabilité financière endémique qui est un autre trait de la période.

Liens

http://alencontre.org/laune/le-capitalisme-a-t-il-rencontre-des-limites-infranchissables.html

https://www.senat.fr/notice-rapport/2016/r16-393-notice.html

F. Chesnais


Bonsoir,

Juste un mot rapide pour continuer la discussion …

-Une grande partie des notes de François concerne la crise de 2008 (comme d’ailleurs celles de Kurz) comme s’il ne s’était rien passé depuis et que la croissance n’avait pas repris, certes dans sa forme « rétrécie », comme si les entreprises ne faisaient pas de profits alors qu’ils sont aujourd’hui très hauts (cf. les bénéfices des entreprises du CAC 40 pour 2016 en hausse de 15% pour un chiffre d’affaire inchangé) et que c’est plutôt leur ré-investissement qui pose problème, mais pas leur rétablissement. De la même façon, des mesures ont bien été prises depuis pour réglementer la sphère financière ; ainsi, selon un article d’un économiste américain dans Le Monde daté de ce jeudi, il est dit que le financement des banques s’est détourné de l’emprunt pour privilégier les capitaux alors qu’avant 2007-8 cela ne concernait seulement que 2% du total ; d’autre part, la loi Volker sur les restrictions bancaires vise à limiter les opérations sur fonds propres et donc à introduire une distinction entre banques d’affaires et banques de dépôt comme en Europe. Ce sont d’ailleurs ces mesures qui sont mises en danger par l’arrivée de l’équipe Trump au pouvoir.

– Je ne reproche pas à François de nier l’idée de contradiction interne mais je remarque simplement qu’il ne « croit » plus suffisamment qu’on peut compter dessus. Il lui faut en quelque sorte un surcroît de crise. C’est la complémentarité inverse de celle de Kurz. Pour François, la contradiction externe va nous plonger dans une autre dimension de la crise, plus fondamentale ; pour Kurz la contradiction externe n’est que la goutte d’eau qui éventuellement fera déborder le vase plus vite. Mais dans les deux cas on se réfugie dans une sorte de géopolitique de la crise indécidable ou infalsifiable comme disait Popper des idéologies qui se prennent pour des vérités. La question de la survaleur en est un bon exemple : Kurz (et le marxisme orthodoxe aussi) partent de l’idée que seule la force de travail est productrice de survaleur comme si justement la révolution technologique ne remettait pas cela en cause, comme si le nouveau type de machine ne supprimait pas la différence entre travail mort et travail vivant, bref comme si la machine continuait à ne faire que transmettre sa valeur sans en créer dans la nouvelle configuration (cf. à ce sujet et quoiqu’on puisse les critiquer sur d’autres points les thèses d’autres marxistes comme Negri, Virno, Marazzi et les post-opéraïstes en général). A quoi sert alors de parler de la « troisième révolution industrielle » pour ce qui est des NTIC si on ne perçoit pas le rapport entre vitesse et valorisation ?

– Dire que le capitalisme fonctionne à la crise ne supprime pas la dynamique du capital bien au contraire. C’est seulement l’orthodoxie marxiste de la critique de l’économie politique qui maintient l’idée que la dynamique produit chaque fois un niveau plus élevé de la contradiction. Laquelle d’ailleurs ? Celle de la baisse tendancielle du taux de profit ? Celle entre développement des forces productives et étroitesse des rapports de production ? On n’en sait rien et dans tous les cas cela relève de la croyance. Mais plus de 150 ans de croyance cela commence à bien faire. Qu’on nous prouve déjà qu’il y a baisse du taux de profit on verra après. Ce n’est pas la peine de se moquer des capitalistes parce qu’ils ne se rendraient pas compte de l’insuffisance de survaleur quand les marxistes ne sont pas capables de l’évaluer autrement que par des données agrégées sans signification, faisant ici guère mieux que les économistes de l’OCDE qui avouent eux qu’ils ne peuvent vraiment calculer la productivité au niveau micro-économique et qu’ils ne le font que par déduction au niveau macro-économique (pour ceux qui voudrais des précisions techniques, on peut se reporter  à :

http://www.alternatives-economiques.fr/michel-husson/optimisme-structurel-a-locde/00077923

La « supériorité » du capitaliste par rapport à l’analyste (qu’il soit marxiste ou « théoricien de la valeur » ou « expert ») reste quand même patente dans sa capacité à susciter l’innovation et le profit au niveau micro-économique et à réaliser la capitalisation au niveau macro-économique. Quant à la « supériorité » des ouvriers et prolétaires, elle résidait jusqu’à présent dans leur capacité à mettre en crise le capitalisme, ce qui n’est pas la même chose que d’indiquer sa possibilité ou d’attendre sa venue. Une capacité qui malheureusement s’est réduite à la fin des années 70.

– Parler de forme « fétichisée » pour la forme A-A’, c’est oublier que c’est la forme pure du capital au sens où il serait ainsi débarrassée de ses présuppositions. Ce ne peut qu’être une tendance, mais elle est présente dès le débuts du capital et l’est aussi à ce qui pourrait être sa fin. Mais à la fin on sera tous morts comme disait Keynes !

– à propos de la finance et du capital fictif, je trouve la conception de François de la fonction des dividendes, particulièrement restrictive. Pour lui le dividende rémunère l’action comme si la majorité des actionnaires était encore des petits porteurs qui placeraient leur argent pour mettre du beurre dans les épinards. Or le nombre de petits actionnaires en France et en Allemagne est plutôt en baisse et surtout leur part dans le total des actions en circulation se réduit comme peau de chagrin au profit des gros actionnaires que sont les assurances, des banques, d’autres entreprises dans le cadre de participations croisées. Pour ce qui est de la France, par exemple, la Caisse des dépôts et consignations est un des plus gros actionnaires et il est difficile de lui reprocher de ne pas réinvestir ces dividendes puisque c’est quasiment sa fonction première. Le capital fictif n’est donc pas qu’un souvenir d’un capital ancien, il est aussi anticipation d’un nouveau même si dans sa phase de transition il peut être appelé fictif.

Quant au niveau des dividendes versés il est lié effectivement à la globalisation financière qui accentue le flottement et le nomadisme des capitaux qui cherchent à se placer. Il faut donc pour chaque entreprise ou pays attirer ces capitaux surtout quand, pour différentes raisons, ils ne représentent pas une destination évidente (il faut alors inciter à) ou quand la structure même du capital d’un pays fait qu’il y a insuffisance de capitaux. Ainsi en France il n’y a pas de fonds de pension français puisque pour différentes raisons l’Etat s’y est opposé et il faut donc attirer des fonds étrangers et pour cela les surrémunérer. Il est ainsi pathétique de voir certains spécialistes de la dénonciation de la finance crier haro à la fois contre les fonds de pension et contre de hauts niveau de dividendes !

JW

 


 

Compte rendu de la réunion du 10 mars 2017

 

Discussion avec François Chesnais sur un texte de Robert Kurz (voir pièce jointe).

Nicole : Ma première question sur tes commentaires en réponse à Jacques Wajnsztejn concerne ce que tu appelles la « crise écologique ». Tu parles d’une limite externe qui devient une limite interne à la marche du capitalisme. Mais comme une crise est un moment passager,  avec une issue, je me demande si le terme est approprié. D’autant que l’on peut se demander si les dérèglements écologiques ne peuvent pas être eux-mêmes une nouvelle source de profit (le fameux « capitalisme vert »).

Catherine : Il n’y a pas la même temporalité entre les deux crises.

François : On est piégé par le mot crise, qui pose des problèmes. Sur la crise économique, j’essaie de donner une définition de ma manière d’utiliser le mot. Une situation où les ressorts de l’accumulation sont cassés, où il n’y a « pas de sortie de crise ». C’est même une idée qui fait son chemin plus largement, et qui justifie des politiques actuelles. On s’installe dans une configuration dans laquelle l’austérité et le chômage sont le capitalisme ordinaire.

Il y a deux dimensions à la crise écologique : 1) des ressources non renouvelables ou renouvelables seulement dans l’impasse, puis 2) le changement climatique.

Les non-renouvelables existent toujours, mais leur prix d’extraction est toujours plus élevé. Aucun segment du capitalisme n’en profite. Certaines formes d’exploitation industrielle de la terre avec des intrants chimiques subissent des rendements décroissants. Les capitalistes de l’agrobusiness devront passer à autre chose. La crise actuelle des céréaliers est celle d’une certaine forme d’agriculture.

Ensuite, il y a la dimension du changement climatique. Des entreprises se positionnent pour en profiter. Concernant la transition vers les énergies renouvelables, elle sera très longue. En attendant, le changement climatique à sa vitesse actuelle sera un facteur de crise sociale et politique qui va accentuer la pression migratoire, facteur de multiplication de guerres locales. Avancée dans la barbarie pour certaines populations, puis des problèmes croissants d’instabilité au niveau mondial. La CIA sort depuis quelques années des rapports sur les problèmes de maintien de l’ordre mondial que la changement climatique va causer avant que la transition ne s’achève.

Nicole : On pourrait avoir une longue période de chaos, mais à plus long terme, si les structures capitalistes restent en place, on pourrait imaginer une reprise en main par les capitalistes. Un peu comme après une guerre.

François : Sans doute, mais c’est une perspective de l’ordre de cinquante ans. Dans notre société, l’emprise du capitalisme est complet. De ce fait, les problèmes momentanés du système prennent des dimensions de barbarie. Je n’annonce pas la fin du capitalisme, je parle des limites qu’il atteint. Le texte de Kurz le dit clairement.

Helen : A partir de quand peut-on parler de barbarie ?

Daniel : Quel changement qualitatif par rapport au capitalisme actuel ? La perspective à l’origine de SouB était l’unification du capitalisme (Est-Ouest) sous la forme du travail forcé, donc la barbarie du point de vue de 1949. Mais aujourd’hui ?

Claude : Le XXe siècle a fourni un large éventail de situations barbares. Totalitarisme, crever dans l’abondance, être réduit en esclavage… L’ennui, c’est que, ne sachant pas quelle forme prendra la barbarie à venir, on est mal placé pour s’y préparer.

Daniel : Si on dit que la crise capitaliste actuelle débouche sur la barbarie, ce serait donc une barbarie moderne. Pas tellement les camps de concentration.

François : Comme l’a dit Claude, elle pourra prendre des formes différentes. Il n’y a aucun danger de totalitarisme mondial, car on est entré dans une phase d’exacerbation de la concurrence entre les entreprises et entre les Etats. Ils ont pu éviter la guerre commerciale en 2009-2010, mais elle se développe sous nos yeux aujourd’hui. Une forme de chaos où aucune sortie de crise ne se dessinera. Derrière ça il y a une création insuffisante de valeur et de survaleur, qui devient de plus en plus manifeste quand on  regarde la lutte intercapitaliste autour du partage de cette survaleur insuffisante. On voit aussi l’acharnement, avec la robotisation, avec l’exploitation toujours plus poussée de la force de travail, et enfin l’acharnement à vendre toujours plus.

Daniel : Quelle différence entre cette analyse et celle du marxisme classique ?

François : C’est une clarification de l’idée de la baisse tendancielle du taux de profit.

Bruno : C’est la vision classique selon laquelle la valeur n’est produite que par la force de travail. Les nouvelles technologies et le capital fictif, tu en parles, mais tu n’en tires pas les mêmes conclusions que Temps critiques. Cela remonte au New Deal, avec l’endettement généralisé. Pour toi, c’est signe de faiblesse plutôt que mode de fonctionnement du capital.

François (remarque qu’il n’a pas eu l’occasion de placer et qu’il nous demande d’insérer) : Juste un mot pour essayer de clarifier le terme de capital fictif. Le socle, ce sont des actions et des titres de la dette publique négociables à tout moment sur des marchés spécialisés. Pour leurs détenteurs ils représentent un « capital », dont ils attendent un rendement régulier sous forme d’intérêts et de dividendes (une « capitalisation »). Vus sous l’angle du mouvement du capital productif de valeur et de plus-value ou survaleur, ces titres ne sont pas du capital. Dans le meilleur des cas, ils sont le « souvenir » d’un investissement fait depuis longtemps, d’où le terme conçu par Marx de capital fictif. Les obligations et les actions sont des droits à participer au partage du profit, les bons du Trésor à pomper par le biais du service de la dette publique des revenus centralisés par l’impôt. La faiblesse de l’investissement productif fait que les montants considérables nés de ces ponctions ne sortent pas de la sphère des marchés, le travail des gestionnaires et des traders consistant à faire des profits, qui peuvent être minuscules sur certaines transactions, en passant d’un compartiment du marché à l’autre. Le résultat est cette instabilité financière endémique qui est un trait de la période. Les créations de liquidités (la planche à billets) ont pour résultat de gonfler ces montants encore plus et donc de nourrir l’instabilité qu’on peut voir comme un autre signe de fuite en avant.

Jean-Luc : Je crois qu’il y a une certaine confusion entre crise et catastrophe. Avant, le travail était la force antagonique, alors qu’il ne l’est plus. Le négatif se situe dehors aujourd’hui.  La crise externe serait plutôt la catastrophe, qu’il vaut mieux éviter.

Bruno : On parle de crise sans arrêt depuis 1973. Or le système se maintient. Sur la crise écologique, il s’agit plutôt du rapport à la nature. Avec la mondialisation, on arrive à des choses horribles. La Chine était peu urbanisée il y a quarante ans.

Americo : La crise est le mode d’être du capital. C’est la normalité. La crise est là en permanence. Il y en a toujours de toutes sortes. Aujourd’hui, c’est la crise comme catastrophe. Facteur anormal. C’est peut-être là-dessus que le capitalisme va buter. La valeur travail, c’est un concept proudhonien. Marx parle plutôt de valeur force de travail. Par rapport à la barbarie : ceux qui comme moi ont vécu dans des pays pauvres ont pu voir la barbarie de l’accumulation primitive du capital comme fait permanent (esclavage, où ce sont les autres qui paient le prix pour notre bien-être ici). Mais cette barbarie est différente de celle du capital actuel en Europe, qui pour moi est le nihilisme. Les barbares ont quand même régénéré l’Europe autrefois, alors qu’on assiste aujourd’hui à une sorte de décivilisation, barbarie propre au capital.  Le problème, c’est bien effectivement la limite interne, qui est effectivement la négativité critique. Le prolétariat est devenu un facteur de stabilité du capitalisme.

Elisiario : Les Etats fonctionnent aujourd’hui comme des compagnies d’ assurances : ils couvrent les risques du capital, ils garantissent les limites de ses dysfonctionnements. Voir la rapidité avec laquelle ils ont sauvé les banques en 2008. C’est pour ça qu’on n’est pas arrivés à l’effondrement.

Americo : Ils sont là aussi pour éviter la crise sociale. L’Etat est un acteur de la dynamique du capital, sans Etats il n’y aurait pas de développement pacifié du capitalisme. Mais ils ont cessé d’être une superstructure.

Larry : On a eu d’abord le texte de Kurz, ensuite des commentaires de Jacques, puis une réponse de François. Comme il y a des notes polémiques, j’essaie de prendre un peu de hauteur.  Les idées avancées par Jacques suscitent un peu le même type de réactions que celles de Castoriadis à l’époque, car il remet en question les lieux communs propres à notre milieu. Je trouve utile que quelqu’un pose au moins ce genre de questions et nous pousse à examiner nos présupposés. Sur certains points, je m’estime agnostique et je ne me sens pas obligé d’avoir une position (par exemple : la financiarisation est-elle utile au système ou est-elle un facteur de destruction?).

Americo : Elle est les deux. Jacques défend l’idée de révolution à titre humain. Mais cette reprise de la thèse de Camatte me perturbe beaucoup. Cela dit, dans leur dernier livre, les rédacteurs de Temps critiques reviennent sur beaucoup de choses, avec une bonne part d’autocritique. Mais j’estime qu’il y a de la mauvaise foi par rapport à Kurz dans un livre antérieur de Guigou.

Jean-Luc : La barbarie, est-ce l’insensibilité à la destruction ou… ?

Daniel : On fait comme si le problème du capital était coupé des problèmes de la société. S’il y a crise, ce n’est pas seulement un problème de survaleur. La crise prend sa signification parce qu’elle se produit dans une société réelle, vivante. Ce sont nos conditions de vie qui sont en jeu. S’interroger sur la dynamique du capital de façon coupée de ce qui fait la vie des hommes, ça me paraît assez vain.

David : J’ai beaucoup profité des discussions de ce cercle jusque-là. Mais en lisant le texte de Kurz, j’ai cru que c’était une blague. On aurait enfin trouvé les limites absolues du capitalisme… Le tout présenté dans un cadre tellement restreint. Pour moi, un texte comme celui-ci, c’est de la « barbarie ».

Jean-Luc : Je crois que Kurz a voulu dire que, après chaque révolution industrielle, on a réussi à intégrer, mais que avec cette dernière révolution, on n’y arrive plus.

David : On est toujours dans l’idée selon laquelle c’est l’industrie du présent qui fait que la fin de l’histoire approche. C’est ridicule. On ne voit rien dans l’avenir, donc l’avenir n’existe pas.

Elisiario : Socialisme ou barbarie : si on soulève cette question, c’est bien que…

Daniel : Dans le texte de François est mentionnée la phrase de Marx sur la lutte. Et François dit bien que les luttes qu’il y a actuellement laissent penser qu’il y a un potentiel pour la lutte. Le monde réel est quand même présent.

François : A la page 2 du texte de Kurz, il est question d’un « processus [qui] n’est “nécessaire” et déterminé que dans la mesure où les catégories et critères fondamentaux de ce mode de production et de vie ne sont pas remis en question dans la pratique ». Il explique qu’il aurait pu y avoir un autre développement si les mouvements antérieurs avaient été capables de développer un niveau de conscience adéquat. La négativité critique et cet échec sont donc bien présents.

David : Il y a néanmoins cette idée de limites absolues. C’est une lecture économiste qu’on a vue cent fois déjà. La conclusion est toujours la même.

François : Dans les premiers chapitres du Capital, que tu as peut-être négligés, Marx se situe à un certain niveau d’abstraction, avant de passer ensuite aux formes concrètes d’exploitation. L’abstraction de Kurz, c’est celle de toute conceptualisation d’un système, il n’est pas particulièrement abstrait par rapport à certains textes de Marx.

David : Les rapports sociaux déterminés, c’est un faux concept.

Jean-Luc : Une notion importante aujourd’hui est celle de la superfluité – l’idée qu’il y aurait des êtres humains qui sont superflus. Il y a peut-être cela dans le texte de Kurz. C’est la grande différence avec les autres révolutions industrielles. La loi de Speenhamland, instaurée en Angleterre pour assurer une sorte de minimum garanti, a été supprimée [en 1834]. Aujourd’hui, avec le revenu d’existence, ce serait une façon de la remettre en place.

Daniel : La main-d’œuvre est devenue une « variable d’ajustement ».

Americo : Le capital produit même une haine de l’humanité, il veut la remplacer. La notion de rapports sociaux déterminés n’implique pas un déterminisme, ces rapports peuvent changer parce qu’ils sont sociaux, la lutte intervient. Kurz fait même dans Argent sans valeur (pas traduit en français) une critique féroce de l’économisme.

Bruno : Pourquoi parler de barbarie ? Les conditions de travail d’aujourd’hui, où il y a énormément de précarité, ça y ressemble déjà.

Larry : Les tenants de la Wertkritik, dont Kurz, étaient issus du gauchisme en Allemagne avec la volonté de sortir des impasses rencontrées en approfondissant les écrits économiques de Marx. Ce que dit David me semble en partie vrai, d’ailleurs les gens de la revue Wildcat leur ont déjà reproché d’avoir évacué la dimension des rapports de classe derrière la valeur. Face à un processus interne, les tenants de la Wertkritik disent : les gens doivent prendre conscience. Wildcat, plus proche des opéraïstes, voient plutôt une dynamique dans la lutte des classes, et c’était le cas déjà de SouB. L’ennui, de mon point de vue, c’est que la lutte des classes est trop faible aujourd’hui pour pouvoir justifier cette perspective. Ça nous laisse un peu orphelins. A l’époque de SouB, on pouvait montrer de façon convaincante que les luttes sociales obligeaient les capitalistes à réagir et à s’adapter, mais aujourd’hui ?

François : Il y aurait un paradoxe, si l’on adoptait ce point de vue : dans une telle situation de faiblesse des luttes, pourquoi le capitalisme stagne-t-il, pourquoi ces signes d’affaissement des structures politiques alors qu’il y a si peu de contestation ? Un capitalisme qui n’est pas contesté n’arrive peut-être pas à relancer les mécanismes de l’accumulation, ce qui nourrit les crises politiques au plan national et international.

Larry : Castoriadis avait développé l’idée que le capitalisme se nourrit de la lutte de classe.

Philippe : Marx avait déjà parlé de contradictions internes. Kurz souligne le manque de plus-value, l’endettement, c’est cohérent. Le chômage de masse sans perspective d’emplois. Les gens se retirent massivement du marché du travail. Jacques W. donne l’impression que le capitalisme arrive toujours à s’en sortir par « l’englobement ». A mon sens, il sous-estime l’ampleur de la crise. Il parle de la valeur sans travail.

Jean-Luc : Ma critique de Kurz repose sur l’idée qu’on est en train de passer au méga-internet où le tout sera piloté à haut niveau. Non seulement les gens seront connectés en permanence (par Twitter, Facebook, Google), mais il y aura des puces dans tous les objets. Là il y aura peut-être une révolution de la valeur. La technique devient une fin et non plus un moyen. C’est le transhumanisme.

David : Ce sont des créations historiques, mais je ne vois pas de lecture téléologique possible.

Jean-Luc : Dans le livre de Kurz, il dit qu’il n’y a pas de direction de l’histoire.

David : Trump se présente comme le roi de la dette. Il ne paie jamais ses fournisseurs. Il propose de dépenser 1000 milliards pour les infrastructures. On peut imaginer une centaine de crises, voire des catastrophes. Mais je ne vois pas en quoi la thèse de l’arrivée à la limite absolue nous enseigne quoi que ce soit.

Bruno : S’il y a de moins en moins de survaleur produite par le travail, comment faire ? Le capital fonctionne avec la masse monétaire.

David : Ce serait donc un processus automatique et inévitable ?

Bruno : ???

Larry : Je revendique une position agnostique sur le point de savoir s’il y a ou non crise de production de la survaleur, ou si la financiarisation est finalement utile à la valorisation capitaliste ou seulement une déviation destructrice, car je n’en sais fichtrement rien. Je me permets de citer David Harvey (The Enigma of Capital), qui nous donne à mon avis un diagnostic plus simple et plus parlant des limites actuelles du système : « S’il s’agit de remonter à un niveau de croissance de l’ordre de 3 % par an [jugé indispensable par les économistes], les nouveaux débouchés d’investissement rentables qu’il faudra trouver à l’échelle mondiale devraient s’élever à 1 000 milliards de dollars en 2010 et, à l’horizon de 2030, plutôt à 3 000 milliards de dollars. Des chiffres à mettre en rapport avec les 150 milliards de dollars requis en 1950, au titre de nouveaux investissements, et les 420 milliards de dollars requis en 1973 (en dollars constants). »

Philippe : Effectivement, c’est un problème qui débouche sur la spéculation. Voitures sans chauffeur, dans les banques, pareil. Et qui va acheter toutes ces marchandises ?

Americo : Cela élargit les contradictions.

François : Oui, c’est un processus cumulatif de contradictions. Harvey annonce donc lui aussi des limites. La dimension centrale, c’est qu’il y a trop d’hommes. Il y a des secteurs capitalistes qui se réjouissent de la famine (c’est toujours ça de moins). Une humanité superflue.

Daniel : La précarisation, c’est déjà le début.

François : Mais là, la question est : comment se débarrasser des hommes ? On avait vu ça en rapport avec l’holocauste, mais pas encore comme nécessité pour le capital au niveau mondial.

Claude : Le verbe barbarie se conjugue donc au présent. Sous des formes diverses, etc. Mais quel sens y a-t-il, comme dit David, à parler de limites absolues ? Parler de la date de péremption du capitalisme,  l’idée est plaisante. Mais j’ai peur que cela ne soit pas suffisant pour stimuler les perspectives (de lutte) évoquées par François. Qu’est-ce qui est mobilisateur, ou activiste, comme le disait Korsch ? Est-ce le cas de l’affirmation que le capitalisme atteint ses limites ?

Une chose est sûre : je n’ai pas la formation requise pour savoir si le capitalisme va mourir de surpoids ou d’inanition (manque de plus-value). Jacques dit que les anciens calculs de la productivité d’un travail individuel sont aujourd’hui inutilisables ; c’est intéressant. Travail vivant, travail mort, logiciels, transport… comment mesurer tout cela ? Cela me dépasse à tel point que je me demande qui peut me montrer que le travail est producteur de plus-value. J’ai appris en lisant Marx que le capital ne payait l’ouvrier que le nécessaire pour reconstituer sa force de travail. Or, combien de téléviseurs, de voitures, etc., faut-il pour y arriver ? Comment peut-on encore utiliser ses notions ?

David : Un élu républicain de l’Etat d’Utah aux USA a récemment dit que plutôt que de s’offrir un iPhone, les ouvriers feraient mieux de payer de leur poche une bonne assurance maladie.

Americo : Temps critiques met l’accent sur la crise de la reproduction des rapports sociaux (incapacité à constituer la communauté humaine) plutôt que sur le problème de la production matérielle. C’est un problème de société plutôt qu’économique. Mais dans leur dernier livre sur la dialectique, ils reviennent un peu dessus.

Elisiario : Mais les capitalistes devraient s’intéresser à la survie des travailleurs. Ou on finira dans la situation qu’a décrite Robert Antelme. Dans la Grande Transformation, Polanyi a parlé de l’intervention nécessaire de l’Etat.

Helen : Le capitalisme a aussi besoin de consommateurs.

Larry : D’où l’intérêt actuel pour le revenu garanti. Qui sait ? On se dirige peut-être vers une ré-étatisation partielle de l’activité économique.

François : Oui, mais il faut pouvoir le payer, et le capital fictif ne suffira pas.

Il y a trop de gens, il faut les éliminer.

Philippe : Est-ce que c’est généralisable ? Cela suppose une volonté de l’Etat de le mettre en œuvre. En Afrique, la baisse de la natalité prévue ne s’est pas produite. On a 500 millions d’habitants en perspective sur la bande sahélienne, avec des températures extrêmes, et en plus la présence des djihadistes, qui est aussi un symptôme. Quelle sera la réponse de l’Etat ? Ce scénario peut se passer partout ailleurs sur la planète.

David : Aux USA, dans les régions désindustrialisées comme la Virginie, on finit soit prisonnier, soit gardien de prison… Ces gens-là étaient autrefois des travailleurs. On prévoit d’engager 15.000 surveillants à la frontière mexicaine : plein d’emplois en perspective…

Elisiario : C’est une forme de keynésianisme, mais qui ne peut pas marcher indéfiniment.

Gianni : On a beaucoup discuté de ce que le capital est en train de faire, des limites dues à des capitaux en excès, des humains superflus pour le capital, quelqu’un a fait aussi allusion aux « idéaux » du capital. Mais on n’a pas parlé de la crise des rapports sociaux induite par ces phénomènes et de la nécessité d’assurer la stabilité du rapport social fondamental d’exploitation-domination, ni de la possibilité qu’il explose à cause de cette longue agonie. Or, de notre point de vue, c’est le cœur du problème, je pense : qu’il ne soit plus possible de se mouler dans le rapport d’exploitation tel qu’il nous est imposé. D’autres rapports sociaux, de collaboration et non pas d’exploitation, des hypothèses comme la décroissance : est-ce vers ça que l’on peut orienter notre réflexion, ou vers les luttes et les rapports sociaux différents auxquels elles peuvent donner naissance ? Cette dimension me semble peu prise en compte dans notre discussion. Sur les limites du capitalisme, on n’arrive pas à avoir une idée très claire, et les capitalistes pas plus que nous, alors qu’ils ont des bureaux d’études qui produisent des masses de données… Bref, ce qui devrait être au cœur de notre discussion était évanescent ce soir.

Americo : Il était sous-jacent.

François : On ne peut pas improviser sur le sujet dont tu parles. Il faut rechercher des éléments, voir les liens, les articulations. C’était en creux, mais ça ne peut pas rester en creux. L’avantage du bordel de cette présidentielle, c’est le nombre de gens qui disent : il faut chercher ailleurs.

Gianni : Je voulais juste souligner que cette discussion n’a pas permis de voir le lien entre la réflexion sur les limites du capitalisme et la crise des rapports sociaux.

Helen : Cette évolution ne peut être contrée que par des luttes. Mais c’est un autre sujet.

François : C’est plus que des luttes, c’est des formes de rapports sociaux différents.

Americo : Il ne faudrait pas qu’il s’agisse d’élaborer dans notre coin de nouveaux rapports sociaux.

Elisiario : Avec un doublement de la population africaine, je ne vois pas comment tout ça peut devenir possible.

Larry : Le problème du vieillissement frappe aujourd’hui plus l’Asie que l’Europe.

Daniel : En Inde, il y avait traditionnellement le sacrifice des filles à la naissance, or cette pratique s’est tellement diffusée dans les milieux petits- ou moyens-bourgeois (avec extorsion de fric et de cadeaux), qu’il arrive qu’on tue la première femme pour que le fils puisse avoir une nouvelle dot. Par cette désocialisation des nouvelles classes ascendantes, il y a une barbarie qui se diffuse. Toute cette modernité qui se greffe sur des coutumes pour les amplifier… c’est cauchemardesque.


Le 15 mars 2017

Bonjour à tous,

Après ce CR (merci à Larry et Nicole), je voulais juste revenir sur une remarque, très juste à mon avis, émise par Gianni, Daniel et une ou deux autres personnes, sur le rapport entre crise (de fait conçue comme « économique ») et rapports sociaux.

Dans la plupart des discours autour de la crise qui sont énoncés aujourd’hui, on a l’impression qu’ils sont complètement détachés de la répercussion qu’elle peut produire sur les rapports sociaux et surtout de ce que cela entraîne du point de vue de la reproduction de ses rapports sociaux, comme si cette dernière allait de soi.

Donc quand il est fait mention des incidences de la crise sur les rapports sociaux, c’est comme après coup avec l’idée d’un retour à une pauvreté ou une insécurité qui caractériserait le capitalisme de longue période comme si les Trente glorieuses n’avaient constitué qu’une parenthèse bien heureuse (ce qu’essaient d’ailleurs d’accréditer les médias). S’il le faut on noircira même le tableau car plus on parle de « la crise » dans le vague plus il faut retrouver des incidences fortes qui montrent qu’il y a bien crise (dire par exemple que le mode dominant de contrat de travail est aujourd’hui le contrat précaire alors que le nombre de ces contrats est inférieur à 20% ou dire qu’en France son taux a augmenté de façon exponentielle sans tenir compte que son niveau de départ était proche de zéro, etc). On n’est effectivement pas dans les années trente où ceux qui parlaient de crise finale n’avaient pas à noircir le tableau, mais juste à regarder autour d’eux et à espérer que ce qui s’était produit en Allemagne en 1923 se reproduise et pas avec le même résultat.

Il me semble que si on adopte cette perspective de la crise-la crise-la crise, ce qui disparaît alors, c’est l’idée même d’une possibilité de mise en crise du rapport social capitaliste qui ne sépare pas les conditions objectives des conditions subjectives. En effet, souvenons-nous de la fin des années 1960-début des années 1970 où se produit justement une conjonction entre certains éléments de « crise » qui contredisent ce qui apparaissait comme un trend de croissance de longue période (baisse de la productivité aux EU, baisse des investissements dans de nombreux pays dominants sauf au Japon, inflation élevée, etc) ; et la mise en crise du rapport social, d’une part avec des pratiques anti-travail (grèves thromboses, absentéisme, turn over de la part des OS) qui viennent questionner et bloquer le mode fordiste de régulation (forte productivité contre hausse des salaires et rigidité du travail), d’autre part avec des luttes de jeunes et d’étudiants remettant en question la culture dominante et ses institutions.

L’opéraïsme italien avec toutes ses qualités et aussi ses limites me semble d’ailleurs le mieux exprimer cette concordance entre deux processus distincts à l’origine, mais qui vont converger rapidement dans cette accélération de l’histoire qui se produit à ce moment là de par cette convergence.*

C’est bien tout ce qui manque aujourd’hui. Pour répondre à François, on a la dynamique sans l’accélération.

La culture dominante est remplacée par une culture commune, les institutions sont résorbées dans le cadre de l’effacement des caractères traditionnels de l’Etat-nation, les luttes anti-travail ont laissé place à des luttes générales de défense de la condition salariale dans une situation où les effets macro-économiques de la globalisation/mondialisation se caractérisent par une substitution capital/travail au détriment de ce dernier, dans le procès de production ; une substitution qui a tendance à reporter cette contradiction capital/travail du procès de production (le lieu traditionnel de la lutte des classes) vers le niveau plus général de la reproduction des rapports sociaux  et plus concrètement de la société salariale dans son ensemble et pas seulement de sa fraction ouvrière ou « populaire ». D’où une cristallisation sur la question de l’Etat qui est en charge théorique de cette reproduction et ensuite tout ce qui en découle : souverainisme et populisme, les identités, etc.

Il en résulte, que dans les pays du centre du capital, les luttes, quand luttes il y a, sont alors des luttes pied à pied dans les entreprises pour éviter d’être renvoyé à l’atomisation (et donc au harcèlement, à la répression ou encore au burn out) que provoque l’absence d’immédiateté d’un collectif de travail qui, ne l’oublions pas, était considéré comme un donné de la situation de travail et même de la situation de classe et de l’antagonisme capital/travail. Or aujourd’hui, ce collectif de travail, il faut quasiment le reconstituer de toute pièce par des efforts souvent démesurés ou bien alors acter pour de nombreux secteurs et emplois qu’il n’existe plus, que les nouveaux modes d’association et de coopération au travail ne prennent plus la forme de « collectifs ». Cela rend les possibilités de luttes collectives aléatoires ou vaines sur cette base qui reste finalement dans la perspective de l’unité du prolétariat des phases historiques précédentes, mais sous une forme souvent corporatiste et sans perspective (sur cette base). L’unité recherchée ne peut alors plus être qu’une unité de rupture … au risque d’un anticapitalisme rouge-brun. Ce serait à mon avis un sujet plus intéressant sur lequel se pencher que de savoir pourquoi il y a rupture entre les « forces de gauche » et le « peuple ».

* l’importance historique de ce mouvement de « mise en crise » fait que j’essaie actuellement, en lien avec Oreste Scalzone,  d’en faire une synthèse significative aussi pour aujourd’hui, mais bien évidemment, comme je l’ai dit plus haut, que faire si les ingrédients produisant les antagonismes qui étaient ceux de l’époque viennent à manquer?

Je pense quand même qu’il n’est pas impossible que des mouvements de chômeurs et de quartiers sur le modèle espagnol puissent resurgir. Et nous ne pouvons préjuger du sens que prendrait un revenu d’existence garanti du point de vue des antagonismes sociaux et du rapport à l’Etat. Est-ce que ça fonctionnerait essentiellement comme marge « d’autonomie » ou plutôt comme écart par rapport à la mise en oeuvre de la force de travail et donc comme mise en crise du salariat ; ou alors au contraire est-ce que ne prédominerait pas un lien de dépendance accru dans un salariat élargi à ses marges  (« le salaire politique » des opéraïstes des années 70 transformé par le capital en salaire social d’assistance ) ?
Par ailleurs, des mouvements comme celui de NDDL sont bien des amorces de mise en crise du quadrillage territorial effectué dans le cadre de stratégies de pouvoir, qu’elles proviennent de la communauté européenne pour la ligne à grande vitesse Lyon-Turin, de l’Etat pour NDDL ou encore de potentats locaux et d’un syndicat d’agriculteurs comme à Sivens. A partir du moment ou ces mouvements s’appuient sur un ancrage social local et ne deviennent pas des lieux pour un nouveau quant à soi, il s’y joue bien là quelque chose d’important qui est de l’ordre général du rapport à la nature comme dit Bruno et pas seulement de l’ordre de ce qui serait une « limite externe ».

Il s’agit là aussi, mais sans s’illusionner » de produire subjectivement ce que nous-mêmes nous considérons comme les limites internes et externes du capital et non pas de discuter uniquement des limites de ce qui serait considéré comme un « Système », avec ses limites internes et externes toutes aussi objectives les unes les autres (cf. l’intervention et la critique de David contre cette position qui est finalement celle des tenants de la crise programmée).

Soit, mettre en jeu et notre rapport à la nature extérieure et le rapport à notre nature intérieure à partir des rapports sociaux spécifiés dans lesquels nous vivons aujourd’hui. Ce qui nécessiterait de s’y attacher, précisément ce qui n’était effectivement pas le sujet proposé pour la réunion du 10.

Bien à vous tous,

JW

Notes de bas de page :
  1. C’est par exemple la position de Kurz-Krisis pour qui la lutte de classe fait partie du Marx exotérique, le « mauvais » Marx. Nous ne nous attarderons pas sur cette coupure épistémologique à la Althusser, mais il faut signaler que Marx envisageait justement la lutte de classes comme faisant partie des limites internes puisqu’il considérait le capital comme un rapport social ou produisant un rapport social. Par contre il n’envisageait pas de limite externe comme celle liée à un certain rapport à la nature extérieure du capitalisme et à ses effets à long terme et a fortiori dans sa vision du communisme.

    Quand François Chesnais, dans Finance capital to day déclare réfuter l’idée de contradiction interne et par exemple la tendance à la « stagnation séculaire » ou la tendance à la baisse du taux de profit, pour pouvoir continuer à valider son analyse de la crise comme crise des ciseaux entre profit et investissement, il reste, dirais-je, dans son rôle (idem pour Michel Husson qui reconnaît que les taux de profit se sont rétablis, mais parce que s’est produit une inversion du rapport de force dans le partage salaires/profit de la valeur ajoutée), mais quand F. Chesnais se reporte sur la crise climatique comme preuve d’une contradiction externe fondamentale, comment dire mieux alors l’échec du marxisme en tant qu’analyseur des contradictions internes qui ont toujours été l’objet de la critique de la part de « l’économie marxiste »  ?[]

  2. Pour prendre un exemple historique, la position du KAPD et de la gauche allemande n’a de sens politique que si la théorie de l’effondrement est vérifiée, sinon c’est de la « maladie infantile du communisme » comme disait Lénine). C’est d’ailleurs ce que reconnaître plus tard Paul Mattick.

    La Wertkritik  dissout le travail dans le capital puisque sa conception du capital et du travail réduit la classe ouvrière ou le prolétariat en un simple « capital variable ». Comme le serf était attaché à la glèbe l’ouvrier est attaché au travail. Le mouvement dialectique du rapport au travail est nié même quand il prend des formes anti-travail car la critique du travail n’est qu’un « principe révolutionnaire ».[]

  3. Dans les deux cas il s’agit de rendre la demande effective.[]
  4. Marx dit : « Le capital fictif est le capital par excellence (Théories sur la plus-value, vol III, ES, p. 538). Dans cette forme sans contenu il semble abolir le passé et tendre à l’immortalité (ibid, p. 55-7). Le capital devient totalité dans la mesure où il peut éliminer ses béquilles, c’est-à-dire ses présuppositions (ibid, p. 424). Mais Marx ne tient pas sa position et revient sur « cette forme capital qui s’aliène de plus en plus et perd toute relation avec son être propre » (ibid, p. 552). Cela va ouvrir la voie aux distinctions actuelles sur le « mauvais » côté » du capital (le capital fictif) et son bon « côté » (le capital productif).[]
  5. La prédominance du mouvement et de la dynamique fait qu’il devient difficile de parler en termes de cycles et donc de prévisions (cf. la théorie actuelle des cycles courts).[]
  6. La tendance à la capitalisation (rachats de leurs propres actions par les entreprises et concentration par fusions/acquisitions) contrecarre la tendance à l’inflation. Et le fait que la valeur actionnariale des grandes entreprises dépasse la valeur matérielle des actifs n’est pas signe de déconnexion mais que ces firmes se produisent elles-mêmes comme valeur. C’est alors cette valeur qu’il faut faire croître parce que le capital s’est emparé de la valeur. L’incompréhension de ce processus conduit Lohoff et Trenkle dans La grande dévalorisation à dire que « Dans le secteur de l’information, ce sont non seulement le capital variable, mais également le capital constant employé, qui sont sans rapport avec la capitalisation boursière et les bénéfices » (p. 278). Comme pour eux le capital ne peut être que physique (op.cit, note 1, p. 278), ils n’envisagent que la composition organique des NTIC et non la composition technique qui englobe les savoirs productifs du General intellect.

    Même chose à propos du haro sur les produits dérivés de la part de tous ceux qui oublient que la valeur notionnelle des innovations financières est certes très forte mais que à peine 4% du total est effectivement versé ( la valeur liquide) car cela ne paie que la variation des taux. C’est la même réaction paniquée qu’au moment du passage à la monnaie fiduciaire privée de toute valeur intrinsèque car en excédent par rapport à la valeur-or dans les années 1920 (cf. les thèses de Rueff à l’époque).[]

  7. Marx lui-même à qui finalement on peut tout faire dire : « On peut le considérer [le capital, ndlr] comme producteur de plus-value car il est la force révolutionnaire et la théorie de la valeur-travail ne devient explicative que dans la première phase » (Livre III, tome 8). Bon, d’accord, il faut déjà y arriver au livre III, il y en a qui reste au chapitre 1 du Livre I ![]
  8. D’autres comme François Chesnais dans Finance capital to day refusent l’idée de déconnexion, mais font intervenir des distinctions entre capital financier comme concentration de capital global  et finance sous-entendue spéculative. On n’est guère plus avancé que dans la perspective de la déconnexion ; idem pour ceux qui, comme Kurz cherchent à distinguer capital fictif en général et capital fictif « à découvert ». On ne voit pas bien la finalité de ces distinctions si ce n’est d’essayer de dépasser la gêne d’être obligé de reconnaître que la financiarisation est globalement fonctionnelle et non pas prédatrice et que dans la globalisation ces distinctions sont justement impossibles ou en tout cas secondaires. C’est en tout cas la position d’économistes marxistes comme Michel Husson et aussi Brenner (New left revue) pour qui il n’y a pas eu déconnexion parce que les secteurs manufacturiers des principaux pays exportateurs reposaient eux aussi sur l’endettement. Mais c’est toute l’organisation du crédit et des opérations financières plus généralement, qui a changé avec la globalisation financière, par exemple quand il y a eu déspécialisation entre banques de dépôts et d’affaires. François, il faut choisir, si tu penses  que le capital financier est un concentré de capital global alors il faut reconnaître le rôle actif du capital financier dans les activités économiques et ne pas chercher à revenir à l’époque de l’intermédiation bancaire ou même à celle où seule la banque centrale pouvait créer de la monnaie (l’idéal de Cheminade et autres fascistes … ou trotskistes lambertistes focalisés sur la fameuse loi de 1973).[]
  9.   A un point tel qu’aujourd’hui les entreprises capables de s’autofinancer à 100 % et elles sont nombreuses, préfèrent emprunter vue la faiblesse des taux.[]
  10. Le sous-modèle n’est pas tenable en dehors d’un contre point européen comme le montre le changement de destination des activités de la Deutsche Bank qui s’est lancée dans les produits financiers et les conseils aux acquisitions/fusions avec les déboires récents que l’on sait. D’autre part, il ne faut pas oublier aussi que ce sous-modèle s’accompagne de la cogestion dans la direction des entreprises comme le montrent aussi bien la puissance du syndicat IG-Metall , la présence forte des salariés dans les conseils de surveillance et le véritable pacte avec le diable passé par les salariés de Volkswagen avec leur direction. Cela permet le développement d’un mercantilisme intelligent, le déploiement de stratégies conscientes (réunification, investissements industriels, contrôle de l’hinterland de l’Est…[]
  11. Comme en ce qui concerne leurs projets de robotisation interne, les investissements chinois à l’étranger procèdent de la façon la plus « moderne » qui soit, à travers les fusions/acquisitions (66% du total en 2015 contre 32% en 2010). Mais c’est plus, pour le moment une fringale qu’une stratégie d’alimentation même s’il y a bien une volonté de se placer « en amont de la chaîne de valeur » comme disent les économistes. []
  12. Le texte de Kurz frise le contre sens quand il mêle inflation et endettement public alors que cet endettement public commence au contraire avec les politiques anti-inflationnistes menées depuis les années 1980 et se doublent en Europe d’une politique d’austérité et de refus des déficits budgétaires pro-cycliques contrairement aux Etats-Unis. Ces politiques visaient bien à limiter la fictivisation avec la pratiques des taux d’intérêt élevés. Mais pour relancer l’offre des entreprises et les investissements il fallait bien trouver de l’argent ailleurs et autrement donc sur le marché financier et non plus bancaire. Financiarisation directe contre financiarisation indirecte plus coûteuse. Comportement tout à fait rationnel de la part des agents économiques. []
  13. La confiance dans le dollar ne repose que sur cette croyance qui, il est vrai, ne repose pas sur rien.[]
  14.    Ainsi Marx écrit-il le Livre I du Capital dans l’hypothèse d’une absence de concurrence afin de fonder son propre modèle de l’équilibre et ses différents schémas sur la production et la reproduction en dehors donc de toute considération pour une situation dynamique. Il parle ainsi en termes de « lois coercitives externes », en l’occurrence celles de la concurrence, qui « imposent » leur loi. D’où aussi ses incohérences au regard des livres II et III.[]
  15.   A un niveau plus basique, l’économiste orthodoxe Patrick Artus, rappelle que la spéculation a une influence stabilisatrice sur les marchés puisqu’elle anticipe les déséquilibres. Elle profite des distorsions mais ne les crée pas.[]
  16. Un exemple de bulle haussière en 1990, une bulle nullement spéculative, mais une bulle structurelle de croissance trop optimiste parce que la valorisation de ces nouvelles entreprises est très difficile à évaluer avec des instruments de mesure inappropriés.[]
  17. « Notes sur la portée et le cheminement de la crise financière », in Carré rouge (2008).[]
  18. Pour lui les luttes de classes des années soixante et soixante-dix ont eu le même rôle que les deux guerres mondiales. Elles ont accéléré l’histoire de la domination capitaliste (domination formelle / domination réelle du capital, « révolution du capital »). L’hypothèse d’Arrighi est intéressante car en général, le danger des théories de la longue durée c’est de rendre secondaire ou même franchement accessoire les luttes contre le capital.

    Dernière remarque, l’hypothèse d’Arrighi n’est acceptable, au moins politiquement, que si ces mêmes luttes de ce dernier assaut prolétarien n’étaient pas condamnés à cela à l’avance, à savoir accélérer l’histoire … pour les autres, comme justement ce fut le cas des deux guerres mondiales (la violence accoucheuse de l’histoire, mais de l’histoire du capital). On peut toutefois penser que la proximité d’Arrighi avec le mouvement italien (il est professeur à l’université de Trento en 1968) le délivre de toute soupçon à cet égard.[]

  19. Cf.La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936) où Keynes parle de l’« euthanasie du rentier » (Notes finales sur la philosophie sociale à laquelle la théorie générale peut conduire). L’euthanasie du rentier se réalise en faisant disparaître la rareté du capital par une nouvelle forme de partage de la richesse créée qui élimine « une répartition de la fortune et du revenu [qui] est arbitraire et manque d’équité ». Le taux d’intérêt se réduira, dit Keynes, à la somme du coût de dépréciation et de la prime de risque. C’est « l’euthanasie du pouvoir oppressif cumulatif du capitaliste d’exploiter la valeur-rareté du capital » []

1 Commentaire for “Théorie de la crise ou crise de la théorie ?”

tempscritiques

dit:

Ci-dessous un commentaire reçu par mail en italien traduit par nos soins en français juste en dessous :

Magari è vero che questa in cui ci troviamo immersi non è la « crisi finale », ed è vero anche che il capitalismo continuerà in eterno. A meno che non ci sia una « rivoluzione comunista » che metta definitivamente in soffitta il valore ed il lavoro, lo Stato ed il denaro, insieme alla merce e al mercato.
Insomma, forse è anche vero che ci muoviamo dentro una storia « determinata », secondo la quale al feudalesimo del Medioevo dovrà NECESSARIAMENTE fare seguito il capitalismo, di modo che questo creerà quello sviluppo delle forze produttive necessario a fornire le premesse affinché la lotta di classe degli sfruttati si potrà liberare del capitalismo e, « ovviamente », delle classi.
Oppure no, e invece il gioco è semplicemente finito e, per quanto la cosa ci faccia paura, saremo costretti a fare i conti con la fine di un mondo, quello del capitalismo, senza che ce ne sia, senza che ne sarà, o senza che ne sarà stato, un altro, di mondi, bell’e pronto per sostituirlo.
Comunque sia, con tutto ciò, con il mondo, dobbiamo fare i conti.

Traduction :
S’ il est vrai que celle-ci (la crise) dans laquelle nous nous trouvons immergés n’est pas la crise finale, il est alors vrai que le capitalisme continuera de façon éternelle. A moins qu’il y ait une révolution communiste qui mette définitivement au « grenier » la valeur et le travail, l’état et l’argent avec la marchandise et le marché.
En fait, il est vrai aussi que nous nous déplaçons à l’intérieur d’une histoire « déterminée » selon laquelle du féodalisme du moyen âge jusqu’au capitalise d’aujourd’hui, le capital devra nécessairement développer des forces productives nécessaires à fournir les prémisses afin que la lutte des classes des exploités puisse nous libérer du capitalisme et évidemment des classes.
Ou bien, non à l’inverse le jeu est simplement fini , et tellement cette chose nous fait peur , qu’elle nous obligera à « faire les comptes » avec la fin de ce monde celui du capitalisme sans qu’il n’y ait jamais eu un autre monde pour s’y substituer.
De toute façon , quoiqu’il en soit, nous devrons « tirer le bilan ».

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