Les assauts prolétariens contre le capital : mythe ou réalité ?

Nous publions ci-dessous un échange récent entre Henri D. et Jacques Wajnsztejn. Autant par les thèmes abordés que par les exemples historiques cités, leurs propos sont emblématiques de la manière dont l’ancienne « question sociale » est aujourd’hui réactivée par les luttes actuelles et notamment par celle des Gilets jaunes.
Lire la suite →

Pourquoi l’esprit critique est-il si peu répandu à gauche et dans les milieux libertaires ?

Soumis pour avis à plusieurs camarades, un texte initial s’est ensuite transformé en un débat suite aux nombreuses réflexions et critiques reçues par mail. Chacun a relu sa contribution et celle des autres et un peu réécrit ses courriels. Nous avons donc tous un peu débordé par rapport au thème originel dont l’objectif était de mieux cerner les particularités et difficultés de la situation actuelle, notamment par rapport aux années 60, pour ce qui concerne à la fois l’esprit critique « à gauche » et dans les milieux « radicaux » et les capacités de débattre entre militants….

Lire la suite →

L’Ouroboros-À teste d’Or

Il vient de sortir le premier numéro d’une revue de poésie, philosophie art plastique, critique littéraire et cinématographique… d’un véritable « luxe communal », en belle couleur jaune « Gilet Jaune » -en toute conscience de cause commune. Une invitation audacieuse au contact sensuel avec l’écrit et l’expression plastique, à contre-courant du virtuel régnant. Les éditeurs ouvrent les pages de leur « ardente revue » à la présentation de travaux « sans exercer la moindre censure idéologique ». Ils comptent avec un même « élan créateur » de tous les participants à cette aventure, que « nous voulons, pour notre part –la part du feu-, résistant voire révolutionnaire. Ainsi soufflons-nous résolument sur les braises, pour faire croître un feu créateur et purificateur…». L’équipe de la rédaction, localisée à Lyon, et les contributions au premier numéro sont largement inspirées par l’héritage de Max Schoendorff (1934-2012), peintre et créateur en 1978 du Centre international de l’estampe URDLA, et son bulletin trimestriel « …ça presse ». Il était avec Jacques Wajnsztejn, Gzavier, moi et quelques autres complices lyonnais(es) à la base de l’éphémère initiative « Journées critiques » il y a une dizaine d’années (2010-2012). Cette nouvelle revue donne l’occasion de finir l’année en beauté et ouvre des horizons enflammés pour le nouvel an.

Dietrich Hoss

Revue bi-annuelle « L’Ouroboros-À teste d’Or » N°1, sous parrainage de Jean-Claude Silbermann avec quelque trente de ses encres de Chine « héroïques », créées en 2019 sous le nom d’Une voie limpide qui, nous espérons, s’ouvre à nous… ; coédition Association de la revue L’Ouroboros/Edition A plus d’un titre, avec le soutien de la Fondation Jan Michalski, 4ième trimestre 2020, 222 p., 111 illustrations en blanc-noir et couleurs.

Prix du numéro 25.-Euros (frais de port inclus), abonnement (deux numéros) 50.- Euros, (abonnement de soutien à partir de 70.- Euros), règlement par chèque à l’ordre de « Revue L’Ouroboros » en ajoutant vos coordonnés, adresse postale: 320 rue Duguesclin, 69007 Lyon, mail : ouroboros.dard@gmail.com

Pour le moment la revue est seulement disponible en librairies à Lyon.

Cryptomonnaies et stratégies de puissance

L’actuel développement rapide des crypto monnaies engendre dans certains courants dits anticapitalistes ou encore libertaires, notamment canadiens, des espoirs « révolutionnaires » de détournements des puissants supports numériques (les blockchains) mis en œuvre pour créer des crypto monnaies vers « des réseaux d’entraide et d’échanges sociaux » ; une autogestion virtuelle en quelque sorte !
Dès 2004 dans L’évanescence de la valeur nous avons explicité le processus de domination de la valeur par le capital, puis, en 2008, dans Crise financière et capital fictif nous montrons qu’il n’y a pas de déconnexion entre économie réelle et économie financière, mais unité des deux dans l’équivalence de tous les capitaux. La virtualisation des monnaies qui se généralise aujourd’hui est une étape de plus dans ces processus de capitalisation de toutes les activités humaines.

Dans ce contexte, sous publions ci-dessous deux articles :

  • l’un de Jacques Guigou qui critique l’article d’une signataire de la « Déclaration d’indépendance monétaire » ;
  • l’autre de Jacques Wajnsztejn, qui, à partir d’une analyse des opérations actuelles de fusion/acquisition montre que ce qui compte plus que jamais pour le capital c’est d’abord le contrôle stratégique global davantage que la stricte recherche du profit.

Lire la suite →

L’informalité de l’informel : la rupture sociale de la pandémie au Brésil (traduction)

Il est relativement rare de lire des textes critiques qui ne reprennent pas les mêmes affirmations théorico-historiques qui passent à la moulinette de leur propre corpus théorique les faits et évènements quitte à les tordre dans tous les sens. Ici Maurilio Lima Botelho ne se livre à aucune incantation sur l’unité de classe à trouver ou à retrouver. Il part de la situation brésilienne réelle de fractionnement de ce qu’on appelait auparavant le prolétariat. Non pas un fractionnement politique ou organisationnel, mais en premier lieu structurel puisque c’est la centralité du travail qui entre en crise et pose directement la question de la reproduction des rapports sociaux et non plus seulement celle de leur gestion plus ou moins démocratique (le projet Lula en quelque sorte). Sans l’exprimer explicitement ce texte permet aussi de comprendre comment un personnage comme Bolsonaro a pu profiter des faiblesses de l’analyse des forces de gauche.
Lire la suite →

Quand des anthropologues anarchistes veulent « civiliser » l’État

« Les déchirements du capitalisme du sommet » que nous analysons dans le n° 22 de Temps critiques (automne 2022) accentuent encore davantage les tensions entre les tendances démocratistes et les tendances souverainistes des États.
De sorte que les incertitudes géopolitiques se creusant et les guerres à dimension mondiale se multipliant, ce sont non seulement les fondements mêmes de la souveraineté de l’État et de son efficience qui sont questionnés et qui réapparaissent sur la scène politique, mais le devenir même de l’État qui serait en jeu.
Sous le titre, « Dépasser l’État », un récent article du journal Le Monde présente les thèses des anthropologues anarchistes sur la question de l’État. On lira ci-dessous le commentaire proposé par Jacques Guigou.


Notes sur « Dépasser l’État » (Le Monde, 25 nov. 23)

Le titre de cet article sur un possible « dépassement de l’État » se veut attractif pour des lecteurs du journal Le Monde qui partagent volontiers l’idéologie du dépassement, un des mots d’ordre de « la révolution » impulsée par « la transition vers le nouveau monde ». Une attraction vite décevante à la lecture du texte, puisque puisqu’il se conclut par « l’impossibilité de son abolition » et que, de plus, l’État « est devenu un horizon intellectuel indépassable » (Descola).

En réalité, l’auteur présente les travaux des quelques anthropologues américains qui depuis environ deux décennies sont des continuateurs des thèses de Pierre Clastres sur « La société contre l’État » et aussi celles d’autres auteurs sur les origines de la « souveraineté étatique ».


En 1974, à la publication du livre de Clastres, nous avions indiqué la méprise qu’entretiennent les travaux de cet anthropologue : aucune société ne s’oppose à l’État ; elle se combine avec lui. Seules peuvent s’opposer à lui, les formes de groupement humain de type communautaire qui sont d’une part bien antérieures aux sociétés et d’autre part, dans la période historique, sont extérieures, éloignées ou étrangères aux sociétés, toutes plus ou moins étatisées.


David Graeber et Marshall Salins sont les deux figures les plus connues de ces courants. Graeber, auteur de nombreux essais dont un sur la dette, a été un des leaders du mouvement Occupy Wall Street. En France Philippe Descola, un des diffuseurs de cette anthropologie politique et historique, défend les expériences libertaires des ZAD mais aussi celles du Rojava (Kurdistan) et du Chiapas. Autant de modes de vie collectifs qui dit-il, agissent « dans les interstices » qu’ils occuperaient contre (ou malgré) le pouvoir territorialisant de l’État.


Sur les premières formes d’État, ces anthropologues ne sont pas très convaincants. Ils passent sous silence la longue période pendant laquelle les groupes humains du paléolithique vivaient en communauté, ce qui ne signifie pas que celles-ci étaient exemptes de formes de pouvoir liées au sexe, à l’âge, à la parole, etc. Le passage se fait lentement avec l’émergence des « grands hommes » (Lugan) puis des chefferies, puis des royautés.


La communauté-société n’est pas séparée de l’État et de son organisation. Dans mon article de 2012 sur « L’État réseau et la genèse de l’État » je vois des analogies entre ces communautés-sociétés et l’État sous sa forme réseau d’aujourd’hui. Jacques Camatte les nomme « l’État sous sa première forme ». Une hiérarchisation sociale s’affirme ; une entité supérieure (roi divin, pharaon, prêtres, économie palatale) exerce un pouvoir participatif ;la société n’est pas séparée de l’État. Ce n’est qu’avec la seconde forme de l’État qu’intervient la séparation entre l’État et la société. Dans les empires mésopotamiens et assyriens, les royaumes mèdes, les cités-États grecques l’État s’autonomise de la société et de ses divisions, il se constitue comme unité supérieure qui assure un ordre militaire, religieux, politique et économique. Cette émergence lente et discontinue de l’État dans les sociétés historiques ne semble pas être un sujet d’intérêt pour les anthropologues anarchistes. L’État semble avoir été identique à lui-même depuis la nuit des temps


La dimension communauté humaine est absente de cette anthropologie anarchiste. C’est une de ses principales faiblesses et cela oblitère nombre d’écrits de ses auteurs.

James Scott, un autre essayiste de ce courant, dans Homo domestique. Une histoire profonde des premiers États (2019) cherche à montrer que l’État a une place modeste dans l’histoire humaine. Il critique les philosophes classiques de l’État (Bodin, Hobbes, Locke, Rousseau) pour qui l’État est un principe universel et en quelque sorte, adéquat à la nature humaine.

Mais il conduit sa critique sur la seule base de l’histoire d’une population d’une région montagneuse du Sud-Est asiatique : Zomia qui durant des siècles se serait passée d’un État et même de gouvernement. L’exemple est intéressant, mais pas concluant. L’absence d’un État central, n’est pas la preuve d’une société exempte de formes étatiques. À Zomia comme ailleurs, des pouvoirs locaux, des chefferies, des clans, des confréries ont pu conduire à la création d’États. Par exemple dans la civilisation berbère, s’est opéré un lent et discontinu passage de formes communautaires à des formes de sociétés plus ou moins étatisées : des confédérations de tribus rassemblées dans une dynastie royale. Scott avance ailleurs que l’effondrement des empires signifiait pour la majorité de leurs habitants « la destruction d’un ordre social oppressif ». Or, tous les empires, à toutes leurs époques, n’ont pas été essentiellement oppressifs. La forme impériale de l’État n’a pas été et de loin, la seule forme prise par les États au cours de l’histoire. Les fédérations de nations, par exemple, sont parvenues à des régulations de rapports sociaux qui n’étaient pas essentiellement « oppressifs ». Ainsi en fut-il des États du Languedoc aussi bien dans l’époque médiévale que moderne.


Là encore, le credo anarchiste selon lequel l’État n’est que répressif induit des méprises. Que l’État puisse être en quelque sorte cogéré par les individus, les groupes, les réseaux, sont des dimensions politiques absentes chez les anthropologues anarchistes. Comme chez Clastres, la société ne peut qu’être « contre l’État ».

La contre-dépendance des anarchistes vis-à-vis de l’État que nous avons soulignées à maintes reprises se vérifie ici sans surprise. En définitive, pour ces anthropologues anarchistes (comme pour des philosophes d’ailleurs, par exemple les livres de Jean-Claude Michéa sur le libéralisme comme origine et cause du capitalisme), la forme étatique qui est en filigrane de leur vision, c’est un État social-libertaire. Soit une forme proche de celle de l’actuel État réseau.


Dans mon article « L’État sous la forme nation et sous la forme réseau », Temps critiques, n° 20, automne 2020, j’ai précisé ces deux notions et explicité leur effectivité actuelle.


Sur l’État moderne, ces auteurs semblent découvrir que l’État opère par « une chaîne d’abstractions » ; que « l’abstraction est le premier vecteur de la domination de l’État ». Hegel connaît pas ? L’État comme retour en soi de l’Esprit dans le monde et comme accomplissement de la raison dans l’histoire, voilà une « chaîne d’abstractions » qui ne date pas d’hier, mais que nos anthropologues anarchistes semblent négliger. Ce qui n’est pas étonnant quand on sait le sort qui est fait à la dialectique aujourd’hui dans les milieux « éveillés ».


Plus près de nous, il y a près de 50 ans, Henri Lefebvre définissait l’État comme « une forme de formes » et il l’analysait de manière bien plus probante, malgré l’impasse dans laquelle il s’est fourvoyé avec son concept de « mode de production étatique ». Au moins, Lefebvre tenait-il compte de l’analyse du « dépérissement de l’État » chez Marx. Eux veulent le « civiliser » dans une société socialo-libertaire avec un État dont la forme réseau semble la plus appropriée.


Comme la forme communauté et la notion de communauté-société sont absentes pour com-prendre la genèse de l’État, la forme État- royal est également absente de leur histoire médiévale et moderne de l’État.

De sorte qu’ils en viennent à faire de la « révolution papale » l’origine de la souveraineté de l’État. « L’Église-État » et son administration serait le modèle à partir duquel se serait affirmé l’État et sa légitimité politique et philosophique.


Comme si les tensions, les contradictions et bien sûr aussi les alliances entre l’Église et l’État royal n’avaient pas influencé le devenu de l’État sous sa forme nation. La Révolution française est emblématique de ces oppositions : elle s’est faite contre l’Église et ses fidèles, en discontinuité violente avec celle-ci ; mais elle fut davantage en continuité de fait avec l’État royal même si politiquement, elle a pris sa place. La continuité entre la monarchie absolue française sous Louis XIV et le jacobinisme révolutionnaire a pu être soulignée par des historiens qui n’étaient pas tous des « contre-révolutionnaires ».
Transparaît encore ici le présupposé anarchiste de ces anthropologues ; un présupposé qu’ils ne questionnent pas lorsqu’ils se font historiens. Comme, par exemple, dans l’affirmation sui-vante de David Graeber, « Le néo-libéralisme nous a fait entrer dans l’ère de la bureaucratie totale » (site Les crises, 8 nov.2015). Désirant combattre l’État et le marché, Graeber en vient à assimiler les politiques néolibérales de dérégulation avec un accroissement de la bureaucratisation aussi bien dans l’administration d’État que dans les firmes privées. Il ne semble pas percevoir que les réseaux, le management individualisé et les processus de particularisation ont profondément transformé les organisations bureaucratiques de la période industrielle du capitalisme. Après l’échec des mouvements contestataires, antiautoritaires et d’insubordinations dans les années 65-75, l’État et la société ont été puissamment débureaucratisés. C’est un processus inverse à celui de la « bureaucratisation du monde1 » critiqué par Bruno Rizzi à la fin des années 30. Mais pour que l’antiétatisme anarchiste garde une portée politique crédible, il faut que l’ennemi soit encore et toujours « le plus froid des monstres froids » (Nietzsche).


Pour les anthropologues anarchistes, la globalisation est à la fois nationale et libérale. Elle combine universalisation de l’État-nation, identitarisme national ou communautaire et puis-sance économique technique et culturelle. La synthèse de cette dynamique néo-libérale de l’État trouverait aujourd’hui ses porte-drapeaux avec Trump, Erdogan et Modi (auxquels ils vont ajouter le nouveau président argentin Milei). Partisans d’une version social-libertaire de l’État, on ne trouvera pas dans les écrits de ces anthropologues une analyse sur les raisons politiques et économiques qui font que de tels chefs d’État à tendance autoritaire réalisent la synthèse entre la forme nation et la forme réseau de l’État alors que des démocrates « pur jus » n’y parviennent pas.


Hégémonie du néolibéralisme, tel est leur dernier mot sur le mouvement du capital. Xi Jinping, Biden, l’UE, Lula, Maduro et quelques autres, monteraient-ils la voie pour sortir de « l’hégémonie du néolibéralisme ? »


Autant de questions qui ne semblent pas troubler ces anarchistes qui dissertent sur l’histoire de l’État… sans parler du capital et des divers rapports que l’État entretien avec lui.
Fredy Perlman avec son Against His-Story, Against Leviathan (1983) et malgré son anarcho-primitivisme, avait tout de même un autre souffle politique et anthropologique.


JG
12 déc. 2023

  1. Bruno Rizzi, La bureaucratisation du monde, Première édition1939, seconde édition Champ Libre, 1976. []

Critique du « dépassement » – Partie I – Puissance du capital et captation

L’échange que nous présentons ci-dessous s’est initié en février dernier à partir d’une proposition d’éditorial de Jacques Wajnsztejn pour le n° 17 de la revue : « Sur la politique du capital ».

L’échange s’est poursuivi en septembre au sujet de la dialectique hégéliano-marxiste, du concept de dépassement et de l’explicitation de la notion d’englobement.

L’objet de la discussion s’est ensuite élargi à des questions touchant à l’imaginaire (imaginaire social et signification) et à l’imagination, à la temporalité et à la vision continuiste ou discontinuiste de l’histoire.

Vu l’ampleur des questions abordées et la longueur des messages, cet échange sera présenté en plusieurs parties. Il fait suite à un précédent débat : « Quelques réflexions et références sur la rationalité » publié sur ce blog en mars dernier et que l’on pourra trouver à l’adresse suivante : http://blog.tempscritiques.net/archives/782. Lire la suite →

Correspondance suite à un texte sur l’antisémitisme de gauche

Courriel du 26 juillet 2014 :

Bonjour,

Je vous informe du texte d’Yves Coleman sur l’antisémitisme de gauche, écrit il y a trois mois et disponible sur mondialisme.org/spip.php?article2055 mais qui me semble particulièrement d’actualité depuis les dernières manifestations. Il est donc indispensable de lire ce texte avant de se plonger dans la correspondance qui suit. Cette correspondance concerne actuellement plusieurs personnes : Y.Coleman, Yolande, J.Guigou, Okapy et J.Wajnsztejn.

Bien à vous,
J.Wajnsztejn Lire la suite →