Compte rendu de la manifestation « unitaire » du 14 décembre à Lyon

14h. Brotteaux

Des Gilets jaunes 400 environ blottis contre la gare des Brotteaux alors qu’une fine pluie donne le ton de la future manifestation. Pas l’ombre d’un syndicat, mais par contre des drapeaux LFI car il y aurait un appel aux partis à rejoindre cette manifestation… pourtant l’appel « unitaire », qui n’a rien d’un appel de Gilets jaunes, semblait bien permettre aux syndicats de venir, d’autant que c’est la seule vraie justification pour un parcours déposé en préfecture. Nous allons donc goûter à la convergence faite à nos dépens.

La banderole de tête portée tour à tour par des Gilets jaunes de bonne volonté à pour inscription « Pour nos droits » avec une signature : « Gilets jaunes Croix-Rousse », là aussi cela n’est pas très unitaire même au sein des Gilets jaunes.

Démarrage de la manifestation vers 14 h 20 qui semble déterminée, mais la succession des rues et des avenues vides va donner un ton mortuaire à tout cela. Aux abords de la Part-Dieu vague tentative d’avancer, mais le cortège bloque toute initiative. Passage sur l’avenue Garibaldi à proximité des Halles-Paul Bocuse bien gardées par 3 camions de GM.
Arrêt, mais on sent bien que ce n’est pas là que quelque chose pourrait se passer. Suivent des tentatives, rapidement circonscrites, de bifurcation tandis que monte chez certains la conscience que cette manifestation nous balade, au sens strict du terme. L’exaspération monte notamment au moment de quitter Garibaldi pour prendre la direction de la Guillotière. Une personne avec un mégaphone (du NPA ?) s’emploie à faire avancer tout ce monde dans la « la bonne direction » alors que la voie est libre : la combine fonctionne et cela redémarre ! Des militants du NPA sont bien présent mais qui agissent, de fait, à l’insu de tous.

Direction la Guillotière et le cortège va s’échouer devant le pont du même nom, grille devant et GM de chaque coté. Cela stagne, certains s’énervent d’une manifestation aussi calme tandis que d’autres font tourner un mot pour se rejoindre à Bellecour, mais nous n’y trouverons quasiment personne. La « balade du samedi » des Gilets jaunes est finie à 16 h 30.

On apprendra que ce type de manifestation se décide en AG interluttes avec des représentants des « Gilets jaunes ». Qui sont ces « représentants », qui ne veulent pas apparaître comme responsables de pareil cortège mortuaire, demande des éclaircissements…

Compte rendu partiel de la journée du 9 décembre 2019 à Lyon

Partiel car centré sur les lycées mobilisés pour dénoncer l’action de la police la semaine dernière devant le lycée Ampère-Saxe et la blessure à la face par balle de LBD d’un jeune élève de 15 ans.

Dès 8H du matin, le blocage d’Ampère-Bourse est important avec 300 élèves qui bloquent les portes avec des poubelles et autres obstacles. La police est présente mais regarde de loin contrairement à décembre où elle intervenait très rapidement. Le blocage a aussi lieu à l’annexe d’Ampère-Saxe.

Quelques poubelles s’enflamment, la police avance puis recule. Je me fais insulter par le porteur de LBD qui me dit que je devrais avoir honte d’être là à mon âge. L. lui répond vertement et moi de même. Il s’éloigne. Quelques délégués partent à l’AG de la Bourse, mais le blocage tient. Quelques nouveaux feux de poubelles et des élèves bloquent une porte de derrière que l’administration tient à garder ouverte. Un peu de dispersion, de relâchement d’attention et la police en profite pour procéder à deux arrestations de lycéens. Pas de réaction véritable car l’occupation s’est effilochée.

Le rendez-vous de l’après-midi avait été fixé, au cours du W-E, à 14H devant l’annexe d’Ampère-Saxe et les enseignants et autres grévistes étaient censés s’y joindre. Mais en fait, par on ne sait quel tour de passe-passe les syndicats changèrent du tout au tout en convoquant au dernier moment la manifestation sur la place Jean Macé.

Résultat : les lycéens, désorganisés, sont dans la nature. Il n’y en a plus devant le lycée et guère plus à Jean Macé.

Une manifestation d’à peine 500 adultes (il n’y a même pas les étudiants qui pourtant ont eu une AG dans la matinée !) déambule lentement et à sa tête tout ceux qu’on n’a pas vu depuis plus d’un an, les leaders de la CNT qui enfin peuvent reprendre une tête de cortège drapeaux au vent d’autant que s’il y a des enseignants dans le cortège, enfin on peut le supposer, il n’y a pas de drapeau de la FSU et encore moins de cégétistes à par quelques cheminots venus à titre de grévistes, mais pas avec l’attirail syndical. Devant le lycée il y a un arrêt en hommage au lycéen avec prise de parole au micro par un apprenti bonze de la CNT. J’essaie d’intervenir sur le trottoir devant le lycée pour le renvoyer à ses misérables magouilles politiciennes, mais je n’ai pas de micro, il y a du bruit et à part quelques déçus ou coléreux qui se mettent aussi de côté sur le trottoir, tout reste bien dans l’ordre et la dignité. La manif s’ébranle à nouveau car vous savez (et même les déçus le disent) : il ne faut rien sacrifier à l’unité et l’essentiel est demain… D’ailleurs, l’essentiel n’est-il pas toujours pour demain quand certains sont prêts à faire avaler toutes les couleuvres et que d’autres sont prêts à les avaler…

Une remarque finale : pourquoi depuis décembre 2018 avec la force qu’a eu le mouvement lycéen à ce moment les lycéens ne se sont-ils pas constitué en coordination lycéenne comme leurs devanciers historiques. A cette question, L. pourtant lycéen et mobilisé n’apporte pas de réponse.

J. le 9 décembre

Quelques remarques et réflexions suite à la réunion Temps critiques

Réunion Temps critiques à Lyon les 22, 23 & 24 novembre 2019

— Elle a permis la participation/intégration de nouveaux venus.

— L’après-midi du samedi sur les Gilets jaunes a facilité la rencontre. Le revers de la médaille est qu’on a passé pas mal de temps dessus et qu’il est difficile de « bouillonner » toute une journée.

Mais il était logique de passer du temps sur ce qui constitue notre première intervention non sur le mouvement, mais dans le mouvement, à travers l’expérience du Journal de bord à Lyon.
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Ni apocalypse, ni révolution à l’horizon, mais critique théorique et intervention ici et maintenant

À propos de la présentation du livre de Giorgio Cesarano Manuel de survie par Dietrich Hoss sous le titre Apocalypse ou Révolution – ce qu’avait prévu Giorgio Cesarano publiée à la suite :

Cette « Apocalypse et révolution » n’était-elle pas une façon pour Cesarano d’affirmer dans son propre langage la révolution du capital, ce que Pasolini fit lui aussi à partir d’autres mots dans ses Écrits corsaires et Les lettres luthériennes ?

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Les assauts prolétariens contre le capital : mythe ou réalité ?

Nous publions ci-dessous un échange récent entre Henri D. et Jacques Wajnsztejn. Autant par les thèmes abordés que par les exemples historiques cités, leurs propos sont emblématiques de la manière dont l’ancienne « question sociale » est aujourd’hui réactivée par les luttes actuelles et notamment par celle des Gilets jaunes.
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Notes à partir et au-delà du livre « Vive la lutte des Gilets jaunes ! »

La diversité des approches et positions

Nous prenons appui sur un livre auto-édité d’un compagnon marxiste léniniste lyonnais pour développer quelques éléments du mouvement lyonnais. Un opuscule dont l’on doit reconnaître qu’il part d’un vrai engagement dans le mouvement des Gilets jaunes sur Lyon. En ce sens ce n’est pas une analyse coupée de la lutte. Cependant bien que nous ayons vécu des choses semblables ou/et en commun, la façon d’aborder certaines questions est assez différente de celles qui ont pris corps avec le Journal de bord et plus encore dans les textes de Temps critiques. Le ou les auteurs du livre Vive la lutte des Gilets jaunes se centrant théoriquement et pratiquement un peu à côté ou plutôt dans un autre champ que nous avons pour notre part ignoré. En effet en visant sur plusieurs pages le rôle des courants politiques qui n’ont pas mené la lutte comme les post-opéraïstes, absents du mouvement, ou encore en qualifiant des tendances issues de la FI et d’ex-Nuit Debout de « semi-anarchistes » la critique est entachée du poids politique d’un passé non critiqué, celui des organisations traditionnelles de la classe ouvrière. D’une part les échecs notamment depuis les années 70 et le pourquoi de ces échecs ne semblent pas pris en compte. D’autre part le champ de connaissance des différents courants politiques contemporains est assez réduit et plus encore pour tous les courants sortant d’une orthodoxie marxisante.

Le livre aurait gagné à recevoir les textes produits par ses auteurs durant le mouvement, donnant le ton des batailles qui ont pu être menées via ce témoignage direct de leur approche marxiste. Par exemple le tract écrit pour aider à la définition d’un fond revendicatif des Gilets jaunes sur Lyon, et qui fut ignoré par l’assemblée générale populaire de Lyon et environs (dénomination officielle) comme les écrits produits par nous même1. En ce sens, la recherche de cadres politiques dans l’optique marxiste-léniniste s’est trouvée confrontée à des tendances purement gestionnaires, voire managériales, d’une gauche (anti-macronienne politiquement, mais macronienne d’esprit parce que branchée sur un discours « communiquant » commun) incarné par des personnes issues des Nuit Debout et de la FI dont le formalisme démocratique le dispute à une culture politique proche de zéro. Le fossé entre d’un côté, une pensée qui « positive » (comme Carrefour !) tout ce qui est fait parce que c’est fait, qui aboutit à ne faire aucun bilan au compte des FI/Fakir-Nuit Debout et de l’autre celle d’une approche dialectique issue du marxisme du XXè siècle est immense. C’est la différence entre deux mondes, l’ancien langage marxiste orthodoxe de la lutte de classes s’affrontant à un « logiciel » post-moderne sans perspective autre que de bien gérer le présent du mouvement (l’Assemblée des assemblées) et le futur proche si la victoire était au bout ; tout cela au nom du « peuple ».

Pourtant, comme eux, nous avons été présents lors d’une multitude de moments du mouvement (actions diverses ne se limitant pas aux manifestations, AG, commissions, etc.), mais notre lecture du mouvement et nos interventions ne s’intègrent à aucun de ces deux champs2. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés pris entre deux feux.

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  1. Cf. Adresse à l’Assemblée Générale des Gilets jaunes de Lyon. Sur le blog dans le récapitulatif du Journal de bord du mois de mars 2019 : http://blog.tempscritiques.net/archives/2792 []
  2. Cf. Pourquoi le communisme n’est-il plus qu’une référence historique pour les membres de Temps critiques ? À l’adresse : https://www.tempscritiques.net/spip.php?article402 []

Vers l’éclatement…

D’un côté, pour les assemblées qui envoient des délégués à l’Assemblée des assemblées (AdA), le fait que le mouvement ait une origine de ronds points et de blocage des péages, s’efface comme si l’exemple de l’assemblée de Commercy avait été repris de partout et immédiatement, alors qu’il est resté une exception pendant tout un temps, même s’il y a eu rapidement une assemblée à Toulouse qui s’est structurée autour des 48 revendications. De là l’idée que toutes les stratégies ou modes d’action sont possibles et même complémentaires, Black Bloc compris dans ce qui est conçu comme une sorte de libre choix selon ses appétences et compétences. Chacun à sa place et à sa place dans une division du travail qui n’est pas critiquée parce qu’elle est comprise à l’intérieur de l’hypothèse de l’horizontalité des fonctions. Une vision très post-moderne, bien en phase d’ailleurs et c’est un paradoxe, avec le macronisme.

Ce qui était encore lié pendant novembre-janvier (blocages, manifestations, assemblées populaires ou citoyennes, soutien aux grévistes) se délie et se délite. Les spécialisations apparaissent et chacun défend ce qui est devenu son pré-carré. Il y a alors division entre « ceux qui font des choses » avec une subdivision interne entre « ceux qui font des choses » qui ne servent à rien et ceux qui font des choses qui servent d’une part, et ceux qui ne font rien … que de critiquer, d’autre part.

Le leitmotiv qui est de dire qu’il faut respecter chacun et ne pas donner de leçon ; que de toute façon tout est complémentaire n’est en fait pas (plus) tenable. Il y a maintenant trop d’arrières pensées en coulisse et des restes de position de classes qui refont surface entre d’un côté, des positions de petite classe moyenne faites de soucis de respectabilité, de « donner une bonne image de marque », d’exigence de reconnaissance institutionnelles ; et de l’autre des positions de révolte de personnes précarisées, à la limite de la lumpen-prolétarisation. Cette dernière fraction non seulement privilégierait les actions illégales voire violentes, mais elle serait bloquée sur les attaques contre les personnes (et les biens) et des objectifs finalement trop quantitatifs et que le gouvernement pourrait finalement accordées pour faire cesser le mouvement. Elle aurait oublié les « valeurs » et les buts profonds du mouvement qui ne sont pas d’ordre matériels. De fait cela revient à opposer fin du mois à fin du monde, à opposer ceux qui veulent remplir le frigo et ceux qui pensent qu’il faut réduire la consommation, opposer l’avoir et l’être dans un moralisme confondant.

Pour certains GJ, les idéaux du mouvement auraient été sacrifiés à une sorte de consumérisme latent1. Pourtant, les slogans et chants liés à la Révolution française ne sont-ils pas l’expression « d’idéaux ». On a l’impression que les uns jouent Condorcet et le droit de pétition alors que les autres jouent « les aristocrates à la lanterne » !

Pour les uns il ne s’agit pas (plus) de s’attaquer au « système », ce qui étai pourtant le point de départ du mouvement et lui a valu d’être stigmatisé comme populiste par les politiques et les médias.

JW, fin juin 2019

  1. Cf. un tract non signé, mais diffusé par le groupe Lyon-centre à la réunion de préparation de l’AG départementale qui s’intitulait : « Gilets jaunes, quel est votre… métier », une critique humoristique d’un des slogans les plus repris dans les manifs : « Gilets jaunes, quel est votre métier ? Aouh, ahou, ahou » en référence aux guerriers spartiates et au film 300 []

Dans les traces encore fraîches des Gilets jaunes

À partir de la lecture de l’article de Dietrich Hoss Ce qu’il pourra rester du mouvement des Gilets Jaunes ? publié sur le site Lundi.am1, il nous semble utile de formuler quelques remarques.

Sur le fond de notre présentation, de ce qu’il faut garder des Gilets jaunes, plusieurs choses vécues de l’intérieur nous ont amené à certaines conclusions et au contraire de ce qui est dit de notre article, nous avons tenté de ne pas noircir le tableau. Oui il y a des traces qui resteront de ce mouvement, et pour illustrer notre position générale à son sujet, on peut se rappeler de la phrase de Horkheimer pour qualifier Adorno et son approche de la critique comme celle d’un « pessimiste théorique et d’un optimiste pratique ». C’est ce que nous avons appliqué dans ce texte qui s’efforçait de faire un premier bilan. Mais il y a des moments où même cet optimisme pratique n’est plus de mise. Et à notre avis nous en sommes là. Il a souvent été reproché à Temps critiques (surtout côté insurrectionnistes), d’avoir une critique juste, mais « en surplomb », or là, le moins qu’on puisse dire c’est que nous ne sommes pas dans cette position puisqu’à notre connaissance, nous sommes le seul groupe « extérieur » à avoir opéré de manière affichée à l’intérieur du mouvement des Gilets jaunes.

Il est possible d’évoquer une « nouvelle socialité » qui, certes, nous est apparue comme importante, ce que nous avons appelé la tendance à la communauté des Gilets jaunes, mais elle ne fait pas tout, surtout une fois le mouvement retombant. Il ne s’agit pas de clore des potentialités, mais il est possible de se raccrocher à ce qui se passe réellement comme le permet le Journal de bord2. Ce n’est pourtant pas ce à quoi se livre D. Hoss dont l’interprétation apparaît très décalée dans la mesure où elle consiste à adopter une position velléitaire conduisant à vouloir toujours plus alors que le mouvement est maintenant dans une phase où il a épuisé sa dynamique. En outre, l’apport qu’il va chercher auprès des analyses de Marcello nous apparaît bien problématique. En effet, Tari se méprend sur les modalités actuelles de la dynamique du capital et sa marche vers la société capitalisée. Sa notion « d’insurrection destituante » ou encore celle de « communisme destituant » ne tient pas compte de la tendance à la dissolution des institutions de l’Etat-nation. Avec la mise en réseau de l’État, avec la contractualisation et la particularisation des rapports sociaux, les anciennes médiations institutionnelles se résorbent dans une gestion numérisée des individus (cf. les services publics à distance). Sans en tenir compte, Tari combine le dégagisme du mouvement des Places et le territorialisme des ZAD. De cette combinatoire, il réactive les notions passe-partout : « d’insurrection destituante » et de « République constituante », déjà proposées, en vain, dans les années 2000 par certains post-opéraïstes et la revue Multitudes. Avec ce que nous avons nommé la « révolution du capital », le capitalisme du sommet ne craint pas les actions « destituantes » puisqu’il les pratique intensément lui-aussi. (cf. par exemple, Macron et son livre « La révolution » et aussi « les réformes » au niveau théorique, la tendance à la privatisation de la police et de la justice au niveau pratique). Les perspectives tracées par Tari sont bien plus métaphysiques que politiques et restent très éloignées de celles explorées par le mouvement des Gilets jaunes. Revenons-y.

En effet, au sortir d’assemblées générales plus que houleuses il faut poser les limites de ce que nous avons vécues. Aujourd’hui les uns et les autres s’insultent et s’écharpent pour rien ou presque parfois, jusqu’à ce que certains quittent ponctuellement ou définitivement l’AG. Quant à nous, nous n’avons pas quitté les AG malgré l’envie de certains de nos amis de lutte qui nous pressaient de le faire, mais on a subi des pressions dénonçant nos interventions intempestives qui auraient eu pour effet de déstabiliser les personnes à la tribune et on nous a sommés de nous justifier ! Par exemple, sans rentrer dans les détails, car le Journal de bord l’explique, nous sommes attaqués par les ex-Nuit Debout et LFI pour avoir fait exploser le carcan de « leur » AG dans lequel ils se reconnaissaient et qu’ils voulaient imposer à tout un mouvement sur Lyon. Les communicants en herbes étaient bien là avec tout leur langage et codification extrême. Nous avons pu l’expérimenter dans notre participation aux débuts de la commission organisation avec des individus essayant, de bonne foi, de recycler leur formation en sciences humaines (il serait plus juste de dire, en « ressources humaines ») pour gérer le mouvement comme ils gèreraient une start up. Le fait de ne pas les avoir laissé faire est pris comme la plus haute des trahisons, alors que c’est une critique en acte envers une fraction du mouvement (celle qui se rattache aux Assemblées des assemblées) qui pense tout en termes d’affirmation et d’institutionnalisation (cf. le ralliement soudain au RIP), pendant qu’une autre pense radicaliser une pratique d’action directe qui, si elle restait adéquate pendant la phase ascendante du mouvement, en dérive aujourd’hui vers l’immédiatisme activiste (éclatement du groupe du péage TEO et formation d’un groupe « Gilets jaunes-Lyon résistance» dont les tendances clandestinistes le coupent du peu de « combattants » qui restent).

Ceci dit, dans nos écrits nous ne nous sommes jamais étendus sur les dissensions et affrontements entre groupes qui ont parcouru tout ce mouvement. Mais aujourd’hui où nous faisons des manifestations d’à peine cent personnes dont la moitié ne va pas ou plus aux AG et des AG à quatre-vingts dont la moitié des participants ne va plus aux manifestations, ces affrontements sont devenus un problème. Plus rien ne vient donner de l’unité et tout ce qui n’a pu être dépassé auparavant revient comme un boomerang. Les différences d’origine sociale pour ne pas dire de classe font exploser des personnes et l’on est loin des attaques feutrées des universitaires… Il s’agit là d’attaques physiques qui se rajoutent, niveau stress ou « ressenti d’insécurité » à ce que la police nous a fait subir. Comment faire face alors à des situations où, comme dans la dernière AG départementale on passe d’un soutien à un flic mis à pied du syndicat Vigie police, à des « nique ta mère Castaner » ? Il faut se rendre compte à quel point c’est le grand écart pour des Gilets jaunes dont le problème est de toujours tout vouloir faire tenir ensemble.

Quant à la dimension destituante via M.Tari puisqu’il faut y revenir, en Assemblée Régionale Rhône-Alpes-Auvergne, avec des référents par groupes régionaux, cela a commencé par parler… des élections municipales. Nous faisons en effet face à deux types de municipalisme à l’intérieur du mouvement : celui de l’assemblée des assemblées sur les bases du municipalisme libertaire à la Bookchin, ce qu’on peut qualifier de municipalisme programmatique, hors sol ; et celui des groupes de ronds-points de village qui voient ça comme une prolongation politique et citoyenne du mouvement sur la durée. Des groupes comme celui de Givors sont très en pointe à ce sujet. Ici c’est sur une base de gauche (le délégué de Givors fait aussi partie d’un « CNR-jaune »), mais rien n’empêche de penser qu’il existe son pendant à droite puisque le RIP des aéroports de Paris fait bien unité droite/gauche !

Ce n’est pas la prise à son compte par Hoss de la teneur insurrectionniste en soi du propos de Tari qui est critiquable, mais le fait de donner crédit à l’idée de « l’insurrection destituante », une hypothèse sans rapport avec le mouvement réel des Gilets jaunes et sans référence aux transformations de l’État et du capital.

Pour parler des conditions présentes, beaucoup de protagonistes du Journal de bord, dont nous-même, traversons des moments à souhaiter… que cela s’arrête. La dureté même des échanges après sept mois, dégoûte bon nombre de personnes et crée de vraies défections.

Certes on peut gloser sur notre façon de « clore » le mouvement, mais au contraire c’est lui donner ses lettres de noblesse en lui reconnaissant des points forts sans ignorer ses faiblesses. C’est au contraire bien se situer au niveau de l’Histoire que de différencier la phase où l’évènement s’enracine et parfois fait éclore les plus beaux combats et celle où les fleurs se fanent. Il faut simplement reconnaître que lorsqu’ils ne se transforment pas en autre chose de plus puissant les mouvements sont faits pour mourir.

Pour finir, le temps ne s’arrêtant pas, ces remarques critiques par rapport à notre brochure apparaissent un peu datées et notre nouvelle brochure sur l’historique du droit de pétition indique un devenir de ce qui reste du mouvement dans un sens rien moins qu’insurrectionniste. En effet, l’Assemblée des assemblées de Montceau n’a rien trouvé de mieux que de lancer les Gilets jaunes sur la piste du RIP contre la privatisation de AdP en se rapprochant de l’idéologie CNR (il existe maintenant un « CNR jaune ») et ce n’est pas l’action du 14 juillet, louable en soi, qui nous fera changer d’avis.

Temps critiques
17 juillet 2019

  1. Ce qu’il pourra rester du mouvement des Gilets Jaunes ? Sur le site de Lundi.am : https://lundi.am/Ce-qu-il-pourra-rester-du-mouvement-des-Gilets-Jaunes []
  2. Accessible à cette adresse : http://blog.tempscritiques.net/archives/2231 []