Relevé de notes en temps de crise sanitaire (V)

– Le 5 mai, la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe s’est opposée, à la politique de rachat des dettes des pays de l’UE par la BCE en alignant sa position sur celle, traditionnelle, de la Bundesbank, pourtant ébranlée par le soutien de son président à la BCE. Le souci ici n’est pas celui d’une lutte contre l’inflation qui n’a pas lieu d’être actuellement, mais une critique indirecte des bas taux d’intérêt occasionnée par les pratiques d’argent facile (quantitative easing) de la BCE qui nui-raient particulièrement au plus gros pays épargnant d’Europe qu’est l’Allemagne. Une prise de position étonnante quand on sait que cette Cour garante de l’État de Droit (Rechtstaat) en Allemagne est censée trancher sur la base de grands principes politiques ou philosophiques et moraux allant de l’interdiction du Parti communiste allemand en 1956 jusqu’à celle du suicide assisté en 20171.

L’Allemagne, de par sa puissance, peut à la suite être la nation qui a le plus poussé pour l’indépendance de la banque centrale européenne, et être celle maintenant qui limite son pouvoir. La Hongrie et la Pologne sont évidemment à l’affut de l’évolution de la situation puisque la position de Karlsruhe renforce la position souverainiste de leurs gouvernements respectifs. Mais dès le lendemain la Cour de Justice de l’UE (CJUE) a fait savoir qu’elle ferait respecter les règles de subsidiarité et la présidente de la Commission européenne envisagerait une procédure de sanction.

La BCE va se retrouver devant un choix : maintenir le caractère d’exceptionnalité de la situation actuelle avec mise sous perfusion de la dette italienne par exemple, sans modifier la réglementation complexe de Maastricht ou pousser plus avant son pouvoir propre avec la mutualisation de la dette2. La BCE de gauche ? La bonne finance chassant la mauvaise ? L’économie à nouveau politique ? À condition dit Cohn-Bendit (Libération du 23 mai) que la BCE change son orientation et que le but ne soit pas la stabilité des prix, mais la croissance, ce qui est par exemple le choix de la FED. La divergence entre la FED américaine (malgré la position contraire de Trump) et la BCE se situe aussi au niveau des taux directeurs3 négatifs de la banque centrale que les européens ont adoptés et que refusent les américains. Pour Kenneth Rogoff, ex-économiste en chef du FMI, c’est pourtant ce retour à une poli-tique monétaire active complétant une politique budgétaire elle-même active (position « non conventionnelle » par rapport à la traditionnelle policy mix qui fait fonctionner ces deux politiques en sens inverse l’une de l’autre) qui pourrait permettre une reprise à un niveau mondial4 et qui présenterait aussi l’avantage de ne pas être trop défavorable aux pays les plus pauvres (tribune Les Echos du 14 mai).

– D’une manière générale les banques rassemblent d’énormes provisions pour parer à toute éventualité et principalement les banques américaines qui sont finale-ment sorties beaucoup plus solides de la crise de 2008 qu’elles n’y étaient entrées (Les Echos, 14 mai/20). Leur grosse assise est un atout. Mais les banques européennes provisionnent aussi (1,5 milliard de plus, Les Echos du 12 mai) et font bonne figure exceptée la Société Générale touchée par ses activités-actions et en difficulté potentielle au niveau de ses investissements sur le gaz de schiste américain qui contreviennent aux accords de Paris sur le climat (2015).

– Une cinquantaine de banques et assurances ont répondu à l’appel, mi-avril d’un plan de relance verte à l’initiative de l’écologiste Pascal Canfin appuyé par le prix Nobel d’économie américain Joseph Stiglitz. Néanmoins, une transition écologique n’est pas évidente quand elle nécessite l’utilisation de « terres rares » qui ne se si-tuent pas en Europe et ont déjà été largement explorées et exploitées/captées par la Chine.

– On assiste à une nette baisse du prix des fusions-acquisitions, ce qui risque de favoriser en retour une plus forte concentration du capital dont nous avons parlé dans nos précédents bulletins qui, a priori, ne va pas dans le sens d’une relance, verte ou pas. Effet induit : une nouvelle baisse de la part des salaires dans la pro-duction de la richesse nationale, puisque dans ces enterprises au fort profit, les salaires ne représentent qu’une part marginale de la valeur ajoutée.

– Pendant ce temps le personnel hospitalier attend toujours le décret permettant le versement de la prime promise et pour les heures supplémentaires, pour l’instant ne seront payées que celles qui se situent en supplément des jours de récupération à prendre automatiquement, car les notes de service précisent bien que le personnel a besoin de repos (Les Echos, 14 mai) ; pendant ce temps Véran dénonce la rigidité dommageable (« le mauvais deal ») des 35 h dans les hôpitaux publics ! (Libération, 16 mai). Le plan sur 4 ans d’investissement massif en matière de santé an-noncé des derniers jours par Macron et par le gouvernement s’élèverait à plusieurs centaines de milliards comprenant revalorisation substantielle des salaires des soignants, équipements de haute technologie, promotion des médecins de ville et de campagnes dans le service public de santé, etc. Promesses électorales ou stratégie économique souverainiste ?

INTERLUDE

– D’après le journal Le Monde du 5 mai, il est aujourd’hui possible, pour les Italiens, dans le cadre d’une politique de déconfinement à petits pas, de visiter ses parents (et uniquement ses parents)… jusqu’au 6e degré de parenté.

– Elon Musk, le PDG de Tesla vient de traiter les mesures prises par les pouvoirs publics de Californie de fascistes parce que son entreprise n’avait pas été considérée comme suffisamment essentielle pour pouvoir échapper au confinement et à l’arrêt de la production. À sa menace de délocaliser et quitter la Californie pour le Nevada ou le Texas, une élue démocrate de Californie lui a répondu qu’il pouvait « aller se faire foutre ». Une réponse qui montre que le politiquement correct n’a pas complètement envahi les États-Unis et surtout que le pouvoir politique, y compris aux États-Unis peut ne pas exactement être aux ordres des patrons.

– De nombreuses manifestations ont eu lieu en Allemagne ces derniers jours au moins dans les grandes villes : Stuttgart la première il y a quinze jours, Munich il y a une semaine et sur des bases politiques différentes des manifestations qu’ont connu les États-Unis. Des groupes de gauche5 comme Querdenken 711 (« Pensez autrement ») et Widerstand 2020 (« Résistance 2020 ») en sont à l’initiative même si des groupes d’extrême droite peuvent s’y mêler). « Bas les masques » ; « Résistez » ; « Tracking vaccins » ; « Ne laissez pas passer Bill Gates » figurent parmi leurs slogans.

– Le Royaume-Uni pourrait faire appel à Apple et Google pour une application de tracking après avoir, comme la France, longtemps refusé. « C’est le reflet d’une profonde évolution : les États entrent dans des logiques de réseaux privés et les plate-formes numériques, dans des logiques souveraines. Cette interaction a pour conséquences de faire voler en éclats la ligne de démarcation public-privé, en particulier en ce qui concerne la protection de la vie privée ». (11 mai 2020, Les Echos propos du Directeur de l’Institut français des relations internationales, recueillis par Virginie Robert). La crise sanitaire accroît en effet les rapports entre les États et les grandes plateformes numériques privées qui font partie du complexe militaro-industriel et maintenant numérique américain. Elles payent certes peu d’impôt, mais investissent beaucoup et participent donc de la politique de puissance… américaine surtout, chinoise aussi comme le montrent à propos de la 5G les rapports entre l’Allemagne et la Chine où on n’en est plus à échanger des données individuelles, mais des données industrielles. Toutefois tout ne leur est encore pas permis puisque Trump vient d’attaquer Amazon qui profiterait gratuitement de l’infrastructure postale américaine. Des élus démocrates et même républicains brandissent la menace d’un démantèlement des Gafam avec l’application de la loi antitrust. Leur rapport à l’État n’est donc pas encore clairement établi. Qui profite le plus de qui ? Le secteur est de toute façon marqué par une instabilité définitoire. En effet, si le coronavirus a profité à la Big Tech, les « licornes » que sont Uber et Airbnb sont en difficulté (5000 emplois supprimés à eux deux d’après Le Monde du 14 mai) et d’une manière générale les sociétés de capital-risque qui soutiennent l’ensemble de la « netéconomie » y regardent à deux fois avant de nouveaux financements du fait même de cette instabilité.

– Dans un entretien au journal Le Monde du 14 mai, le président de Medef s’oppose aux déclarations du gouvernement sur la fin du chômage partiel6 généralisé pour les salariés dont les entreprises sont à l’arrêt ou fonctionnent au ralenti, prévue pour le 1er juin. Il oublie au passage de nous dire que cette mesure ne coute pour l’instant rien au patronat même si le gouvernement en cas de prolongation envi-sage de faire payer les entreprises au niveau de 10 % de la prise en charge totale. Pour le patron du Medef la demande ne remontera que lentement, alors même que la croissance française dépend structurellement plus de la consommation interne que la croissance allemande ; il faudrait éviter une situation à l’américaine laissant faire le marché producteur mécanique de licenciements secs. Pour cela, il est nécessaire de conserver des mesures transitoires comme un chômage partiel7 reconduit pendant l’été accompagné d’un moratoire des mesures de transition énergétique en les compensant par une taxe carbone8 aux frontières de l’Europe : et éventuellement, dans certains secteurs, compenser la perte de productivité due aux mesures de précaution sanitaire par un allongement provisoire de la durée du travail en accord avec le personnel dans le cas d’accords d’entreprise9. Mais contrairement à certains cercles de la pensée libérale comme l’Institut Montaigne qui parlent de la nécessité de revenir sur les 35 h (cf. Romaric Godin, Médiapart du 14 mai) le patron du Medef ne s’illusionne pas sur le niveau de production à venir et la force de travail nécessaire pour l’atteindre10. Le problème est plus actuellement celui d’une surcapacité potentielle qu’une situation de sous capacité. Alors pourquoi ces sirènes libérales ? Pour favoriser un effet d’aubaine !

Le paradoxe est quand même que les patrons semblent peu empressés de redémarrer à plein régime, alors que les économistes commencent à faire courir le bruit que le choc économique particulièrement fort en France s’expliquerait peut être par un chômage partiel trop avantageux pour les salariés et surtout pour les cadres. Après la trop fameuse « préférence française » des salariés pour le chômage y au-rait-il donc une préférence patronale pour le chômage partiel comme l’a longtemps connu l’Italie avec la Cassa integrazione ? Plus sérieusement on peut penser que les deux pôles, salariés et patronat, ont subi les effets pervers en temps de déconfinement de la politique de la peur menée par le gouvernement pour imposer le con-finement11.

– Le gouvernement planche sur une revalorisation statutaire des professions ayant montré leur utilité sociale sur le terrain pendant la crise sanitaire, alors qu’ils sont les oubliés des périodes plus calmes où tout semble marcher tout seul. Dans Les Echos du 15 mai, Muriel Pénicaud, ministre du travail parle de la nécessité de revaloriser certaines professions du secteur privé en apportant à leur statut et conditions de travail une sorte de correctif de « philosophie morale » (« Cela récompensera les métiers les plus méritants ») aux anciennes grilles de qualifications hiérarchiques Parodi (du nom du ministre gaulliste du travail en 1945 et dont le travail sera poursuivi par son successeur le « communiste » Ambroise Croizat courant 1946 et 1947). Celles-ci ont été déterminées en fonction de la théorie de la valeur-travail et du caractère plus ou moins productif stricto sensu de la profession. Mais problème : si le correctif reste dans le cadre de la grille de branche cela revient à pousser tout le monde vers le haut, mais sans correctif dans l’échelle sociale12 ; s’il en sort cela revient à une revalorisation anti-hiérarchique qui n’est dans l’air du temps ni du côté des gouvernements actuels ni du côté des syndicats (la CGT s’en tient à une augmentation généralisée du SMIC… mais s’accompagnant d’une revalorisation branche par branche des autres salaires. Martinez, Libération du 15 mai). En clair maintien de la grille hiérarchique et aucune reconnaissance de l’implication particulière des « invisibles » toujours aussi invisibles donc, surtout pour des professions qui, par exemple pour les caissières des hypermarchés sont menacées en interne par l’automatisation croissante et en ex-terne par le développement de l’e-commerce. Pour le pouvoir, la façon la plus hypocrite pour s’en sortir ce sont les primes globales égales pour tout le personnel ; c’est d’ailleurs le choix qui a été fait pour le personnel hospitalier et ce qui est recommandé au niveau des PME. Autrement, Par ailleurs, du côté des grandes entre-prises on peut lire des choses ahurissantes sur un intéressement des salariés du privé sous forme d’une sorte d’échelle mobile liée au niveau de distribution des dividendes (Patrick Mignola, président du Modem à l’assemblée nationale, Libération du 15 mai) qui non seulement lie le simple salarié de l’entreprise aux résultats, mais nous fait croire que la plupart des salariés du privé travaillent dans des entre-prises cotées en Bourse, alors qu’on sait que l’emploi est ailleurs (TPE et PME)

– Les crédits accordés aux grandes entreprises fleurons de l’industrie nationale comme Renault et Air-France ne semblent pas s’accompagner de garanties quant à l’emploi, or des départs naturels en retraite dans la seconde entreprise ne seront pas compensés et dans la première des fermetures en France et à l’étranger sont envisagées dont éventuellement Flins ! (Le Figaro du 13 mai). C’est le paradoxe de cette aide accordée aux grandes entreprises qui n’embauchent plus, alors que les PME sont abandonnées même si elles condensent le maximum des emplois présents et à venir.

– Dans le même ordre d’idée ; la présidence de la République découvre que la Santé est un « bien commun » (non pas un « commun » quand même, mais un « “bien” commun », son ouverture à des limites) à travers les déclarations du directeur de la branche française de Sanofi à qui l’État a accordé de larges crédits d’impôt. Ce dernier a répondu en disant qu’on ne peut fabriquer en fréquence accélérée un vaccin (18 mois au lieu de 5 ans en moyenne) en s’en tenant à la méthode du téléthon à la française et de citer en exemple le partenariat public/privé établi aux États-Unis à travers le BARDA13 dont les européens ont refusé de mettre en place une version propre pour-tant proposée par Sanofi à la Commission européenne (Le Monde du 16 mai).
– La méfiance vis-à-vis d’une trop grande dépendance envers la Chine gagne le Japon, la Corée du Sud et Taïwan. Les difficultés politico-économiques d’une rupture sèche empêchent de fait toute politique générale de relocalisation ; par contre, pour les nouveaux investissements, le Vietnam et la Thaïlande sont plébiscités. Désormais le Japon a établi une liste de productions stratégiques qui feront l’objet de mesures protectionnistes (Les Echos du 13 mai). Toujours le retour de l’État-nation sous la forme particulière de l’État commercial.

– On a beaucoup parlé du télétravail pendant le confinement, beaucoup moins de l’automatisation de la production ; or, il s’avère que les patrons américains et japonais pensent de plus en plus à hâter un processus qui, après une embellie, s’était quelque peu ralenti (Les Echos du 15 mai). Vu la structure d’âge de la population active, les effets sur l’emploi seront sans doute plus redoutables aux États-Unis, beaucoup moins au Japon, de par leur effet d’éviction de l’emploi (accentuation du processus de substitution capital/travail.

– Malgré l’aspect économique de la réouverture des écoles primaires que nous avions sous-estimé parce que Blanquer avait été désavoué par son propre gouvernement, le transfert ne se passe pas tout seul. Les entreprises se retrouvent face à un nombre considérable de salariés qui ne peuvent reprendre du fait que c’est une reprise au ralenti. D’après Les Echos du 13 mai, les patrons des PME reprochent au gouvernement d’avoir suscité une peur contreproductive vis-à-vis des parents. Quant aux profs ils sont évidemment accusés de ne pas vouloir reprendre.

– Si Blanquer a été beaucoup attaqué pour le côté intempestif de ses prises de position, quelle réponse lui ont donnée les enseignants ? Les plus actifs d’entre eux dans les grèves et contre la Réforme donnaient déjà l’impression de naviguer à vue entre l’acceptation que l’école française accroît les inégalités (les statistiques libéra-les de Pisa détournées par les gauchistes) tout en s’opposant à une Réforme qui aurait eu si ce n’est pour but, mais comme conséquence de les accroître encore. Ils ont pourtant accueilli sans broncher le télétravail qui, paraît-il, accroît aussi le décrochage scolaire et donc les inégalités sociales… Mais leurs syndicats sont réticents devant une réouverture des écoles parce que les conditions de reprise ne sont pas conformes aux règles de distanciation, que l’école ne pourra être qu’une garde-rie parce que la présence physique des élèves n’est pas obligatoire et que cela accroîtra les inégalités. C’est l’exemple même d’un double discours politiquement mortel ; si la tutelle les enjoint à faire des révisions plutôt qu’à « avancer le Pro-gramme », ils répondent, c’est de la garderie ; si elle leur dit d’avancer le Programme, ils répondent cela accroît les inégalités puisque tout le monde ne sera pas présent. Les syndicats se défaussent en posant des préavis de grève courant sur une longue période. C’est devenu une habitude de la part de certains syndicats comme SUD-éducation qui joue les « solidaires », mais en fait se lavent les mains de ce qui se passe n’étant pas en mesure de mobiliser de toute façon et ne sortant jamais de la sauvegarde de l’Institution. Comme pour les syndicats ouvrir les murs de l’école équivaut pour certains, à détruire ses fondations et pour d’autres à l’ouvrir à l’entreprise, l’essentiel c’est que rien ne change. On passe d’un confinement à un autre. Partout dans le monde l’État n’est plus éducateur14 et se pose la question « Que faire des enfants ? » Une interrogation qui semble faire l’unanimité des parents-enseignants et des gouvernants si ce n’est leur unité. Le « pompon » semble pouvoir être décerné à l’Espagne qui a réussi à les empêcher les enfants de mettre le pied dehors pendant deux mois et maintenant les renvoie en vacances jusqu’en septembre ! L’école est un exemple du fait que le virus ne pré-pare en lui-même à rien d’autre et que contrairement à ce que dit Bruno Latour (Libération du 14 mai), le virus ne produit pas un « crash test » ou alors un test négatif.

Quant à l’enseignement supérieur, si on en croit Frédérique Vidal qui en a la charge et bien les efforts vont être portés sur une « hybridation » des enseignements qui va encore accorder la part belle aux technologies numériques, mais non sur ce qui fait que les universités sont désertées ou fonctionnent mal.

– Quelles que soient les procédures d’information pour le traçage/dépistage15 qui seront finalement choisies, on peut s’accorder sur le fait que le Covid-19 aura déjà eu un potentiel normalisateur important. Cette normalisation a été vue, du côté du pouvoir et des médias comme le signe d’une unité retrouvée plutôt que d’une adhésion. À cet égard, les applaudissements aux fenêtres et bal-cons pour soutenir les « soignants » réunissaient les macroniens n’ayant jamais mis les pieds à une manifestation d’hospitaliers et une grande partie de ceux ayant lutté contre la réforme des retraites. Un comble ! Unité donc, mais autour des « soignants » qui en appelaient, comme le gouvernement, au principe responsabilité… avec comme conséquence la peur instillée, mais aussi intériorisée.

Temps critiques, le 19 mai 2020.

  1. – Contrairement au Conseil constitutionnel français dont les 12 membres sont nommés par le Président de la République et les présidents des deux Chambres, ses 16 membres sont élus à moitié par le Bundestag et le Bundesrat, à la majorité des 2/3. Il n’empêche que c’est bien cette démocratique Cour qui a cautionné la mise en place de l’état d’urgence en RFA dans l’après 68 avec, par exemple, les interdictions professionnelles prononcées par les länders à l’encontre des personnes travaillant dans la fonction publique et susceptibles d’appartenir à la « mouvance » d’extrême gauche.
    De par son histoire l’Allemagne a privilégié le droit comme principe d’unité et ce, dès le Saint-Empire germanique ; l’a ensuite théorisé avec Carl Schmitt sous la forme de « l’État constitutionnel de droit » qui a légitimé l’État nazi et orienté finalement la nouvelle Constitution de la RFA vers une conception restrictive de la démocratie dans le cadre de la lutte contre le bloc soviétique. L’ennemi intérieur théorisé par Carl Schmitt dans la phase historique antérieure était réintroduit… dans la nouvelle démocratie (source : Peter Brückner, Alfred Krovoza, Ennemis de l’État, La pensée sauvage, 1972. Brückner, professeur à l’université de Hanovre fut lui-même deux fois suspendu de ses fonctions.
    Terminons par une déclaration de cette Cour constitutionnelle en 1972 : « On attend des citoyens qu’ils défendent cet ordre [les droits fondamentaux de la Constitution, NDLR] ; les ennemis de cet ordre, même s’ils se situent de manière formelle dans le cadre de la légalité, ne seront pas tolérés » (source : Sebastian Cobler, « R.F.A. : l’“État normal” » in Les Temps Modernes, no 396-397, juillet-août 1979, p. 59). []
  2. – La dette italienne pourrait monter à 150 % du PIB, la française à 118 soit des bonds d’une trentaine de points chacune. Quant à la dette japonaise, elle caracole en tête et atteint 238 % du PIB, mais sa soutenabilité ne pose en principe pas de problème, car premièrement son taux d’actualisation est nul (c’est le rapport entre le taux d’intérêt payé sur la dette et le taux de croissance) deuxièmement la dette est détenue à moitié par la Banque centrale du pays et le reste est détenue par des investisseurs institutionnels japonais : le troisièmement en découle qui est que la dette est en monnaie nationale. Pour Michel Aglietta (Le Monde du 17 mai) il n’existe pas de niveau optimal de la dette, cela dépend de la politique macro-économique que l’on veut mener et à l’heure actuelle la BCE n’a aucun intérêt à imposer à l’Italie — dont la dette est la moins soutenable, parce qu’entre autres son infrastructure publique (qui représente potentiellement une contrevaleur) est insuffisante (cf. l’écroulement du pont de Gênes) —, des conditions à la grecque. []
  3. – C’est-à-dire le taux de refinancement des banques auprès de la banque centrale qui guide leur politique de crédit et ses limites en fonction du niveau du taux. []
  4. – Tout en n’obérant pas la possibilité d’une « transition verte » nécessitant des investissements de long terme que le maintien des bas taux d’intérêt rend théoriquement possible.
    []
  5. – En Allemagne ce terme n’a pas le même sens qu’en France. Le terme ici employé ne renvoie pas à la bonne gogauche à la française, mais aux prétendus « ennemis de l’État » dont nous parlons dans la note 1. []
  6. – Son montant est en France de 84 % du salaire net jusqu’à 4,5 fois le SMIC pour 12,2 millions de personnes jusqu’à fin mai (6 salariés sur 10 du secteur privé) ; contre 60 % en Allemagne et 10 millions de salariés (un tiers des salariés du privé) et seulement jusqu’au niveau du salaire minimum (1200 euros) pour l’Italie qui a par ailleurs mis en place tout un système de prîmes compensatoires (Les Echos, 13mai ). Il est vrai qu’il y a danger vu l’activisme mafieux qui sévit dans la Péninsule, non seule-ment dans le Sud, mais jusqu’à Turin. En Angleterre, 80 % du salaire pour 7,5 millions de salariés, mais à hauteur de 2500 livres sterling maximum par mois.
    Toutefois, cette procédure, du moins dans sa version française, ne concerne par les salariés en fin de mission intérim ou en fin de contrat CDD. []
  7. – Si on veut se baser sur des exemples historiques pour voir l’effet de ces mesures, du point de vue économique, l’Allemagne avait utilisé le chômage partiel pendant la crise de 2008-9 de façon à ne pas rompre la continuité du travail, mais il s’agissait surtout d’emplois industriels qualifiés à l’époque alors qu’aujourd’hui ce sont essentiellement des emplois de services qui sont concernés et qui sont soit peu qualifiés, soit précaires et à l’avenir incertain donc à fonds perdus du point de vue capitaliste. []
  8. – C’est un peu une illusion si on raisonne non pas au niveau de la France, mais de l’UE qui est exportatrice nette de produits industriels (Les Echos, 13 mai). []
  9. – Ainsi, Air France essaie de faire signer un « accord de performance » que jusqu’ici seule FO a accepter de signer. []
  10. – Pour prendre un exemple, au niveau du groupe Nissan-Renault-Mitsubishi, l’usine Nissan de Sunderland en Angleterre ne produisait avant le confinement que 50 000 véhicules sur une capacité de 200 000. Le problème est donc celui d’une réorganisation du groupe et particulièrement de sa localisation et non pas un problème de « reprise ». Cet exemple est loin d’être un cas isolé. []
  11. – Cf. l’exemple du BTP arrêté à 80 % en France contre 20 % en Allemagne. []
  12. – C’est pour cela que chaque fois qu’il y avait une augmentation du SMIC en principe supérieure à l’augmentation du reste des salaires de base, la CGT s’empressait de demander une augmentation des salaires situés juste au-dessus de façon à bien maintenir la hiérarchie des salaires sous le prétexte qu’il fallait refuser un nivelle-ment par le bas. []
  13. - La Biomedical Advanced Research and Development Authority est l’office du ministère de la santé américain chargé des contre mesure sanitaire en cas de crise liée à des agents chimiques, biologique ou encore nu-cléaire. []
  14. – Cf. la brochure « L’État-nation n’est plus éducateur. L’État-réseau particularise l’école. Un traite-ment au cas par cas » : http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article277 []
  15. – « Brigades des anges » de Véran ou brigades d’intervention contre des « porteurs de peste » (Untorelli) ? La première formule nous dit implicitement que les enjeux sont ouverts. []

Relevé de notes en temps de crise sanitaire (IV)

– Le pouvoir en place semble incapable d’intervention politique coordonnée dans la gestion de la sortie de crise sanitaire. Tout le monde semble tirer à hue et à dia comme on peut s’en apercevoir dans le fait que la livraison de masques gratuits à partir du 11 mai dans les pharmacies (décision Santé-Véran) ait été court-circuitée par Bercy qui via la secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher, a autorisé la marchandisation (certes avec blocage des prix) de FPP1 dans les supermarchés. Par ailleurs, le gouvernement s’accroche à des dates (le 11 mai pour le déconfinement première phase et le 2 juin pour la deuxième phase ; la fixation rigide et à l’avance d’un calendrier échelonné pour les niveaux, etc.). Englué dans ses dates, toute reconnaissance d’une erreur apparaît comme une faiblesse et le gouvernement n’a plus comme choix que de se dédire et de perdre encore de son autorité ou de maintenir et de s’enfoncer dans l’autoritarisme (cf. la rentrée scolaire et à un degré moindre les transports publics).

En conséquence il en appelle à la population pour une sorte de cogestion de la sortie de crise : « Les vacances d’été dépendent des efforts des uns et des autres » déclare le Secrétaire d’État J.-B. Lemoine ; « En l’absence de traitement et de vaccin, le comportement des Français va avoir un poids considérable surenchérit Olivier Véran dans Le Parisien. Dans le même ordre d’idée, on peut lire dans Libération du 6 mai que le « Do it yourself » est consacré comme politique participative. Macron déclare en direction des confinés : « Demandez-vous chaque matin ce que vous pouvez faire pour le pays ». Des associations privées y ont d’ailleurs répondu de façon plus organisée en finançant du matériel. C’est le cas de l’association « Protège ton patient » (Le Monde du 12 mai 2020). Quant à Delfraissy, le Président du Conseil scientifique de Macron, cet « homme de gauche » dont ce journal fait l’apologie, il nous livre : « La balle est dans les mains de chacun. Car c’est à chacun de prendre ses responsabilités et d’avoir le comportement qui se doit ». En entrefilet, le journal aura eu le temps de glisser que Delfraissy est favorable à la PMA, c’est dire sa crédibilité sur le coronavirus, d’autant qu’il a bien du courage, rajoute le journaliste, de défendre cette position vu sa foi chrétienne.

Cela plus le vélo en ville et le télétravail maintenu annoncé pour la moitié des salariés, ce n’est pas loin d’une cogestion individualisée de la vie quotidienne qui nous est proposée par le pouvoir… quand même contrôlée en dernier ressort par la police et leurs assesseurs de tous ordres. On apprend ainsi que les agents de sécurité de la RATP pourront dresser contravention: à ceux qui ne portent pas de masque) dans les transports publics… avant même qu’on sache s’ils seront accessibles pour tout le monde). L’État décrète, l’intendance doit suivre. Le monde à l’envers ! Dans ce même cadre logistique, on s’inquiètera de l’opérationnalité ou non de mystérieuses « brigades » volantes de testage de la population. Le principe responsabilité a remplacé le principe espérance comme le dit Joël Gayraud dans son article : « Derrière nous, le jour d’après » publié dans Lundi matin le 4 mai 2020. Et Hans Jonas à la place d’Ernst Bloch !

– Une lutte dure et antihiérarchique sur les salaires serait une façon de prendre l’offensive… pour les salariés « garantis ». Ainsi, de premiers rassemblements de salariés des hôpitaux qui ne se satisfont pas des primes Macron ont eu lieu à Toulouse (cf. Libération du 12 mai). Toutefois, si le contexte général reste inchangé, il ne faudrait pas que ces revendications restent catégorielles, mais qu’elles concernent tous les salariés sans exception qui se sont retrouvés sur le front à faire tourner la baraque. Les agents de sécurité, par exemple, ne sont concernés par aucune des primes annoncées par le gouvernement, mais ils ne sont pas les seuls « invisibles » ; les aides à domicile sont dans le même cas de figure.

– On apprend que les syndicats d’Amazon-France ont demandé une reprise progressive de l’activité1 sous certaines conditions de sécurité sanitaire. Par contre, la CGT s’est opposée à la réouverture de l’usine Renault-Sandouville le 11 mai pour manquement aux conditions de sécurité anti-contagion (source : Le Figaro du 9 mai).

– Pour la première fois (source, Les Echos du 5 mai 2020) le solde des échanges agroalimentaires avec l’UE est négatif parce qu’on importe ce qui est moins cher ailleurs (pays pauvres ou à l’agrobusiness plus développé comme les Pays-Bas et même l’Allemagne, un grand producteur agricole, c’est bien connu !) et qu’on exporte moins nos produits de bonne qualité, mais chers. Une fois de plus le gouvernement se retrouver tiraillé entre les exigences productivistes du lobby FNSEA et la tendance moderniste à vouloir développer une « agriculture raisonnée », formule de transition pour ne pas trop prendre position en faveur d’une production biologique censée être incapable de répondre aux impératifs d’autosuffisance alimentaire qui refont surface à la faveur de la crise sanitaire. Pendant ce temps, d’après Le Monde du 6 mai, on apprend qu’en Corrèze les arboriculteurs aspergent par grand vent les vergers de produits phytosanitaires (pour les pommes, trois à quatre fois par semaine, cinq heures durant chaque fois). Rien de nouveau sous le soleil sauf que cette fois cela se fait à « visage découvert » puisque les confinés sont aux fenêtres et dans leurs jardins. Dans le Pas-de-Calais ce sont les granulés d’azote et de chaux ou le nitrate d’ammonium qui prennent bien le vent.

– L’article « La mécanique du délitement », in Le Monde du 9 mai offre un bon exemple du fonctionnement de l’État en réseau avec la multiplication des intermédiaires dissolvant toute responsabilité politique et rappelant l’affaire du sang contaminé. On y apprend que sous le ministère de Marisol Touraine en 2012, avec déjà Jérôme Salomon comme conseiller spécial, c’est en fait le secrétariat général de la défense et de la sécurité qui avait été chargé d’une éventuelle riposte sanitaire2. L’ex-sénateur LR Francis Delattre explique le fonctionnement qu’il a dû subir : d’un côté, les conseillers de la haute Fonction publique coupent les informations en direction du ministre ; et de l’autre, ils bloquent toutes les questions des parlementaires. Ils entretiennent de fait un entre soi technocratique de conseillers et experts, techniciens de la modélisation qui se retrouvent en charge de tout ce qui est réglementaire censé assurer la permanence de l’État en l’absence de politique. Ce que Delattre appelle « l’État automate ».

Interlude : en temps de crise sanitaire on assiste à l’explosion de la novlangue des réseaux3.
En voici une synthèse (rien n’a été inventé) présentée dans le désordre : L’État-plateforme version start-up a demandé, du coup, que celles et ceux qui sont en capacité d’être en présentiel pour faire de la remédiation le fassent dans un cadre inclusif et avec un souci d’équité. L’intelligence collective doit être mobilisée en temps réel. Au final, c’est bien la problématique. Mais quel sera le bon logiciel ? Et par-dessus tout les Français accepteront-ils d’être impactés par ce tutoriel leur enjoignant de se conformer aux instructions du ministériel ?
Il ne s’agit pas là simplement d’une construction linguistique conjoncturelle (cluster, patient zéro et contact tracing, clapping, gestes barrières, kits de tests en open source), mais d’un véritable discours du capital qui se réalise par osmose des différents réseaux d’information qu’ils soient directement de pouvoir, médiatiques, publicitaires ou en provenance des réseaux sociaux. Toutefois, volontairement ou non, ce langage n’échappe pas complètement à son origine de classe. Le choix politique approuvé sans broncher par les médias, de « différenciation sociale » à respecter en lieu et place de distanciation physique qu’on pouvait attendre est tout sauf un lapsus anodin.
Au cours de son intervention à propos de la culture, Macron a fait plus intellectuel en risquant un « l’utopie concrète (sic) assume le grand écart entre un idéalisme naïf et un pragmatisme économique et social ». C’est peut-être pour cela qu’il faut « enfourcher le tigre » (le tigre, c’est le virus). Quant à Hervé Morin qui n’est que le Président de Les Centristes, il fait de la mathématique sur BFM-TV : « On n’est pas sur la même équation », « une équation facile à gérer ».

– Mais revenons aux choses sérieuses et à « l’économie ». Notons l’activisme de BlackRock et d’autres sociétés de gestion d’actifs qui exhortent les labos pharmaceutiques4 à collaborer au développement de vaccins et de médicaments y compris en renonçant aux droits de brevet, le temps de dépasser la crise. C’est comme s’ils aspiraient à jouer un rôle presque aussi important que les États face à la crise en tant qu’instance de coordination agissant dans l’intérêt général — et ils ont la puissance de feu nécessaire pour avantager les labos qui jouent le jeu. Quand on pense en outre que BlackRock est en passe de remplacer aux yeux des de gauche Goldman Sachs comme l’incarnation du mal, ça ne manque pas de sel.

– Nous voudrions ajouter une précision à notre affirmation précédente (Relevé III) selon laquelle « Le rôle quasi inexistant de l’ONU (hors OMS) pendant la pandémie dérive indirectement de la volonté des grandes puissances de ne pas abandonner la direction de la lutte contre la pandémie. » Il existe un projet, calqué sur la proposition de George Soros pendant la crise financière de 2008, de convaincre les États membres les plus riches de transférer une partie de leurs droits aux pays pauvres pour leur permettre de profiter pleinement d’une augmentation des Droits de tirage spéciaux (DTS qui sont normalement distribués en fonction des quotas par pays). L’ennui, c’est que les ressources du FMI dépendent pour une bonne part de la dotation américaine et, même sans considérer les positions de Trump et de son équipe, il est peu probable que le Congrès américain vote une augmentation à quelques mois des élections. De ce fait, on pourrait dire que ces institutions internationales sont plus prisonnières que jamais des États les plus puissants.

– Autre nouvelle des États-Unis, mais qui va dans le même sens avec un article de Gavyn Davies (lui-même chef d’une société de gestion d’actifs, et fin analyste), publié le 19 avril dans le Financial Times et intitulé : « The SDR is an idea whose time has come » (« Les Droits de tirage spéciaux de nouveau d’actualité ») : Le FMI propose une nouvelle émission de DTS supplémentaires. La seule occasion où cela a été fait à grande échelle fut en 2009 à l’instigation de Gordon Brown, qui a convaincu les autres chefs d’État d’injecter mille milliards de dollars dans l’économie, dont 250 milliards sous forme de DTS. L’ennui, c’est que ceux-ci sont distribués selon les quotas des pays membres du FMI, ce qui fait que seuls 40 % du total ont afflué vers les pays pauvres. À l’époque, George Soros avait proposé comme solution que les pays avancés acceptent de transférer une part de leurs droits aux pays pauvres. Cela va-t-il être repris aujourd’hui puisque même les USA laissent entendre qu’ils seraient ouverts à quelque chose dans ce style.

En 2009, comme cette mesure avait permis aux pays pauvres d’acquérir des dollars par le biais des DTS au lieu de devoir passer par le marché, en conséquence, la fuite des capitaux et la revente massive des devises locales ont été atténuées. Or la fuite des capitaux quittant les pays émergents atteint aujourd’hui le triple du niveau de 2009. La semaine dernière, Gordon Brown et Larry Summers sont repartis en croisade en proposant une nouvelle émission de DTS d’une valeur bien supérieure à mille milliards de dollars. Le principal obstacle c’est que Steven Mnuchin, le Secrétaire américain du Trésor a besoin du feu vert du Congrès pour toute allocation au FMI dépassant les 649 milliards, et même ce montant ne semble pas lui plaire…

– Deux situations historiques ne sont jamais identiques, mais rappelons, pour ceux qui n’ont que la dette en bouche que la dette de guerre de la RFA a été gelée dès 1953 et définitivement supprimée en 1991. Quant à la dette publique globale de l’après-guerre, elle a fait l’objet, à l’époque, de prélèvements exceptionnels sur les hauts patrimoines financiers. Ne pas oublier non plus que les États-Unis ont été longtemps (avant Reagan) l’un des pays aux taux d’imposition le plus élevé5.

Temps critiques, le 14 mai 2020

  1. – C’est ce qui va être fait le 19 mai. On sait que la direction d’Amazon-France a d’abord contesté la décision du Tribunal de commerce de Nanterre suite à la requête du syndicat SUD pour mise en danger de la vie des salariés. Aucun compromis n’étant trouvé avec les syndicats, Amazon a fermé ses six centres de distribution en France et a fait appel. La Cour d’Appel de Versailles a confirmé, en l’allégeant, la condamnation de l’entreprise à ne distribuer que des produits liés à l’urgence sanitaire. Non satisfaite par ce second jugement Amazon le conteste devant la Cour de Cassation. []
  2. – Depuis 2007 un plan gouvernemental prévoit le passage de pouvoir du ministère de la Santé à celui de l’Intérieur en cas d’épidémie atteignant ce que l’OMS définit comme le niveau IV (par exemple celui du H1N1 ou grippe asiatique de 2009). C’est ainsi que Roselyne Bachelot et son stock massif de masques et de vaccins, fut dessaisie au profit de la ministre de l’Intérieur (M. Alliot-Marie) ; que l’ARS fut mis en place avec suppression/intégration de l’EPRUS et de sa capacité logistique pour des raisons de « rationalisation » et que l’hôpital commença à fonctionner comme une entreprise sur la base de la tarification à la tâche. []
  3. – Grand consommateur de codes et de signaux, le réseau potentialise les particularités et normalise les singularités des anciens langages qui n’entrent pas dans son univers technique. []
  4. – Cf. l’article paru le 24 avril dans le Financial Times d’Attracta Mooney et Donato Paolo Mancini intitulé « Drugmakers urged to collaborate on coronavirus vaccine ». Nous résumons : BlackRock, Fidelity Investments, Aviva Investors, Janus Henderson et Amundi ont tous dit au Financial Times qu’ils veulent que les labos pharmaceutiques collaborent. « Une crise mondiale sans précédent exige en réponse une coordination mondiale sans précédent », selon Mirza Baig, responsable de la gouvernance chez Aviva. BlackRock est par ailleurs en discussion avec plusieurs firmes. La semaine prochaine, un autre groupe de plus de 50 sociétés d’investissement (avec en tête le groupe néerlandais Achmea) gérant plus de 2500 milliards de dollars a l’intention d’écrire à plus d’une douzaine de labos afin de faire monter la pression pour qu’ils partagent leurs découvertes (vaccins et traitements) et qu’ils renoncent à faire respecter leurs droits sous les brevets concernés. L’OMS s’est déjà exprimée dans ce sens. Sanofi et GlaxoSmithKline ont annoncé un programme de collaboration sur les vaccins, et d’autres aussi. Le secteur l’a déjà fait sur les traitements anti-cancer. En mars, face au tollé, Gilead a dû abandonner le statut privilégié obtenu aux USA pour son médicament remdivisir, qui leur aurait donné un monopole national pour son traitement ainsi que des allègements fiscaux. Les asset managers espèrent plus largement que leur pression poussera les labos à baisser leurs prix. []
  5. – Cf. Luc Peillon, « Est-il vrai que les États-Unis ont taxé les riches à plus de 70 % pendant trente ans ? » [archive], Libération, 21 mars 2019. []

Relevé de notes en temps de crise sanitaire (III)

– Nicolas Hulot sur BFM-TV : la pandémie est un signe, « la nature nous adresse une sorte d’ultimatum […] tout ça est un mal nécessaire » (22 mars 2020). Devant un tel « lanceur d’alerte », n’est-il pas bon de rappeler que l’espérance de vie au Bangladesh, l’un des pays les plus densément peuplé et les plus pauvres de la planète est passée de 46 ans d’espérance de vie en 1960 à 73 ans en 2017. D’une manière générale les épidémies n’ont pas arrêté de reculer au cours du XXe siècle, même si le VIH a été très meurtrier et le reste en Afrique, le continent qui est le plus touché par les épidémies.

Comme le dit Jérôme Baschet dans son article du n° 238 de Lundi matin, « Les infections virales sont des phénomènes “naturels” au sens où les virus ont leurs propres comportements et inclinaisons ; mais le devenir de certains d’entre eux est largement orienté par les transformations des milieux qu’induisent les activités humaines ».

– la lutte contre la pandémie nous offre un exemple de ce qu’Alain Supiot nomme « La gouvernance par les nombres » du nom de son livre éponyme. L’augmentation de la puissance de calcul des mathématiques par les nouveaux moyens technologiques permet la quantification de tout ce qui est quantifiable. La médecine a ainsi opéré des calculs de probabilité pour les programmes de vaccination. Gouverner par les nombres comme on le voit avec l’avalanche de chiffres et maintenant la délimitation de zones de contamination par la puissance publique permet de se passer de la Loi. Ainsi, dans les EHPAD seule la mortalité brute est quantifiable, pas la dignité et les conséquences de la rupture de socialité produite par un isolement complet. Cette quantification s’est évidemment étendue à l’économie, science de la rareté et la théorie des jeux est venue lui insuffler ce supplément de quantification à défaut de supplément d’âme (dilemme du prisonnier, théorie de l’agence). Une modélisation mathématique et statistique à outrance qui est d’ailleurs utilisée dans la lutte contre la pandémie comme si elle allait se substituer à une politique sanitaire défaillante. Néanmoins ce gouvernement par les nombres n’a pas la neutralité de la science pure et bien propre sur elle. Ainsi, un rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) d’avril 2005 (cf. enquête Le Monde du 4 mai 2020 sur « le désarmement sanitaire ») qui insistait sur la nécessité d’un plan de prévention contre une crise sanitaire d’importance a-t-il très vite été enterré, priorité ayant été donnée aux cercles militaires et policiers axés sur la lutte contre le terrorisme et les risques d’attaques nucléaires et biochimiques ; plutôt qu’aux infectio/épidémiologues alertés par les précédentes épidémies du VIH et du SARS.

– Un arrêté préfectoral des Hautes-Alpes du 22 avril prescrit des autorisations de se rendre en son jardin potager… pour y travailler, à l’exclusion d’y prendre un bain de soleil et d’y faire un barbecue (source : Actualité du sud des Alpes, 26 avril). Un signe plus général de cet autoritarisme sans autorité est sans contexte la création d’une voix de son maître de l’information par la porte-parole du gouvernement : le Service d’information du gouvernement (SIG) dont le but est « d’informer sur la désinformation ». Néanmoins seuls les réseaux sociaux semblent visés… et non le gouvernement lui-même. Comme nous ne sommes pas tout à fait en temps de guerre malgré la déclaration préliminaire de Macron on échappe de justesse à une information sous contrôle militaire. Les informations n’émaneront donc pas d’un ministère de la guerre qui n’existe pas, mais d’articles en provenance des médias les plus méritants. Libération et Le Monde arrivent sans surprise en tête des « bonnes feuilles » du gouvernement. Le Figaro, trop critique sûrement (où ne va pas se cacher la critique aujourd’hui !) n’est pas mentionné qui dénonce le « Parti de l’ordre sanitaire » et de l’hygiénisme1.

– Le débat avorté sur le confinement particulier en destination des « vieux » et personnes à risque, s’il a disparu des radars gouvernementaux, a resurgi d’une façon « intéressante » dans Libération du 28 avril 2020 suite à une tribune de Véronique Fournier, présidente du Centre national des soins palliatifs et de fin de vie et favorable à l’euthanasie. « La réa jusqu’à quel âge ? ». Elle s’appuie sur un think tank américain de « réflexion éthique » qui se livre à un calcul utilitariste de rationalité des choix permettant de trancher à l’intérieur des arbitrages intergénérationnels permettant de garantir les « utilités » tout en baissant les coûts. Il n’y a guère de doute sur le résultat de ces calculs, mais le gouvernement Macron ne semble pas avoir lu l’article. Ouf, on l’a échappé belle !

– la charge de la dette a baissé de 1,4 milliard en 2019 à cause du niveau des taux d’intérêt ; paradoxe : le taux apparent, c’est-à-dire le rapport entre coût et montant, est en l’état bien inférieur à ce qu’il était en 2007 (2,1 contre 4,3). Une situation qui devrait perdurer malgré la crise sanitaire, car les chances de reprise de l’inflation sont faibles à court terme, parce qu’en plus de taux bas, les liens entre masse monétaire et prix se sont détendus. La masse monétaire augmente certes, mais sa vitesse de circulation décroît du fait de l’augmentation de l’épargne. La baisse du prix des matières premières devrait continuer à court terme ainsi que la baisse de la masse salariale globale avec l’augmentation du chômage suite à la crise sanitaire. Sauf pour les prix alimentaires, cela risque d’être la tendance générale dans un contexte clairement déflationniste.

– pour ceux qui pensent que nous assistons à un passage de témoin entre grandes puissances, donnons quelques chiffres :

• fuite de capitaux vers les EU.
• les actions européennes ont perdu 10 points par rapport aux américaines.
• l’écart de valorisation entre banques américaines et européennes à même niveau de capital est de 50 % en faveur des premières.
• les valeurs des 5 grandes entreprises américaines (Gafam) caracolent en tête des valeurs boursières. Sans parler de l’explosion de la valeur Tesla.

Alors bulle américaine ou accentuation de la concentration du capital à son pôle dominant ?

– Le rôle quasi inexistant de l’ONU (hors OMS) pendant la pandémie dérive indirectement de la volonté des grandes puissances de ne pas abandonner la direction de la lutte contre la pandémie. Le retrait des EU indique qu’ils ont abandonné l’idée que le multilatéralisme est le meilleur moyen d’assurer leur domination. Le retour de la logique des puissances les amène paradoxalement à faire plus de place à la Chine car ils sont forts (c’est du moins ce que pense l’administration Trump) de leur propre puissance. Ils semblent accepter un monde multipolaire dans la mesure où même si la Chine se montre elle ultra-présente, par exemple à l’OMS et à la FAO, elle se heurte à la limite des interdépendances de la globalisation. Dans la même tonalité du retour des souverainetés, l’État, en France, mais aussi les autres gouvernements de l’UE vont contrôler jusqu’à la fin de l’année les investissements non européens dans les secteurs définis comme stratégiques et biotechnologiques (limités à 10 % du capital au lieu de 25 %). Les OPA inamicales chinoises sont dans le viseur dans une situation difficile où certaines grandes entreprises pourraient manquer de cash flow (leur trésorerie). C’est le cas, très courant aux États-Unis, moins en France, des entreprises qui ont racheté leurs actions ces dernières années ou mois pour soutenir leur cours en Bourse.

– La pandémie agit aussi sur l’organisation du travail. Du point de vue de l’évolution des lieux de travail tout d’abord où le développement du télétravail vient compléter la chaîne de détachement d’un lieu fixe de travail symbolisé jusqu’il y a peu par l’entreprise-usine vers des formes flexibles : travail intérimaire-travail détaché-micro-travail et maintenant back-office (là où le travail se prépare) ; du point de vue de la division du travail ensuite. En effet, à l’hôpital la chaîne hiérarchique, dans un des secteurs où elle est la plus manifeste, semble avoir été mise à mal, dans un premier temps, par l’urgence des soins à accomplir nécessitant l’organisation pratique de collectifs de travail auparavant éclatés, cloisonnés et soumis aux nouvelles contraintes bureaucratiques et informatiques. Mais à la lecture des différentes interventions de membres du personnel hospitalier et de leur variation au cours du temps de crise sanitaire, ce qui a pu apparaître au début comme la reconstitution de ce collectif de travail à l’hôpital (et de lutte, mais d’une lutte bien particulière contre un ennemi commun : le virus) doit être relativisé. Ce collectif ne peut être pérenne ; de la bouche même du personnel, il est exceptionnel parce que dû à des circonstances exceptionnelles. En effet, au-delà de l’élan collectif, des médecins en pointe de la lutte sur les conditions de travail à l’hôpital comme Patrick Pelloux, font remarquer (Libération du 4 mai 2020) « Nos grands pontes ont pris le pouvoir, les médecins hospitaliers de base ont été relégués sur les strapontins ».

– Pendant ce temps, le gouvernement continue à organiser la « grève » de larges secteurs de l’activité, alors que le MEDEF, la CFTC et la CFDT en appellent à la reprise du travail effrayés qu’ils sont par le différentiel de perte de PIB par rapport aux autres grands pays de l’UE (-5,8 % contre -5,2 Espagne, -4,7 Italie, -3,7 Belgique, -2,5 Autriche et autour de 2 pour l’Allemagne2 ). En comparaison, les grèves de Mai-juin 1968 avaient fait baisser le PIB de 5,3 % sur trois mois ; la crise de 2008 de 1,3 sur le premier trimestre 2009. Mais à chaque fois des mécanismes compensateurs avaient joué à la reprise. Là le doute est plus sérieux puisque l’épargne forcée des ménages peut aussi bien se pérenniser en épargne de précaution par crainte d’une augmentation de chômage qu’en course à la consommation, ce qui aura une incidence différente sur l’investissement. Même doute sur la nature de l’intervention de l’État, la solidarité européenne, la capacité à monétiser la dette par les Banques centrales sans effet inflationniste.

– Vélo et déconfinement. Plusieurs pages dans Libération du 4 mai 2020 et tous les maires des grandes villes à l’ouvrage. Voilà la nouvelle panacée présentée toute voile dehors pour la distanciation sociale du « jour d’après ». « Solution » si possible extensible à notre avenir en général qui ne concevra bientôt plus le domaine public que comme extension de la sphère privée. Une chose plutôt plus facile à réaliser que l’inverse même si cette dernière perspective est déjà envisagée en France (cf. le projet de traçage du virus) et largement pratiquée dans certains pays asiatiques « démocratiques ».
Certains maires des grandes agglomérations y voient une restructuration alternative du territoire urbain déjà bien planifié (cf. Paris) et les différents lobbys s’en donnent déjà à cœur joie ; ainsi de Nicolas Le Moigne, porte parle de Vélocité à Montpellier qui proclame que « (depuis le 21 mars) l’humain se réapproprie la voirie ; l’espace urbain s’est transformé ». Oui, c’est certain, ce qu’on appelait avant la ville n’a tout à coup plus existé que pour les quelques happy few qui habitent dans l’hypercentre sans avoir l’envie ou la possibilité de rejoindre une maison de campagne. Mais que se sont-ils réappropriés de cette ville anesthésiée, à part les queues à la boulangerie ? Ce triste sire n’hésite pas à nous faire l’apologie de la « distanciation naturelle » eu égard à la forme de confinement que représentent effectivement parfois des équipements publics de transport sous dimensionnés.
Temps critiques, le 5 mai 2020

  1. Cf. Le Figaro du 2-3 mai 2020 : « L’ordre sanitaire, piège pour la démocratie », un article dont la fin nous rappelle quand même (on est au Figaro et la critique est cadrée) que le travail de la police est de défendre l’ordre social et non l’ordre sanitaire. []
  2. La suspension définitive de la saison de football en France alors que les autres grandes fédérations soit s’apprêtent à reprendre, comme en Allemagne et en Espagne, soit sont attentistes comme en Italie et en Angleterre, confirme cette tendance. []

Relevé de notes en temps de crise sanitaire (II)

– Avec 10 millions (10,2 au 22/04/20) de salariés en chômage partiel, les 9 millions de grévistes de mai-juin 1968 sont largement dépassés. La prise en charge est de 84 % du salaire brut, mais dans de nombreuses grandes entreprises elle atteindra 100 %, correspondant donc quasiment à un revenu garanti néanmoins loin d’être « universel ». En contrepartie il se paie de suppression de jours de RTT (jusqu’à 10) et d’une augmentation des heures de travail post-crise jusqu’à la fin décembre (cf. les ordonnances de mars). À noter que c’est la France qui fournit les plus gros efforts en ce domaine en Europe en y consacrant le double des crédits aux entreprises que l’Allemagne1 dans un total des crédits pourtant beaucoup moins important et qui s’établit comme suit : France : 1,9 % du PIB ; Espagne et Italie : 1,2 ; Pays-Bas : 2,7 ; RU : 3,1 ; Allemagne : 4,4. Par contre l’Allemagne offre la plus grande part à l’aide aux TPE d’une part et aux fleurons industriels d’autre part (5 fois plus que la France pour ces derniers).
Toutefois, la BCE ne suit pas pour le moment la FED américaine qui elle rachète des prêts bancaires pour l’aide aux entreprises, de façon d’abord, à prémunir ces banques de dettes qui s’avéreront non remboursables parce que les crédits d’aide n’auront pas été assez sélectifs (a priori ce n’est pas le but) ; et en conséquence à ne pas assécher les réserves des banques nécessaires pour des investissements futurs.

Néanmoins, suite aux règles établies après la crise de 2008 avec Bâle III, les banques ont été obligées d’augmenter leur proportion de fonds propres par rapport aux actifs détenus classés comme risqués ou douteux (elle passe en Europe de 8,8 à 14, 6 %, même si le total de ces fonds propres par rapport au bilan d’ensemble ne représente que 5,8 %. Une assurance qui n’est pas énorme. Mais dans l’ensemble les banques sont plus recadrées qu’en 2008, y compris les banques centrales. Par exemple quand on parle « d’argent-hélicoptère » les banques centrales sont opérationnelles pour le parachutage, mais le lieu d’atterrissage (les bénéficiaires) est du ressort de l’État. En période de crise grave, « l’indépendance » des banques centrales (un des grands principes du néo-libéralisme) se réduit comme peau de chagrin.

– en contrepartie de son aide aux entreprises l’État pose ses conditions : pas de versement de dividendes cette année et suivant l’exemple récent du Danemark, la France interdit aussi les aides aux entreprises ayant leur siège ou des filiales dans les paradis fiscaux (cela concernerait plus de 50 grandes entreprises).

– Pour beaucoup de secteurs industriels (hors bât. et TP) la reprise de l’activité industrielle avant la fin du confinement n’a pas grand sens parce que la mise en veilleuse actuelle des circuits de distribution pose un énorme problème de stockage et qu’une reprise tambour battant contredirait le système du juste à temps. Par exemple, dans l’automobile, les usines doivent attendre la réouverture des concessionnaires. De toute façon le déconfinement semblant partout se faire de façon très progressive, il n’y a pas de risque d’emballement de la production. Toujours dans l’automobile, les conditions de redémarrage ne sont pas liées qu’à des contraintes techniques, mais aussi à la plus ou moins grande disposition de cash (le niveau de trésorerie des entreprises avant la crise, par exemple bon pour PSA, très moyen pour Renault) et à la capacité à abaisser le « point mort2 », comme au moment de la grande crise liée à la forte augmentation du prix du pétrole de 1973-1974. En effet, dans les conditions d’un marché d’après crise forcément incertain, il ne s’agit pas de produire plus dans n’importe quelles conditions, mais de produire mieux. Si on considère les chiffres actuels de résilience à la crise sanitaire, les entreprises qui résistent le mieux sont celles dont les marchés sont les plus diversifiés. Encore un signe qui indique que sauf dans les secteurs qui seront jugés stratégiques, la mondialisation ne reculera pas.

– Nous avions souligné, dans notre « Relevé de notes » (I), les obstacles d’ordre bureaucratique à la lutte contre la pandémie en France ; on en a confirmation dans Le Monde daté du 25/04 qui décrit les difficultés rencontrées par les laboratoires vétérinaires (pourtant équipés pour réaliser des tests massifs) et laboratoires publics de recherche pour participer (pour 5 d’entre eux seulement sur 50, c’est effectif) au dépistage. En effet, ils doivent faire face aux conflits de compétence entre les préfectures, l’ARS (qui a, entre autres, interdit la pratique des tests aux labos privés) et les CHU (cf. notre exemple de celui de Lille dans le précédent « Relevé »). Tout cela ne date pas d’aujourd’hui puisque le nouveau management public qui sévit depuis une vingtaine d’années au moins a conduit à appliquer le pire du système anglo-saxon (ce qui se traduit en France par aligner le public sur le privé) avec le pire de la structure techno-bureaucratique française (les certifications, les protocoles uniques et centralisés3).
La recherche fondamentale va être aussi bridée (brimée ?) par la mise en place d’une logique de projets au sein de l’agence nationale de la recherche (ANR) à partir de 2005.

Plus prosaïquement pour ce qui concerne les masques, l’État (sous Hollande) est passé d’une logique de stocks stratégiques à une logique de mutualisation des moyens et à une rhétorique d’optimisation. Les risques sanitaires vont se répartir en de multiples acteurs tous contraints du point de vue budgétaire. Techniquement, cela a abouti à une dilution des FFP2 au sein des établissements de santé, la centralisation ne concernant plus que les masques chirurgicaux… dont le renouvellement ne sera pas fait, car l’effort sera porté sur sérum de la variole, le tamiflu et les combinaisons intégrales anti-Ebola4.

– Pour tout ce qui concerne le droit pendant la période de confinement, il nous semble qu’il faut partir de l’idée simple et évidente que le confinement n’est pas une mesure sanitaire, au contraire de la quarantaine ou même de la quatorzaine inaugurée pour le Corona. Elle n’est donc pas le fruit d’une politique de santé, mais plutôt une réponse à un fait imprévu venant rencontrer une imprévoyance générale et une infrastructure sanitaire inadaptée ou en mauvais état. Si le virus n’est pas une personne vivante, de fait il met l’État et les personnes devant le fait accompli ; un fait accompli que l’État transforme en fait de droit à partir de règles qui échappent plus ou moins à la loi commune tout en cherchant à ne pas trop s’en éloigner, consensus démocratique oblige. Par exemple le décret du 16 mars sur l’état d’urgence s’appuie sur l’article 37 de la Constitution, mais toutes les mesures censées être exceptionnelles et donc conjoncturelles sont pourtant portées au code de la Santé publique comme si elles allaient être pérennisées alors qu’il n’y a encore eu aucun contrôle parlementaire. Le socle commun à tout cela semble l’article 34 qui opère une véritable révolution copernicienne du rôle de la loi. Dans les régimes précédents de la IIIe et de la IVe République, la loi, expression de la volonté générale, pouvait intervenir dans tous les domaines : elle n’était limitée ni par la Constitution, en l’absence de possibilité de contrôler effectivement la conformité d’une loi à la norme fondamentale, ni par le règlement qui ne pouvait intervenir qu’en vertu d’une loi. Or la Constitution de 1958 semble renverser le rôle respectif de la loi et du règlement : l’article 34 limite la loi à une liste de domaines particuliers, tandis que l’article 37 dispose que le règlement peut couvrir tous les champs non attribués à la loi. C’est donc désormais le règlement, pris par le pouvoir exécutif, qui devient autonome5.

Toutefois, cette nouvelle tendance juridico-politique peut être battue en brèche quand la question est portée sur la voie publique et que le débat s’emballe comme à propos du projet gouvernemental concernant une application de traçage via les smartphones pour une application « Stop-Covid ». En conséquence, au lieu de passer en catimini, le projet est repoussé à une date permettant un vote « en présentiel » (quelle horreur de novlangue). Pouvoir en place ou « citoyens » personne n’échappe au dilemme de la neutralité ou non de la technique. Les Gilets jaunes l’ont d’ailleurs expérimenté dans leur utilisation de Facebook : formidable moyen de mobilisation dans un premier temps, de surveillance numérique dans un second.

Relevé de notes en temps de crise sanitaire

– début avril Bruno Le Maire, ministre de l’industrie : « Nous devons repenser la mondialisation à l’aune de la souveraineté ». Position apparemment partagée par Berger de la CFDT.

P. Artus (expert Natixis) : « l’État doit se conduire en stratège et soutien financier plus qu’en opérateur économique ».
Mais pour un pays comme la France, la production industrielle ne représente plus, selon les critères de la comptabilité nationale (qui sont aujourd’hui communs dans les pays de l’OCDE), que moins de 15 % de la valeur ajoutée totale. La tendance à la relocalisation se poursuivra sans doute, mais de façon modérée dans les secteurs qui ne seront pas jugés stratégiques et où la situation est réversible (la fabrication de masque n’a rien à voir avec l’électronique). Mais les limites sont évidentes. Si on prend l’exemple du pays européen le plus touché, l’Italie, il est celui dont les entreprises de la région lombarde et plus particulièrement les villes de Bergame et Brescia, les plus atteintes par le virus, sont aussi celles qui étaient le plus en contact avec la Chine et aujourd’hui cette même région lombarde subit la pression des entreprises du grand pays industriel le moins touché par le virus, l’Allemagne, parce que ses constructeurs automobiles sont dépendants des fournisseurs lombards.

– la dette publique peut à court terme augmenter sans problème dans l’hypothèse probable de maintien à court terme des taux négatifs et tant que les fondamentaux économiques restent fortement déflationnistes, ce qui est le cas. Par ailleurs, au niveau européen, la BCE aurait toujours la possibilité d’annuler la dette à moyen terme puisque cette décision se prend seulement à la majorité des 2/3 en tenant compte en plus que le vote se faisant par roulement il peut y avoir des opportunités conjoncturelles supplémentaires. Cette possibilité serait beaucoup plus difficile si elle devait dépendre des gouvernements de l’UE où les décisions se prennent à l’unanimité. Bien sûr, dans le premier cas de figure, c’est-à-dire au sein de la BCE, cela nécessiterait de convaincre l’Allemagne et les Pays-Bas du bien-fondé d’une aide particulière accordée aux pays du Sud de l’Europe. Toutefois, rien d’impossible puisque ses mesures profiteraient en retour des flux monétaires en sens inverse provenant des exportations des pays du Nord en direction du Sud. C’est déjà ce qui s’était passé pour la Grèce il y a quelques années et les directives de la Troïka étaient purement autoritaires et punitives par rapport à la Grèce et n’avaient pas de justification économique stricto sensu comme Yannis Varoufàkis, ministre des Finances et négociateur grec l’avait fait savoir immédiatement. L’Allemagne nous en fournit le plus bel exemple qui a compensé ses mesures de restriction de la demande intérieure (augmentation des impôts, baisse des salaires, des pensions et dépenses sociales) par une augmentation de la demande externe en provenance de ces mêmes pays du Sud. Elle creuse ainsi leur déficit alors qu’elle accroît ses excédents ce qui lui permet d’apparaître vertueuse. À son modeste échelon, comme d’ailleurs la Chine à un niveau plus élevé, l’Allemagne serait tout à fait apte à piloter un nouveau type de plan Marshall à l’intérieur de l’UE tout en en ressortant encore plus forte et avec une UE mieux « intégrée ». Il ne faut par contre pas attendre de plan de ce type de la part des EU. L’échec de la tentative d’ordre mondial de 1991 a conduit ceux-ci à un repli entériné par Obama et accentué et fortement idéologisé par Trump.

– Ce dernier point auquel s’ajoute la gestion pour le moins problématique de la crise sanitaire par l’OMS, est un signe de la difficulté de gestion de la puissance au niveau I. Bertrand Badie, parle de « l’impuissance des puissances » (Libération du 10 avril 2020) qui a conduit à un cavalier seul des États dans leur propre gestion de la pandémie comme si le niveau II des nations pouvait être prédominant… toute frontière ouverte ! Dans ces conditions la seule « solution » ne pouvait être, dans un premier temps, que le déni de la possibilité d’une extension d’un virus forcément chinois sur le modèle des deux précédents. Le déni d’une possible pandémie mondiale.

Pendant que régnait cette cacophonie au niveau des États, les plateformes numériques se sont retrouvées au centre des rapports de puissance d’abord parce qu’elles sont mondiales et dotées d’une grosse force de frappe financière avec, par exemple, la Fondation Bill Gates qui constitue le deuxième contributeur en importance à l’OMS ; ensuite parce qu’elles ont « offert » leur infrastructure de circulation pour les connexions essentielles et aussi pour la distribution des marchandises. Au centre aussi dans la mesure où elles se savent appuyées par les secteurs de la finance et peuvent même se permettre le luxe (ou l’outrecuidance, c’est selon) de proposer d’assister directement les États dans le contrôle du confinement (traçage). Toutefois, le champ d’intervention est bien le niveau II (cf. par exemple, la gestion « asiatique » de la crise permise par le poids qu’y occupent les technologies de l’information et de la communication parmi la population), même si les plateformes sont par nature mondialisées. À ce niveau II toujours, la collecte des données par l’Internet y brouille pour ne pas dire abolit les frontières entre sphère publique et sphère privée, entre État et économie.

Néanmoins, Bruxelles tout en souhaitant une réponse européenne commune à la sortie de crise (sous-entendue économique) est incapable d’imposer la proposition des corona-bonds et plus généralement la mutualisation de la dette alors même que le temps presse pour l’Italie, l’Espagne et le Portugal qui empruntent actuellement trois fois plus cher que la France et l’Allemagne même si l’Italie vient de lever sans trop de problèmes 100 Mds d’euros. Par ailleurs, l’Espagne vient de faire une proposition, pour le moment isolée, de dette perpétuelle appuyée sur le budget européen où seuls les intérêts feraient l’objet de versement.
Enfin, l’UE est aussi obligée d’admettre une sortie nationale du confinement et la question de l’existence des frontières (cf. l’article de Michel Fouché dans Le Monde du 21 avril 2020).

Pendant ce temps, mais cela va dans le même sens : le G7 ne s’est même pas réuni et le G20 n’a pris qu’une décision sur la suspension de la dette des 76 pays les plus pauvres. La tension EU/Chine autour d’Huawei, la 5G et plus généralement l’équilibre des échanges ; celle entre les EU et la Russie sur le prix du pétrole1 ont bloqué toute possibilité de détente à court terme, le déni premier de tous face à la menace de passage d’une épidémie à la pandémie a fait le reste.

– L’impréparation des personnels politiques a été patente, ce qui n’est pas scandaleux si on considère la crise sanitaire comme un événement, qui a donc sa part d’imprévisibilité, même s’il avait été précédé d’au moins deux alertes. Il n’empêche que les États y ont répondu chacun à leur façon en fonction de critères culturels et socio-politiques et aussi de la façon dont ils conçoivent l’affectation des dépenses de santé. Les chiffres sont, de ce point de vue, édifiants : les EU sont le pays qui dépense le plus pour la santé en % de PIB (17 %) ; la France arrive en tête dans l’UE avec 11,3 contre 11,2 pour l’Allemagne. Mais en nombre de lits ça change tout. Quand les américains alignent 3 lits d’hôpital, la France en a 6, l’Allemagne 8 et le Japon 13. Sans parler du fait que 30M d’américains n’ont pas de couverture sociale santé. Mais si on regarde plus précisément encore les chiffres, on s’aperçoit qu’en France 34 % des salariés hospitaliers seraient sans taches médicales et des normes extrêmement sévères, mais souvent bureaucratiques (cf. le rôle de l’ARS), entraînent une guerre public/privée, par exemple au niveau des laboratoires dont des exemples sont apparus pendant la pandémie au niveau de la gestion des lits disponibles.

– Le paradoxe est donc qu’alors que la crise sanitaire semble remettre au premier plan l’action publique et l’État, ce dernier se trouve presque partout affaibli au niveau de sa direction politique perçue parfois déjà peu légitime avant même le virus. On peut en effet remarquer une corrélation au sein des puissances de l’OCDE entre les gouvernements les plus déconsidérés (Italie, France, Espagne, EU) et le nombre de victimes.

En France, cet affaiblissement politique se marque d’abord par la mise en place d’un Conseil scientifique supplantant de fait les organismes officiels de la santé publique… pour finalement, après force tergiversations, s’en remettre aux statistiques et simulations de L’Imperial College anglais ; la suspension des réformes chômage et retraite, la fin du fétichisme des règles d’orthodoxie budgétaire et celles concernant le niveau de la dette fixées par les accords de Maastricht ; la proposition plus ou moins explicite d’un gouvernement d’union nationale.

– La crise du fordisme de la fin des années 1960-début des années 1970 avaient, entre autres montré les limites de la production de masse organisée dans le travail à la chaîne. Les grèves bouchons ou thromboses des ouvriers spécialisés (OS) ont interrompu par leur action cette chaîne de production hier comme le virus a interrompu la « chaîne de valeur » aujourd’hui. De la même façon que le travail à la chaîne n’a pas complètement disparu, la chaîne de valeur mondialisée ne sera probablement pas démantelée, mais le danger d’une trop grande distanciation et dépendance sera acté. Sera-t-il acté essentiellement au niveau macroéconomique et politique (stratégique) de l’État ou alors seulement au niveau microéconomique des entreprises, n’est pas tranché.

Le télétravail, quant à lui, a été renforcé par le confinement, mais les retours qu’on en a (on a consulté beaucoup de documents sur la question en rapport avec notre texte sur l’État et le coronavirus) laissent planer un doute sur une extension qui bouleverserait véritablement l’organisation actuelle du travail. Le patronat comme l’administration veut garder l’œil sur le travail et doit rappeler de façon récurrente que dans télétravail il y a travail et non pas seulement autonomie. En outre, le contact humain s’avère très vite nécessaire et l’arbitrage reste pour le moment très en faveur du maintien de l’entreprise comme lieu central et c’est sur ce lieu que se concentrent, pour le moment du moins, les aménagements. Il y aurait peut-être intérêt à explorer les rapports entre télétravail et automatisation.

– Si la crise de 2008 a souvent été présentée, pour nous à tort, comme une crise de déconnexion entre finance et « économie réelle », il ne peut en être ainsi de la crise sanitaire. Elle a bien touché en premier les marchés financiers et la Bourse du fait de leur extrême sensibilité et si certains y ont vu tout de suite un éclatement de la bulle, le marché s’est assez vite ressaisi sans parler du cours haussier du Nasdaq. La rapidité de réponse dans le secteur de la production matérielle ne peut évidemment répondre à la même vitesse et on assiste non pas à une dévalorisation ou même décapitalisation, mais bien plutôt à une mise en jachère de capital fixe (et évidemment de capital variable pour garder les concepts marxistes). Mais contrairement à une période de guerre où il y a destruction de capital et où la sortie se pose en des termes simples de reconstruction, il en est autrement aujourd’hui. Si le capital qu’il prenne la forme des grandes entreprises ou de la finance sait prendre des risques et les gérer, il est beaucoup moins à l’aise dans les situations d’incertitude et on peut parier que de partout l’action publique tentera de pallier à cette faiblesse en soutenant une confiance que les entreprises ne peuvent pas créer elles-mêmes. En effet, dans cette situation d’incertitude les anticipations de ces dernières sont plus réactives qu’actives (ex-post plutôt qu’ex-ante aurait dit Keynes qui a connu une autre grande période d’incertitude, même si la cause en était toute différente.

Les États vont faire médiation entre les différents secteurs de l’économie en assurant la liaison banques centrales/entreprises pour une reprise (monétisation de la dette ou dette perpétuelle). Si on a pu dire que les Banques centrales étaient devenues des prêteurs en dernier ressort, la crise sanitaire tendrait à montrer que les États sont redevenus des garants en dernier ressort.

-Pour la première fois depuis plus de 70 ans les États ont eu à appliquer une gestion des populations dans une situation inconnue jusqu’alors puisque ne correspondant ni à une guerre classique ni à une guerre sociale. Il est à souligner qu’avec des méthodes fortement différentes les divers régimes politiques n’ont rencontré nulle part une véritable opposition aux mesures d’urgence peu démocratiques utilisées contre la propagation du virus et quand elle se manifeste, c’est à retardement et sur des bases là aussi fort différentes si on prend d’un côté les quelques troubles dans des banlieues françaises et italiennes ; de l’autre, les manifestations, parfois armées, des anti-confinements dans les villes « démocrates » ou « sudistes » des EU. Cette gestion des populations montre des fractures qui ne recouvrent pas exactement celles des classes. Abruptement : que faire des personnes âgées et à un degré moindre que faire des « jeunes » ? Par ailleurs la notion de « populations les plus fragiles » a fait florès qui est loin de recouper l’ancienne figure de prolétaire. Le souci sans cesse manifesté des médias comme des politiques quant à la conséquence du virus sur les inégalités et plus ou moins explicitement sur leur accroissement a pourtant et paradoxalement par rapport à ce que nous venons de noter, réintroduit un élément de l’ancienne question sociale (égalité-fraternité-communauté), en reléguant la fixation sur la dénonciation des discriminations au second plan.

à suivre…

  1. L’entrée de la Russie dans l’OPEP+ a rendu plus difficile le petit commerce entre amis des saoudiens et américains pour maintenir un cours suffisamment élevé garantissant la rentabilité de la production américaine. Un point essentiel pour comprendre le nouvel isolationniste américain. Pour les EU le désintérêt soudain pour les conflits de la région du Golfe (il importait 60 % de son pétrole jusqu’à 2006) est le signe de son recentrage sur sa propre indépendance énergétique (pétrole dont ils sont devenus les premiers producteurs mondiaux… grâce à l’entrée de la Chine dans l’OMC cette dernière ayant tiré les prix vers le haut + exploitation du gaz de schiste). Le risque économique est ici qu’une chute durable des cours rendent non rentables les investissements effectués dans ce secteur devenu porteur aux EU. Pour le coup « la finance » perdrait gros. Quant au risque social à part le dégonflement de la popularité trumpienne par la hausse du chômage, c’est la paix sociale menacée pour tous les pays producteurs qui vivent de la rente et ont une forte population (Algérie, Irak, Nigéria, Iran). À moyen terme ce serait une opportunité pour diversifier les productions, mais à court terme…
    Maxime Combes d’ATTAC dit que c’est aussi l’occasion pour réorienter les investissements prévus des énergies fossiles aux nouvelles moins polluantes.
    []

Notes sur les couples institution/instituant et destitution/destituant

Le point de départ de ces notes est le dernier livre de Fréderic Lordon (Vivre sans ? Institutions, police, travail, argent… La Fabrique, 2019) et un article paru dans Le Monde diplomatique sur « La précarité tue, le capitalisme tue, le macronisme tue  » , le tout critiqué par Serge Quadruppani dans deux numéros de Lundi matin. Nous y avons ajouté, de notre propre chef, une référence critique aux concepts de Castoriadis sur ces points précis.
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Notes à partir et au-delà du livre « Vive la lutte des Gilets jaunes ! »

La diversité des approches et positions

Nous prenons appui sur un livre auto-édité d’un compagnon marxiste léniniste lyonnais pour développer quelques éléments du mouvement lyonnais. Un opuscule dont l’on doit reconnaître qu’il part d’un vrai engagement dans le mouvement des Gilets jaunes sur Lyon. En ce sens ce n’est pas une analyse coupée de la lutte. Cependant bien que nous ayons vécu des choses semblables ou/et en commun, la façon d’aborder certaines questions est assez différente de celles qui ont pris corps avec le Journal de bord et plus encore dans les textes de Temps critiques. Le ou les auteurs du livre Vive la lutte des Gilets jaunes se centrant théoriquement et pratiquement un peu à côté ou plutôt dans un autre champ que nous avons pour notre part ignoré. En effet en visant sur plusieurs pages le rôle des courants politiques qui n’ont pas mené la lutte comme les post-opéraïstes, absents du mouvement, ou encore en qualifiant des tendances issues de la FI et d’ex-Nuit Debout de « semi-anarchistes » la critique est entachée du poids politique d’un passé non critiqué, celui des organisations traditionnelles de la classe ouvrière. D’une part les échecs notamment depuis les années 70 et le pourquoi de ces échecs ne semblent pas pris en compte. D’autre part le champ de connaissance des différents courants politiques contemporains est assez réduit et plus encore pour tous les courants sortant d’une orthodoxie marxisante.

Le livre aurait gagné à recevoir les textes produits par ses auteurs durant le mouvement, donnant le ton des batailles qui ont pu être menées via ce témoignage direct de leur approche marxiste. Par exemple le tract écrit pour aider à la définition d’un fond revendicatif des Gilets jaunes sur Lyon, et qui fut ignoré par l’assemblée générale populaire de Lyon et environs (dénomination officielle) comme les écrits produits par nous même1. En ce sens, la recherche de cadres politiques dans l’optique marxiste-léniniste s’est trouvée confrontée à des tendances purement gestionnaires, voire managériales, d’une gauche (anti-macronienne politiquement, mais macronienne d’esprit parce que branchée sur un discours « communiquant » commun) incarné par des personnes issues des Nuit Debout et de la FI dont le formalisme démocratique le dispute à une culture politique proche de zéro. Le fossé entre d’un côté, une pensée qui « positive » (comme Carrefour !) tout ce qui est fait parce que c’est fait, qui aboutit à ne faire aucun bilan au compte des FI/Fakir-Nuit Debout et de l’autre celle d’une approche dialectique issue du marxisme du XXè siècle est immense. C’est la différence entre deux mondes, l’ancien langage marxiste orthodoxe de la lutte de classes s’affrontant à un « logiciel » post-moderne sans perspective autre que de bien gérer le présent du mouvement (l’Assemblée des assemblées) et le futur proche si la victoire était au bout ; tout cela au nom du « peuple ».

Pourtant, comme eux, nous avons été présents lors d’une multitude de moments du mouvement (actions diverses ne se limitant pas aux manifestations, AG, commissions, etc.), mais notre lecture du mouvement et nos interventions ne s’intègrent à aucun de ces deux champs2. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés pris entre deux feux.

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  1. Cf. Adresse à l’Assemblée Générale des Gilets jaunes de Lyon. Sur le blog dans le récapitulatif du Journal de bord du mois de mars 2019 : http://blog.tempscritiques.net/archives/2792 []
  2. Cf. Pourquoi le communisme n’est-il plus qu’une référence historique pour les membres de Temps critiques ? À l’adresse : http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article402 []

Notes désordonnées sur la cristallisation de novembre 2018

(Il est assez intéressant que mardi 27 novembre la réponse de Macron, à la tête de l’État, à la poursuite des blocages mis en place par les « Gilets jaunes » soit à ce point empêtrée dans les tics et manies de la technostructure, comme si cette formulation extra-terrestre augurait de l’échappement d’une situation grosse donc d’ingouvernabilité, selon le vieil adage qu’une ère de révolution se profile quand les gouvernants ne peuvent plus gouverner et que les gouvernés ne veulent plus l’être)

Mes réflexions sont nées de l’intuition approximative lors de la foire aux fruits oubliés de St-Jean-du-Gard (en Cévennes), le samedi 24 novembre que ce lieu où il y avait foule était peut être l’un de ceux, ce jour-là de forte mobilisation jusque sur les Champs-Élysées à Paris, où il y avait le moins de « gilets jaunes » ; à quoi tenait cette déduction hasardeuse ? Qu’à St-Jean-du-Gard affluait une population qui n’était pas en perdition, quoique certainement en hostilité avec, par exemple l’État nucléaire et son chef, héros de la technostructure. Alors que les « Gilets jaunes » incarnent la bonne volonté flouée, au bord du burn out. L’une cultive un pas de coté, l’autre a les deux pieds dedans.

Mon sentiment, très peu sociologique d’une population en France séparée en trois grandes tendances est le suivant : une est de peu d’intérêt ici, c’est celle qui tire son épingle du jeu, matinée d’élitisme et de cynisme. Quant aux deux autres, l’une anticipe autant que faire se peut sur la dislocation en ayant déjà rompu subjectivement et souvent en pratique avec les principaux déshonneurs de cette vie en société (consommation médiatique, entassement urbain, consommation clinquante, etc. au profit d’une prise en main de son alimentation – jardins potagers – de sa santé), l’autre s’applique à vouloir continuer vaille que vaille, les yeux encore rivés sur un modèle social encore chatoyant et revivifié par la quincaille numérique, parce que rien d’autre ne lui paraît possible, parce qu’elle n’en a pas les moyens, parce qu’elle ne veut pas s’en donner les moyens qui signifieraient l’impossibilité définitive de monter dans l’échelle sociale ou plutôt l’assurance de rétrograder.

L’une est décidément dans l’évitement et le contournement, en se ménageant des marges d’autonomie – au pire des « oasis » – tandis que l’autre, pieds et poings liés dans le salariat, le pavillon à crédit et les traites de la bagnole n’a pas de marge de manœuvre, et de sa « galère » individualisée ne peut que fantasmer (sondage de 85 % d’opinions favorables sur le mouvement des « Gilets jaunes ») sur cette initiative de gens de bonne volonté venue de nulle part.

L’alternatif rentre rarement en conflit ouvert et jusqu’au-boutiste face à l’ordre et l’État : si ce n’est le cas de la Zad de Notre-Dame-des-Landes où la possibilité de pousser jusqu’au bout le refus a été rendu possible aussi par la création de larges marges d’autonomie et de réseaux d’auto-subsistance.

La vie humaine capitalisée ne connaît plus l’art de la subsistance, elle ne connaît que le manque sans cesse reconduit. Et c’est contre cette reconduction, cette fois sous la bannière de la transition écologique, piège et chantage que tout le monde sentait se profiler pour le maintien des mêmes intérêts en place, que des gens anonymes et désarmés disjonctent et se retrouvent (de là à dire que c’est le premier burn out collectif…!).

De là à ce que les deux faces (comme pile et face) de la contradiction sociale (comment mener son existence individuelle sans liberté collective) ne soient plus face-à-face (ou dos à dos ?) mais en résonance ? L’une, s’appropriant des cris de rage de l’autre, la mesure de la petitesse de ses expérimentations pourtant louables mais insuffisantes, et l’autre, lasse d’être acculée s’appropriant l’art de la distance cultivée par la première, non pas pour se dérober au choc mais pour le densifier à l’aide d’une subsistance commune.

Venant, le 29 novembre 2018

La beauté capitalisée

Pour la critique sociale portée par les mouvements révolutionnaires historiques, l’art n’a que rarement été considéré comme un terrain de lutte décisif. Si la question des « modes de vie » est toujours restée, aux yeux des militants comme des théoriciens, une dimension politique et morale essentielle, la transformation de la vie quotidienne et notamment son cadre esthétique devait quasi automatiquement accompagner la dynamique révolutionnaire. Bolchevisme et national-socialisme promurent un art d’État qui accroissait leur pouvoir sur la société mais il resta un art relativement séparé des rapports sociaux concrets et quotidiens de la majorité des individus.

Il n’en va plus de même aujourd’hui avec « l’art contemporain ». Les dispositifs, les installations, les interventions dites artistiques qui occupent les espaces privés et publics visent désormais à produire un effet de « sidération » sur le plus grand nombre. C’est là, pour Annie Le Brun, une des opérations idéologiques autant qu’émotives que l’union entre le capital et l’art conduit à grande échelle. Dans son dernier livre, Ce qui n’a pas de prix, elle expose les causes et les conséquences de cette conquête des sensibilités par ce qu’elle nomme une « esthétisation du monde ».

Dans le texte ci-dessous Jacques Guigou analyse les forces et les faiblesses des thèses d’Annie Le Brun. Comme il y a plus de vingt ans, il avait déjà mis en évidence les mutilations de la vie par « le plaisir capitalisé », il désigne aujourd’hui les ravages de « la beauté capitalisée » telle que la dénonce Annie Le Brun. Toutefois, la forte portée politique des nouvelles notions critiques avancées dans Ce qui n’a pas de prix coexistent avec des fluctuations et des incertitudes concernant la question de la valeur.

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