S’il y a aujourd’hui beaucoup de discussions autour du travail, elles restent le plus souvent d’ordre scolastique et/ou biaisées par des perspectives idéologiques et politiques qui négligent passablement ce qui se passe sur le terrain des transformations du procès de travail et plus en amont, du procès de production dont on ne peut plus le séparer. C’est pourtant ce à quoi il faut s’attacher si on veut démêler aujourd’hui les tendances contradictoires que représentent d’un côté individualisation des conditions et postes de travail, précarisation, « uberisation » et de l’autre, déploiement de la coopération d’une force de travail devenue ressource humaine et utilisant largement le General intellect. Se gargariser de thèses sur la domination du travail abstrait ou même sur l’inessentialisation de la force de travail dans le procès de valorisation ne peuvent servir de sésame surtout si on veut participer à l’articulation entre connaissance de ces transformations et pratiques critiques de lutte.
Ainsi, si Marx avait anticipé le développement de ce « travailleur collectif », à son époque ce n’était qu’une « intuition » politique qu’il a fallu vérifier bien plus tard en rapport avec le développement dialectique des luttes de classes et de la modernisation capitaliste. Une expérience que les opéraïstes italiens ont assurée d’abord comme un objectif théorique rendu pratique seulement par « l’enquête ouvrière », puis comme mouvement vers la définition d’une composition politique de classe (concrétion du travailleur collectif dans la figure de « l’ouvrier-masse ») mise à l’épreuve du feu pendant le Bienno rosso (1968-69) et les quelques années qui suivirent jusqu’au « 1977 ».
Les échanges qui suivent (voir les 3 fichiers .doc en pièce jointe à la fin du billet) mêlent des questionnements théoriques qui perdurent comme entre Max et des membres du groupe Perspective internationaliste d’une part et entre Max et JW d’autre part et des retours sur des expériences historiques, non par esprit d’entomologiste ou nostalgie, mais parce qu’ils nous interpellent encore.
Le 15 décembre 2016
Max,
je pense terminer mon travail sur l’opéraïsme et Tronti pour la première semaine de janvier (mais cela dépend un peu des disponibilités d’Oreste Scalzone qui est très pris par ses activités en Italie).
Donc si tu peux m’envoyer ça pour fin décembre ça va, sinon tant pis car ce n’est qu’un point annexe de mon travail qui mentionne ce « travailleur collectif » comme point de départ des opéraïstes des Quaderni Rossi avant qu’ils ne lui donnent la figure plus précise de « l’ouvrier-masse ». Ce qui m’intéresse, c’est de voir que Marx anticipe cet ouvrier collectif qui n’existe pas à son époque ou presque pas, dans une perspective qui n’est pas encore pleinement réalisée dans les années 1960-début 70 soit un siècle ! Une perspective ou une hypothèse que les opéraïstes vont pourtant valider aux forceps dans leur stratégie. Or l’idée sous-jacente de Marx était la réduction de tout travail complexe au travail simple dans la coopération manufacturière (l’ouvrier collectif) que les opéraïstes vont traduire en une dominante, celle de l’ouvrier-masse dans la « composition de classe » de leur époque, avec toutes les simplifications théoriques et les erreurs stratégiques de lutte qui en découleront dont les syndicats et le PCI profiteront. Aujourd’hui encore on voit la plupart des courants d’ex-gauche continuer à spéculer sur cette même homogénéisation du travail qui devrait conduire à la précarisation généralisée et au travail indifférencié en dehors de toute véritable analyse de terrain (ou « enquête ouvrière ») que nécessiterait la situation (je crois que le groupe Wildcat tente de le faire en Allemagne, mais jusque-là uniquement pour les centres d’appels). De notre côté nous avons essayez dans les n° 17 et le récent n°18 à propos de la numérisation du travail des bibliothécaires.
Bien amicalement et à te lire
Jacques W
Le 27 décembre 2016
Cher jacques
Voici (en pièces jointes) les quatre seuls documents que j’ai retrouvés sur ma participation personnelle à la discussion autour de l’idée de PI de « travailleur collectif » et les sujets directement connexes (les questions du « travail productif » de la « classe ouvrière fer de lance du prolétariat »). C’était en 2013-2014. Je dois dire que PI n’y a jamais répondu par voie formelle de texte. Il y a eu seulement une dizaine de courriels (entre moi et F. ou J. de Bruxelles) en général furtifs avec, quand même, deux ou trois passablement développés, mais ça, je l’ai malheureusement perdu à la suite d’un sinistre informatique (on ne pense jamais assez à la sauvegarde, tant qu’il est temps, des échanges de cette forme).
Ces 4 textes n’ont jamais circulé en dehors de PI et du CDP. Je veux dire par-là que tu n’es pas censé en avoir connaissance. Donc, si tu te sers de mes textes, notamment quand je fais allusion à des textes internes de PI.…, prends les précautions civiles d’usage. Mais tu peux dire que tu as ma permission. Et puis, après tout, il n’y a rien qui requiert le secret ou qui nuit moralement sinon politiquement aux personnes.
Je suis en train de lire ton bouquin (co-rédigé avec Jacques Guigou) sur la dialectique. C’est bon. Hier, j’ai flashé sur cette phrase (en page 112) : « Or c’est parce que ce sont les hommes qui font l’histoire [comme dit Marx, note mienne] que l’histoire peut avoir une fin au sens où il peut advenir un autre devenir qu’un devenir historique. Le problème, c’est que l’absence actuelle de visibilité d’un tel projet conduit souvent à des positions catastrophistes et non pas à une véritable perspective émancipatrice, comme on aurait dit avant que ce ne soit la révolution du capital qui recouvre tous les possibles émancipateurs pour les utiliser comme des opérateurs de capitalisation de toutes les activités humaines. » Je ne comprends pas clairement tout ce qui est impliqué là-dedans, mais je sens que c’est important. A mon avis, c’est un passage clé de votre ouvrage.
A plus,
Maxime
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