Relevé de notes en temps de crise sanitaire (XIII)

– Courtepaille, Camaïeu, André, la Halle autant d’entreprises en assistance respiratoire sous LBO (Leveraged buy-out pour « opération à effet de levier »). C’est une technique financière de rachat d’une entreprise avec un apport minime d’argent propre, mais la constitution d’une dette dont le remboursement est engagé sur les bénéfices à venir. Une opération qui peut être utilisée par des fonds d’investissement en recherche de hauts rendements, et ce aussi bien en phase de forte croissance comme aux États-Unis pendant les Trente glorieuses ou en période de crise comme depuis 2008 où prédominent les faibles taux d’intérêt. Plus les taux sont bas plus les risques sont limités à financer des entreprises qui autrement ne seraient pas secourues. Les LBO détournent les investisseurs des obligations et actions à rendements alors rendus faibles. C’est l’effet pervers des accords dit de Bâle III qui, suite à la crise des subprimes, encadrent maintenant l’action des banques de façon à les rendre plus prudentes. Le résultat en est que les fonds privés se substituent progressivement aux traditionnels investisseurs institutionnels. Ainsi, l’enseigne de surgelés Picard, qui a multiplié les LBO pour financer son développement, a certes grossi, mais sa dette atteint 1,4 milliard d’euros. Une partie de l’endettement peut être sain dans la mesure où c’est un endettement volontaire d’acquisition pour grossir et prendre des parts de marché, mais une autre partie est plus risquée qui voit l’entreprise déjà endettée par cette acquisition s’endetter pour rémunérer les investisseurs à des taux bien supérieurs au prix de marché. À l’origine, cette technique était faite pour permettre la transformation d’entreprises familiales en sociétés sans passer par la Bourse. Par exemple dans le cadre du rachat de l’entreprise par les salariés, ces derniers bénéficiaient alors de déductions fiscales qui n’ont par contre pas lieu d’être, d’un point de vue de gauche, dans le cas d’opérations quasi spéculatives (Nicolas Bédu, « économiste atterré » dans Libération, le 27 juillet).

Or la Covid-19 semble avoir mis fin à cette assistance financière pour de nombreuses entreprises se situant dans les secteurs les plus touchés par la crise comme le textile et l’habillement ou la restauration parce que les investisseurs ne sont réactifs qu’à des signes de court terme et non à des politiques industrielles innovatrices permettant de prévenir les changements de comportement de consommation surtout dans des secteurs aussi liés à la mode (cf. le passage à la fast fashion [la mode éphémère]). La Covid-19 et le développement de la vente en ligne ont fait le reste. Ces marques seraient restées sur les critères des années 1980, alors que Zara et H&M utilisent la high-tech à plein ; chez Zara, les vendeuses ont un appareil pour informer le siège au jour le jour sur ce qui marche ou pas. L’offre est adaptée en permanence. Pourquoi Primark monte en flèche ? En raison du prix. C’est le Tati de la grande époque mais tendance, alors que Camaïeu est bien plus cher sans proposition particulière de style ou de qualité. Et nous pouvons rajouter que l’exploitation de la force de travail y atteint un niveau particulièrement élevé avec des grèves sporadiques pour faire respecter les règles minimales de droit du travail auprès du personnel intérimaire ou des sous-traitants ou encore du personnel de sécurité. Mais même Zara et H&M subissent le choc, rattrapés qu’ils sont par leur stratégie de réassort frénétique pour coller à la tendance. En effet, la fast fashion a fait assaut de soldes anticipées et autres prix cassés pour écouler la marchandise invendue, ce qui réduit d’autant les marges.

Le grand absent sur cette question des LBO demeure l’État ; pas question pour lui, pour le moment en tout cas, de réguler l’activité des fonds d’investissement. Sans doute une manière de ne pas insulter l’avenir, dans la mesure où par le passé, ce sont ces fonds qui ont été les seuls repreneurs d’entreprises en difficulté. Les pyromanes peuvent en effet se transformer momentanément en pompiers.

– Air-France, comme d’ailleurs d’autres entreprises de transport aérien, ne pourra rembourser avant longtemps les différentes formes de prêts qui lui ont été consentis ce qui équivaut à une nationalisation de fait. Une fois de plus l’adage de la privatisation des profits et de la socialisation des dettes semble vérifié. Toutefois, dans le cadre des réglementations européennes, une nationalisation de droit est peu probable, car elle contreviendrait aux règles de concurrence et serait attaquée par d’autres compagnies comme Ryan-Air qui ne bénéficient pas de ces mesures (Cf. Marc Ivaldi, économiste des transports, Libération, le 31 juillet). Ce serait passer d’une intervention conjoncturelle dans l’économie à une intervention structurelle pourtant nécessaire s’il s’agit de planifier une politique de transport qui ne fasse pas qu’un secteur, pour se sauver, détruise les autres. Ainsi, le patron d’Alsthom s’est montré plus que partisan de l’interdiction de l’avion sur les liaisons intérieures pouvant être assurées par rail : « À titre personnel, je suis favorable à ce que, pour tous les trajets de moins de quatre heures de train, l’avion soit interdit. Le modèle TGV participe énormément à la décarbonation du transport », a déclaré Henri Poupart-Lafarge, en plaidant pour une relance du rail face à l’avion, mais aussi de préférence à l’automobile 1.

Autre bémol à cette socialisation des pertes : si on regarde les précédents d’Alsthom et de PSA, leur recapitalisation par l’État a permis ensuite des plus-values importantes à la revente quand la situation s’est améliorée (ibid.). Le problème ici est donc de savoir si le secteur du transport aérien est conjoncturellement ou structurellement touché.

– Dans divers textes de Temps critiques, nous avons souvent insisté sur le fait qu’avec la « révolution du capital », le capital dominait la valeur et donc en conséquence que les prix n’avaient plus qu’un rapport ténu à cette valeur ; soit parce que la plupart des prix sont maintenant des prix de cartels (monopolistiques ou oligopolistiques) soit parce que ce sont des prix administrés fixés par l’État. Or, avec le plan de relance européen, on en a un exemple concret aujourd’hui. En effet, les taux d’intérêt à long terme sur les dettes publiques ou sur les dettes des entreprises, les écarts de taux d’intérêt entre pays ou encore les primes de risque sur les dettes des entreprises en bonne ou mauvaise forme, de bonne ou de mauvaise qualité, seront maintenant déterminés par les achats de la BCE. Ce sont devenus, dans les faits, des prix administrés et non plus des prix de marché (Les Échos, le 27 juillet).

D’autres axes du plan de relance vont dans ce même sens de la sortie de l’économie de marché comme, par exemple, le désir de relocalisation des États qui ne peut se faire que par subventions aux entreprises puisque la plupart des raisons qui avaient amené ces dernières à délocaliser demeurent avec toutefois des évolutions non négligeables : un éventail de coût du travail qui se réduit, une compétitivité qui s’évalue plus sur le coût complet et la qualité que sur le prix, etc. Enfin, il en est de même pour l’émission de CO2. Un prix plancher d’émission élevé ne peut être à lui seul une arme décisive d’abaissement de ce niveau dans les proportions prévues. Les États vont donc être obligés de sortir de ces mécanismes de marché qui avaient pourtant la préférence des entreprises et des libéraux avec par exemple les droits à polluer pour entrer dans un système incitatif ou contraignant concernant les transports et l’isolation thermique des logements (en France on parle d’un passeport santé du logement que les propriétaires devront respecter, cf. Libération, le 28 juillet : « L’exécutif veut rendre son écologie concrète »).

– Des inconnues demeurent : la France a refusé une baisse de la TVA, mais aurait-elle été porteuse dans un pays où l’INSEE nous indique que la baisse des exportations a été plus forte que celle des importations, et ce au plus fort de la crise et que par expérience les entreprises ont tendance à ne pas répercuter cette baisse dans le prix, mais au niveau de leurs marges ? (Les Échos le 3 août). Par ailleurs, la diversité de situation des secteurs est telle qu’il est difficile de faire des projections. Le luxe, la pharmacie, l’eau, l’agroalimentaire, le BTP s’en sortent relativement bien avec un fort redémarrage, l’automobile, les transports et la métallurgie dans son entier, souffrent beaucoup plus or ce sont les secteurs qui nécessitent le plus gros effort d’investissements privés sans pour cela avoir de garantie d’une reprise de la consommation et les experts (Les Échos le 3 août) estiment un coût de frein de cet investissement à hauteur de 50 milliards correspondant grosso modo au « cash-crunch » (peut être résumé par un manque de liquidité de la part des entreprises) qui vient de se produire. Le risque n’est donc pas dans les services, mais dans l’accentuation de la désindustrialisation, une crainte énoncée par le président de l’UIMM, Ph. Darmayan dans ces mêmes colonnes, le 31 juillet). Depuis 1982 les ouvriers sont passés de 30 % des emplois à 19,6 (2019) et ils travaillent de moins en moins dans le secteur manufacturier (de 15 % ils ne sont plus que 7 %). Les ouvriers qualifiés dans l’industrie manufacturière, peu nombreux sur le total et en net recul numériquement, sont à 85 % en CDI contre 63 % pour les autres. Les autres salariés comptabilisés comme tels dans la nomenclature officielle des PCS (professions et catégories socioprofessionnelles) sont chauffeurs, ouvriers de type artisanal, ouvriers du BTP, ouvriers agricoles, ouvriers/employés des entrepôts de logistique ou de nettoyage, des secteurs qui résistent mieux à l’automatisation des tâches ou même qui sont le produit de son accroissement, mais fractions ouvrières qui ont du mal à coaguler, bref à faire forces par comparaison aux anciennes fractions ouvrières qui faisaient masse au sein des « forteresses ouvrières » .

– Bruxelles veut faciliter le financement des entreprises en simplifiant l’accès aux marchés financiers. Parmi les mesures notables, on peut retenir la promotion d’une technique qui a pourtant démontré ses potentialités spéculatives, celle de la titrisation qui permet aux banques de regrouper des prêts, de les convertir en titres et de les vendre sur les marchés. L’objectif est de les aider à prêter de manière plus ciblée en transférant sur les marchés financiers une partie du risque lié aux emprunts des petites et moyennes entreprises qui ont justement du mal à trouver des capitaux pour l’innovation, surtout en France si on compare la situation avec celle qui prévaut en Allemagne et est à la base du dynamisme de l’Hinterland.

Dans le même ordre d’idée, la Commission européenne a accepté le rachat du canadien Bombardier par Alsthom ce qui en fait le second groupe du ferroviaire derrière le chinois CRRC, alors qu’il avait refusé auparavant la rencontre entre le même Alsthom et Siemens. Force est de constater une prise en compte de la concurrence chinoise.

– Le gouvernement va satisfaire le patronat en s’attaquant à l’impôt sur la production. Un impôt de 2010 2 (Sarkozy) que beaucoup considèrent comme aberrant dans son fondement puisqu’il frappe les entreprises au niveau du chiffre d’affaires, des frais fixes (plus important dans l’industrie que dans les services) et de la valeur ajoutée et non du profit ; aberrant aussi dans sa destination puisqu’il comprend une cotisation foncière qui sert à financer les collectivités locales 3, une cotisation qui pèse proportionnellement plus sur les PME/ETI que sur les grandes firmes ; et enfin aberrant par rapport à son poids : 77 milliards (on parle de le rabaisser de 10 milliards) contre 26 en moyenne dans l’UE, mais seulement 11 en Allemagne. Cette baisse pourrait toutefois être compensée par une hausse de l’impôt sur les sociétés ce qui apparaîtrait plus « juste » d’un point de vue industrialiste.

– Pour certains experts, la 5G, contrairement à ses devancières, serait d’un usage à 80 % professionnel et non de consommation/loisir. Ils en espèrent une croissance de la productivité (G. Babinet de l’Institut Montaigne, Les Échos, le 28 juillet) par optimisation des flux pour éviter les problèmes de stocks, quelque chose que le toyotisme n’a pas complètement réalisé même s’il en a fait un objectif en inversant la traditionnelle filière fordiste. Cela permettrait aussi des gains dans l’agriculture avec l’analyse de l’humidité permettant de ne pas gaspiller d’eau ou de l’énergie avec les chauffages connectés ou encore les GPS.

Les marchés financiers pourraient eux aussi en profiter dans la mesure où ils se fondent sur une actualisation 4 de tous les profits futurs jusqu’à parfois les valoriser à l’excès comme le montre la cote actuelle de Tesla qui ne représente pourtant qu’une part de marché minuscule. Et alors même que les Gafam font l’objet d’une procédure d’abus de position dominante aux États-Unis, leur valorisation boursière n’a jamais été aussi haute 5 (Le Monde, le 1er août) du fait de la haute valeur d’actifs intangibles que représentent leur savoir-faire, le capital humain ou le General intellect 6.

– Un des effets indirects de la Covid-19 est la fin du projet de Google-City à Toronto qui devait fournir un exemple de ce que Richard Florida appelle les « entreprises urbantech » à la base de futures villes « intelligentes » (Cf. Carlo Ratti qui dirige le Senseable City Lab au Massachusetts Institute of Technology, Les Échos, le 3 août).

– La Covid-19 a en partie sapé la puissance du dollar. Celui-ci est engagé dans une tendance baissière, parce que corrélée à la mauvaise gestion de la crise sanitaire alors même qu’au début de la crise il avait encore fonctionné comme valeur refuge (il bénéficiait de ce qu’on appelle une prime de sécurité) ; mais la gestion Trump et le conflit avec la Chine ont miné la confiance. Par ailleurs les taux américains sont moins attirants et les flux de capitaux vers des fonds d’actions européens sont plus importants que vers les fonds spécialisés dans les actions américaines (la prime de risque tend à s’inverser). Anton Brender, in Les Échos, le 31 juillet-1er août estime que le rôle de l’euro va croître à long terme, mais qu’à court terme il n’y a pas d’alternative au dollar et au système financier qu’il domine.

– Nous l’avons suggéré dans les relevés précédents, les économistes distinguent volontiers les « chocs d’offre » et les « chocs de demande », mais cette distinction, qui n’a sans doute jamais eu grand sens, n’en a manifestement aucun dans le cas de cette crise. C’est l’ensemble des schémas de reproduction qui ont été désarticulés. Le rapport consommation-production-investissement d’abord, l’articulation des chaînes de valeur ensuite. Les stratégies de relocalisation, si elles ne restent pas lettre morte, ne feront qu’accentuer cette désarticulation (M. Husson : « L’économie mondiale en plein chaos », site À l’encontre).

– Le mini scandale de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), une référence mondiale de la régulation publique environnementale, autour de l’autorisation de l’utilisation du glyphosate, repose la question de l’indépendance des experts et la fiabilité de leurs expertises quand ils sont en fait juges et parties ; et au-delà, la question d’une agriculture productiviste. En effet, dans un article de Libération, le 25-26 juillet on apprend que la non-utilisation de ce produit conduirait à un labourage beaucoup plus intense des sols nécessitant, en l’état actuel, l’utilisation de nouvelles machines entraînant elle-même à terme une concentration du capital. Le piquant de ce processus c’est que c’est la FNSEA qui met en avant ce danger pour justifier le maintien de l’utilisation du produit dans des formes encadrées.

– D’après une enquête Le Progrès, le 28 juillet, la Covid-19 a eu un effet à la hausse sur les produits frais. La Confédération paysanne dénonce les culbutes de la grande distribution qui font passer des tomates bios achetées 1,50 euro aux producteurs à 5,80 en rayon. Derrière le mot d’ordre gouvernemental d’acheter en France réduit par la grande distribution à une bataille de communication, se livre une véritable guerre des prix alors que le coût de ramassage en France est 1,7 fois plus élevé qu’en Espagne et 1,5 fois… qu’en Allemagne. Le résultat en est que nos importations en ce domaine ont doublé en 10 ans pour atteindre 20 %, alors même que nos exportations baissent (cf. aussi le relevé de notes IV). Ce qui est vrai pour les légumes l’est encore plus pour les fruits où le coût de ramassage correspond à 40 à 60 % du coût total du produit.

Un panier de 8 types de légumes et fruits pour 4 personnes s’établit à 42,34 euros en magasins discount ; 51,33 en hypermarchés ; 52,45 sur le marché et enfin 90,79 en magasin bio. Il ne s’agit bien sûr pas des mêmes produits, mais cela traduit la tension entre producteurs et distributeurs dans ce secteur, une tension de fait arbitrée par l’État selon des choix qui sont tous sauf anodins. On a vu pendant la pandémie que les marchés des grandes villes ont été fermés autoritairement ce qui n’a pas été le cas des hypermarchés et magasins de proximité ; quant à la production bio elle reste une production de niche en dehors de la PAC.

– Une autre enquête, cette fois du Journal du dimanche, le 26 juillet, rend plus concret les dessous de la production agricole de type industrielle dans la mesure où là encore la Covid-19 a fait remonter à la surface des conditions, ignorées de beaucoup, des nouveaux « damnés de la terre ».

C’est ainsi qu’au camping des Noves dans les Bouches-du-Rhône, des ouvriers sans-papiers, pour la plupart venus d’Amérique du sud ou d’Amérique centrale et recrutés par l’entreprise espagnole Terra Fecundis 7 de Murcie, se retrouvent dans une sorte de zone de regroupement au sein d’un camping où ils sont séparés des touristes par des hauts murs. Ce sont des « travailleurs détachés intérimaires » d’après la formule officielle. Une sorte d’actualisation de la pratique du « plombier polonais ». Derrière Terra Fecundis se retrouvent les quelques grandes exploitations, dont beaucoup sont sises en Provence, qui fournissent la grande distribution. C’est la Covid-19 qui a permis de soulever le voile puisqu’une forte contamination liée à la promiscuité, à l’absence de masques et aux mauvaises conditions est apparue au camping. On retrouve des situations identiques à Beaucaire avec une rue Nationale transformée en Little Ecuador. Il y aura donc eu une exception au confinement puisque ces travailleurs ont pu faire plus de mille kilomètres depuis le sud de l’Espagne jusqu’en Provence. Dès la mi-avril, gendarmerie, police et justice ont été alertées, mais beaucoup reconnaissent que le Ministère de l’Agriculture aurait mis la pression sur le Ministère de l’Intérieur pour épauler concrètement « nos » agriculteurs (clientélisme politique) tout en arguant de la peur du manque de nourriture pour justifier le silence sur ces manquements aux mesures officielles de confinement (démagogie).

Ancien directeur du travail au Ministère du même nom, Hervé Guichaoua y voit une autre raison plus juridique et européenne : « Le gouvernement ne pouvait pas, par simple instruction, bloquer à la frontière ces salariés détachés car cette décision aurait eu pour effet d’interdire aux entreprises étrangères d’exercer leur droit à la libre prestation de services reconnue par l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’UE ». Pourtant d’après le même haut fonctionnaire ces pratiques de Terra Fecundis sont connues de l’État depuis 2001 et ce n’est qu’en 2014 qu’une première action en justice est menée après la mort d’un saisonnier. Le Coronavirus aura là encore accéléré les choses.

– Un point complémentaire au relevé XII où nous abordions la question de la relance de la demande à partir des bas salaires (cf. l’analyse keynésienne). Pour dynamiser l’embauche, il serait préférable de cibler les emplois à bas salaires car c’est autour de la valeur du SMIC que les incitations gouvernementales en direction du patronat, s’avèrent opérantes ; et non comme dans le projet actuel en fixant une limite supérieure à 2,5 SMIC ce qui correspond en fait au niveau de 85 % de salariés ! (Les Échos, le 28 juillet, Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo). L’échec du CICE n’aura apparemment pas servi de leçon. À viser tout le monde, L’État ne touche personne car cela conduit au mieux au saupoudrage de la même somme sur un nombre plus grand de bénéficiaires. Le même défaut apparaît avec un chômage partiel maintenu à 4,5 SMIC en longue durée au lieu de l’abaisser à 2 ou 2,5 SMIC comme cela a été proposé plusieurs fois par des économistes. Le risque est double, car un chômage partiel de longue durée est un peu une contradiction dans les termes qui conduit premièrement, au niveau microéconomique, à subventionner indirectement des secteurs en déclin ; deuxièmement à mieux indemniser les heures non travaillées que le chômage.

Ces dispositions sont d’autant plus étonnantes que sur la question de l’âge c’est l’argumentation inverse qui prévaut en arrêtant la limite de bénéfice de la mesure à 25 ans, ce qui crée de fait une trappe à chômage pour la catégorie d’âge située juste au-dessus (Le Monde, le 29 juillet). Pour Stéphane Carillo de Sciences-Po, il aurait été plus habile de monter jusqu’à 30 ans en limite d’âge, mais dans les limites de deux fois le SMIC seulement plutôt que 2,5. Ces dispositions ne parlent d’ailleurs que d’emplois en général, or dans la mesure où elles autorisent les CDD (d’un minimum de trois mois) on ne peut exclure que certains patrons se laissent tenter par un turn-over des postes à leur initiative (augmentation de la précarité). Et cela, y compris dans une forme « inclusive » où ce seraient finalement toujours les mêmes destinataires auprès desquels on renouvellerait le contrat, alors que le but de la mesure est d’élargir les possibilités de « l’employabilité ».

L’évolution de l’automobile en France en est le fidèle reflet de l’évolution plus générale de l’industrie française. Nous avons vu supra la déperdition d’emplois industriels, elle est la conséquence de chiffres de production eux aussi globalement en baisse. Ainsi, en 2000, la France était deuxième producteur européen après l’Allemagne, aujourd’hui elle est quatrième et a perdu 36 % de ses emplois. Ce déclassement n’est pas dû à une déconfiture commerciale, car les parts de marché de Renault et de PSA restent stables, mais les choix industriels, surtout chez Renault avec Ghosn ont porté aux délocalisations et à la production de voitures low cost pendant que la production en France se désintéressait du design, pourtant essentiel, pour la fameuse « montée en gamme ». Pourtant, rien n’était impossible puisque Toyota a fait le choix inverse en choisissant la France pour sa Yaris près de Valenciennes, qui est la quatrième voiture produite en France en termes de quantité avec une usine ultramoderne et beaucoup plus automatisée (le coût du travail n’est pas entré en ligne de compte pour le constructeur japonais).

Le résultat c’est que depuis le pic de production de 2002, la production n’a fait que baisser se situant aujourd’hui autour de 1,67 million soit deux fois moins. Les économies d’échelle sont donc rendues difficiles et il n’est pas étonnant que les centres de recherche se retrouvent surdimensionnés comme à Guyancourt pour Renault et que les licenciements y sont à l’ordre du jour (Le Monde, le 29 juillet). Situation générale d’autant plus difficile qu’après avoir bénéficié de ce que certains observateurs appelaient « la rente Nissan », c’est aujourd’hui la marque japonaise qui traîne les deux tiers des pertes du groupe que les bons chiffres de Dacia ne peuvent compenser puisqu’ils sont hors bilan (Le Monde, le 31 juillet). La situation n’est par ailleurs guère réjouissante chez les équipementiers puisque l’un des plus puissants, Faurissia prévoit une baisse de ses investissements d’au moins 40 %.

– Barbara Pompili a reculé sur le moratoire des entrepôts de commerce et les limitations de nouvelles implantations ne concerneront que les zones commerciales. Est-ce un recul pour ne pas froisser les géants du numérique et des plateformes ? Ou alors le fruit d’un gros lobbyisme de la part de « France logistique » (cf. « Point de vue » dans Les Échos, le 29 juillet) où il est fait état de 30 000 créations d’emploi net/an soit 1,8 million de personnes représentant 10 % de l’emploi salarié en France répartis sur tout le territoire (le fameux « maillage » du territoire) et avec une forte chance d’ascenseur social interne dans un secteur neuf ? France logistique insiste aussi que ce secteur assure stockage, transport et livraison avec efficacité, y compris pendant la Covid-19, que l’Allemagne est le leader de la logistique mondiale et enfin que si on empêche les plateformes de s’installer en France cela ne changera rien puisque les installations nouvelles se feront à nos frontières, mais par nos concurrents.

Temps critiques, le 3 août 2020.

Notes de bas de page :
  1. – De fait, selon les chiffres de l’Agence européenne de l’environnement, les émissions de gaz carbonique du train plafonnent à 14 g de CO2 par passager et kilomètre, quand elles culminent à 285 g pour l’avion et représentent 55 g pour une voiture moyenne. En France, où les TGV roulent à l’électricité nucléaire, le train est encore plus « propre » qu’ailleurs sur le Vieux Continent : 1,14 g par passager au km par exemple pour un Paris-Avignon TGV (661 km) ou 1,37 g pour un Paris-Toulouse (793 km), si l’on en croit le calculateur open data de la SNCF… Ce qui est quand même incroyable, c’est qu’alors que les grandes villes ont voté écologiste (avec toutefois une abstention qui survalorise leur représentation), plus personne ne parle du traditionnel combat écologiste contre l’énergie nucléaire. Avec l’effacement de l’État-nation et de la pertinence de la question de l’indépendance nationale, le nucléaire est comme détaché de la puissance de l’État et devient une énergie comme une autre, plutôt plus propre finalement et un avantage comparatif dans la concurrence internationale ce qui ne gâte rien.[]
  2. – Pendant longtemps les gouvernements lui ont préféré une baisse du coût du travail par exonération de charges sur les bas salaires.[]
  3. – Le gouvernement prévoit de leur verser en compensation une fraction de la TVA (Les Échos, 31 juillet-1er août).[]
  4. -L’incertitude est inscrite au cœur même de la formule d’actualisation qui nous indique ce qu’un capitaliste serait prêt à risquer (cf. l’importance prise par les primes de risque) et payer pour recevoir plus tard un flux d’argent. Mais ce taux d’actualisation peut être utilisé pour différents calculs prospectifs. Il peut l’être par exemple par rapport au coût de la lutte contre le réchauffement climatique quand on pense que depuis les années 2000 il existe des « obligations catastrophes » permettant aux investisseurs d’acheter aux assurances les « risques d’événements extrêmes » (ils « actualisent » sur les deux tableaux) ; et on peut même penser qu’il l’a été, mais de façon erronée, pour ce qui est des risques de pandémie. Les alertes n’ont en effet pas manqué, mais les calculs et l’évaluation se sont avérés erronés.[]
  5. – À titre d’exemple Apple « vaut » plus que l’ensemble des entreprises du CAC40 et devance le pétrolier saoudien Aramco en capitalisation boursière.[]
  6. – Terme utilisé par Marx et qui correspond à ce que l’on regroupe sous le nom d’actifs immatériels qui ne sont pas inclus dans les investissements productifs au niveau comptable, d’où la distorsion valeur « fictive »/valeur « réelle » en dehors de tout caractère spéculatif.[]
  7. – Le carnet de clientèle en France de cette entreprise atteint le chiffre de 535 exploitations dans 35 départements. La paie est de 14-15 euros de l’heure contre 20 à 21 au tarif habituel. Les encargados (contremaîtres) viennent aussi d’Espagne.[]