Genre, psychanalyse et religion sociale

A lire les premières remarques de Yolande F. sur le livre Rapport à la nature, sexe, genre et capitalisme et le rapport avec la psychanalyse suivi d’une réponse de Jacques Guigou qui met en perspective cette dernière approche.

Qu’appelle- t-on penser ?

Suite à la lecture de ton texte /Rapport à la nature, sexe, genre et capitalisme

Très surprise de retrouver cet étalage quasi clinique des mots, postures, refus, et autres de femmes, féministes, homos, gender, queer.
Ça c’est au premier abord. Ensuite si je réfléchis à pourquoi tu as besoin d’en revenir là, alors c’est une autre affaire.
Donner tant d’importance à une telle phénoménologie de la névrose, avec tant de détails, de dates, de mise en historicité me laisse à penser que ce discours doit continuer à nous entretenir dans l’idée que dans 68 nous avons eu une part, que cet événement ne pouvait pas ne pas avoir été surgi sans nos mises en subjectivation.
Là-dessus j’ai quant à moi des doutes. Événement il y a eu, déterminé par des facteurs multiples – période post guerre ; économie de consommation, délitement d’une représentation nécessaire pour l’advenue du libéralisme. Cela passe par des corps, incarnés. La pilule a eu un effet exponentiel. Que reste-t-il de tout ça ? Les jeunes bourgeois ont retrouvé les postes qui les attendaient, les femmes ont enfanté, et sont aussi chiantes – si ce n’est voir plus que leurs mères, car, elles, croient avoir compris qq chose de plus.

Si on prend cette dérive de l’objet partiel – la différence de plus en différente et de plus en plus sectorisée, il me semble que c’est le terme « partiel » qui doit retenir notre attention. Il n’y a plus d’Entité, de Vérité, de Groupes, plus de majuscule dirons nous. Plus rien qui fasse ppdc (+ petit dénominateur commun) entre qui que ce soit. On peut prononcer le vocable Peuple, ou masse, ou seuil critique, ou habitus : on ne sait pas quoi y mettre pour lui donner qq consistance. Peuple : les intermittents, les stagiaires, les femmes à temps partiel( !!!) les périurbains, les néoruraux, les chômeurs heureux, les toxicos enrichis. Rien qui marche : ça ne prend pas . C’est que nous sommes un peu dans la période décrite par T.S. Kuhn/ La Structure des Révolutions Scientifiques, où il raconte que lorsqu’un paradigme bat de l’aile, et avant qu’ autre advienne, il y a une période épouvantable qu’on pourrait appeler « messe des apostats » – chacun croit comprendre pourquoi ça ne va pas, mais est dans l’incapacité absolue de partager ce savoir avec un autre. Multiplication des parutions, de textes, de logorrhée, de groupes qui se diversifient jusqu’à l’extrême : ceux qui n’ont qu’une main, un pied, que sais-je encore.

Or ce que nous devons repérer dans ces séries infinies d’objets partiels qui requièrent tant d’attention (presse, reconnaissance de l’État, de la Sécu, droits sociaux, droits patrimoniaux- on a la même chose avec la nourriture : ceux qui mangent végétarien, végétalien, la seule différence étant qu’eux ôtent des éléments à leur construction au lieu d’en rajouter) c’est que cela pourrait bien être le symptôme ou la représentation de l’état actuel de notre non- pensée.

Qu’appelle-t-on penser ? Si je m’abuse : comment des choses, événements, rencontres, faits collectifs qui nous affectés nous ont transformé et comment nous pouvons rendre compte de cette transformation. Cela a sans doute été vrai à un certain moment, mais comme le remarquait d’une façon très clinique Deleuze : quelqu’un peut être porteur de forces de vie à un moment, et puis cela peut soit se retourner en forces de mort, soit tout simplement il se laisse rattraper par les avatars générationnels et la filiation. Les femmes, les homos ont apportés qq chose à un certain moment car le Désir entrait einfi sur la scène du Politique, de façon très théâtrale, et cela essentiellement dans le but de résister à tous les discours « en vérité » qui sous prétexte de changer l’homme et le monde, les ont plutôt exterminés, fusillés, agonis. « Plus jamais ça » disait-on ! On était alors dans une situation particulière où qq chose de la femme de l’homosexuel avait à apporter aux autres. Ce qui n’est carrément plus le cas. Les minorités veulent juste avoir les mêmes droits que les autres, et comme elles n’ont pas le courage – pour des tas de raison à décrire en détail- de faire de la peine à papa-maman qui avaient de beaux projets de gardiennage d’enfants pour leurs vieux jours, elles en requièrent à l’État : leur identité viendra de lui. On passe donc de la situation de sujets de droits à une série de sujets, qui, n’assumant pas leur désir (on ne choisit pas d’être homo, gender, queer, ni hétéro d’ailleurs) nous refile un État sous forme de Super Père Protecteur, et qui a donc dorénavant le droit de gérer par application de normes à chaque cas, les plaisirs, droits, autorisations, permissions, des petits protégés – et soumis.

L’objet partiel disais-je donc nous détourne d’une pensée vivace, une pensée qui nous permettrait de nous ressaisir et nous apprêter à perdre, sans en mourir, tous les anciens identifiants qui continuent de nous rassurer – donc de nous tenir séparés des autres. Il détourne notre regard des forces, formes positives, et du peu qui reste utile à garder en mémoire : avec tout ce que les hommes se coltinent dans la vie ( guerre, travail ) pourquoi les femmes auraient-elles besoin en plus de les mettre à genoux et les considérer comme rien. D’où sortent toutes ces conneries ???? ce que je vois c’est que les femmes ont réussi à être aussi cons et vulgaires que les mecs cons et vulgaires, et qu’à ce titre, on peut juste dire d’elles qu’utiliser des éléments de langage politiques et autres pour habiller leur lâcheté et complaisance, très peu pour moi. Les hommes ne sont pas violeurs par définition : ils sont exactement sous le même coup de la bêtise propre à la névrose, que les femmes. Et n’oublions pas que la névrose est le meilleur alliée du consumérisme : le sujet a en lui toutes les « qualités » requises pour réellement croire que si Nokia invente le mobile, Apple, l’ordi, c’est parce que justement « c’était l’objet partiel qui lui manquait à ce moment là pour être enfin vraiment bien ». Et comme son Désir – ce qui n’a strictement rien à voir avec le plaisir – c’est de pouvoir continuer à jouir de ne pas être bien à condition d’avoir un coupable sous la main, et bien on peut dire que la consommation a de beaux jours devant elle, et la vie politique également ( salaires, droits, protections) puisque le sujet en créant ce lien magique avec tous ses petits objets partiels élimine progressivement les seuls alliés qui pourraient le sortir de là.

Une société d’objets partiels est une société homosexuée : chaque groupe crée La série des objets ( morceaux de corps, de langages et façon de les approcher, consommer- qui lui convient )et toutes les monades se referment sur elles-mêmes- avec l’Etat comme grand Ordonnateur Vide.

Qu’appelle-t-on penser ? Je dirais avoir une réaction quasi viscérale en constatant que quel que soit l’endroit où nous nous tournons, tous les objets du monde se présentent à nous sur un mode binaire. Lois de la physique/ psychique ; corps/âme ; homme/femme ; travail libre/ travail salarié ; on peut continuer la liste sans fin. Cette binarité n’a aucun type de relation d’aucune sorte avec le monde réel tel qui se manifeste dans des phénomènes physiques, physiologiques, psychiques. Cette binarité remonte à la création de la science moderne (Newton ; Descartes, Kant et aussi le monothéisme, garant de la Vérité des lois de ce monde). Elle est fondée sur la règle du tiers exclu sans laquelle aucune pensée scientifique ne peut se déployer, et qui consiste tout simplement à tenir l’identité d’un objet pour pérenne : a= a ; b= b. ( C’est pourquoi la philosophie peut tranquillement parler d’Essence de l’Être, de transcendance, sans jamais s’enquérir de savoir de quelle façon du nouveau, de l’inconnu pourrait bien surgir, si ce n’est en devenant autre que ce qu’il est). Nous sommes aujourd’hui dans un monde où nous établissons des mesures pour une multitude de phénomènes que nous ne pouvons même pas observer, dont nous ne savons même pas s’ils existent avant et après le moment de la mesure, et si oui, sous quelle forme ( durée de vie minuscule). De même un photon projeté sur une plaque d’acier passe «  en même temps » par fente A et la fente B si on laisse toutes deux ouvertes simultanément.
Nous devons donc convenir que notre langage obéit à notre nécessité d’organiser le monde de façon intelligible, mais que le monde lui, n’obéit en aucune façon à la raison.
Les lois de la physique n’ont pu se constituer, créer leurs objets, qu’en déclarant le Vivant (les déterminations de la matière imprévisibles) réductible tout simplement aux lois de la physique.

Il manque donc un bout à tout objet, à tout discours, mises en formes, et ce manque est notre plus grande chance, car il nous met en demeure d’être prêt à l’événement quand événement il y a. D’aucuns s’arrangent pour ne pas entendre ce rythme souterrain et silencieux –parce que certains ont eu l’outrecuidance d’appeler cela l’Inconscient. C’est quoi l’inconscient : purement et simplement le Refoulé, l’Impensé de la science, qui décrit le monde sans le vivant et sans les accidents et histoires dont les humains sont capables. IL est temps de voir que le mental a/ est une grande puissance, mais que nous ne pourrons sortir de nos gonds ( les placards bien rangés de la binarité qui empêchent de penser quoi que ce soit d’autre sur un autre mode) qu’à admettre que nous n’y sommes pas forcément pour quelque chose dans le déclenchement d’événement.

Sur la psychanalyse : son but premier, même si le reste ne venait pas avec, était de desserrer l’étau du Surmoi : ce à quoi l’enfant, s’inventant un Idéal du Moi, croit qu’il doit obéir, dans son désir de devenir homme. Freud disait que cela seul – avoir un Idéal du Moi- fondait une civilisation capable de ne pas s’entre égorger – mais que ce à quoi il fallait renoncer était si précieux et avec si peu de contrepartie assurée que, sans drogue, alcool et/ ou sublimation ( art, poésie, amour) personne n’y parvenait.
Premier bénéfice donc du cadre, et de la régularité des séances, même hors contenu : vous pouvez en prendre et en laisser. Cela ne sert à rien de croire qu’il est indispensable d’obéir. Faites en juste un peu et ça ira mieux.

On a vu que les bienfaits promis par le Surmoi sont en totale voie de disparition, et que les individus qui devraient aujourd’hui être « soignés » d’eux-mêmes sont précisément ceux qui se voient comme Le parangon de la normalité. Etre différent mais comme tout le monde. Obéir et supporter des choses qu’aucun être de désir ne devrait pouvoir supporter- sauf s’il en est réduit à n’être plus qu’être de besoin et de frustration.

La psychanalyse, comme en parle Jacques et Jacques n’existe pas, pour la bonne raison que elle n’a aucun centre, aucun discours, aucun pouvoir, elle se diversifie dans des écoles, des pratiques qui ne revendiquent rien. C’est aussi horrible de penser qu’on puisse dire La Femme. Elle n’est qu’une chambre vide et sonore où un sujet peut avoir la chance – mais ce n’est pas donné à tout le monde- d’entendre qu’il ne veut pas ce qu’il veut, mais qu’il peut continuer à vivre ainsi, puisque maintenant il le sait. Ce savoir n’est pas « rationnel » il est d’expérience, quelque chose dont la raison ne pourra jamais rendre compte, mais qui sépare « un peu » le sujet de lui-même.

Pour sortir de la binarité qui nous enclot dans une face à face monstrueux et stérile, encore donc faut-il se voir, s’entendre, être un peu à l’écart de soi-même. Le monde physique, psychique se présente sous la double modalité du Vivant et de l’Inanimé, deux modalités irréductibles l’une à l’autre. Prenons un ex. : le déterminisme strict concerne les phénomènes mondains macroscopiques ( les planètes, la gravité, les marées) ; elles se reproduisent à l’égal, sont mesurables, observables et reproductibles. En ce qui concerne le microscopique, on ne peut faire que des statistiques, mais la plupart des phénomènes ont, soit une durée de vie si courte qu’on ne peut les observer, soit un mode d’action contradictoire avec le tiers exclu ( on aura a= b ; on aura un photon doué d’ubiquité). Or le monde macroscopique qui obéit à un déterminisme strict est constitué de ce microscopique qui lui n’obéit pas à des déterminations prévisibles.
Si on ne ressent pas ici un trouble alors pas la peine de continuer : il y a des choses inamovibles et le pire c’est que celles-ci sont constituées dans leur « être » si on peut dire de choses qui ne le sont pas. On ne peut mieux décrire ce qu’il en est du sujet aujourd’hui, système bancal entre 2 anciens modes supposés antagonistes mais qui se composent de façon homéostatique. Un sacré coup de bambou dans la philosophie qui tira d’abord son savoir de l’observation puis de la séparation d’avec cette observation : monde des choses, monde des idées !!!

Comment donc introduire dans notre corps de pensée, cette dissonance qui nous permettrait une nouvelle approche. Lâcher les remémorations, les fixations de ce qui est advenu juste « une fois », le re -souvenir de ce qui fut, comme si cette trame une fois posée, nous pourrions à nouveau retrouver du Peuple, du Sens, de l’Histoire, une forme quelconque d’a-venir. Peut-être nous faut-il souhaiter tomber malade pour que les sillons de nos pensées s’égarent dans des chemins pas encore connus. Le corps y aide beaucoup- et c’est la seule affirmation de la psychanalyse : clé en main elle assure le déraillage.

Le Sexe comme objet séparé du Corps n’a certes pas été mis en place par elle, mais par les 68 huitards non politisés, qui découvraient en un instant ce dont on les avait privés : eux –mêmes croyaient-ils. Foucault honni, parle très bien de cela : comment l’amour chrétien a ennobli une forme de plaisir du couple, sacré, pour porter la femme au rang de la chrétienté – chez les grecs le citoyen mâle pouvait coucher aussi bien avec son esclave, un jeune garçon, que sa femme ; pas de primauté. Avec la révolution française, les Lumières, ( les Scandaleuses et autres libertines) le Sexe parfaitement décrit par Sade comme capable de vivre sans objet, sans raison, est né.

La psychanalyse à supposer qu’elle parle, dit le contraire exact : ceux qui croient créer de la pensée en mettant l’amour, l’affect, de côté pour penser mieux, et bien, n’ont ni pensée, ni amour. C’est cela que Lacan appelle la Loi : pouvoir être capable de tenir les deux mêlés. Penser sans l’autre, sans cet irréductible à la pensée qu’est l’amour, est une sorte de quasi psychose (obsessionnelle, qui jouit précisément de répartir les petits bouts du monde dans des cases prêtes à l’emploi : la binarité).

Vignettes :

Le monde d’aujourd’hui :
Il ( Elle aussi bien) oublie le nourrisson dans la voiture, en plein soleil.
Il croyait qu’Elle l’avait, et vice versa

Un jeune garçon impuissant et la jeune fille qu’il rencontre à la fac, le raconte à tout le monde. Si un humain n’a pas pour un autre un peu de solidarité, alors de quoi parlons-nous. On va encore aller demander à l’Etat – ou à ses boutiques sociales – de nous en vendre un peu. Oui, nous en sommes arrivés là. Demander à l’Etat ce que nous savons qu’il ne nous donnera pas, et dont au final de compte nous ne voulons pas : nous préférons continuer à jouir de ce spectacle lassant et forclos. Sans issue. Les plus connus- pas gênés- vous diront : c’était mieux avant. En effet !!!!! C’est convainquant : les enfants travaillant 12h , les hommes à la mine, y a pas à dire. C’était mieux avant : Staline, les camps et tout le tralala.

Pour terminer : que pouvons nous encore appeler « gauche aujourd’hui, ou alors à convenir qu’il nous fait bien être un peu gauche pour continuer à user de ce terme.
Un homme, une femme, un homo, un je ne sais quoi, a peu de chance d’y arriver mieux qu’un autre. Et d’ailleurs, on l’aura compris, ce n’est pas ce qu’ils cherchent : trouver une différenciation qui leur permette de mieux rejoindre la masse.
Reste juste ce qui fait souffrir, non pas la désespérance (parce qu’espérer du politique faut vraiment être à la ramasse !!) mais quelque chose qui rend les choses insupportables, et surtout pas explicables ( elle a souffert petite ; il a eu un mauvais papa ; sa mamy était catho de droite…) ce genre d’insupportable auquel on fait instinctivement confiance, dont on ne peut rien dire, et qui peut être nous nettoiera de tous ces mots bien rangés par ordre et taille dans des boîtes poussiéreuses que plus personne n’a envie d’ouvrir. Soyons fous : obéissons à nos faiblesses !!

Yolande F.


Le 11/06/2014

Adieu à la psychanalyse ?

Quelques mots sur le texte, foisonnant, de Yolande à propos du livre Rapport à la nature, sexe, genre et capitalisme.

La psychanalyse s’affirme comme le sol — mouvant et instable — sur lequel se déplacent les diverses réflexions et réactions exprimées. En conformité avec cette référence, les mouvements féministes, les multiples courants genristes, les conduites sexuelles, etc. analysés dans le livre — y compris leurs mises en perspective historique — sont assimilés à un vaste tableau clinique de névroses et de névrosés. Et parmi les principaux concepts psychanalytiques celui qui vient qualifier tout ce monde névrotique, c’est celui de relation d’objet ; et tout particulièrement celui « d’objet partiel ». Excédant largement la définition kleinienne de l’objet partiel (pour laquelle, l’objet, même partiel — sein , fesses ou autres parties du corps — est doté fantasmatiquement de caractère d’une personne, par exemple persécuteur ou rassurant), Yolande en fait un opérateur général des aliénations dans la société contemporaine. C’est pour elle la cause majeure de ce que dans les années 80 j’ai nommé les particularisations du rapport social, l’égogestion généralisée, La Cité des ego.

La fin des idéologies universalistes, l’épuisement des « Grandes entités » auraient engendré la multiplication des subjectivités, l’individualisme, l’inflation des droits particuliers, le délitement des liens sociaux qui règnent dans l’actuelle société. Dans cette débâcle, tout ce qui reste à ces individus emportés par leur pulsion vers… l’objet partiel, c’est la demande d’aide à l’État, ce « Grand ordonnateur vide ». Et qu’est ce qui va nous (en tant que SUJET !) sortir de cette déréliction ? Une pensée « vivace » qui nous permette de nous débarrasser des anciens « identifiants » ; une pensée qui « ne met pas l’amour de côté » ; car l’amour c’est l’Autre, c’est l’irréductible à la pensée.
Une question alors se pose ici :
Après avoir en quelque sorte « psychanalysé » la société contemporaine — laquelle n’est jamais définie politiquement puisque la politique aurait définitivement failli — après nous avoir rappelé l’effet historique salutaire de la psychanalyse qui a fait disparaître le Surmoi ; après nous avoir assuré qu’elle pouvait nous faire sortir de l’ignoble « binarité » et quelques autres bienfaits du même ordre, comment Yolande peut-elle écrire que « la psychanalyse comme en parle Jacques et Jacques n’existe pas … [Qu’elle] n’a aucun pouvoir…» ?

Le seul chapitre (bref) où il est question de la psychanalyse dans le livre c’est d’une critique externe de la psychanalyse qu’il s’agit. Il y est montré, dans une période historique précise et limitée (après 1969) l’influence idéologique, politique, sociale, culturelle de la psychanalyse dans les processus d’autonomisation de la sexualité par rapport à l’ensemble de la sensibilité humaine, puis du sexe par rapport à la sexualité. C’est un constat sociologique dans lequel la psychanalyse est interprétée comme un opérateur de désinhibition ; ce que Yolande reconnait d’ailleurs lorsqu’elle parle de dissolution du Surmoi (un surmoi bourgeois faudrait-il ajouter).

Il n’y a pas eu deux psychanalyses ; c’est bien de la même religion sociale dont nous parlons. J’en parle au passé car je pense que le moment historique de la psychanalyse est passé car il était contre-dépendant des deux assauts révolutionnaires du XXe siècle : le prolétarien des années 1917-21 et l’anthropologique de 1967-77. Le cycle des révolutions engendrées par la dialectique des classes étant clos et définitivement achevé, la psychanalyse — qui lui était liée comme composante moderniste des recompositions post-révolutionnaires du capital — l’est aussi. J’ai avancé quelques arguments à ce sujet en 1985 dans une communication à la Rencontre mondiale anarchiste de Venise intitulée : « La psychanalyse après-coup dans l’histoire »

Petit excursus à propos de Sade.

Dire que la révolution française a inventé le Sexe me semble à la fois anachronique et inapproprié. À cette époque « le sexe » n’est pas autonomisé de la sexualité, laquelle est encore (un peu) reliée aux autres dimensions de la sensibilité humaine. Sade n’a pas « décrit le Sexe » ; il a exprimé la souveraineté absolue de l’individu sur tout autre puissance humaine ou naturelle. Et il l’a fait en utilisant les perversions sexuelles comme un support transgressif pour donner à son projet politique toute sa concrétude, toute son efficace. Cet individu souverain qu’il croyait universel n’était, bien sûr, que l’homme-masculin-bourgeois-propriétaire. En cela il anticipait sur L’unique et sa propriété de Stirner bien que, chez ce dernier, l’individu soit séparé de toute communauté humaine, c’est une monade. J’ai développé cela il y a quelque temps dans : « Le plaisir capitalisée ».

Une dernière remarque sur « qu’est ce que penser ? » : je l’écris ainsi et non pas comme l’a écrit Heidegger et que reprend Yolande dans son titre : « Qu’est-ce qui se nomme pensée ? (Was heisst Denken ?) ». Cette distinction n’est pas de pure stylistique car le philosophe allemand situe le but de la pensée dans l’Être, le moyen d’y parvenir étant le langage lequel prend la place de l’ancienne Vérité recherchée par la philosophie. On sait la destinée poursuivie par cette ontologie du discours dans le structuralisme et le lacanisme, par ce fétichisme du langage dans la philosophie analytique comme dans … la publicité !

« L’interrogation formulée — « Qu’est-ce que penser » — plus radicale et plus incertaine que la question heideggerienne, n’implique à l’avance aucune réponse, ni concernant le penser, ni concernant ce qu’il pense (l’être, l’objet, le vrai et/ou le faux, etc.) » écrit Henri Lefebvre dans Qu’est-ce que penser ? (Publisud, 1985, p.9).
Après avoir posé ce que penser n’est pas (méditer, réfléchir, analyser, mesurer, imaginer, raisonner, etc.) Lefebvre situe l’acte de pensée dans le négatif (penser l’Autre de la pensée), dans la violence et la puissance, dans la mort, le risque, l’absurde, le mensonge, l’asservissement, la bestialité, l’errance, le quotidien. Il réhabilite la pensée dialectique contre tous les positivismes, tous les rationalismes et tous les dogmatismes. L’acte de pensée poursuit-il n’est qu’un moment de la vie humaine, un moment de métamorphose, une activité de transfiguration de l’existant, du donné.
À propos de l’ontologie d’Heidegger, Lefebvre formule une remarque intéressante pour notre débat sur le sexe genre. Il écrit ceci : « Pour revenir sur le cas d’Heidegger, n’est-il pas remarquable qu’il présente de « l’être » une version a-sexuée qui s’oppose curieusement au pansexualisme contemporain de l’École freudienne ? Il y a chez Heidegger une crainte du rapport dialectique masculin/féminin ; son « être » qui s’entrevoit dans une immédiateté de la mémoire et de l’intuition n’a pas de rapport assignable avec l’amour. » Commentaire qui devrait laisser Yolande perplexe car il ne sépare plus l’amour de la pensée mais il critique — comme cela est énoncé dans le livre-genre mais sans le périodiser — le « pansexualisme » de la psychanalyse.

à suivre
J.Guigou

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