La beauté capitalisée
Pour la critique sociale portée par les mouvements révolutionnaires historiques, l’art n’a que rarement été considéré comme un terrain de lutte décisif. Si la question des « modes de vie » est toujours restée, aux yeux des militants comme des théoriciens, une dimension politique et morale essentielle, la transformation de la vie quotidienne et notamment son cadre esthétique devait quasi automatiquement accompagner la dynamique révolutionnaire. Bolchevisme et national-socialisme promurent un art d’État qui accroissait leur pouvoir sur la société mais il resta un art relativement séparé des rapports sociaux concrets et quotidiens de la majorité des individus.
Il n’en va plus de même aujourd’hui avec « l’art contemporain ». Les dispositifs, les installations, les interventions dites artistiques qui occupent les espaces privés et publics visent désormais à produire un effet de « sidération » sur le plus grand nombre. C’est là, pour Annie Le Brun, une des opérations idéologiques autant qu’émotives que l’union entre le capital et l’art conduit à grande échelle. Dans son dernier livre, Ce qui n’a pas de prix, elle expose les causes et les conséquences de cette conquête des sensibilités par ce qu’elle nomme une « esthétisation du monde ».
Dans le texte ci-dessous Jacques Guigou analyse les forces et les faiblesses des thèses d’Annie Le Brun. Comme il y a plus de vingt ans, il avait déjà mis en évidence les mutilations de la vie par « le plaisir capitalisé », il désigne aujourd’hui les ravages de « la beauté capitalisée » telle que la dénonce Annie Le Brun. Toutefois, la forte portée politique des nouvelles notions critiques avancées dans Ce qui n’a pas de prix coexistent avec des fluctuations et des incertitudes concernant la question de la valeur.