Relevé de notes en temps de crise sanitaire (XI)
– Les cas sévères de Coronavirus vont être reconnus par un décret mi-juillet en tant que maladie professionnelle comme cela avait été annoncé fin mars par le ministre de la Santé à la suite du décès par Covid-19 de plusieurs médecins. Néanmoins, syndicats et associations critiquent la distinction maintenue entre « premiers de cordée » : personnel soignant au sens large (les non-soignants travaillant à l’hôpital public étant finalement inclus après des hésitations et négociations) et « seconds de cordée » qui ont pourtant été à l’ouvrage pour assurer l’intendance dans différents secteurs (Le Monde, le 2 juillet).
– Alors que le développement du télétravail a fait porter l’attention des médias et dirigeants sur les formes d’organisation du travail, la crise sanitaire semble avoir déclenché un moment de « vérité » du travail au sens où plus ou moins confusément chacun a pu mettre le sien en rapport concret avec la marche du monde tel qu’il est et son modèle de croissance (Les Échos, le 29 juin). Cela ne constitue certes pas une critique radicale du travail puisqu’implicitement, ou explicitement, tout est ramené à une « utilité » dont on a déjà dit à quel point elle était subjective et ne remet en cause ni la division du travail ni la hiérarchie qui l’accompagne ; mais cela questionne son sens et les choix des différents pouvoirs dans la plus ou moins grande valorisation de ces tâches. L’étude Malakoff Humanis, publiée le 25 juin et réalisée du 6 au 20 mai auprès de 2970 salariés du secteur privé signale une réticence importante à la reprise du travail (Le Monde, le 2 juillet). Parmi les réticents, il y a les salariés en activité partielle et ceux dont le travail n’a pas été qualifié d’« essentiel ». Pendant des semaines, les manageurs étaient au four et au moulin, et leur priorité allait aux collaborateurs qui avaient une importante activité. Ceux qui n’avaient plus l’obligation de se rendre au bureau ont été isolés du collectif. « Il n’y a pas plus de décrocheurs que d’habitude, mais le confinement a zoomé sur des situations particulières qu’il a amplifiées, relativise Frédéric Guzy. Ainsi, la personne qui est en chômage partiel à 80 % de son temps quand son voisin l’est à 20 % sur une même activité révèle une différence de performance et d’implication », illustre-t-il ; et « Ces mesures sanitaires très restrictives qui accompagnent l’obligation de retour empêchent le collectif de fonctionner ». Enfin, les véritables salariés décrocheurs du Covid-19 sont tous ceux qui, pendant le confinement, se sont interrogés sur le sens de leur travail et ont réalisé soit qu’il ne leur plaisait pas, soit que leur contribution au collectif n’était pas valorisante. Ceux-là plus que tous les autres freinent des quatre fers pour revenir. Pourtant, on va les obliger à revenir disent plusieurs DRH, même si c’est en commençant par un ou deux jours par semaine jusqu’en septembre. C’est dire si loin d’un appel à une mobilisation générale les dirigeants marchent en fait sur des œufs.
– On peut étendre ce champ de questionnement au type de consommation et au tourisme. Ainsi, si on remarque une reprise aléatoire de la consommation, car si l’épargne a été forte pendant le confinement, et ce malgré les pertes de revenu, il s’agit de savoir ce qui sera consommé et s’il n’y aura pas de changement dans la structure des postes de consommation. Les effets n’en sont pas les mêmes. En effet, 85 % des services sont produits en France contre 36 % des produits manufacturés (Les Échos, le 29 juin). Dit autrement si le fait de ne pas aller au restaurant et au spectacle conduit à acheter un lave-vaisselle Bosch le compte n’y est pas ni du point de vue de l’emploi, ni du point de vue du maintien de commerces indépendants1 en centre-ville, ni du point de vue de l’équilibre des échanges commerciaux. Par exemple, la commercialisation de vêtements était un des rares domaines à ne pas être passé aux flux tendus. Le Covid-19 aura eu raison de cette exception. Le modèle de la profusion qui se termine en soldes (60 % de la production totale) de plus en plus fréquentes a montré son caractère inopérant pendant la crise. D’une manière générale il a stoppé la plupart des fuites en avant et la nécessité de flexibilité aux goûts versatiles et d’adaptation au climat (qui achète un manteau pour à peine deux mois d’hiver ?) devient essentielle.
– La bataille capitaliste pour les « valeurs » bat son plein : Le boycott commencé par le mouvement civique américain #StopHateForProfit, s’est amplifié en fin de semaine dernière visant, notamment, Facebook et Instagram de la part de grands annonceurs tels que Coca-Cola, Verizon, Unilever ou encore Starbucks, ce dernier spécialisé dans la défense de la « valeur » que représente le non-paiement d’impôts dans les pays où il s’installe. En conséquence, la société de Mark Zuckerberg a vu son action chuter de 8 % vendredi. Ce dernier a annoncé l’interdiction sur ses réseaux de toute publicité à caractère raciste ou discriminant (Les Échos, le 29 juin) ; et il va ajouter un avertissement sur les messages de personnalités politiques dont le contenu pose problème (en l’occurrence ceux de Trump que Twitter avait déjà sanctionnés), tout en les laissant en ligne, car ils ont une valeur informative, (Le Monde, le 30 juin)2. L’Europe ne sera pas en reste : sur le front de la censure, des convergences objectives entre extrême droite et extrême gauche3 marquent un recul historique des garanties en matière de liberté d’expression, même si la plupart du temps il ne s’agit que de pressions insidieuses.
Depuis les attentats de janvier 2015 à Paris, la lutte contre la propagande djihadiste et les « discours de haine » justifient des collaborations toujours plus étroites entre les forces de police et les plates-formes pour invisibiliser les expressions jugées illicites ou simplement « indésirables », selon le terme employé par M. Macron à l’UNESCO. Il s’agit à présent de massifier la censure en contournant les procédures judiciaires et en l’automatisant. Les États entendent en effet généraliser le recours aux techniques d’intelligence artificielle développées par les géants de la Silicon Valley pour identifier dans l’océan numérique les « contenus » jugés inappropriés et les bloquer. Et ce même si, pour l’heure, les plates-formes doivent encore faire appel aux milliers de « petites mains de la censure », ces travailleurs précaires chargés d’appliquer leurs politiques de modération. Dans un courrier conjoint envoyé à la Commission européenne en avril 2018, les ministres de l’Intérieur français et allemand évoquaient sans fard le but de ces textes : la généralisation à l’ensemble du Web des dispositifs de censure développés par Google ou Facebook (4). Ils expliquaient également que l’« apologie du terrorisme » — une notion extensible régulièrement instrumentalisée pour invisibiliser des expressions contestataires — ne constituait qu’un premier pas. À terme, écrivaient-ils, « il conviendra d’étendre les règles fixées aux contenus à caractère pédopornographique et à ceux relevant des discours de haine (incitation à la discrimination et à la haine raciale, atteinte à la dignité de la personne humaine) ».
– D’après Émilie Raoult, « la création des emplois aujourd’hui suivrait une logique d’agglomération, tandis que les migrations résidentielles se font au profit des zones périurbaines ». Le mouvement des « gilets jaunes4 », à l’automne 2018, a montré les tensions qui en résultaient. L’épidémie et le confinement risquent d’amplifier ce qu’Émilie Raoult appelle « le risque d’une inadéquation grandissante entre la localisation de l’offre et la demande de travail, risque contre lequel il appartient aux politiques publiques de lutter. » (Les Échos, le 30 juin). Or, jusqu’à là les politiques prenaient plutôt le chemin inverse en restreignant certains services publics de ces zones périphériques soit pour des raisons budgétaires (lignes de chemin de fer, postes, écoles rurales) soit pour des raisons dites technologiques (insuffisance d’équipement et de compétences dans les petits hôpitaux vétustes). Et si la dépense publique ne suffit pas à combler cet écart entre offre et demande d’emplois, il y a des demandes privées qui se bousculent au portillon profitant de la digitalisation de l’économie pour proposer leurs formations. C’est le cas de Microsoft qui veut, via Linkedin, accompagner le retour à l’emploi des 25 millions de personnes dans le monde à l’avoir perdu à cause de la crise sanitaire. Et les autres GAFAM ne sont pas en reste (Le Figaro, le 1er juillet). Mais pour nous les GAFAM ne font pas qu’accompagner le retour à l’emploi par le biais de formations, ils créent des emplois directement. Et contrairement à la doxa dominante qui sévit depuis les années 70, la formation n’a jamais créé d’emplois ; elle contribue bien plutôt à gérer les suppressions d’emploi, ce que J. Guigou a mis en avant dès 1973 avec l’exemple de Lip et de l’industrie de la chaussure à Romans5.
– Pensions et nivellement par le bas. Plusieurs experts (cf. Le Monde, le 1er juillet) font état d’une participation inégale au financement de la pandémie dans la mesure où les retraites indexées sur l’inflation (augmentation de 1,2 % en 2019) seraient mieux protégées que les salaires (baisse de 5,3 % dans le même temps). Avancer cela, c’est ne pas tenir compte du fait que le processus est inverse en période de croissance et surtout, ce que personne ne semble relever, que l’éventail des retraites est beaucoup plus resserrée que l’éventail des salaires avec sans aucun doute une baisse plus que proportionnelle des salaires les plus élevés.
Toujours à propos des retraites et alors qu’on reparle de la réforme ensablée dans la crise sanitaire, il est piquant de voir se confirmer, contre la volonté des États à allonger la durée de vie au travail, une volonté des dirigeants d’entreprises de mettre en avant comme solution provisoire aux dégâts de la crise sanitaire… la pyramide des âges comme c’est ouvertement le cas pour Airbus (d’ici 2027 où un tiers du personnel partira naturellement à la retraite dans les conditions actuelles (Les Échos, le 1er juillet). Mais 400 entreprises de la région toulousaine travaillent pour et seulement pour Airbus ce qui représente près de 100 000 salariés (Le Monde, le 2 juillet). Or, ces entreprises découvrent le concept de « l’entreprise étendue », qui a fait d’Airbus un groupe mondialisé, avec des usines d’assemblage jusqu’en Chine et outre-Atlantique. Les PME qui vivaient sous l’aile protectrice6 de l’ex-Aérospatiale à Toulouse ont découvert à l’occasion du dernier plan de restructuration qu’elles étaient désormais susceptibles d’être mises en concurrence avec des entreprises du monde entier. La présidente (PS) de la région Occitanie, Carole Delga, doit présenter vendredi une nouvelle mouture d’urgence du « plan Ader », destiné à sauver les meubles dans les PME en facilitant les regroupements d’entreprises. L’un des objectifs affichés est d’empêcher la prise de contrôle d’entreprises jugées stratégiques par des capitaux étrangers. Latécoère, l’entreprise pionnière de l’aéronautique à Toulouse, est ainsi passée récemment sous contrôle de fonds de pensions américains (Libération, le 2 juillet).
– Si on entend beaucoup parler des « accords de performance » qui feraient payer une partie de la crise sanitaire aux salariés, une nouvelle plus surprenante est venue du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand qui a obligé la direction de Michelin à annuler sa proposition faite aux salariés de renoncer aux accords collectifs salariaux signés avant la crise sanitaire. Le côté croquignolesque de l’affaire réside dans le fait que la CGT et SUD n’ayant pas signé l’accord, ils ne pouvaient l’attaquer en justice et que la CFDT qui avait signé acceptant la proposition patronale, il ne restait que la vaillante CGC lutte de classes pour attaquer la proposition et remporter le morceau (Le Monde, le 7 juillet).
– Dans un document, publié mercredi 1er juillet, l’Association des administrateurs territoriaux de France (AATF) fournit des informations sur les rapports entre les différentes strates de l’État pendant la gestion de la crise. Les cadres territoriaux ayant contribué à cette enquête expriment un sentiment général d’insatisfaction et relèvent « un déficit de coordination ». Ils déplorent à la fois un « manque de concertation », « l’imprécision des informations et des directives », « le temps de latence entre les annonces gouvernementales et les conditions de mise en œuvre ». « Elles ont souvent dû anticiper les normes nationales et adopter des mesures dans un contexte d’incertitude quant à leur maintien dans le temps et leur sécurité juridique », note le rapport, rappelant les difficultés rencontrées à l’annonce de la fermeture des écoles ou dans la préparation du déconfinement. Pour le président de l’AATF, Fabien Tastet, ce retour d’expérience met en exergue, d’une part, la capacité d’adaptation et l’agilité des collectivités territoriales et, d’autre part, la nécessité d’« un État plus svelte et plus musclé ». « On a observé, pendant cette crise, un État effacé, désarticulé et englué, note-t-il (Le Monde, le 2 juillet). C’est qu’il est loin le temps ou la forme État-nation parlait encore dans un langage où s’opposaient « déconcentration » et « décentralisation7 » !
– Dans une certaine mesure la crise sanitaire enchaîne sur celle des Gilets jaunes dans la mise en cause de la représentation politique. Ceux qui se gaussaient de Macron élu par moins de 30 % des français crient pourtant victoire pour une victoire des « Verts » dans le cadre d’un taux d’abstention record qui marque décrochage par rapport aux institutions, indifférence politique, ressentiment car colère sans débouché (Libération, le 4 juillet). Pour Chloé Morin, directrice de l’Observatoire de l’opinion à la Fondation Jean-Jaurès, « Une majorité de français ont d’autres priorités que l’écologie ». L’autre point à retenir est celui de la désarticulation entre local et national. Les partis traditionnels droite/gauche continuent à dominer sur les valeurs idéologiques de l’ancien État-nation et ce même s’il y a une interprétation différente de ces valeurs (le RN est à ce niveau réintégré dans le champ politique). Ils résistent dans les petites et moyennes villes ; alors que LREM et les « Verts » épousent la fluidité des nouvelles formes réseau de l’État qui convergent dans les nœuds de pouvoir que forment les grandes agglomérations. Ces derniers s’échangent même ce qu’on ne peut plus appeler une « clientèle » fidèle, mais des individus-particules interconnectés et échangistes se portant sur LREM aux élections nationales, sur les « Verts » au niveau local (cf. aussi Rémy Lefebvre, enseignant de Sciences politiques à l’Université de Lille, Libération, le 4 juillet).
Interlude
– À la soirée électorale où il avait invité une vingtaine de personnalités proches, Macron a attendu le dessert pour annoncer le verdict final : « On a toujours tort de s’embourgeoiser » (Le Canard enchaîné, le 1er juillet).
– Dans son dernier essai, Dans la tempête virale, qui vient de paraître, le philosophe Slavoj Žižek pose son regard sur la pandémie de Covid-19 et souligne « la nécessité d’un communisme revisité, pragmatique. La survie nous l’impose. N’est-il pas déjà un tout petit peu à l’œuvre quand l’État réquisitionne des chambres d’hôtel pour gérer les malades et accueillir les personnels soignants ? Quand le président américain ordonne à General Motors de produire des respirateurs ? » (Libération, le 2 juillet). Après avoir soutenu avec Badiou que le communisme pouvait être sauvé en tant qu’idée, voilà qu’on apprend qu’il peut être sauvé par l’État et par Trump. Pas tant revisité que ça quand même puisque si Lénine et Trotsky nous ont présenté leur « communisme de caserne », Žižek propose un « communisme du désastre » avec un État plus puissant pour échapper au « capitalisme du désastre ». Et pour corser le tout un féminisme du désastre sans doute : « Plus que jamais, il nous faut des leaders forts. Le problème de Trump n’est pas son autoritarisme, c’est sa bêtise. Peut-être que les dirigeants doivent être des femmes, là où elles sont au pouvoir, en Allemagne, au Danemark, en Nouvelle-Zélande, en Finlande, la situation est souvent meilleure. Elles savent prendre des décisions fortes. Une petite provocation : peut-être que ce dont l’Angleterre a besoin, c’est d’une Margaret Thatcher ! ».
– Selon l’avocat au barreau de Paris Édouard Delattre (Libération, le 2 juillet), une dizaine de pays ont déjà inséré l’écocide dans leur droit pénal, parmi lesquels le Vietnam, la Russie et l’Ukraine. [Sans doute, pour un avocat parisien, trois grands modèles de lutte contre le crime contre les humains, NDLR].
Il propose par ailleurs des peines de réclusion criminelle proportionnelles à celles des trafics de drogue et d’être humains quand ils sont commis en bandes organisées. Il est vrai que les pays qui lui servent de référence ont des prisons bien pleines,
– La consigne vient d’une note publiée le 30 juin dans le New York Times : désormais, les journalistes du quotidien américain devront écrire « Black » avec une majuscule. La décision a été prise après avoir consulté « plus de 100 membres de la rédaction, et dans un contexte particulier : celui de la mort de George Floyd, tué par un policier blanc fin mai aux États-Unis. « Sur la base de ces discussions, nous avons décidé d’adopter ce changement et de commencer à “capitaliser” le mot “Black” pour décrire les personnes et les cultures d’origine africaine, aux États-Unis et ailleurs », écrit le New York Times qui visiblement pense que ce sont les journalistes qui font l’histoire au fil de l’actualité. Avant le Times, l’agence Associated Press (AP) avait pris la même décision. « Le noir en minuscule est une couleur, pas une personne ». Concernant une éventuelle capitalisation du mot « blanc », AP se pose toujours la question. Ce n’est pas le cas du New York Times, qui a de son côté tranché : « Nous conserverons le traitement en minuscule pour le mot “blanc”. Bien qu’il y ait une question évidente de parallélisme, il n’y a pas eu de mouvement comparable vers l’adoption généralisée d’un nouveau style de “blanc”, et il y a moins le sentiment que “blanc” décrit une culture et une histoire partagées. De plus, les groupes haineux et les suprémacistes blancs ont longtemps privilégié le style majuscule, ce qui en soi est une raison pour l’éviter. » En France, la grande majorité des médias met une majuscule à « Blanc » et à « Noir », principalement pour des raisons grammaticales. « A partir du moment où on l’utilise comme une ethnie, la règle des nationalités s’applique », explique Michel Becquembois, chef du service édition de Libé. La question qui se pose, c’est : combien de temps tiendra-t-elle encore ?
– À propos de l’intervention des banques centrales et particulièrement de la BCE sur les rachats de dette, il y a un point que nous n’avons pas abordé et qui est pourtant important parce que le comprendre permet d’éviter des confusions et déclarations plus ou moins militantes à l’emporte-pièce. En effet, ces banques centrales mènent déjà des politiques monétaires massives et non conventionnelles qui ont des effets redistributifs. Les achats d’actifs par les banques centrales réduisent les inégalités de revenus (salaires surtout) en soutenant l’emploi. Mais ils augmentent les inégalités de richesse (patrimoine surtout) en soutenant le prix des actifs (Benoît Cœuré, directeur à l’innovation de la Banque des règlements internationaux (BRI), in Les Échos, le 1er juillet) et par exemple les prix de l’immobilier ce qui avantage les propriétaires par rapport aux futurs accédants. Toutefois, c’est un effet pervers de l’intervention et non une volonté explicite. Les observateurs, pour la plupart, pensent que cela ne peut être compensé par « l’argent hélicoptère » que les banques centrales feraient pleuvoir au petit bonheur la chance, mais relève des politiques sociales et fiscales ; les banques centrales devant se contenter de surveiller que leur quantitative easing débouche sur une bonne allocation de l’épargne vers l’investissement et ne finisse pas en capture du marché financier (Le Monde, le 7 juillet). Macron semble avoir choisi, pour le moment en tout cas, le volet social des aides sans toucher à la question fiscale qui selon lui, tarirait l’investissement.
– La FED a décidé de limiter les versements de dividendes par les banques américaines ainsi que les rachats d’actions. Le but : préserver la disponibilité des capitaux en cas de faillites de débiteurs en freinant les tendances à la capitalisation (Les Échos, le 29 juin). Ce n’est en tout cas pas ce qui se passe au niveau des entreprises puisque 37 % des entreprises américaines cotées à l’indice SP500 ont versé en 2019 plus de dividendes qu’elles n’ont fait de bénéfices contre 29 % en Europe (Le Monde, le 7 juillet).
– La crise sanitaire a recentré l’Allemagne sur l’UE dans la mesure où sa politique du tout globalisation, axée autour de l’automobile et ses dérivés, qui l’amenait à s’en désintéresser, se heurte à une nouvelle situation où son marché intérieur et ses rapports aux voisins redeviennent importants (Les Échos, le 30 juin). Face à la Chine et aux USA, l’Allemagne semble envisager la question de la compétitivité à l’aune de l’Europe (digitalisation et Big Pharma). [Si on compare l’Allemagne et la France au terme à terme, l’État y est ordolibéral (colbertiste en France), la grande industrie nationale et exportatrice (internationale tout en étant centrée sur le marché intérieur8), la Bundesbank rigide sur les règles de Maastricht (la BDF plus accommodante), le Mittelstand pour l’économie sociale de marché (les PME plus petites) et à la recherche d’aides à l’investissement ou à l’exportation. Or, la crise sanitaire a mis à mal l’équilibre allemand et les trois premiers acteurs en ont tiré la leçon, seules les forces représentant le Mittelstand (et par ailleurs la Cour de Karlsruhe sur la dette) critiquant l’abandon de principes jugés intangibles, ceux de la propriété privée quand l’État entre au capital d’une entreprise de bio-tech comme il vient de le faire avec Curevac, (cf. relevé précédent) ; et du refus de toute tutelle quand l’actionnaire principal de Lufthansa menace de faire capoter le plan gouvernemental de redressement]. Mais Peter Altmaier le ministre de l’Économie défend sa nouvelle ligne stratégique industrielle avec l’argument qu’elle n’intervient pas pour soutenir des entreprises contre le marché, mais pour faire que les mêmes règles de marché s’appliquent à tous et donc aussi hors de l’UE, principalement en Chine et aux EU où les subventions vont bon train (Les Échos, le 30 juin). Dit autrement, nous sommes tellement éloignés des conditions de la concurrence libre et parfaite que les fervents soutiens d’une économe de marché régulé sont obligés de monter au créneau. Comme nous l’avons dit pour la France dans un relevé précédent, mais c’est aussi valable aujourd’hui pour l’Allemagne, dans ce nouveau contexte, le commerce extérieur ne peut plus se réduire aux chiffres de la balance commerciale. Il s’agit de rapatrier les productions à haute valeur ajoutée, raccourcir les chaînes de valeur, choisir ses interdépendances sur des critères aussi politiques qu’économiques. Deux exemples : le premier concerne le Nord de l’Italie qui est considéré comme vital par l’Allemagne. C’est ce qui a sans doute poussé les Allemands à faire pression sur les industriels de Lombardie pour qu’ils ne ferment pas les entreprises au début de la pandémie quand l’Allemagne n’était pas encore touchée et ce qui les pousse aujourd’hui à accepter de venir en aide à l’Italie parce qu’elle a besoin de ce Nord du Sud (Paolo Gentiloni, commissaire aux affaires économiques de l’UE dans Libération, le 1er juillet). Second exemple : pourquoi dépendre de la Chine, ce qui n’apparaît plus aux yeux de personne comme quelque chose de neutre, mais comme ayant été une solution de facilité qui s’est finalement révélée dangereuse, alors qu’il y a le Vietnam ou d’autres pays émergents ? Nous sommes donc loin d’un simple « moment hamiltonien » (cf. relevé VI) vers une sorte de fédéralisme comme en parle la presse. Les enjeux sont beaucoup plus globaux.
La politique industrielle n’est plus une incongruité française dans le monde occidental. L’affrontement entre grandes puissances et la violence de la crise économique provoquée partout par la pandémie conduisent les États à un interventionnisme de plus en plus assumé. Il ne s’agit plus seulement, pour les gouvernements, de prendre des mesures de soutien génériques ou sectorielles, mais de s’impliquer, y compris comme actionnaire, dans des situations particulières. Ainsi, l’administration Trump dans son souci d’avancer sur la 5G tout en s’opposant au chinois Huawei s’est renseignée sur la possibilité d’une prise de contrôle public sur Nokia le finlandais ou Eriksson le suédois. Outre-Manche aussi, les esprits ont beaucoup évolué. Même le Financial Times a basculé et appuie le « Project Birch » du gouvernement Boris Johnson, prêt à sauver avec l’argent des contribuables des entreprises en difficulté mais jugées stratégiques, comme le sidérurgiste Tata Steel ou le constructeur automobile Jaguar Land Rover ; et à se réclamer de Roosevelt plutôt que de Churchill pour lancer son New Deal9 de reconstruction par les infrastructures. Pour les Pays-Bas, cette évolution est encore plus contre-nature. Pourtant, le gouvernement de Mark Rutte s’y est essayé dès l’an dernier, en entrant par surprise au capital d’Air France–KLM. Objectif : faire contrepoids à l’influence française (Le Figaro, le 1er juillet).
Temps critiques, le 10 juillet 2020
- ؘ– Le gouvernement planche sur un nouveau plan de soutien au petit commerce qui dépasserait la simple suppression des charges pour cette année. Il parle de baisser les loyers par différents procédés telles que la création de sociétés foncières en lien avec les municipalités, alors que ce qui grève les marges relève plus de taxes importantes subies qui sont bien supérieures à celles de l’e-commerce (Libération, le 29 juin). [↩]
- ؘ– Cf. aussi la tribune libre d’intellectuels américains contre la Cancel culture, Le Monde du 9 juillet et ses effets : licenciements immédiats sans médiations, enquêtes, autocensure. Salman Rushdie est un des signataires. Il doit quand même « halluciner ». [↩]
- ؘ– On peut se rappeler l’exemple de censure des Suppliantes d’Eschyle le 25 mars 2019 à la Sorbonne. [↩]
- ؘ– À noter que la taxe carbone n’a pas produit les mêmes effets partout. En Angleterre le pays le plus décarboné d’Europe, elle n’a produit aucune grève massive alors qu’elle a été imposée à un moment de pétrole cher. Elle a en partie été compensée par des soutiens aux ménages modestes. [↩]
- ؘ– https://www.editions-harmattan.fr/minisites/index.asp?no=21&rubId=396#Lip [↩]
- ؘ– Airbus a signé une « charte de bonne conduite » avec les éléments de sa supplychain, comme on dit dans le jargon. « On connaît des boîtes qui travaillent à perte pour Airbus et qui sont sauvées chaque année pour ne pas les faire couler », glisse un militant CGT de la métallurgie. (Libération, le 2 juillet). [↩]
- ؘ– Richard Ferrand (LREM et sur le perchoir de l’Assemblée nationale) croit avoir trouvé la porte de sortie en parlant d’une « décentralisation ascendante » (Les Échos, le 25 juin). [↩]
- – Par exemple, l’Alpine-Renault de Dieppe qui tourne à moins de 50 % de ses capacités et qui est en sursis) est vendue à plus de 60 % en France, ce qui est trop limitatif pour un haut de gamme et par rapport aux « allemandes » qui ont une prime a priori à la qualité. L’automobile semble le secteur où la France a le plus de mal à vendre du haut de gamme et donc à maintenir l’emploi sur le territoire dans cette filière… qui est celle qui rapporte le plus de valeur ajoutée. Ainsi, la DS4 de PSA qui devait être produite à Sochaux le sera finalement sur un site allemand d’Opel. On s’aperçoit ici de la distance entre les stratégies industrielles des entreprises — ici la logique d’intégration d’Opel dans PSA —, qui n’ont rien de nationales et la politique industrielle que certains États veulent relancer. Mais au moins la stratégie s’avère-t-elle européenne avec en complément l’établissement d’un modus vivendi entre syndicats français et allemands de la métallurgie pour faciliter cette intégration en Allemagne sans trop de dommage en France (il s’agit là que d’une petite production en termes de quantité), Les Échos, le 1er juillet. [↩]
- – Pour le Times toutefois « c’est peanuts » car les sommes engagées ne représentent que 0,2 % du PIB, contre plus de 5 % pour le New Deal américain (en Europe, l’enveloppe se situe un peu au-dessus de 1 %, ibidem). Cela apparaît d’autant plus insuffisant que l’intérêt de la dette est en net recul. Si on prend un pays comme la France, alors que la dette a presque doublé entre 2008 et 2020, l’intérêt de la dette a diminué de moitié (de 2,8 % du PIB à 1,4 %) et il n’y a pas de raison de penser qu’il en est différemment Outre-Manche. C’est donc particulièrement le moment, pour la société capitalisée, d’investir dans les écoles, logements sociaux et autres infrastructures d’autant que le chiffre de levée de dettes pour les nouvelles est encore nettement plus bas puisqu’il s’établit pour la France à -0,07.
Ou comment s’enrichir en empruntant (Les Échos, le 7 juillet). Et ça n’a rien de fictif ! [↩]