Dans les traces encore fraîches des Gilets jaunes

À partir de la lecture de l’article de Dietrich Hoss Ce qu’il pourra rester du mouvement des Gilets Jaunes ? publié sur le site Lundi.am1, il nous semble utile de formuler quelques remarques.

Sur le fond de notre présentation, de ce qu’il faut garder des Gilets jaunes, plusieurs choses vécues de l’intérieur nous ont amené à certaines conclusions et au contraire de ce qui est dit de notre article, nous avons tenté de ne pas noircir le tableau. Oui il y a des traces qui resteront de ce mouvement, et pour illustrer notre position générale à son sujet, on peut se rappeler de la phrase de Horkheimer pour qualifier Adorno et son approche de la critique comme celle d’un « pessimiste théorique et d’un optimiste pratique ». C’est ce que nous avons appliqué dans ce texte qui s’efforçait de faire un premier bilan. Mais il y a des moments où même cet optimisme pratique n’est plus de mise. Et à notre avis nous en sommes là. Il a souvent été reproché à Temps critiques (surtout côté insurrectionnistes), d’avoir une critique juste, mais « en surplomb », or là, le moins qu’on puisse dire c’est que nous ne sommes pas dans cette position puisqu’à notre connaissance, nous sommes le seul groupe « extérieur » à avoir opéré de manière affichée à l’intérieur du mouvement des Gilets jaunes.

Il est possible d’évoquer une « nouvelle socialité » qui, certes, nous est apparue comme importante, ce que nous avons appelé la tendance à la communauté des Gilets jaunes, mais elle ne fait pas tout, surtout une fois le mouvement retombant. Il ne s’agit pas de clore des potentialités, mais il est possible de se raccrocher à ce qui se passe réellement comme le permet le Journal de bord2. Ce n’est pourtant pas ce à quoi se livre D. Hoss dont l’interprétation apparaît très décalée dans la mesure où elle consiste à adopter une position velléitaire conduisant à vouloir toujours plus alors que le mouvement est maintenant dans une phase où il a épuisé sa dynamique. En outre, l’apport qu’il va chercher auprès des analyses de Marcello nous apparaît bien problématique. En effet, Tari se méprend sur les modalités actuelles de la dynamique du capital et sa marche vers la société capitalisée. Sa notion « d’insurrection destituante » ou encore celle de « communisme destituant » ne tient pas compte de la tendance à la dissolution des institutions de l’Etat-nation. Avec la mise en réseau de l’État, avec la contractualisation et la particularisation des rapports sociaux, les anciennes médiations institutionnelles se résorbent dans une gestion numérisée des individus (cf. les services publics à distance). Sans en tenir compte, Tari combine le dégagisme du mouvement des Places et le territorialisme des ZAD. De cette combinatoire, il réactive les notions passe-partout : « d’insurrection destituante » et de « République constituante », déjà proposées, en vain, dans les années 2000 par certains post-opéraïstes et la revue Multitudes. Avec ce que nous avons nommé la « révolution du capital », le capitalisme du sommet ne craint pas les actions « destituantes » puisqu’il les pratique intensément lui-aussi. (cf. par exemple, Macron et son livre « La révolution » et aussi « les réformes » au niveau théorique, la tendance à la privatisation de la police et de la justice au niveau pratique). Les perspectives tracées par Tari sont bien plus métaphysiques que politiques et restent très éloignées de celles explorées par le mouvement des Gilets jaunes. Revenons-y.

En effet, au sortir d’assemblées générales plus que houleuses il faut poser les limites de ce que nous avons vécues. Aujourd’hui les uns et les autres s’insultent et s’écharpent pour rien ou presque parfois, jusqu’à ce que certains quittent ponctuellement ou définitivement l’AG. Quant à nous, nous n’avons pas quitté les AG malgré l’envie de certains de nos amis de lutte qui nous pressaient de le faire, mais on a subi des pressions dénonçant nos interventions intempestives qui auraient eu pour effet de déstabiliser les personnes à la tribune et on nous a sommés de nous justifier ! Par exemple, sans rentrer dans les détails, car le Journal de bord l’explique, nous sommes attaqués par les ex-Nuit Debout et LFI pour avoir fait exploser le carcan de « leur » AG dans lequel ils se reconnaissaient et qu’ils voulaient imposer à tout un mouvement sur Lyon. Les communicants en herbes étaient bien là avec tout leur langage et codification extrême. Nous avons pu l’expérimenter dans notre participation aux débuts de la commission organisation avec des individus essayant, de bonne foi, de recycler leur formation en sciences humaines (il serait plus juste de dire, en « ressources humaines ») pour gérer le mouvement comme ils gèreraient une start up. Le fait de ne pas les avoir laissé faire est pris comme la plus haute des trahisons, alors que c’est une critique en acte envers une fraction du mouvement (celle qui se rattache aux Assemblées des assemblées) qui pense tout en termes d’affirmation et d’institutionnalisation (cf. le ralliement soudain au RIP), pendant qu’une autre pense radicaliser une pratique d’action directe qui, si elle restait adéquate pendant la phase ascendante du mouvement, en dérive aujourd’hui vers l’immédiatisme activiste (éclatement du groupe du péage TEO et formation d’un groupe « Gilets jaunes-Lyon résistance» dont les tendances clandestinistes le coupent du peu de « combattants » qui restent).

Ceci dit, dans nos écrits nous ne nous sommes jamais étendus sur les dissensions et affrontements entre groupes qui ont parcouru tout ce mouvement. Mais aujourd’hui où nous faisons des manifestations d’à peine cent personnes dont la moitié ne va pas ou plus aux AG et des AG à quatre-vingts dont la moitié des participants ne va plus aux manifestations, ces affrontements sont devenus un problème. Plus rien ne vient donner de l’unité et tout ce qui n’a pu être dépassé auparavant revient comme un boomerang. Les différences d’origine sociale pour ne pas dire de classe font exploser des personnes et l’on est loin des attaques feutrées des universitaires… Il s’agit là d’attaques physiques qui se rajoutent, niveau stress ou « ressenti d’insécurité » à ce que la police nous a fait subir. Comment faire face alors à des situations où, comme dans la dernière AG départementale on passe d’un soutien à un flic mis à pied du syndicat Vigie police, à des « nique ta mère Castaner » ? Il faut se rendre compte à quel point c’est le grand écart pour des Gilets jaunes dont le problème est de toujours tout vouloir faire tenir ensemble.

Quant à la dimension destituante via M.Tari puisqu’il faut y revenir, en Assemblée Régionale Rhône-Alpes-Auvergne, avec des référents par groupes régionaux, cela a commencé par parler… des élections municipales. Nous faisons en effet face à deux types de municipalisme à l’intérieur du mouvement : celui de l’assemblée des assemblées sur les bases du municipalisme libertaire à la Bookchin, ce qu’on peut qualifier de municipalisme programmatique, hors sol ; et celui des groupes de ronds-points de village qui voient ça comme une prolongation politique et citoyenne du mouvement sur la durée. Des groupes comme celui de Givors sont très en pointe à ce sujet. Ici c’est sur une base de gauche (le délégué de Givors fait aussi partie d’un « CNR-jaune »), mais rien n’empêche de penser qu’il existe son pendant à droite puisque le RIP des aéroports de Paris fait bien unité droite/gauche !

Ce n’est pas la prise à son compte par Hoss de la teneur insurrectionniste en soi du propos de Tari qui est critiquable, mais le fait de donner crédit à l’idée de « l’insurrection destituante », une hypothèse sans rapport avec le mouvement réel des Gilets jaunes et sans référence aux transformations de l’État et du capital.

Pour parler des conditions présentes, beaucoup de protagonistes du Journal de bord, dont nous-même, traversons des moments à souhaiter… que cela s’arrête. La dureté même des échanges après sept mois, dégoûte bon nombre de personnes et crée de vraies défections.

Certes on peut gloser sur notre façon de « clore » le mouvement, mais au contraire c’est lui donner ses lettres de noblesse en lui reconnaissant des points forts sans ignorer ses faiblesses. C’est au contraire bien se situer au niveau de l’Histoire que de différencier la phase où l’évènement s’enracine et parfois fait éclore les plus beaux combats et celle où les fleurs se fanent. Il faut simplement reconnaître que lorsqu’ils ne se transforment pas en autre chose de plus puissant les mouvements sont faits pour mourir.

Pour finir, le temps ne s’arrêtant pas, ces remarques critiques par rapport à notre brochure apparaissent un peu datées et notre nouvelle brochure sur l’historique du droit de pétition indique un devenir de ce qui reste du mouvement dans un sens rien moins qu’insurrectionniste. En effet, l’Assemblée des assemblées de Montceau n’a rien trouvé de mieux que de lancer les Gilets jaunes sur la piste du RIP contre la privatisation de AdP en se rapprochant de l’idéologie CNR (il existe maintenant un « CNR jaune ») et ce n’est pas l’action du 14 juillet, louable en soi, qui nous fera changer d’avis.

Temps critiques
17 juillet 2019

  1. Ce qu’il pourra rester du mouvement des Gilets Jaunes ? Sur le site de Lundi.am : https://lundi.am/Ce-qu-il-pourra-rester-du-mouvement-des-Gilets-Jaunes []
  2. Accessible à cette adresse : http://blog.tempscritiques.net/archives/2231 []

Actions autour du 14 juillet

Pour toutes ces actions nous réaffirmons que c’est une des forces principales du soulèvement des Gilets jaunes que d’avoir veillé à ce qu’aucun groupement d’intérêts particuliers (de classe, professionnel, syndical, religieux, d’âge ou de sexe) ne prenne le pas sur l’universalité de la lutte contre les conditions générales aliénées de vie actuelle. Les habitants des villages, des petites villes et même des « quartiers » des grandes villes étaient présents sur les lieux de blocage et actifs dans les actions, mais ils y étaient en tant qu’individus ; individus-citoyens aimaient à le dire les occupants des ronds-points et les autres protagonistes du soulèvement.

Citoyens, donc, mais pas au sens de l’assignation par le pouvoir en place d’une sorte de donnant-donnant contractuel entre devoirs et droits.

Citoyens au sens de la Révolution française dans ses meilleurs moments, ceux des articles 34 et 35 de la Déclaration des droits et du citoyen de 1793 consacrant les droits à la révolte et à l’insubordination en cas de perte de légitimité du pouvoir en place, l’abolition de l’esclavage, etc. C’est justement ce que les Gilets jaunes ont affirmé dans leur mouvement de confrontation avec l’État.

En effet, les droits ne peuvent avoir une réelle valeur pratique que s’ils sont portés par des individus associés dans l’action commune de bouleversement politique et social. Le caractère abstrait et formel de ces droits à l’insubordination ne peut trouver sa concrétisation que dans la lutte collective ; une lutte que le révolutionnaire Anacharsis Cloots appelait « La République du genre humain » dont le nom définit la perspective universaliste et elle seule.

Le « Tous Gilets jaunes » proclamé aux moments les plus intenses du soulèvement ne signifie donc pas, dans notre acception, que nous sommes déjà tous citoyens et que cela ne serait qu’un droit à faire valoir, au-delà de toutes nos différences, mais que cette qualité s’acquiert dans la lutte. D’où la référence historique à la sans-culotterie de la Révolution française porteuse de la mémoire collective d’un bouleversement social et politique auquel il est possible de s’identifier. Tout le monde peut être Gilet jaune, mais à partir du moment où on se dépouille de ses vieux oripeaux particularistes. Revêtir le gilet jaune exprime cet aspect symbolique. De ce point de vue, beaucoup de personnes participant au mouvement ont eu du mal à le revêtir parce que l’ancien leur collait à la peau.

Est donc citoyen celui qui « décourbe le dos », celui qui avec d’autres se soulève et participe à la seule médiation qu’il reconnaît parce qu’elle le fait advenir à autre chose que ce qu’il était, celle de la communauté de lutte.

C’est avant tout dans cette perspective universaliste que les actions du 14 juillet peuvent acquérir une portée politique générale et non pas par un recours à des groupes et identités qui devraient se coaguler dans leurs différences.

Temps critiques, le 11 juillet 2019

 

Actions 14 juillet_A5

À l’heure du bilan

Cet échange intervient après plusieurs mois de lutte à laquelle les deux intervenants ont participé activement. Ils se sont d’ailleurs souvent côtoyés dans les mêmes actions et aux AG, dans un certain respect mutuel. Si des divergences d’analyse et de perspective existaient dès le début du mouvement, elles n’ont pas cessées, mais là, elles se concentrent sur le devenir de celui-ci. Pedro et Jacques ont participé, chacun de leur côté à une sorte de bilan et l’échange se fait en connaissance de cause puisque tous les deux ont lu leur production écrite réciproque avant d’entamer la discussion.
 



 

Merci Jacques pour ce document1.

Hélas, il est très loin de ce que je pense bien que je puisse être d’accord avec beaucoup des constats que tu fais.

Je vois une explosion sociale limitée par l’action conjuguée des partis de gauche et d’extrême-gauche. C’est le principal.

La répression, il fallait y compter. Il n’y pas eu une seule attaque d’envergure contre la classe capitaliste sans répression et les différences de pays et les cultures ne changent que la forme à cette loi.

Le bas niveau politique des masses en révolte, il fallait y compter aussi. Cela fait des décennies que la pensée socialiste (marxiste-léniniste) a été remplacée par une bouillie postmoderne, libérale qui est un des problèmes du mouvement.

Il fallait combattre tout cela avec l’expérience théorique et pratique du mouvement ouvrier et pour cela il fallait des cadres politiques qui retenus par leurs partis, ont fait défaut. Et peut-être, vu leur conception des choses, ils auraient foutu une merde pas possible aussi. Mais bon, en apprenant avec le temps, et le temps on en a eu, ils auraient pu organiser et orienter un peu mieux le mouvement.

Les partis de gauche et d’extrême-gauche s’adressent encore aux 30% des travailleurs qui « jouissent » encore du débordement de la marmite capitaliste, de l’exploitation des pays pauvres et de la reprise économique de post guerre. Les 70% autres qui composent, par leurs besoins et revendications, le mouvement, n’ont pas d’expression politique propre et l’extrême droite a montré qu’elle est incapable non seulement d’orienter ce mouvement mais encore de le pénétrer.

Alors, qu’est ce qui reste? « Le début d’un début », un esprit de lutte, une autre manière de combattre qui a pénétré profondément la conscience actuelle des travailleurs comme cela se perçoit dans certaines luttes, dans des témoignages.

Mais cela peut retomber très rapidement et faire de ce mouvement magnifique, un feu de paille sans suite.

La seule possibilité était d’essayer de le connecter avec les travailleurs que luttent pour amplifier la méthodologie GJ et avancer dans les pas de la longue lutte des travailleurs.

Mais il se peut aussi que la défaite, la non jonction avec les autres travailleurs provoque une démoralisation encore plus profonde et que de ce « début d’un début » de retournement de l’esprit des travailleurs résulte qu’ils se disent « A quoi bon ? Les GJs après 7 mois d’une lutte forte n’ont rien obtenu ou presque (rien par rapport aux besoins et objectifs), comment pourrions nous obtenir quoi que ce soit sous la férule syndicale et la méthode des manifestations/promenades une fois par mois?

Alors, il se peut bien qu’on soit parti pour 30 ans de « libéralisme », de nouvelles crises et/ou guerres.

On ne sort pas de la vieille recette que ce mouvement a encore une fois démontré par défaut : « Sans parti communiste les travailleurs n’auront rien ». Hélas, un tel parti n’existe pas en France ni ailleurs.

On est au fond du puits et pour cela ce mouvement ne pouvait être, dans le meilleur de cas, que « le début d’un début ».
Tous se sont appliqués à le plomber, sauf de très rares, honnêtes mais, hélas, homéopathiques exceptions qui n’y pouvaient rien changer.

Vae Victis! Les défaites historiques doivent être subies jusqu’à la lie.

Il faut recommencer presque de zéro, mais s’illusionner qu’on pourra faire autrement que ce parcours à partir d’autre chose que Marx et Lénine c’est retarder encore une sortie qui n’est nécessaire que pour les travailleurs pauvres. Les autres peuvent se contenter de la sociologie et du postmodernisme ou des « théories » du genre et de la race, très à la mode chez les petits bourgeois de gauche.

En fait le mouvement des GJs, prolétaire par ses besoins mais surtout parce que sans sortir du capitalisme il ne peut rien obtenir, s’est battu contre un front qui va de la grande bourgeoisie à des secteurs de travailleurs qui espèrent encore (mais pas trop) dans le capitalisme.

Essayons quand même que sa mort soit la moins dure possible pour ne pas finir de décourager à ceux, rares, qui voudraient se battre encore.

Tu excuseras les fautes de français.

Pedro, le 16 juin 2019
 



 
Pedro,

D’abord merci pour cette contribution critique à notre dernier supplément d’autant que tes remarques ne sont pas fortuites, mais proviennent de la même urgence, de la part de nous qui sommes actifs dans le mouvement depuis ses débuts, de savoir ce qui peut en rester étant entendu que, contrairement à d’autres protagonistes, nous faisons un même diagnostic sur son avenir proche et nos tâches immédiates. J’y reviendrai.

Nos divergences sont de forme comme de fond même si ponctuellement nous avons pu intervenir ensemble et en accord.

Sur le fond tu demeures dans ce que la position traditionnelle de l’extrême gauche par rapport à tous les mouvements et ce à un double niveau. Le premier reprend une position habituelle, par exemple chez les trotskistes, d’une base ouvrière qui serait restée « pure » ou au moins « saine » par rapport aux directions syndicales ; la seconde est celle de la nécessité d’un parti de type marxiste-léniniste.

Le problème, c’est que si on veut rester objectif et bien hormis pour une fraction « de gauche » dont on se demande si elle n’existe pas que pour les congrès (CGT) ou les postes de délégation syndicale et de permanents (FO et SUD, ce dernier extraordinairement absent dans l’ensemble), c’est à se demander si les syndicats ne sont pas déjà trop virulent par rapport à leur base (grosso modo la position que tient Martinez). Quand aux partis politiques et ce que tu nommes « les cadres » tu reconnais toi-même que leur vieille façon de penser aurait peser de façon négative sur le mouvement (comme en 68 pourrions-nous rajouter). Certes, comme tu le dis ils auraient pu se corriger au sein du mouvement, mais il n’en a jamais été question. D’entrée de jeu ils ont refusé de reconnaître les GJ comme une possible avant-garde au sein de laquelle ils auraient pu avoir une action. Au « Tous Gilets jaunes » qui nécessitait de laisser tomber tous les vieux oripeaux qui fractionnent la lutte, ils ont préféré, au mieux, le vieux « Tous ensemble » …chacun cote à cote.

Tu dis que les « cadres » politiques ne s’adresseraient qu’aux 30% des ouvriers qualifiés et techniciens, mais c’est en partie faux comme le montre l’action qu’on a mené ensemble à Carrefour-Confluence, manipulé qu’on l’a été par la fraction de gauche de la CGT qui voulait imposer la révolution sans travail militant au préalable (la lutte contre les licenciements, les caisses automatiques, la création d’une section syndicale) se dévoilant ainsi comme complètement hors sol et encore bien plus éloignés de la base que sa fraction droitière. Ce qu’ils ont été incapables d’insuffler ils ont essayé de le reporter sur nous comme si nous étions de nouvelles Brigades rouges faisant peur au patronat, alors qu’eux-mêmes n’était même pas grévistes sur ce coup là, les actions tournantes permettant de camoufler tout le système des permanents, délégations syndicales, heures de RTT, etc.

Contrairement à ce que tu laisses entendre, les GJ ne sont pas tous des précaires où plus exactement leur précarité n’est pas liée à leur statut devenu instable de salariés, mais à une précarité généralisée des conditions de vie qui touchent aussi bien des artisans-commerçants, paysans, étudiants que des salariés précaires ou des retraités. Ce qui relie ces différentes fractions c’est une révolte contre des conditions de vie tout à coup jugées insupportables qu’elles que soient les conditions concrètes du rapport au travail.

C’est cette situation nouvelle qui ne peut être comprise par des « cadres » politiques ou syndicaux tous produits dans le même moule qu’il soit d’origine stalinienne, trotskiste ou libertaire. Il en était déjà de même en 68.

Même les salariés combatifs qui ont soutenu le mouvement des GJ, comme par exemple certains cheminots à Lyon, ont eu du mal à saisir cet aspect quand ils se présentaient à la tribune de l’AG des GJ Lyon le lundi soir « en tant que cheminot » et avec la fierté qui va avec. Non seulement ils n’ont pas compris l’évolution de leur métier qui fait qu’aujourd’hui il y a de moins en moins de « roulants » (l’aristocratie du rail » par rapport au reste du personnel) et que de fait ils entretenaient une histoire illusoire dans la mesure où eux-mêmes ne sont pas des « roulants », mais en plus ils ne comprenaient pas qu’au mieux personne parmi les GJ n’en avait rien à foutre de leur référence et qu’au pire ils étaient exaspérés par leur refus de troquer le gilet rouge contre le gilet jaune.

Pedro reconnaît d’ailleurs ce caractère « inclassable » du mouvement, dans tous les sens du terme. Ce qui ne profite pas à l’extrême gauche du fait de sa vue basse, ne profite pas plus à l’extrême droite qui bénéficie certes d’une implantation électorale en son sein mais s’avère incapable, contrairement aux Ligues fascistes des années 1930, d’orienter la révolte populaire (le 1er décembre 2018 n’a rien de comparable au 6 février 1934 même si éléments d’extrême droit et gauche se sont mêlés dans les deux cas).

Ces deux impossibilités des « extrêmes » à mordre sur le mouvement2 disent justement ce qui le caractérise. Le fait de ne pouvoir être récupéré en l’état parce qu’il a échappé en grande partie à tous les codes politiques et au politiquement correct qui domine dans ce que nous avons appelé « la société capitalisée »

Comme tu le dis « une méthodologie » particulière alliant aussi bien un esprit de lutte qu’une manière de combattre. Mais cette « méthode » ne s’est pas imposée. Elle est trop étrangère au mouvement ouvrier organisé qui a oublié les luttes du tournant des XIX et XXe siècle, le temps des émeutes ruiné par la première guerre mondiale et l’intégration des classes ouvrières dans l’ordre capitaliste à partir des défaites de 1919 et 23 en Allemagne, de 1926 en Angleterre, de 1936-37 en Espagne.

Ce « magnifique mouvement des GJ » comme tu l’appelles ne se situe donc pas, contrairement à ce que tu développes, dans la continuité de la « longue lutte des travailleurs » (ce que nous appelons le fil rouge historique des luttes de classes ») parce qu’il est justement en rupture avec celle-ci et qu’il ne s’y origine pas ; qu’il s’en est même distingué d’entrée de jeu par le fait de mettre en avant les conditions générales de vie plus que les conditions de travail. De façon implicite il a porté la contradiction capital/travail du niveau de la production des marchandises, du profit et de l’exploitation, au niveau de la reproduction des rapports sociaux et de la domination en général (la puissance du capital : dynamique, ce que tu appelles trop faiblement le « débordement » et « révolution du capital »).

Je ne crois pas à la démoralisation au sens où tu l’entends. Du côté GJ, il y a le fait que quoi qu’il arrive, ils ont « décourbé le dos » comme nous l’affirmons dans un texte inédit du livre et si nous sommes loin du compte du point de vue du contenu insurrectionnel qu’a parfois pris le mouvement, les simples résultats quantitatifs ne sont pas négligeables3. Si on compare aux résultats des dernières luttes syndicales cela prouve bien qu’il y a encore des marges de manoeuvre ou du « grain à moudre » par rapport au patronat (cf. aussi la prime de décembre versé par des grandes entreprises) et à L’État.

Pour terminer pour aujourd’hui, nous sommes tous les deux d’accord pour dire que la retombée brutale du mouvement ne doit pas nous amener à quitter le navire pour ne pas couler avec. Il s’agit de l’accompagner en sachant que tous les mouvements reposant sur un évènement, au sens fort du terme, sont nés pour mourir et qu’ils ne peuvent être sauvés par de quelconques mesures d’institutionnalisation, via l’Assemblée des assemblées, le RIC ou même sa substitution modéré en RIP comme il nous a été proposé en AG lundi dernier.

JW, le 1er juillet 2019

  1. Il s’agit du supplément n°7 à Temps critiques, : « Ce qu’il peut rester du mouvement des Gilets jaunes. []
  2. Je ne tiens pas compte ici du rôle des réseaux sociaux qui ont développé parfois des approches complotistes qui ont eu leur influence sur une frange des GJ. []
  3. Pour ma part, si j’ai des revenus de retraite insuffisants pour être imposable je viens de me voir reverser 133 euros de trop payé par rapport à mon changement de taxation CSG sur 4 mois, sans parler du fait que ma pension est peu ou prou réaligné sur l’indexation des salaires. D’ailleurs le gouvernement fait actuellement grand tapage sur ces dépenses non budgétisées et induites par le mouvement. []

Commentaire critique de l’article de C.Hamelin « Le RIC en dehors des rets de l’oligarchie »

Commentaire critique de l’article de C.Hamelin Le RIC en dehors des rets de l’oligarchie en réponse à notre article Dans les rets du RIC.

Pour Christophe Hamelin le RIC signerait un changement qualitatif par rapport aux luttes sociales parce qu’il ne serait pas une revendication sur des droits comme dans les revendications syndicales, mais une revendication politique parce qu’à la base d’une prise de décision. Arrêtons-nous sur ce point.

D’un côté, il semble abusif de dire que les luttes sociales sont des luttes pour des droits ou alors c’est les réduire à des luttes syndicales. Les grèves sous le Front populaire et le mouvement de Mai 68 étaient-ils des luttes pour des droits ? Et la période du Mai rampant italien qui court de 1969 à 1973 était-elle réductible à une lutte pour des droits ? Non bien évidemment et le mouvement des Gilets jaunes ne peut-être lui-même pensé comme un mouvement pour des droits ou alors il faudrait entendre cela au sens large et moral d’une lutte pour un droit à la dignité.

Et de l’autre, il est difficile de savoir ce qu’est le RIC. Est-ce seulement une revendication ou un moyen de faire aboutir des revendications ? Si c’est un moyen alors on peut dire qu’il est utilisable dans le cadre d’une lutte pour les droits comme on peut s’en apercevoir en lisant les revendications d’origine des GJ (« droit au travail dignement rémunéré », « droit au logement décent ») où on retrouve des thématiques et problématiques proches de celles de la première constitution de 1946 qui incluait le droit au travail par exemple, mais qui ne verra jamais le jour). Il n’a aucune sorte de supériorité par rapport à d’autres expressions du rapport de force comme les manifestations ou grèves contrairement à ce que dit Chouard qui pense que le RIC rendrait caduques ces formes parce qu’il ne conçoit rien en termes de mouvement ou de lutte, mais tout en tant que forme immédiate d’expression populaire. Ce qui, soit dit en passant, recueillerait facilement l’assentiment des patrons et de l’administration centrale. La position d’Hamelin sur ce point n’est pas claire.

D’un côté Hamelin dit que les manifestations ne seraient pas rendues caduques par l’existence du RIC, en cela il s’éloigne de Chouard ; mais de l’autre il considère que la manifestation se situe dans le contexte de la démocratie républicaine ce qui est une vision bien trop réductrice et quasiment syndicale de la manifestation. Une telle qualification non seulement est fausse historiquement si on remonte au temps des émeutes et des insurrections du tournant du XIX et XXème siècle, mais elle s’avère déplacée aujourd’hui. En effet, la manifestation typique des Gilets jaunes retrouve des allures spontanées, sauvages (pas de déclaration de trajet), voire émeutières à tel point que le pouvoir et « l’oligarchie » pour parler dans les termes d’Hamelin, en ont grandement peur et visent à la contenir par tous les moyens possibles (lois anticasseurs, fouille et confiscation de tout ce qui permet de se protéger, interdiction de manifester). Dans cette forme primitive de lutte que lui a redonnée le mouvement des Gilets jaunes, la manifestation n’est justement pas « incluse dans le Léviathan » comme l’affirme Hamelin parce que de fait, de par son existence effective, elle est remise en cause de l’ordre étatique et deson monopole de la violence légitime. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui fait que la fameuse « convergence » que tout le monde souhaite ou craint, c’est selon, ne se produit pas. Le mouvement des GJ, sans être révolutionnaire — même si sa référence principale est la révolution française — rompt avec la démocratie républicaine dont parle Hamelin et par là-même il rompt avec tout ce qui est acceptable de ce point de vue (la manifestation déclarée, encadrée et responsable). En conséquence, les politiques le traitent de « factieux » et les médias grand public qui un temps l’ont accueilli relativement favorablement, le dénoncent aujourd’hui comme anti-démocratique parce qu’il ne respecte pas les élus « qu’il va aller chercher », qu’il est contre la liberté de la presse parce qu’il ne supporte pas que celle-ci surinterprète sa parole et mente, etc.

Pour Hamelin « L’État n’est pas l’ennemi car il n’est que le bras armé du privé ». Du point de vue de l’analyse théorique nous sommes en désaccord avec ce point et d’ailleurs, au détour d’une phrase il nous dit que la société est aujourd’hui complètement étatisée. Mais cette position nous paraît aussi peu adaptée à la situation du mouvement des Gilets jaunes qui, justement, voit L’État comme ennemi soit parce que le personnel politique est corrompu soit parce qu’il serait au service de la finance et des multinationales du CAC 40, autant de puissances inatteignables pour le mouvement des Gilets jaunes qui se rabat donc sur l’ennemi de proximité. C’est seulement l’UPR et la revendication du Frexit qui par son souverainisme néo-gaulliste considère que l’État n’est pas l’ennemi et qu’il faut simplement lui redonner de la souveraineté. Mais pour la grande masse des Gilets jaunes, c’est L’État qui est l’ennemi de proximité à travers ses forces de l’ordre et ses politiciens et non pas le patron qui donne du travail parce qu’il est conçu sous la forme de l’artisanat ou de la PME. Ce rapport favorable aux « petits » contre les « gros » se retrouve dans la différence de traitement que les GJ infligent aux élus nationaux et à l’État d’un côté ; aux élus locaux de l’autre.

Le RIC peut être considéré comme le niveau de fixation du mouvement au niveau institutionnel et une façon qu’il a de se réintroduire dans le cadre démocratique tout en intégrant une critique partielle du système représentatif (limiter les prérogatives des élus plus que le principe de la représentation lui-même puisque la question du vote traditionnel n’est posée qu’à travers la prise en compte du bulletin blanc). Le RIC, ce n’est quand même pas la Commune ! Et c’est peut être pour cela que les Gilets jaunes sont obligés de désavouer toutes les tentatives de certains de leurs leaders qui veulent aller aux élections européennes. Les plus « politiques » d’entre eux voient la contradiction et cherchent à se présenter pour donner vie à l’idée du RIC, alors que le mouvement ne veut pas de représentants.

Pour Hamelin, la manifestation et la grève ne seraient plus des formes efficaces parce que la place du secteur privé par rapport au secteur public est devenue plus importante et la grève y est rendue plus difficile par la hausse du chômage. Mais que l’on sache, cela n’empêche pas les salariés de rejoindre les actions des GJ et même d’en être puisqu’on peut penser qu’ils ont acté le peu d’efficacité des dernières grèves y compris celles du secteur public, comme celle récente des cheminots. Pourtant, de ce constat ils n’en tirent pas la nécessité de passer à autre chose (cf. les professeurs des écoles qui préfèrent être Stylos rouges que Gilets jaunes) et le RIC ne les mobilise pas davantage.

Bref, on ne voit pas en quoi le RIC aggraverait les conflits avec l’oligarchie, sauf à ne considérer l’oligarchie qu’au sens d’Aristote qui opposait la démocratie du tirage au sort à l’oligarchie élective, mais cela se passait dans une société où le tirage au sort ne concernait de toute façon qu’une petite élite citoyenne elle-même bien peu démocratique. En fait, Hamelin conçoit l’oligarchie comme une caste politique dirigeante coupée des rapports de production et de ceux qui les contrôlent. Le RIC pourrait alors abolir le salariat comme Bernard Tapie voulait interdire le chômage. Il suffirait de s’en convaincre, puis de convaincre les autres électeurs en levant les raisons du scepticisme (finalement tout serait une question de communication).

Nous avons évoqué jusqu’ici l’hypothèse du RIC comme moyen, mais si c’est une fin, alors c’est que les GJ développent, sans le savoir pour la plupart, une thèse arendtienne en cherchant à ressusciter une sphère de la politique (et parallèlement « la vraie vie ») face à la « fausse vie » du monde de l’économie. Le RIC devient alors « un exemple d’intelligence collective du peuple » même si Hamelin fait remarquer qu’il faudra faire appel aux experts et aux intellectuels ; et qu’il n’est pas un outil mais « un principe politique de l’identification des problèmes à résoudre ». Cela a été effectivement le cas au début du mouvement avec la liste des propositions constitutionnelles et législatives posées comme relevant du RIC. Mais lister ce qui pourrait faire l’objet du travail d’une Constituante ne répond pas à l’urgence sociale qui a été à la racine du mouvement. Nous l’avons déjà dit cela reproduit la division/opposition qu’a connu la révolution française entre révolution politique et révolution sociale ; et l’on sait les conséquences humaines de cette division.

JW, le 2 mai 2019.

Regarder le train passer

Lettre aux camarades

En croisant des camarades qui peuvent avoir participé de près ou de loin à des luttes (CPE, contre-sommet type G8, Loi travail, etc.), mon implication dans un mouvement comme celui des Gilets jaunes a alimenté de récentes discussions. Des questions sont apparues et méritent qu’on s’y attarde car cela fait 5 mois que le mouvement des Gilets jaunes a commencé et la plupart de ces camarades n’ont participé à aucune des dimensions du mouvement. Il y a certes la vie : travail, enfants, etc. qui joue mais je crois qu’il y a plus.

Je vais donc aborder quelques-uns des points qui ont fait surface dans notre discussion à partir d’un premier argument :

Au début le mouvement était contre l’augmentation de l’essence à la pompe et cela ne donnait pas envie de rejoindre le mouvement.

Malgré le fait que nous avons tous des potes qui habitent hors grande agglomération, cette remarque se base sur une mécompréhension de ce qui fait la vie de bon nombre de foyers. Se déplacer dans les périphéries des villes et le rurbain, ce n’est pas prendre son vélo ou le métro pour aller dans tel ou tel endroit en un temps record, c’est prendre son véhicule à essence pour simplement vivre ou dirait un GJ, survivre. Pour la plupart des familles ce moyen de déplacement est indispensable. Que le prix de l’essence n’ait pas été compris comme un élément déclencheur pouvant amener plus loin, à ne pas circonscrire la lutte à ce point de départ, peut être compréhensible. Mais en creusant la discussion je me rends compte de tous les a priori qui se trouvent derrière ce discours : il ne fallait pas défendre ceux qui polluent et qui s’expriment dans un ras-le-bol pas très net, non structuré. Par exemple, là où l’exaspération envers les syndicats et la « gauche » était une des clés de l’élargissement du cortège de tête de la Loi travail, la défiance des Gilets jaunes envers ces organisations pose problème car justement ce n’est pas un marqueur idéologique, et donc c’est cela qui leur est reproché, alors pourtant qu’on trouve le même écart aux organisations… mais sans qu’il se voit décerner ses lettres de noblesse par les prétendus « radicaux ». En effet, les Gilets jaunes étant volontairement a-partisans cela rentre en conflit direct avec tout un héritage de luttes. Et comme le rapporte un copain par rapport aux Gilets jaunes, pendant des semaines tu entendais les militants parler de la « manif de beauf » du samedi.

Quant à mes camarades ils me demandent si le risque politique n’est pas grand dans le contexte d’un pays de droite et d’une tendance mondiale au conservatisme. Je n’évalue pas la situation de cette manière et déjà cela marque une rupture. La France reste un pays très à gauche rien que par sa tradition syndicale bien différente que dans d’autres pays. Je me demande quand même si les gens que je connais sont un jour sortis de France ? D’un autre coté, les premières victimes de l’instrumentalisation du mouvement par l’extrême-droite semblent être mes camarades car ils sont en dehors de toute analyse de la société du capital. Certes, la tendance prédominante du mouvement des Gilets jaunes n’est pas à l’attaque du capitalisme mais globalement ce n’est pas un problème de positionnement politique. Macron est le fruit d’une alliance de tous les bords contre les extrêmes. Ceux de gauche qui ont voté pour lui, par dépit ou pas, et qui le soutiennent de fait aujourd’hui contre le mouvement des GJ, me paraissent bien plus inquiétants. Cela fait penser à la manière dont le mouvement italien des années 70 a été battu : par l’alliance démocratique de tous les bords dont le PCI (voir la ligne de fermeté au moment de l’enlèvement d’Aldo Moro contre les BR).

Mais le risque politique semble d’autant plus grand à mes camarades qu’il n’y a pas de guide, pas de « plateforme » ou alors des listes de revendications qui parfois déroutent, voire rebutent. La nature première de cette révolte de fond est là, bien mal appréciée. Ceci surtout provenant de personnes qui peuvent avoir considéré par le passé que formuler des revendications, c’est déjà capituler.

Qu’est-ce qui amène dans un tel mouvement alors ?

D’abord je me rends sur un rond point à Feyzin, je vois que la parole est libre, non cloisonnée et je découvre des gens de tout type. Ni la curiosité, ni une volonté militante n’aura fait bouger mes camarades comme si aller sur un rond-point avait été prendre un risque pour soi-même.

Tu ne rentres pas dans un mouvement sans tes bagages mais tu en abandonnes des aspects rapidement et particulièrement tous les présupposés idéologiques qui te permettent de « tenir » en temps de paix sociale. Or, ce mouvement, c’est un grand saut dans l’inconnu. C’est exactement ce que l’on a pu ressentir à l’approche des samedis, des « Actes » qui contenaient des potentialités que personne ne pouvait anticiper (le négatif à l’œuvre). Ainsi, les GJ ont trouvé rapidement dans le mouvement des certitudes politiques nouvelles. Plus de tracé déclaré aux manifs, une casse assumée collectivement, des moments de solidarité forts, etc.. Dans le fond une révolte non balisée est ce qui semble le plus démobilisateur pour nombre de mes camarades… Cela peut paraître contradictoire à une personne extérieure à tout cela, mais par exemple, la manière dont l’ultra-gauche aura condamné le mouvement a été, selon moi, un révélateur. Cette ultra gauche enfermée dans son discours tout « communisateur » qu’il puisse être, pensait avoir déterminé à l’avance les limites indépassables de ce mouvement « interclassite » (horreur !). Pour elle et pour beaucoup de libertaires, il n’y avait là rien à sauver sauf pour quelques individus isolés ou suffisamment détachés des positions de leurs organisations respectives (qui quelles que soient leurs positions officielles ne se mouillèrent guère en l’affaire, de peur d’un faux pas).

Le mouvement des Gilets jaunes est un évènement au sens fort ; il y aura un avant et un après et ce pour tout le monde : politiques, syndicats, gauche radicale, etc. Je pense que mes camarades le perçoivent mais attendent ; ils ont observé ce mouvement de loin et verront bien : Allons boire un verre dans notre ghetto alternatif…

Gzavier – 19 avril 2019