De l’idéalisme allemand

Il nous paraît intéressant de vous présenter cette critique vis-à-vis d’un des représentants de l’autoproclamée « École critique de la valeur ». Une critique que nous avons initiée avant même que cette « école » ne soit connue en France, dans notre livre L’évanescence de la valeur, une présentation critique du groupe Krisis1. Puis, J.Wajnsztejn a produit une brochure intitulée : Une énième diatribe contre la chrématistique à propos d’un article d’Anselm Jappe dans le journal Le Monde2, à propos de la crise financière de 2008, dans lequel, finalement « l’idéalisme allemand », déjà remarquée et critiquée par Blanchard, apparaît de peu d’aide pour expliquer cette crise et oblige l’école « à ressortir du placard » la vieille théorie marxiste de la valeur-travail en lieu et place de son discours habituel sur la « forme-valeur ».
Pour mémoire D. Blanchard a été un membre important du groupe Socialisme ou Barbarie (1949-1965) sous le pseudo de Canjuers et il a écrit conjointement avec Debord (alors brièvement sympathisant de SoB), un article avec un certain retentissement : « Préliminaires pour une définition de l’unité du programme révolutionnaire » (1960).
Daniel est décédé en mai 2024 alors qu’il continuait à participer à un groupe de discussion (« soubis ») auquel J.Wajnsztejn collabore.


Le 30/11/2009

Chers SOBistes

 Comme tout le monde n’a pas forcément l’envie ou la possibilité d’acquérir l’intéressant et très récent n°34 de la revue du Mauss intitulé :

 « Que faire, que penser de Marx aujourd’hui » (à ne pas confondre avec « Le marxisme hier, aujourd’hui et demain » de feu P.Mattick, éd. Spartacus…),

mais que l’ensemble du groupe SOB a manifesté un intérêt vibrant pour les thèses des « critiques de la valeur », brillamment résumées dans le texte ci-joint extrait de ce numéro (avec en prime une comparaison avec les théories du « don »)

je me permets de proposer une (mauvaise) reproduction de ce texte, au cas où, et sans obligation de compte rendu (en format pdf d’Acrobat reader)

N.B. le numéro comprend également des textes C.Laval, S.Latouche, A. Caillé, P.Jorion, etc.

Claude


Le 03/12/2009

Merci, Claude, de nous avoir envoyé ce texte, où je reconnais la claire intelligence de mon vieux copain Anselm et qui nous sauve du galimatias de Kurz et dissipe ce qui m’est souvent apparu comme des obscurités chez Jacques W. (me gêne, tout de même: la balourdise, l’ineptie des quelques mots qu’il consacre à Castoriadis).

Cet exposé me confirme dans l’idée que cette “critique de la valeur” constitue un avatar de la pensée idéaliste – allemande ? Écartez de votre réflexion l’histoire, les sociétés et les humains concrets qui les habitent et vous pouvez vous construire une théorie limpide et rigoureuse. L’histoire est remplacée par une contagion virale de la valeur qui atteint progressivement presque tous les aspects de la vie sociale; presque, parce qu’il faut bien qu’elle laisse en dehors de son emprise un résidu d’activités et de relations qui assurent la survie du système : c’est à cela que se réduit ce qu’on peut appeler la société; quant aux humains, ce sont des supports passifs et neutres sur lesquels vient se fixer la valeur.

Mais il me semble qu’au principe de cette approche radicalement réductrice se trouve une distorsion d’un aspect du marxisme que ces théoriciens de la valeur jugent eux-mêmes central, la distinction entre travail concret et travail abstrait – distinction que Jappe définit très clairement dans son texte, je n’y reviens pas. Mais où est donc passé le travail concret ? Apparemment, il n’en est plus question. Or c’est dans le travail concret que se noue la relation dialectique entre le travailleur et la matière – fût-elle “immatérielle” -, c’est dans le rapport entre travail concret et travail abstrait que les participants au processus productif entrent en rapports de conflit, de solidarité, d’auto-organisation, etc, c’est dans le processus même d’abstraction du travail – c’est-à-dire de la détermination du contenu abstrait (durée, intensité, prix…) de la force concrète de travail que le capitaliste achète – que s’engendre la lutte de classe. Mais pour ces théoriciens, la lutte de classe n’est qu’un sous-produit “exotérique” du marxisme, qui a donné naissance à cette merde qu’est “le marxisme du mouvement ouvrier”, mouvement ouvrier qui s’est révélé n’être lui-même qu’un mécanisme de régulation interne au capital… Pas question, évidemment, que ce mouvement ouvrier ait créé à certains moments des idées, des formes d’organisation, des valeurs…, en rupture radicale avec le capital, la valeur, la “forme marchandise”, etc. Vous avez dit “création” ? Vous délirez : l’histoire se résume dans le déploiement d’une “forme”…

Jappe ne fait qu’une brève allusion à l’atrophie du rôle du travail humain dans le processus de valorisation de la valeur – thème de tant de nos discussions avec J. W. Mais il est certain que cet aspect de la théorie critique de la valeur trahit une méconnaissance ‘critique’ des processus réels de travail. Quiconque les a observés de près a relevé l’écart séparant ce que S ou B appelait l’organisation formelle de la production de la réalité du travail, écart qu’il incombe à la base de combler. Dejours dans son bouquin “Souffrance en France” place lui aussi ce constat au centre de ses analyses sur la “souffrance” au travail. Autrement dit, automatisation ou pas, il y a toujours un moment du processus productif où l’intervention humaine est cruciale – sinon, ça s’arrête (c’est ce qui se passe dans la “grève du zèle”).

Je souligne ce point parce qu’il est révélateur de la réduction par l’abstraction qui seule permet l’édification de cette théorie. Or cette abstraction est la démarche même par laquelle le capitalisme s’efforce d’imposer sa représentation mécaniste, automatique, donc irresponsable (sans sujets) de la société (le marché auto-régulateur) et des rapports entre ses “agents”. Jappe lui aussi, comme les théoriciens libéraux, et c’est curieux qu’il ne s’en aperçoive pas, écarte, dans une parenthèse, toute responsabilité d’un “méga-sujet” que serait la classe capitaliste. Evidemment, le terme auquel ne peut qu’aboutir cette corruption de toute, ou presque, la réalité par la valeur c’est l’inévitable catastrophe – mais hélas, le marxisme de la lutte de classe n’est même plus là pour la retourner – miraculeusement – en révolution.

Bon appétit,

Daniel

  1. L’Harmattan, 2004. Description : https://www.tempscritiques.net/spip.php?livre5 []
  2. Le Monde daté du 31/10/2011. Disponible en ligne http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/10/31/l-argent-est-il-devenu-obsolete_1596430_3232.html []

Théorie de la crise ou crise de la théorie ?

Cette suite d’échanges est le fruit d’une activité de discussions autour de la liste « soubis » dont l’un des membres a proposé un échange sur la crise à partir d’un texte de Robert Kurz, ancien membre de la revue allemande Krisis puis de la revue Exit jusqu’à son décès.

L’intervention de J. Wajnsztejn s’est faite à partir de deux axes principaux, le premier étant le caractère daté de ce texte de Kurz qui concerne la crise de 2008 comme s’il ne s’était rien passé depuis, comme si c’était une évidence que la crise s’étirait sans fin sans que cela soit pourtant une crise finale ; il s’agissait donc de critiquer l’approche qui ne considère le capitalisme que comme un système en crise sans jamais parler de sa dynamique contradictoire de développement plus caractérisée par des cycles courts de croissance et dépression que par des cycles de longue durée comme on avait pu en connaître tout au long des XIXème et XXème siècles ; le second à partir de la critique de l’utilisation de catégories idéalistes (les « abstractions réelles » de l’école critique de la valeur) qui ne sont explicatives de rien quant à la « crise » actuelle et qui sont de fait obligées de se replier sur la théorie de la valeur-travail, la baisse tendancielle du taux de profit et autres croyances marxistes jamais démontrées, ni d’ailleurs mesurables.

Ces remarques ont entraîné de nouveaux échanges inter-individuels entre JW et F. Chesnais qui présentait le texte de Kurz et une discussion publique au sein du groupe « soubis » le 10 mars 2017. Discussion que nous reproduisons ici ainsi que les quelques remarques de conclusion de JW.

Le texte préparatoire à la réunion de Kurz figure en fichier joint.

Suite à cette échange une discussion parallèle s’est engagée, en dehors du cercle « soubis » et cette fois en rapport avec le « réseaudediscussion » entre JW et Gérard. B sur machines et valeur qui est en cours encore et qui s’insérera plus tard dans cet ensemble.

Enfin, différentes remarques et discussions ont amené JW a remanier son texte d’origine « Crise ? » afin d’en faire un article en lui-même à paraître sur le site dans la semaine qui vient.

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Social-historique ou imaginaire social

Suite d’échanges qui apprécie différemment le legs des écrits de C.Castoriadis. Interrogations donc sur ce qu’il est possible de retenir de ces écrits qu’ils soient issus de la revue Socialisme ou barbarie (sous les pseudo de Chaulieu puis Cardan) qui reste pour nous une référence critique même si elle doit être appréciée dans ses forces et limites, mais aussi de livres comme Les carrefours du labyrinthe (signés Castoriadis) qui posent des problèmes importants à propos du concept d’imaginaire social d’une part et nous renvoient d’autre part à notre discussion plus générale autour de notre héritage hégéliano-marxiste, des questions de continuité et discontinuité historiques etc.

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Les transformations du procès de travail à l’ère de l’inessentialisation de la force de travail

Le compte-rendu qui suit est celui d’une réunion du groupe Soubis sur le travail. Jacques Wajnsztejn y était convié afin de discuter autour de son texte sur le travail écrit pour le dernier numéro de la revue Variations, disponible aussi sur le site de Temps critiques Critique du travail et révolution du capital.

A l’heure où la critique du travail épouse le plus souvent une vision quasi idéaliste du travail perçue à partir du seul concept de travail abstrait, l’article de Jacques W. vise à saisir les transformations concrètes du travail en référence à un cadre théorique abstrait qui est celui de la valeur sans le travail (vivant).

Ce texte a été envoyé préalablement à tous les membres de la liste Soubis. Le compte rendu complété par Jacques W. pour ce qui est de ses propres interventions a été contrôlé et validé par le groupe Soubis.

Bruno S. qui est intervenu au cours de la rencontre a tenu a envoyé des précisions sur la question de l’inessentialisation de la force de travail, proposition maintenant classique de notre revue. Sa lettre figure donc en complément du compte rendu. Enfin, Jacques W. a tenu à développer notre conception de la périodisation en domination formelle/domination réelle du capital, la formulation qu’en faisait Bruno S. lui apparaissant comme incomplète.

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A partir du n°16 de Temps Critiques – Discussion avec le groupe « soubis »

Réunion du groupe autour de la liste « Soubis » (Socialisme ou barbarie) . Invité : J. Wajnsztejn à l'occasion de la sortie du n°16 de la revue Temps critiques

JW: Je pourrais commencer en répondant à certaines questions que Nicole m’avait, il y a quelque temps, formulées par écrit, et notamment celle-ci: comment, à Temps critiques, expliquez-vous l’offensive visant à faire baisser la part de la plus-value cédée en salaires si le rôle du travail est devenu si insignifiant dans la formation de la valeur ? Keep reading →