Discussion autour du texte : « États-Unis : Réorganisation chaotique au sommet du capitalisme »

Les deux textes présents dans le numéro 23 de la revue autour des Etats-Unis tiennent évidemment compte du phénomène Trump, mais ils essaient de ne pas céder à l’actualisme en abordant un contexte plus large. Ils ont tous deux fait l’objet d’une discussion à Paris avec le groupe « soubis ».

Ils ont fait l’objet de comptes-rendus collectifs de la part de ce même groupe.
Voici le premier autour du texte de Larry « États-Unis : révolution politique et réorganisation chaotique » au sommet du capitalisme, dans lequel Larry maintient l’hypothèse d’une puissance américaine qui perdure, malgré tout.


Autour du texte : « États-Unis : Réorganisation chaotique au sommet du capitalisme » (Temps critiques n° 23)

Durant la présentation, Larry compte mettre en évidence les questions les plus importantes.
On assiste à des bouleversements importants. Le deuxième mandat de Trump est un vrai événement. Son refus de reconnaître sa défaite face à Biden en 2020 et l’amnistie des meneurs de l’assaut contre le Capitole en janvier 2021 étaient sans précédent. Qu’une partie de la droite US trouve cela acceptable en dit long par ailleurs sur le climat politique. En outre, Trump procède systématiquement par décrets (executive orders) plutôt qu’en s’en remettant au vote de lois par le Congrès. Cela témoigne de la volonté de concentrer le pouvoir, Trump faisant comme si la légitimité politique émanait de lui seul. Ne pas oublier que Trump est avant tout un homme d’affaires : il gouverne comme on dirige une entreprise. Or, une partie de la population adhère à cette politique spectaculaire en y voyant de l’efficacité.


Le retour de la politique

Le fonctionnement habituel de la politique, la séparation des pouvoirs notamment, est vu comme laborieux et inefficace. Trump dit : « Je ne m’embarrasse pas de tout ça, je gouverne par des décrets ».

Par rapport à son premier mandat quand il paraissait peu expérimenté et donc obligé de s’appuyer sur des professionnels de la fonction publique, il s’est entouré de gens montrant une fidélité sans faille, y compris de conseillers incompétents. Le nombre de collaborateurs issus de la chaîne Fox News est un exemple qui illustre bien cette situation. A ce propos, on a en mémoire l’affaire du « Signalgate ». Mike Waltz, le conseiller national à la sécurité de l’administration Trump, a invité par mégarde dans une conversation concernant le bombardement de positions houthis une personne non autorisée (un journaliste).

Pour la gauche, c’est la crise du capitalisme US face à la Chine qui permet d’expliquer la politique de rupture et l’autoritarisme ouvert de Trump. Il y a du vrai et cela explique le choix d’un entourage de gens fidèles.

Parmi les inspirateurs de Trump, il y a Roy Cohn. C’est un juriste qui a condamné les époux Rosenberg. Il doit sa notoriété aux enquêtes lancées par le sénateur Joseph McCarthy à l’époque des campagnes anticommunistes. Il a en son temps (il est mort en 1986) défendu des mafieux, avant de devenir le mentor du jeune Trump. Son mot d’ordre « Attaquer, contre-attaquer et ne jamais s’excuser » semble être la devise de l’administration actuelle du reste.

Les droits de douane sont une obsession de Trump depuis les années 1980, et il n’est pas sorti de cette mentalité : nous nous sommes fait avoir hier par les Japonais et aujourd’hui par les Chinois. Pourtant, les flux financiers sont largement au profit des USA, même si la balance commerciale des USA est déficitaire. Même s’il rencontre des échecs, il ne démord pas des droits de douane.

S’il doit négocier à la baisse par rapport à ses premières exigences, il y a pourtant bien un accord, avec la Grande-Bretagne (pratiquement le seul pays important avec lequel les USA ont un excédent commercial). Avec la Chine, les USA ont dû céder car elle a refusé de jouer le jeu. Mais Trump essaie de maintenir ses partenaires dans l’insécurité, cela fait partie de sa politique.

Autre élément : Trump essaie de remettre la politique au centre. Il croit en effet au populisme, même si l’idée que le peuple américain se fait avoir est une vision simpliste. Cela plaît à son électorat de base en tout cas.

Sur le régime « oligarchique » de Trump

La plupart des milliardaires se sont ralliés sur le tard à Trump. Steve Bannon ne s’est d’ailleurs pas gêné pour le dire. Trump a pourtant fait du tort aux multinationales US (la « Tech » notamment). Parler de l’accession des oligarques au pouvoir dans ces conditions n’a pas grand sens. Au mieux, c’est une banalité puisque les capitalistes n’ont jamais cessé d’influencer Washington. Mais ce n’est pas eux qui déterminent la politique de Trump de toute façon.

Pour Larry, Trump a en tête un régime inspiré par les militaires au pouvoir en Amérique latine (ou ailleurs dans le tiers monde) dans les années 1960-1970 : des régimes autoritaires sur fond de capitalisme mafieux. Un exemple : le cadeau offert dernièrement à Trump par le Qatar. La ministre de la Justice est une ancienne lobbyiste du Qatar…

Dans ces conditions, on peut parler de politisation à outrance du gouvernement…
Pourtant, il n’y a pas que de l’incompétence. Les liens avec les nouvelles technologies sont en effet forts : au centre se trouve le patron de Paypal (Peter Thiel). Ces chefs d’entreprise s’allient avec Trump parce qu’ils veulent maintenir l’hégémonie des Américains. Parmi les rallié-es à Trump, il y a des gens qui ont une vision pour l’Amérique. Ce serait par conséquent une erreur de ne voir dans la situation actuelle que de l’irrationalité.

On ne peut donc pas parler d’un pays qui sombre. Il y a des investisseurs et des ingénieurs, souvent d’origine étrangère, attachés au pays, qui entendent maintenir le rang des USA. Or, ils ont des compétences techniques non négligeables. Ils se sont mis au service de Trump (et des USA). Il y a aussi la volonté de renouer avec la politique des grands projets. L’exemple le plus évident est le « Dôme d’or », sans doute le projet d’investissement militaire le plus ambitieux depuis la « Guerre des étoiles » du début des années 1980. Il s’agit d’une protection des USA à base de satellites sur le modèle du « Dôme de fer » d’Israël. Tesla et Palantir Technologies pourraient décrocher le marché.

Attaque contre les progressistes et réaction politique

Les « trumpistes » ont surfé sur la vague anti-wokes largement partagée au sein des classes populaires. Les Démocrates n’ont pas du tout compris cela.

La gauche démocrate présente les « trumpistes » comme racistes, réactionnaires, homophobes… Or, il y a des homosexuels y compris chez les « trumpistes » (dont Scott Bessent, secrétaire au Trésor, marié à un homme avec qui il élève deux enfants), sans que l’on entende les conservateurs chrétiens s’en plaindre. Les électeurs de Trump non plus d’ailleurs. Le vice-président est marié par ailleurs avec une Indienne. Les Démocrates n’ont donc plus le monopole de la diversité. A l’heure actuelle, la seule minorité qui semble faire figure de paria chez les « trumpistes », ce sont les Noirs. La gauche n’a pas vu que les conservateurs ont réussi à s’approprier d’une certaine manière la diversité pour la retourner contre leurs adversaires.

Sur la réforme de l’État fédéral et la commission pour « l’efficacité gouvernementale » (DOGE), certain-es ont dénoncé des opérations de corruption mais elles et ils ont échoué à le prouver. Reste que la réforme risque de coûter plus cher que de tout laisser en l’état…

Quant à la fin de l’aide au développement US : ce serait 20 000 morts à court terme.
Lutte contre l’immigration : le gouvernement Trump a tenté de faire de véritables razzias dès les premiers jours de l’investiture. Mais les autorités ont rencontré des problèmes logistiques : places dans les prisons et les centres de rétention insuffisantes, et tarissement du flux des arrivées à la frontière. C’est la raison pour laquelle les expulsions ont été très faibles. La Cour suprême s’est en outre opposée à cette politique d’expulsions sans procédures justes. Comme Trump refuse les verdicts de la Cour suprême dans certains cas, on peut parler de véritable crise constitutionnelle.

L’opinion publique est pourtant du côté de Trump et soutient sa politique anti-immigrés. Certains électeurs républicains, respectueux de la Constitution, ont d’ailleurs interpellé les élus à ce sujet.

Un dernier point sur les formes de résistance politique et sociale

Cette résistance est faible. Il y a les tribunaux qui réagissent de plus en plus. Il en va de la raison d’être des juges : que deviennent-ils si le droit n’est plus respecté ? Or la Cour suprême ne peut pas les désavouer. La population fait confiance aux juges. Mais une juge a été arrêtée par le FBI car elle refusait l’intervention de la police des frontières sur une affaire concernant un étranger et doit passer en procès. Elle a déclaré qu’elle devait assurer la sécurité des justiciables dans l’enceinte de son tribunal.
Il y a eu des petits rassemblements contre Trump et sa politique, mais la majorité des contestataires fait confiance aux Démocrates.

Les Démocrates vont sûrement gagner les prochaines élections. Une partie du capitalisme US — la grande distribution par exemple — ne peut pas supporter des droits de douane élevés. Par ailleurs, les Républicains sont divisés sur la politique à mener. Les MAGA veulent maintenir une protection sociale, les autres Républicains non.

Discussion

  • Les décrets (executive orders) : ils ont une validité limitée. Si les Démocrates acquièrent la majorité aux élections de mi-mandat de novembre 2026, ils peuvent essayer d’invalider les décrets, qui ont pourtant force de loi. Au bout de quelques années, les décrets de Trump risquent de modifier profondément le cadre politique américain. Il faut voir qu’il y a un précédent ici : si d’autres présidents en ont fait, Trump est le premier à en abuser.
  • Sur la logique derrière tout cela : c’est la perte d’hégémonie des USA face à la Chine qui peut expliquer les revirements actuels aux Etats-Unis. D’où la remise en cause du capitalisme libéral pour aller vers des politiques autoritaires qui garantissent cette hégémonie.
  • Larry : Il y a sans doute un peu de ça. D’ailleurs, Biden avait commencé à mener une politique plus nationaliste. La montée de la Chine y est sans doute pour quelque chose. J’ai toutefois voulu mettre l’accent dans mon texte sur la perte d’identité politique et de repères aux USA. Les explications purement économiques sont insuffisantes pour comprendre ce qui se joue. Il y a encore des Américains qui ont énormément de richesses sans que cela ait une quelconque utilité économique. Il pourrait y avoir une redistribution sans que cela impacte gravement le capitalisme US. Il y a aussi des rapports de force dans la société qu’il faut interroger. Par exemple, le prix exorbitant des médicaments. A côté de ce qu’ont vécu les régions dévastées aux USA, la désindustrialisation de certaines régions en Europe, ce n’est rien. Si on a pu nourrir les gens pour pas grand-chose aux USA, c’est grâce aux importations bon marché en provenance de Chine. C’est l’une des contradictions de la politique actuelle.
  • Comment expliquer les transformations sociales et les conséquences politiques ? Problème de rapacité ou de valorisation du capital ? Comment expliquer le ralliement d’une partie des capitalistes à Trump ?
  • Larry : L’impuissance de la gauche face à Trump doit nous faire réfléchir (diversité, wokisme…). Dans deux ans, on ne parlera plus des droits de douane mais du wokisme qui mobilise une partie de l’électorat de Trump. Or, les sportifs transgenres, ça ne représente que dix athlètes…
    Pour les Américains, tant que l’inflation est contenue, tout va bien. Walmart a déclaré qu’il n’y aurait plus d’articles en rayon à Noël si la politique tarifaire était maintenue. Et effectivement, les conteneurs chinois n’arrivaient plus en Californie suite aux annonces d’augmentation des droits de douane. C’est à ce moment que Trump a annoncé un moratoire de quelques mois sur les droits de douane …
    Mais ce sont peut-être les marchés financiers et le principe de réalité qui auront raison de Trump. Car derrière les capitaux, il y a des usines.
  • Il ne faut pas sous-estimer Trump. Et d’ailleurs, comme Larry le dit dans son texte, il n’est pas seul. Il y a des erreurs mais elles sont rectifiées. Le but reste. C’est là où la rupture est profonde. Sous Biden, les déficits étaient plus importants que sous Roosevelt. Sur l’inflation, Trump corrige les choses…
  • Larry : Trump a de plus des capacités de rebond. Après l’assaut du Capitol, tout le monde pensait qu’il était fini. Il a remonté la pente en partie grâce à ses réseaux dans les pays du Golfe…
    Le soutien à Israël est en train de s’effriter avec Trump. C’est ainsi qu’il a fait libérer un prisonnier palestinien. Il essaie de reconstituer des réseaux et d’obtenir d’autres points d’appui. D’où ses bonnes relations avec les monarchies du Golfe avec lesquelles il compte développer des partenariats économiques.
    On supposait au départ que, Trump est tellement âpre aux gains qu’il a réclamé aux Ukrainiens leurs terres rares. En réalité, c’est Zelenski qui, en cherchant à faire comprendre à Trump que Poutine le menait en bateau, lui a proposé l’accès aux terres rares… Mais l’accord est favorable aux Ukrainiens, car ils conservent juridiquement la propriété du sous-sol. Trump pourrait bien utiliser Zelenski pour négocier avec les Russes.

Au-delà des luttes juridiques, y a-t-il une partie de la gauche de la gauche qui réfléchit à une renaissance critique ? Un mouvement de contestation anticapitaliste ?

  • Larry : Très peu pour l’instant. En l’absence de proposition de révolution sociale, le discours sur une révolution politique comme le défend Bernie Sanders n’a pas de sens…
  • Si la contestation est surtout juridique, c’est parce que la base sociale des Démocrates est réduite. Est-ce que les oppositions à Trump sur le plan de l’analyse se dirigent vers autre chose que le soutien aux démocrates ?
  • Nancy Fraser, constatant l’impuissance de la gauche américaine, soulève la question et en appelle à un front anticapitaliste. Le capitalisme n’est pas un bloc. Trump essaie des choses et recule quand ça ne marche pas, navigue à vue. Nous sommes dans une nouvelle phase où on ne peut plus appliquer les vieilles recettes. C’est une période un peu nouvelle, où il faut essayer d’autres méthodes. Si les classes dirigeantes américaines s’éloignent du « libre-échange » et du libéralisme politique pour des politiques plus brutales, c’est pour mieux défendre leurs intérêts, pensent-elles.
  • Il y a quand même des tensions dans le « camp trumpiste », entre Musk qui voudrait pouvoir embaucher des Indiens et Bannon qui lui oppose un « America first ». Trump doit conserver sa base sociale tout en favorisant le business. Ce bloc aux intérêts contradictoires peut-il tenir à long terme ?
  • Larry : Si en face ils se trouvent un ennemi commun, ils continueront. Sinon ils s’entretueront.
    Les Américains ne se reconnaissaient pas dans Biden, ils se retrouvent davantage dans Trump ; c’est une rupture culturelle et politique majeure qui ne s’explique pas par une analyse en termes économiques seulement. Par exemple, sous Biden il s’est construit beaucoup d’usines. Or, cela n’a pas résolu les Américains, y compris les classes populaires, à voter en nombre pour les Démocrates.
    Enfin, un point lourd de conséquence doit nous interpeller. Si le pays qui a servi de modèle au (néo)libéralisme abandonne une grande partie de l’Etat de droit, ça ne peut qu’avoir des répercussions dans le reste du monde.

Vient de paraître : Temps critiques #22

Automne 2023

Les déchirements du capitalisme du sommet

Sommaire :

L’activité critique et ses supports – Temps critiques

Géopolitique du capital – Jacques Wajnsztejn

Travail et temps hors-travail, un couple en évolution – Gzavier & Julien

Victimes, complices ou acteurs de premier plan ? Le rôle des États dans le tournant dit néolibéral – Larry Cohen

Bifurcation dans la civilisation du capital II – Mohand

Races et révolution du capital : l’exemple américain – Larry Cohen & Jacques Wajnsztejn

Actualité de l’histoire niée – Jacques Wajnsztejn


Commandes :

Le numéro : 10 euros (port compris)
Règlement par chèque à l’ordre de :
Jacques Wajnsztejn / 11, rue Chavanne / 69001 Lyon

Abonnement pour 2 numéros (dont abonnement à la liste de diffusion du blog pour Suppléments et Hors-séries) : 15 € (port compris), soutien : à partir de 35 €


Présentation du numéro

– Certains ont tendance à voir dans toutes les luttes initiées en France depuis celle contre le projet de loi-travail, une même « séquence » qui deviendrait cumulative par la transmission d’une mémoire de lutte rendue possible par la fréquence des moments internes de la « séquence ». Ce n’est pas notre position. Nous ne pensons pas qu’une constante de l’agitation puisse signifier un approfondissement de l’insubordination sociale à partir du moment où chaque mouvement, quand il vient à buter sur ses propres limites ne peut constituer un marchepied pour la lutte suivante et ce, quel que soit le niveau de lutte et de satisfaction que nous ayons pu y connaître. Nous l’avons expérimenté récemment, par exemple, quand nous avons décidé d’abandonner notre activité au sein des Gilets jaunes, une expérience devenue progressivement sans perspective ni objet autre que de se raccrocher à de nouvelles manifestations et actions quelles qu’en soient la provenance et les objectifs (antivax, antifa, anticapitaliste). Cela ne veut pas dire que l’expérience de lutte ne sert à rien, mais elle n’est pas une garantie de saisie de ce qui apparaît de nouveau.

– Il ne s’agit pas d’abandonner la dialectique au profit soit d’une pensée non dialectique, car affirmative immédiatement d’un sens insurrectionniste plus ou moins latent : le « temps des émeutes » comme stratégie politique, les pratiques du Black Bloc comme tactique ; soit d’une autonomisation de la théorie (la théorie comme enchaînement de concepts qui s’affineraient au cours du temps) parallèle à une autonomisation du capital par rapport au devenir de l’espèce.

Le rapport entre critique et pratique est certes celui de la discontinuité, mais dans l’interaction. Il n’y a donc pas d’unité a priori de cette critique, d’où le fait que certains relais de cette critique (revues, réseaux) ne cherchent pas l’unité à tout prix, mais composent avec des réflexions composites sans se soumettre au cadre imparti par un « programme communiste » qui n’existe pas et défendu par un Parti qui n’existe plus, même sous sa forme « imaginaire ».

– La guerre russe, un événement éminemment politique, contredit ce que le processus de globalisation et la division internationale qui y était liée ont produit depuis quarante ans, à l’abri des États pourrait-on dire, même si la « révolution du capital » ne s’est pas faite contre eux.

Les effets de cette guerre conjugués à la crise sanitaire qui a précédé accélèrent de fait la mise en place de ce que les divers centres décisionnels, publics ou privés, appellent la transition écologique et énergétique. En effet, la globalisation et la mondialisation des échanges, qui ont remplacé les formes impérialistes et colonialistes du capital, nécessitent une paix globale, paix armée il est vrai, malgré la décroissance des dépenses militaires jusqu’à la récente guerre et la limitation de certaines armes, mais paix quand même et un effacement relatif de la puissance des États dans leur forme nation. Le retour des tendances souverainistes peut être considéré, à ce propos comme un premier « déchirement » du capital global.

Si le G20 et autres organismes internationaux et leurs cohortes d’experts économiques pensaient imposer une taxe carbone pour « respecter » le climat et la planète, l’événement que constitue la guerre russe bouleverse le bon ordonnancement des choses capitalistes. En effet, les grandes entreprises privées ne sont pas sur les mêmes objectifs et surtout la même temporalité que les États, ne serait-ce que parce qu’elles prospèrent sur la base de coûts cachés (émissions de carbone, exploitation de différentiels sociaux avantageux, dumping fiscal), qui ne sont pas pris en compte dans la régulation globale. Il s’ensuit qu’il ne peut y avoir de « plan du capital » univoque au niveau de l’hypercapitalisme (niveau I de la domination capitaliste). C’est un second déchirement.

Toutes ces difficultés rendent problématique l’arbitrage interne sur la richesse et la redistribution au sein de chaque État (niveau II), entre fin du monde et fin du mois, avec, en mémoire le mouvement des Gilets jaunes en France. C’est un troisième déchirement.

– Dans la société du capital tout tend à être englobé et capitalisé, du travail au temps libre et du temps libre au travail, dans un seul continuum. C’est désormais la distinction travail-hors travail qui est ténue. Travail contraint et marges de gestion ludiques peuvent jouer aussi bien dans le même sens que dans un sens contraire, comme on a pu le voir récemment pendant la crise sanitaire avec le développement du télétravail et son double aspect de liberté plus grande et de contrôle accru. Avec le degré d’avancement du processus d’individualisation dans sa forme post-moderne et ses tendances à « l’égogestion », c’est la sphère privée au sens où on l’entendait au sein de la Modernité, c’est-à-dire comme une sphère de préservation, de défense, de mise à l’abri, qui disparaît ; elle est dorénavant incluse dans la capitalisation de toutes les activités avec l’accord implicite ou explicite de tous les individus qu’ils pratiquent Facebook et le selfy ou revendiquent que « le privé est politique ».

Le capital est bien toujours un rapport social de domination que nous reproduisons chacun à notre niveau et non pas un « système » extérieur qui nous dominerait.