Les boîtes noires de l’extrême gauche

Cet échange est né d’une réaction à nos interventions autour des attentats de 2015 à Paris mais quittant le domaine proprement événementiel il s’efforce de poser et discuter les questions du rapport des « révolutionnaires » à la religion, de leur incapacité, qu’ils soient plutôt marxistes ou libertaires n’y changent rien, à comprendre le fait que la religion n’a pas été dépassée par le progrès, le rationalisme, la révolution, mais perdure et nous saute encore à la figure avec l’islamisme militant. C’est que cette question n’a que très rarement été reliée à celle de la communauté humaine. Soit elle était vue du point de vue de l’individu rationnel opposé à toute communauté donc a fortiori religieuse soit du point de vue de classe ne reconnaissant que la communauté ouvrière.


Le 12/02/2016

Bonjour Jacques,

Oui, c’est à propos du texte « Dans l’angle mort… ».

Ce qu’il me paraissait manquer, ce sont deux choses :

– Le fait que toute une partie du mouvement « socialiste » au sens large, et singulièrement libertaire, a cru pendant longtemps (depuis le XIXe siècle) que les croyances (religieuses) allaient reculer avec la libre pensée, les découvertes scientifiques, la scolarisation de masse : il n’en a rien été. Ou pas exactement comme cela. De mon point de vue, il faut que le mouvement libertaire balaie devant sa porte et comprenne pourquoi cela ne s’est pas passé ainsi. Ce n’était pas forcément votre préoccupation dans le texte, mais je pense que cette question est incontournable.

– De façon générale, vos textes ne traitent guère de ce qui m’apparaît comme la nouvelle forme de domination (tant locale que planétaire) du XXIe siècle, à savoir le capitalisme vert et ce qui l’accompagne : l’écolocratie (ou écolocrature). De fait, par rapport au sujet du texte et au point précédent, je considère, en gros, que la nature a remplacé dieu dans les sociétés dites modernes-industrialisées « laïcisées », tant dans son schéma transcendantal que dans ses applications fonctionnelles : la croyance comme valeur et pratique, y compris croire dans n’importe quoi, tout et son contraire (on dénonce la science, mais on croit aveuglément certaines fadaises du Club de Rome ou du Giec qui reposent sur des approximations scientifiques, etc.), croire dans les gourous et croire dans l’Etat (supposé neutre, efficient, etc.), rôle des Eglises, etc.

On arrive à des sornettes comme quoi la guerre en Syrie aurait pour origine le réchauffement climatique (je dénonce cette escroquerie intellectuelle et politique dans l’un de mes billets sur La Lettre d’Orion, là où j’évoque le pastafarisme).

http://libelalettredorion.blogs.liberation.fr/2015/12/07/dg-et-pastafarisme/

Tant que la critique disons « radicale » ne prendra pas à bras le corps cette critique du capitalisme vert et de l’écolocratie, en démontant tout ce qui y a amené, écolocratie qui est compatible avec le fondamentalisme religieux à plus ou moins haute dose, je pense que nous n’avancerons pas, tout en continuant à mouliner de vieilles grilles d’analyse de plus en plus obsolètes.

Sinon, je le répète, le texte m’a beaucoup plu.

Bien à toi,

Philippe.

PS : Je t’envoie mon livre (plus un autre, en prime !). Tu ne me dois évidemment rien. Bien sûr, si tu veux m’envoyer l’un de tes livres, je suis preneur (peut-être quelque chose sur la « valeur », là où je suis mon enclin à te suite, mais je veux comprendre).


Le 29/02/2016

Bonjour Jacques,

J’ai bien reçu tes livres, merci…

J’en ai commencé la lecture. Tu comprendras, je pense, que je reste souvent agacé par une rhétorique directement héritée de Marx (mélange de sarcasme, de froideur et d’ambition scientifique…) et par la démarche très déductive (ex : puisque le travail vivant régresserait, la classe ouvrière qui l’incarne se réduirait et donc la perspective d’une révolution liée à cette classe sociale s’évanouirait…) (ce qui recycle aussi le vieux débat sur superstructure/infrastructure)…

Mais j’y trouve aussi de nombreux points stimulants. En particulier, dans L’Évanescence de la valeur, p. 12-13, où est abordé la question du rapport entre anti-sémitisme, capitalisme et nazisme. Votre approche me paraît essentielle sinon lumineuse. Je garde en tête que la question ne s’est pas du tout posée dans les mêmes termes en Asie orientale (absence de la « question juive ») où le Japon a rapidement rejoint le groupe des pays industrialisés, ce qui nous renvoie à l’origine même du capitalisme moderne (pourquoi l’Europe occidentale et pas ailleurs ?), question au demeurant mal traitée par Marx (on pourrait dire que ce n’était pas son souci, certes ; on peut aussi répliquer que, décidément, Marx reste prisonnier de la logique dictée par la philosophie de l’histoire et aveugle à la géographie qui échappe à cette philosophie ; NB : puisque j’ai vu que vous vous penchiez sur le MPA, j’ai écrit des choses là-dessus dans mon Extrême-Orient, l’invention d’une histoire et d’une géographie, p. 542-553, qui pourrait vous intéresser).

J’y suis d’autant plus sensible que l’une de mes « entrées en politique » est passée par la question de l’holocauste des juifs. Jeune adolescent, j’ai toujours été stupéfait par ce drame (au sein l’Allemagne de Goethe et de Beethoven, de l’Europe des Lumières…) et par l’attitude tant des juifs que du peuple en général (comment n’ont-ils pas résisté ? Ont-ils résisté ?).

Votre séduisante idée d' »occultation du concret de la communauté juive, la dernière communauté à ne pas avoir encore été détruite totalement, à l’époque, par le capital » m’interpelle :

– Cette « communauté » était-elle si effective que cela ?

– Les autres « communautés » avaient-elles vraiment disparue ? (je pense notamment aux protestants, sinon aux liens entre protestants et nazis, cf. le livre de Rita Thalmann).

– Certains juifs n’avaient-ils pas une place éminente dans le capital (idée reçue des Rotschild, Rockfeller, Sasson, etc., mais néanmoins vraie…) ? Si oui, n’y a-t-il pas une série de contradictions (avec le point 1, avec la conséquence suicidaire que cela implique…)

– Votre évocation récurrente de la « communauté » sous un prisme nostalgique de ce qui serait un « communisme primitif » (ah bon ?) ne me convainc pas, outre qu’elle n’apporte pas grand-chose (à part la récitation du schéma historique de Marx-Engels).

Vu ce qui se passe au Moyen-Orient et vu le retour des fondamentalismes religieux, le sujet semble toujours aussi important…

Bien à toi,

Philippe.


Le 09/03/2016

Philippe,

Quelques remarques par rapport à ton dernier courrier.

– ce que tu appelles une démarche déductive ne l’est qu’en apparence, c’est-à-dire si on ne tient pas compte des changements qualitatifs induits par « la révolution du capital » : ainsi, ce n’est pas le travail vivant qui régresse puisque l’emploi global augmente sans cesse mais son rapport à la machine (processus de substitution capital/travail) et à la valorisation (il n’est plus qu’un moment de la chaîne de production de la « valeur ») qui l’inessentialise. Les idées de la « valeur sans le travail » et celle de « l’évanescence de la valeur » que nous défendons sont bien le résultat d’une démarche inductive si tu tiens a employé ces mots qui, de fait, obligent à reposer la question des rapports entre concret et abstrait et à discuter de « méthode », ce qui ne peut être fait dans le cadre de cette lettre.

La « classe » n’est pas non plus à aborder sous l’angle quantitatif car dans ce cas, les théories socialistes (au sens large) du dix-neuvième siècle n’auraient jamais atteints déjà un tel stade d’élaboration à un moment où la classe ouvrière n’étaient encore qu’une classe en formation. Ce n’est d’ailleurs pas la classe en tant que catégorie sociologique qui nous intéresse ici (d’une certaine façon la société capitalisée est toujours structurée en « classes »-groupes, ce dont rendent compte les nomenclatures des catégories socio-professionnelles sur lesquelles travaillent les statisticiens et chercheurs en sciences sociales), ni même sa composition de classe comme disaient les opéraïstes italiens, mais la classe en tant que sujet historique participant d’une part à la transformation du monde au sein d’un rapport social dont elle constituait un des pôles agissant, et d’autre part, malgré cette dépendance réciproque entre les deux grandes classes, porteuse d’un antagonisme fondamental(le fil rouge des luttes de classes) . C’est ce caractère antagonique qui est mis en question par les transformations récentes des rapports sociaux qui restent bien sûr capitalistes mais dont les agencements développent de nouveaux processus de domination et de reproduction reposant plus sur le contrôle et même l’auto-contrôle que sur la discipline. Tu sais bien qu’il faudrait être un anarchiste borné pour croire que le rapport à l’État puisse être le même aujourd’hui qu’à l’époque de Bakounine ou même de la révolution espagnole. Nous le disions déjà tous les deux à l’époque de la brochure sur l’État pour les éditions ACL. Si tu lis nos récents développements sur l’État et le capital comme pouvoir tu verras que ce n’est pas à un recyclage des notions d’infrastructure et superstructure que nous procédons, mais à leur « dépassement ».

Le rapport de Marx à Hegel pose en effet toujours question ce que j’essaie de développer actuellement dans un travail autour du concept d’Aufhebung, mais pour ce que tu cites ici, il me semble que, justement, et quoiqu’on puisse penser du « système Hegel », on ne peut, comme tu le fais le réduire à une philosophie qui sacrifierait le concept d’espace géographique à une philosophie de l’histoire. Or justement, Hegel saisit justement bien cette unité entre philosophie de l’histoire (la métaphore sur les âges) et la perspective géographique (le soleil). C’est plutôt parce que Hegel est réduit par le marxisme à sa philosophie de l’histoire que la géographie semble lui échapper. A ce niveau, on peut même risquer l’hypothèse que Marx est parfois en-deçà de Hegel, par exemple dans son idée d’une succession progressiste et mécaniste des modes de production.Le marxisme orthodoxe a ensuite construit et rationalisé tout ça comme méthodologie en développant un matérialisme historique déduisant l’explication du présent de l’origine des temps dans l’aspiration à aboutir à une histoire universelle (cf. Plékhanov et Les questions fondamentales du marxisme, ESI, p. 31). Une démarche largement reprise aujourd’hui par beaucoup qui se perdant dans le présent cherchent leurs clés dans le passé (j’y reviendrais par rapport à ta remarque sur le communisme primitif). Mais ce n’était justement pas la démarche de Marx qui posait plutôt le problème de la contemporanéité de l’histoire qu’on ne peut réduire à la célèbre formule sur la connaissance de l’anatomie de l’homme comme clé de l’anatomie du singe. Pour lui, s’il y a continuité du présent par rapport au passé et donc si l’histoire est continuité d’événements, cette continuité (qui constitue un certain niveau d’abstraction) est aussi suite d’événements discontinus (niveau concret) par lequel le présent acquiert un sens propre en tant qu’il est irréductible au passé. Continuité et différence dans le même mouvement. De rares marxistes hétérodoxes comme le jeune Lukacs qui parlera du « présent comme histoire » ou Ernst Bloch qui utilisera régulièrement les notions de contemporanéité et non contemporanéité dans le cadre de l’analyse du fascisme, par exemple, sont dans cette lignée.

Mais revenons à la théorie de Hegel qui s’appuie sur la métaphore du soleil pour expliquer la marche de l’histoire universelle (le cours de l’Esprit) dont le cours passerait de l’Est (en fait l’Asie) à l’Ouest (en fait, l’Europe) parce qu’il n’y aurait qu’à l’Ouest que ce serait réalisée l’unité entre liberté objective (la volonté rationnelle) et liberté subjective (conscience de soi libre). C’est pour cela que pour lui, en Chine et en Inde, il n’y avait ni religion intérieure, ni art ni science, ni même État, mais tyrannie et fanatisme d’une part (extériorisation sans intériorisation), ignorance et vie non éthique d’autre part. Si je ne cite pas la métaphore historique des âges pourtant plus connue, c’est parce qu’il me semble qu’elle ne nous sert à rien aujourd’hui vu qu’elle induit des conclusions rendues fausses par l’histoire. Or, à mon avis ce n’est pas le cas de sa métaphore géo-stratégique qui garde son caractère heuristique, même si je suis d’accord pour dire que les métaphores font partie du « Système-Hegel » et de sa clôture.

Nous parlons nous, pour caractériser ces pays à l’époque de Hegel et à la suite de la revue Invariance, « d’État sous sa première forme » et de mode de production asiatique (MPA). Mais ce qu’il faut retenir, pour Hegel, c’est qu’il n’y aura pas pour lui de passage à autre chose. Il les reconnaît en tant que forme historique de civilisation, mais les fixe à jamais dans cette forme et par conséquent les exclut du cours de l’histoire tout en leur reconnaissant le stade d’étapes dont la réalisation finale se fait grâce à elles, mais en dehors d’elles.

On peut poser effectivement la question de l’histoire autrement que Fukuyama qui colle au schéma hégélien mais surtout à son résultat supposé, à savoir la fin de l’Histoire et grosso modo le capital concentré dans la puissance dominante étasunienne. Or le procès de globalisation/mondialisation remet partiellement en question ce double mouvement parce que d’une part, la circulation mondiale du capital et de la représentation-valeur ne supprime pas la concurrence entre puissances géopolitiques et que si elle tend à harmoniser les rapports Ouest-Est, elle n’unifie pas totalement les conditions. Mon article « La Chine dans le procès de totalisation du capital » (n°15 de la revue et en ligne sur le site) s’attache à montrer ces différenciations et comprend un complément sur le MPA qui participe de la compréhension du pourquoi le capital et la forme-valeur se développent en Chine mais en dehors d’un « système capitaliste ». Je serais donc intéressé à lire les pages sur ce point mentionnées dans ton courrier. D’ailleurs à l’époque et à ce propos, je voulais te poser une question sur le Japon mais pris par autre chose, je ne te l’ai pas transmise, je l’ai notée quelque part mais je ne la retrouve pas pour le moment.

Mais qu’en pense Marx ?

La principale différence avec Hegel, c’est que Marx n’envisage pas l’histoire comme une histoire des peuples et de leurs gouvernements, mais comme une succession de modes de production, d’où immédiatement, l’incongruité et le futur refus du marxisme orthodoxe de la notion de MPA que Marx ne développera que bien plus tard, dans les Grundrisse de 1857, où il aborde pour la première fois cette question. Il y reprend sa métaphore sur la connaissance de l’anatomie de l’homme comme clé de la compréhension de l’anatomie du singe en l’étendant aux modes de production. C’est le pouvoir d’autocritique de la société bourgeoise dans le MPC qui permettrait de comprendre les formes antérieures. Son universalisme semble se fondre dans l’occidentalisme et en premier lieu dans les figures concrètes de l’Allemand, de l’Anglais et du Français, même si Marx aura des mots très durs pour décrire les conditions des colonisés, il ne condamne pas la colonisation. Sur le MPA, cf. aussi l’article de Lapassade « Bureaucratie dominante et esclavage politique » dans l’ultime numéro 40 de la revue Socialisme ou Barbarie ici http://archivesautonomies.org/IMG/pdf/soub/SouB-n40.pdf et enfin, pour une approche post-stalinienne complète, le livre du CERC Sur le mode de production asiatique aux éditions sociales, 1969, rééd 1974).

Retour à Hegel.

Son « Devenir-Europe de l’Orient » s’est-il réalisé ?

Je ne vais pas répondre définitivement car c’est plutôt des questions qui se posent et on ne peut que formuler quelques hypothèses :

– l’américanisation du monde constitue-t-elle une simple extension du modèle de l’Ouest ?

En première approche, je dirais que oui pour la période qui va de 1918 à 1974 dans lesquelles Nixon constitue le point de basculement avec la fin du système de Bretton-Woods (parité fixe or/$) et les premiers accords EU-Chine, mais après, avec la nouvelle phase de mondialisation/globalisation, non. Il se passe autre chose avec la montée en puissance du Japon et l’émergence de la Chine qui à la fois profitent d’un modèle (pour le Japon) de la dynamique d’ensemble et gardent leurs spécificités (cf. toutes les discussions de cette époque charnière des années 1970-80 autour de bouddhisme et capitalisme comme il y a pu avoir celles entre protestantisme et capitalisme au siècle précédent). Traduit en langage hégélien, l’Est s’est-il fait Ouest ou reste-t-il Est mais dans d’autres modalités de rapports à l’Ouest, c’est-à-dire en dehors d’un rapport hiérarchisé d’infériorité à supériorité ?

– le déclin tant annoncé de l’Europe se fait-il en termes de décentrement par rapport aux deux Est que représenteraient les pays de la zone pacifique y compris une partie des EU ? ou simplement est-il dû au fait que les EU sont devenus le nouvel Ouest dont l’Europe n’est qu’un poste avancé vers l’Est ?

– enfin, est ce que le mouvement actuel annonce la fin de cette dimension géographique du capital ou bien le début d’un nouveau cycle qui marquerait une continuation du mouvement hégélien mais rendu à ses trois dimension et à la circularité que ne laissait pas prévoir sa vision finale plane de la géographie historique.

Donc, ni triomphe de Hegel ni enterrement, mais, comme pour Marx et d’autres, savoir quoi en faire aujourd’hui.

Ce déclin de l’Europe signe-t-il le déclin de tous les universalismes (bourgeois et prolétarien) au profit des relativismes et des multiculturalismes ? Une amie, bonne connaisseuse du Japon, m’a indiqué que la nouvelle des attentats du 6-7 janvier 2015 à Paris avait été assez bien accueillie dans certains milieux au Japon et par exemple par le cinéaste de mangas Miyazaki. Peux-tu me le confirmer ?

Pour conclure là-dessus, je dirais que ces universalismes ne doivent pas leur déclin seulement au déclin de l’Europe qui a été au cœur de leur développement, mais aussi à leurs failles : l’européo-centrisme, la démocratie restée formelle, une théorie marxiste ossifiée puis une Russie stalinisée, bref, en langage hégélien une unité insuffisante entre d’un côté, une « liberté objective » qui a continué à dérouler son cours au fil des progrès techniques et de la recherche de profit et de puissance ; et de l’autre une « liberté subjective » qui s’est en grande partie égarée. C’est sur cette dernière insuffisance criante que le « Devenir Europe » du monde a du plomb dans l’aile alors même que sa réalité continue à être mythifiée (France, pays des droits de l’homme, de l’égalité et de la révolution française, Angleterre, pays de la liberté, etc.)

– autant de questions auxquelles il est difficile de répondre et qui se trouvent encore compliquées par le fait que les nouvelles migrations (économiques et politiques) se font vers l’Europe, la replaçant ainsi au centre de ce qui se passe, mais sans l’atout que représenterait une puissance parlant d’une même voie politique à même de solutionner les nouveaux enjeux planétaires. Et les « flux » de l’Afrique vers l’Europe, de la Chine vers l’Afrique constituent-ils une preuve du fait que ce continent, n’a pas de place dans l’histoire, qu’il n’a constitué qu’une réserve, d’hommes tout d’abord (esclavage), de matières premières (pétrole et or) ensuite et d’hommes à nouveaux (migrants, réfugiés) ?

Pour ce qui est de la « question juive », je te mets en fichier joint quelques pages d’un long texte en préparation sur communauté humaine et religion, pages qui, à mon avis, répondent en partie à tes questions sur la « communauté juive » et aussi au fait que des individus aient pu s’en être émancipés à la suite de « l’émancipation » des juifs durant la révolution française puis avec les lois de la République. Pour les plus influents d’entre eux, mais aussi pour les organisations juives en général, cela n’a pas été sans aveuglement puis compromissions politiques et participation aux sélections de juifs pendant Vichy (cf. Rajfus) qui ont participé de l’éclatement définitif de cette communauté. En effet, si le terme est encore employé après 1945 et surtout aujourd’hui, c’est de manière abusive, au sens restreint des nouveaux communautarismes tels qu’ils émergent depuis une vingtaine d’années. Sans parler de la sinisation du bas de Belleville, il suffit de visiter le haut, vers Jourdain pour sentir la transformation entre une vie qui conservait encore quelque chose de la communauté ouverte d’avant la Seconde Guerre mondiale avec des activités traditionnelles jusqu’aux années 1960 et le repli actuel sur la dimension principalement religieuse. De la même manière que ces individus bourgeois juifs que tu cites, se sont émancipés dans l’assimilation à la bourgeoisie française, d’autres juifs, plus nombreux se sont projetés sur une communauté de substitution, une communauté universelle à venir, celle du communisme. Les bundistes russes et de l’Europe de l’Est cherchaient à réaliser une synthèse internationaliste de cela alors que parallèlement et donc de façon concomitante on assistait au développement presque concommitent du sionisme qui lui constituait une tentative de synthèse entre communauté et nationalisme.

Par rapport à cette spécificité juive qui faisait qu’il pouvait y avoir contradiction entre les organisations juives et la communauté dans son ensemble parce que c’est cette communauté qui devait être détruite pour les nazis, on peut dire qu’il en était autrement pour les protestants et les catholiques, les objectifs nazis à leur égard n’étant pas les mêmes. En effet, il ne s’agissait pas pour les nazis de s’attaquer à des communautés qui n’existaient pas ou en tout cas plus à l’exception de certaines sectes pour les protestants, ni a fortiori à des individus pour des raisons de religion. C’est parce qu’ils étaient des militants politiques (centristes en général) que certains furent emprisonnés. Pour les nazis, il s’agissait de traiter directement avec les Églises en tant qu’institutions de façon à entériner le passage au parti unique en interdisant les partis politiques confessionnels comme en Bavière. Mais bon, tu dois mieux connaître ces points historiques que moi.
Tout juste peut-on risquer l’idée que les catholicismes bavarois, autrichien et polonais se trouvaient plus en phase avec l’idée d’une « communauté » Blut und Boden doublé d’un anti-sémitisme d’origine anti-judaïque, que les protestants de Berlin, d’Hambourg ou de Leipzig.

Pour terminer, je pense que tu commets une mésinterprétation de notre référence à la communauté. En effet, notre référence est presque toujours qualifiée, c’est-à-dire que nous employons en général le terme de communauté humaine ou de Gemeinwesen quand nous voulons spécifier la différence avec les notions allemandes, plus connues en France, de Gesellschaft (société) et Gemeinschaft (communauté au sens organique). Et ce n’est certes pas par coquetterie ou pédantisme, mais par soucis de précision.

Communauté considérée comme ouverte et projective. Notre perspective de la communauté humain n’est donc absolument pas, pour nous en tout cas, une référence nostalgique aux communautés primitives. Cette référence était certes à la mode dans certains cercles communistes de gauche au début des années 1970 et l’est aujourd’hui encore dans le milieu libertaire ou alternatif, chez les décroissants ou les primitivistes à la Zerzan, mais ce n’est pas notre conception d’une

communauté humaine qui est critique d’une perspective strictement classiste dans la mesure où elle s’accompagne de l’idée de révolution « à titre humain ».
Enfin, quand nous employons la notion simple de communauté, sans référence à « humaine », c’est parce que cette tendance profonde à l’œuvre sous différentes formes historiques, y compris dans l’internationalisme de la Première Internationale, existe comme manifestation de l’être social des hommes, tension des individus vers cette communauté humaine . Une tension plus ou moins intense selon les moments historiques et dans laquelle les individus peuvent se perdre quand cette tension n’est que subsomption de la communauté sur les individus, par exemple dans le fascisme et le communisme léniniste-stalinien hier, dans certaines formes de l’islamisme militant aujourd’hui.

Là encore je te joins un petit texte sur la communauté humaine, de J.Guigou pour présenter cette notion, et celle de Gemeinwesen, pour la revue Ni patrie ni frontières qui reprenait trois de nos dernières interventions.

Bien à toi et à te lire,

JW

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