Théorie, conscience, activité

Cet échange est le premier d’une série qui réintroduit le moment Gilet jaunes des luttes dans des problématiques plus générales, comme ici celle de la « conscience », le rapport entre théorie et pratique ou bien celle du rapport des activistes d’extrême gauche aux mouvements qui surgissent sans qu’ils en soient à l’initiative.


Le 18 octobre 2021

Merci Jacques, j’espère que tu vas bien.

En France la confusion ne semble être qu’à ses débuts ? As-tu remarqué qu’on assiste à une espèce de retour forcé de la « marque » GJ depuis la semaine dernière suite au pic historique de l’essence… de nombreux appels pour une « saison 2 » des GJ ont été relayés par (ou émanent de) différents groupe FB de l’extrême-gauche insurrectionnelle (Cerveaux Non Disponibles, Nantes Révoltés), on appelle à reprendre les ronds-points comme si cela ne s’était pas déjà montré insuffisant et comme un échec dans le long terme… l’extrême-gauche est dans la nostalgie pure de ce pour quoi elle était absente. Qui plus est cet appel s’est soldé d’un échec, les ronds-points ont été très peu repris car les gens qui ont vraiment fait le mouvement GJ ne sont pas dupes, et ne veulent plus faire la balade du samedi.

Entre ça, les manifestations contre l’extrême-droite et les anti-pass, l’émergence d’un mouvement de contestation globale et profonde semble mal partie… qu’en penses-tu ?

MC.


Le 19 octobre 2021

MC.

Oui ça va …

Ce que tu me dis sur la « marque » GJ nous l’avons signalé dans notre dernière brochure, le n°18 d’Interventions où nous posions la question d’un « non mouvement ». Il me semble te l’avoir envoyé sinon je te le renverrais mais tu peux aussi le trouver sur Lundi matin. Il a d’ailleurs été traduit en anglais. L’extrême gauche et quelques GJ ne sont pas tant dans la nostalgie que dans l’incompréhension de ce qu’est un mouvement. Les premiers ont globalement ratés le train et les seconds refusent que le destin d’un mouvement soit de mourir un jour. Plus fondamentalement, ils confondent mouvement et activisme ; participation au mouvement et pratique mouvementiste. C’est pour cela que je conseille souvent et surtout aux personnes qui se situent en bordure de l’insurrectionnisme, de lire les 20 pages sur la théorie et la pratique qu’Adorno a écrit au moment du 68 allemand et qui se trouvent dans son livre Modèles critiques. Il me semble en avoir parlé à Yannis. A vérifier. D’une manière générale je ne pense pas qu’on puisse interpréter les pratiques à partir d’éléments psychologiques. D’ailleurs ce qui est possible et « humain » de la part d’ex-GJ est douteux pour des gauchistes qui ne peuvent être nostalgiques de ne ce qu’ils ont pas vécu ou qu’ils ont mal vécu dans un entre-deux dont ils ne sont jamais sortis. Ils se disent plutôt qu’ils ont laissé passer quelque chose il y a deux ans et qu’il ne s’agit pas de répéter la même erreur aujourd’hui avec le mouvement antipass. C’est en fait de la « matière » qui leur manque car ils ont beau faire l’apologie des positions et luttes intersectionnelles, elles leur sont de fait étrangères ; et restent de l’ordre du positionnement du discours puisque toute « appropriation » leur est interdite (on les accusera d’être en »surplomb »). Donc la seule appropriation qu’ils peuvent tenter (comme l’ex-droite d’ailleurs) porte sur des pratiques informelles de révolte qu’ils essaient de chapeauter ou plutôt d’orienter. Pour les anciens GJ je ne crois pas que ce soit une question de conscience (mais ça c’est plutôt le fruit d’une « position » Temps critiques liée à notre cursus théorique mais aussi à notre expérience qui fait que nous ne « croyons » pas à la « conscience » et à l’importance de la prise de conscience). Par exemple, quand dans nos articles sur les classes nous disons que la théorisation d’influence hégélienne de Marx sur la classe en soi et pour soi nous paraît la plus acceptable, nous n’en acceptons pas pour autant le fait que cette conscience « pour soi » soit le fruit d’une accumulation d’expériences prolétariennes. Cette conscience-là est finalement la conscience trade-unioniste où la notion de classe pour soi devient quasi corporatiste et définit l’aristocratie ouvrière qui accumule les droits et les positions au sein de la société bourgeoise d’abord puis ensuite pendant la société qu’on pourrait dire « salariale » de la période des Trente glorieuses. Pour nous la classe pour soi est bien plutôt un surgissement comme par exemple en 68 en France et surtout en Italie entre 69 et 75 quand un certain et finalement incertain alliage s’instaure entre la classe ouvrière relativement garantie (et syndiquée) et de vieille tradition et la jeunesse prolétaire du Sud qui découvre et refuse la discipline du travail et de la ville (le sujet de la théorie opéraïste et de mon livre en quelque sorte comme c’était déjà le sujet de nos livres sur 68). « Pour soi » n’a alors rien d’une prise de conscience progressive où l’en soi se transforme en pour soi. En effet, les protagonistes du mouvement n’ont pas le temps de prendre conscience par un procédé réflexif qui demande du temps qu’ils n’auront jamais, mais sont comme traversés par un « orgasme de l’histoire » que chacun ressent dans ses tripes, une sorte d’électrisation où beaucoup sont prêts à tout risquer. Ce n’est pas de l’ordre de l’appropriation, car les prolétaires italiens ne se sont emparés de rien et en tout cas pas des usines ; ils ont manifesté un immense mouvement de refus qui a soudé les collectifs de lutte (cf. nos développements sur la communauté de lutte) ; alors plus rien de corporatiste et presque plus rien de classiste ne subsiste. De même en France, la CGT a occupé les usines, les jeunes ouvriers ont « occupé » la rue et les quartiers où ils ont retrouvé les étudiants.

Pour en revenir aux anciens GJ, je ne crois pas qu’ils aient « conscience » de la faillite de la stratégie des ronds-points. Bien sûr qu’ils en ont vu les limites comme les étudiants de 2006 ont vu celles des blocages de fac ; il n’empêche que si un mouvement de ce type géo-sociologiquement parlant ressurgissait, les ronds-points seraient sûrement à nouveau utilisés comme lieu. Non, ce dont ils ont « conscience » et nous aussi (mais le terme de conscience ne convient pas ici), c’est que nous sommes dans la nasse. Que le Covid et le confinement ont accru les séparations et l’isolement (là encore je te renvoie à notre dernière brochure). L’ex-GJ qui n’a pas chopé le virus de gauche au passage est retourné cultiver son jardin parce qu’en dehors des périodes d’effervescence sociale, il n’y a plus rien ou presque. La lutte au quotidien sur les lieux de travail a depuis déjà de nombreuses années baissé d’intensité du fait de la détérioration du rapport de forces capital/travail au détriment du travail. C’est bien ce qui faisait le décalage entre le mouvement des GJ qui affrontait le capital,mais sur un autre terrain que celui du travail et des luttes quotidiennes sur ce terrain du travail devenues dérisoires où changeant de nature (souffrance au travail harcèlement, discriminations, etc) et par là même perdant ce caractère collectif et relativement unitaire qui permet un développement des luttes et une perspective. A la place on a eu le droit à l’idée de « convergence » des luttes bientôt transformée en tarte à la crème des apprentis bureaucrates du climat et des bureaucrates confirmés de la fraction de gauche des syndicats. Des coquilles vides (cf. le texte de Greg, Gzav et Ju dans le numéro 20 de la revue) Je pense qu’on peut dire que les ex-GJ ont fait l’expérience de tout ça. Ils en sont sortis « vaccinés ». Il en restera peut-être quelque chose, mais ce serait une erreur de penser que grâce aux prises de conscience successives, il y aurait comme un cumul possible de toutes ces expériences qui ferait progresser le prochain mouvement. Historiquement, il n’en est rien : après chaque mouvement qui porte atteinte à l’ordre établi s’il n’y a pas victoire il y a défaite et on repart de zéro ou presque. Et on pourrait dire que c’est vieux comme le monde ; la seule spécificité du capitalisme en tant que mû par sa dynamique et non sa simple reproduction, c’est qu’il se montre parfois capable de recycler des moments ou des thèmes de sa propre contestation. C’est pour cela que la société du capital a introduit une rupture dans le schéma théorique originel de Marx qui faisait se succéder révolutions et contre-révolutions. Ce que j’ai appelé la révolution du capital peut être considérée comme une tentative de réaliser l’Aufhebung hégélienne sous la forme de ce que JG a nommé « englobement » plutôt que dépassement parce que le rapport social capitaliste ne dépasse rien tant que ce rapport existe. Mais revenons sur terre. La séquence occupation des places pendant Nuits debout-manifs contre le projet de loi El Khomri-mouvement des GJ-mouvement contre les retraites, pouvait laisser penser à la possibilité effective d’ouvrir un cycle qui ne se résume pas à l’habituel balancier mouvement-défaite/mouvement-défaite, mais même avant le clap de fin du confinement on a bien vu que le mouvement contre la réforme des retraites n’arrivait pas à intégrer les caractères spécifiques et novateurs de la lutte des GJ. A fortiori en est-il de même des manifestations anti-pass.

J’arrête pour le moment,

Bien à toi,

JW

Remarques à chaud à propos de l’échange sur imagination, imaginaire, imageries

Ci-dessous des remarques à chaud de D.Hoss en dialogue autant avec la note de J.Guigou sur imagination/imaginaire/imageries qu’avec les remarques de Laurent et J.Wajnsztejn qui ont suivi.


Excusez que je me mêle de façon un peu intempestive à votre échange, car il concerne pour moi le nerf de la lutte révolutionnaire d’aujourd’hui. Le constat, attribué à Fréderic Jameson, qu’ « il est plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme », est d’une incontestable évidence. La faculté constitutive de l’espèce humaine, l’imagination, a été bloquée et déviée par un imaginaire tout puissant, juste quand on aurait le plus besoin d’elle.
Jacques G. caractérise l’imagination comme suit : « Cette dimension anthropologique présente dès l’émergence du genre humain » avait « dans de circonstances historique déterminées…élargi et approfondi la pratique », elle avait été « porteuse d’un devenir ». Il définit la fabrication des imaginaires, par contraste, comme un processus « qui combine effacement et remplacement [dont] résulte une puissance politique et culturelle » qui s’affirme « dogmatiquement (voire religieusement) comme nouvelle norme, nouvelle morale ». Il appelle cela une forme d’ « autonomisation » de l’imagination. Moi je dirais qu’il s’agit d’un processus de sa captation, codification et soumission par institutionnalisation, une transformation que JG avait critiquée avec raison déjà en 2002 concernant la « fixation institutionnaliste » de Castoriadis.
Quelles sont aujourd’hui les symptômes d’un tel écrasement de l’imagination par institutionnalisation des imaginaires ?

  • Le remplacement de la force des visions utopiques par des élaborations de Sciences fictions dystopiques – c’est-à-dire de la prolongation de l’existant en pire ;
  • l’aboutissement de l’objectivation scientiste de la nature extérieure et intérieure par la recherche d’une Intelligence Artificielle transhumaniste ;
  • la résurrection de l’imaginaire d’une conquête de l’espace associée maintenant à la course folle vers Mars à la recherche d’une planète de rechange, la terre étant considérée comme condamnée à la disparition ;
  • l’apparition de délires survivalistes et/ou d’attente d’extraterrestres

(liste non exhaustive !)

Les supports idéologiques et technologiques de la production d’imaginaires ont été identifiés dans le passé par de théories critiques comme des mécanismes de dédoublement de la réalité « réellement existante », soit à travers l’hydre de l’Industrie culturelle soit par l’avènement de la « Société de spectacle ». Dans cette configuration tout concourt à la confirmation du constat « There is no alternative », pas d’alternative, ni à l’économie, ni à la forme de la civilisation occidentale en général. Ce que Marx avait formulé comme idéologie de l’économie politique de son siècle, « il y a eu une histoire, mais il n’y en n’a plus », s’est converti dans la vérité de toute vie en société sur terre. Le capitalisme a gagné le statut d’une religion1.

La dernière attaque pour imposer un tel imaginaire contre l’imagination créatrice se trouve sur le champ esthétique. Elle vise la base même de toute forme d’imagination : l’image. Dans votre échange ce nouveau front est associé à la notion d’« imageries ». JG parle d’une « tendance à une totalisation des activités humaines dans des imageries numériques, dans des univers virtuels et dans des formes abstraites “générées” par l’intelligence artificielle. » Encore faut-il clairement identifier la victime de cette nouvelle tendance à la prise de pouvoir des imageries. Lui détecte une absorption de l’imagination et des imaginaires par des imageries : « Dans la “réalité augmentée” du métavers, il n’y a ni imagination, ni imaginaire, mais seulement des imageries, des icônes et des symboles », une « captation des imaginaires dans les technologies des imageries ».

Il s’agit d’une guerre contre l’image en tant que base de l’imagination (voir leur racine étymologique commune). JG aurait pu se référer au dernier livre d’Annie le Brun (dont il a fait d’ailleurs une recension): elle y parle d’un meurtre de l’image par le flux ininterrompu de leur production et diffusion virtuelles autour du globe2.
L’image a été, des sa première apparition, le support de l’imagination, un déclic pour le déclenchement d’une inacceptation de l’existant dans sa forme donnée, pour son élargissement visionnaire-hallucinatoire dit Carl Einstein3 — et de sa transformation.

Simultanément les derniers refuges d’une imagination poétique, traditionnellement cantonnés dans les espaces de l’art, sont tendanciellement colonisés et renfermés par un « art contemporain », domestiqué en collusion avec la grande industrie (du luxe en particulier) et la finance spéculative. Un « art » qui met en avant mille et une visions pseudo-critiques ou complaisantes, résignés ou édulcorés, kitsch du monde comme il va, dans toute sa laideur L’ idole proéminent de ce nouveau genre de production esthétique s’appelle Jeff Koons. Ainsi, même dans l’espace de l’art, sont produits des imageries qui étouffent l’imagination, « ce qui n’a pas de prix », comme elle dit Annie Le Brun4.

Nous sommes loin de « l’imagination au pouvoir » avec un imaginaire quasi-religieux au pouvoir, imposé par une surabondance des imageries totalisantes.

Alors, Jaques (W) et Laurent, vous voyez que je ne pense pas que Jacques G. a manqué son enjeu. J’ai plutôt impression qu’il veut, comme vous, défendre l’imagination comme dimension anthropologique essentielle du genre humain. Par contre il considère, comme moi, les différents imaginaires sociaux qui ont émergé au cours de l’ « errance de l’espèce », en première ligne comme une mise au pas de l’imagination. Votre exemple de la Revolution française est parlant : après une première phase de la révolution, où l’imagination des combattants se libère de l’imaginaire de l’Ancien régime, celle-ci est encore une fois muselée et persécutée par un nouveau imaginaire « républicain » mortifère. De la même façon nous avons assisté dans les dernières décennies premièrement à un assaut pour installer l’ « imagination au pouvoir », c’est-à-dire un anti-pouvoir, remplaçant d’un pouvoir voué à la destitution, pour voir arriver à la suite une récupération de cette vision sous forme d’un imaginaire d’autonomie individuelle et identitaire garantie par un pouvoir se légitimant par de lois d’une économie naturalisée, inébranlable et immuable.

Heureusement vous et JG, vous arrivez à la même conclusion : il s’agit aujourd’hui de la libération et revigoration de l’imagination et de l’image comme une dimension clef de la praxis humaine. JG dit : « L’image (eidôlon, imago) contient une dimension transhistorique, anthropologique, qui disqualifie l’imaginaire pour décrire et critiquer [aujourd’hui DH] l’emprise de la vidéomédiatisation du monde contemporain ». Et vous dites : « Pour nous cette totalisation [d’une virtualisation des activités humaines] n’est qu’une tendance en cours qui peut être contredite, exemple, le métavers…s’implante difficilement comme l’indique la crise de son financement et les critiques qui se font jour contre les “innovations toxiques”. »

Nos ancêtres disaient : « pas d’action révolutionnaire sans conscience révolutionnaire !», en visant l’élaboration et application d’une théorie à prétention scientifique. Peut-être doit on aujourd’hui dire : « Pas d’action révolutionnaire sans imagination révolutionnaire ! » et considérer le front esthétique comme un front prioritaire de la lutte. Car c’est sur ce front que peuvent se libérer dans une « gymnastique de l’imagination » les énergies et innovations d’armes pour la destitution et destruction de la chape de plomb des imaginaires régnants. C’est dans cette perspective que je me suis engagé dans la revue L’Ouroboros5.

« Une autre fin du monde est possible » était un des slogans né dans le mouvement contre “la Loi travaille” ! C’est vrai, mais il faut encore un effort d’imagination considérable pour étayer la pertinence théorique de ce slogan et éprouver sa validité pour et dans la pratique.

4-12-2022

Dietrich Hoss

  1. Voir Walter Benjamin, Le Capitalisme comme religion, Payot, 2019 []
  2. Annie Le Brun et Juri Armanda, Ceci tuera cela – Image, regard et capital, Stock 2021 ; voir aussi ma présentation de ce livre en ligne: https://lundi.am/En-premiere-ligne-du-front-esthetique
    []
  3. Voir mon article dans Lundi matin : https://lundi.am/Carl-Einstein-1885-1940-Entre-revolution-artistique-et-lutte-armee []
  4. Voir Annie Le Brun, Ce qui n’a pas de prix, Stock 2018 []
  5. https://revuelouroboros.fr []

Communauté humaine et communisme

Cet échange entre Guillaume Wagner, Jacques Guigou et Jacques Wajnsztejn nous permet de préciser pourquoi nous avons abandonné la référence au communisme en tant que concept théorique auquel nous avons voulu redonner sa place en tant que concept historique et, à ce titre, concept limité par son lien privilégié à la théorie du prolétariat, un lien qu’il débordait parfois, mais au sein duquel il a été le plus souvent enfermé.
Cet échange est aussi à référer au texte récent de J. Wajnsztejn sur ce blog : Révolution à titre humain et communauté humaine.

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Recension sans privilège

Nous reproduisons, ci-dessous, deux articles de Marie-Claire Calmus pour leurs rapports avec le livre de J.Wajnsztejn Rapports à la nature, sexe, genre et capitalisme et ce qu’il implique. Le premier texte est une des (rares) recensions du livre (l’OCL en a aussi produit une dans leur journal Courant Alternatif) dans la revue l’Émancipation. Le second texte rejoint nos préoccupations sur la réception actuelle des livres touchant au questions sur les théories du genre de façon critique. Pour exemple, on constatera que la simple annonce de notre débat à la librairie Publico de la FA à Paris (voir sur ce blog) n’a pas été acceptée par Paris-Luttes Info.

Bonne lecture

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Vient de paraître : Temps critiques #22

Automne 2023

Les déchirements du capitalisme du sommet

Sommaire :

L’activité critique et ses supports – Temps critiques

Géopolitique du capital – Jacques Wajnsztejn

Travail et temps hors-travail, un couple en évolution – Gzavier & Julien

Victimes, complices ou acteurs de premier plan ? Le rôle des États dans le tournant dit néolibéral – Larry Cohen

Bifurcation dans la civilisation du capital II – Mohand

Races et révolution du capital : l’exemple américain – Larry Cohen & Jacques Wajnsztejn

Actualité de l’histoire niée – Jacques Wajnsztejn


Commandes :

Le numéro : 10 euros (port compris)
Règlement par chèque à l’ordre de :
Jacques Wajnsztejn / 11, rue Chavanne / 69001 Lyon

Abonnement pour 2 numéros (dont abonnement à la liste de diffusion du blog pour Suppléments et Hors-séries) : 15 € (port compris), soutien : à partir de 35 €


Présentation du numéro

– Certains ont tendance à voir dans toutes les luttes initiées en France depuis celle contre le projet de loi-travail, une même « séquence » qui deviendrait cumulative par la transmission d’une mémoire de lutte rendue possible par la fréquence des moments internes de la « séquence ». Ce n’est pas notre position. Nous ne pensons pas qu’une constante de l’agitation puisse signifier un approfondissement de l’insubordination sociale à partir du moment où chaque mouvement, quand il vient à buter sur ses propres limites ne peut constituer un marchepied pour la lutte suivante et ce, quel que soit le niveau de lutte et de satisfaction que nous ayons pu y connaître. Nous l’avons expérimenté récemment, par exemple, quand nous avons décidé d’abandonner notre activité au sein des Gilets jaunes, une expérience devenue progressivement sans perspective ni objet autre que de se raccrocher à de nouvelles manifestations et actions quelles qu’en soient la provenance et les objectifs (antivax, antifa, anticapitaliste). Cela ne veut pas dire que l’expérience de lutte ne sert à rien, mais elle n’est pas une garantie de saisie de ce qui apparaît de nouveau.

– Il ne s’agit pas d’abandonner la dialectique au profit soit d’une pensée non dialectique, car affirmative immédiatement d’un sens insurrectionniste plus ou moins latent : le « temps des émeutes » comme stratégie politique, les pratiques du Black Bloc comme tactique ; soit d’une autonomisation de la théorie (la théorie comme enchaînement de concepts qui s’affineraient au cours du temps) parallèle à une autonomisation du capital par rapport au devenir de l’espèce.

Le rapport entre critique et pratique est certes celui de la discontinuité, mais dans l’interaction. Il n’y a donc pas d’unité a priori de cette critique, d’où le fait que certains relais de cette critique (revues, réseaux) ne cherchent pas l’unité à tout prix, mais composent avec des réflexions composites sans se soumettre au cadre imparti par un « programme communiste » qui n’existe pas et défendu par un Parti qui n’existe plus, même sous sa forme « imaginaire ».

– La guerre russe, un événement éminemment politique, contredit ce que le processus de globalisation et la division internationale qui y était liée ont produit depuis quarante ans, à l’abri des États pourrait-on dire, même si la « révolution du capital » ne s’est pas faite contre eux.

Les effets de cette guerre conjugués à la crise sanitaire qui a précédé accélèrent de fait la mise en place de ce que les divers centres décisionnels, publics ou privés, appellent la transition écologique et énergétique. En effet, la globalisation et la mondialisation des échanges, qui ont remplacé les formes impérialistes et colonialistes du capital, nécessitent une paix globale, paix armée il est vrai, malgré la décroissance des dépenses militaires jusqu’à la récente guerre et la limitation de certaines armes, mais paix quand même et un effacement relatif de la puissance des États dans leur forme nation. Le retour des tendances souverainistes peut être considéré, à ce propos comme un premier « déchirement » du capital global.

Si le G20 et autres organismes internationaux et leurs cohortes d’experts économiques pensaient imposer une taxe carbone pour « respecter » le climat et la planète, l’événement que constitue la guerre russe bouleverse le bon ordonnancement des choses capitalistes. En effet, les grandes entreprises privées ne sont pas sur les mêmes objectifs et surtout la même temporalité que les États, ne serait-ce que parce qu’elles prospèrent sur la base de coûts cachés (émissions de carbone, exploitation de différentiels sociaux avantageux, dumping fiscal), qui ne sont pas pris en compte dans la régulation globale. Il s’ensuit qu’il ne peut y avoir de « plan du capital » univoque au niveau de l’hypercapitalisme (niveau I de la domination capitaliste). C’est un second déchirement.

Toutes ces difficultés rendent problématique l’arbitrage interne sur la richesse et la redistribution au sein de chaque État (niveau II), entre fin du monde et fin du mois, avec, en mémoire le mouvement des Gilets jaunes en France. C’est un troisième déchirement.

– Dans la société du capital tout tend à être englobé et capitalisé, du travail au temps libre et du temps libre au travail, dans un seul continuum. C’est désormais la distinction travail-hors travail qui est ténue. Travail contraint et marges de gestion ludiques peuvent jouer aussi bien dans le même sens que dans un sens contraire, comme on a pu le voir récemment pendant la crise sanitaire avec le développement du télétravail et son double aspect de liberté plus grande et de contrôle accru. Avec le degré d’avancement du processus d’individualisation dans sa forme post-moderne et ses tendances à « l’égogestion », c’est la sphère privée au sens où on l’entendait au sein de la Modernité, c’est-à-dire comme une sphère de préservation, de défense, de mise à l’abri, qui disparaît ; elle est dorénavant incluse dans la capitalisation de toutes les activités avec l’accord implicite ou explicite de tous les individus qu’ils pratiquent Facebook et le selfy ou revendiquent que « le privé est politique ».

Le capital est bien toujours un rapport social de domination que nous reproduisons chacun à notre niveau et non pas un « système » extérieur qui nous dominerait.

Capital, rapports à la nature et pratiques critiques

Cet échange faite suite à des questionnements de Max sur une liste de discussion (dans laquelle J.Wajsztejn a été inclus) à propos des limites de la théorie marxiste et plus précisément de la théorie du prolétariat à la lumière du présent et particulièrement des rapports à la nature que Max aborde sous l’angle du dérèglement climatique et de la sauvegarde de la diversité. C’est par sa lettre que nous commençons dans laquelle il maintient quand même des présupposés marxistes comme la « logique de la valeur » dont on peut douter que cette dernière soit à l’origine et la cause principale des phénomènes qu’il dénonce. J.Wajsztejn lui adresse ensuite quelques remarques…


Le 20 octobre 2021

Comme je l’ai déjà signifié plusieurs fois, j’aimerais bien que nos échanges ne stagnent pas dans la marigot du Sars-Cov-2, de la Covid, de Raoult… Je vous le demande : qu’est-ce qu’on peut bien tirer de tout ça ? Pour moi, je l’ai déjà dit aussi, l’important n’est pas l’histoire de la pandémie en soi. Je la vois, cette pandémie, comme un signe supplémentaire de l’approfondissement de l’emprise du capitalisme (et de ses États, en réseau ou par nations) sur nos vies en même temps que du dérèglement climatique et de la biodiversité. Et, à ce dernier plan, pas le signe le plus grave : les inondations, les incendies, les désertifications, les glissements de terrains, etc., tout ça à l’échelle du gigantesque, du tellurique, c’est plus inquiétant encore que l’épidémie d’épidémies.

Je souhaiterais qu’on en revienne au fil tendu par Michel l’ancien (Po) sur l’entrée dans une nouvelle phase de capitalisme d’Etat et ma réaction presque consensuelle à ça. Le « presque » est déclenché par le fait que Michel, dans son point de vue, n’inclut pas le problème du bouleversement climatique et de ses conséquences pour le moins dire préoccupantes. D’où la question posée dans mon précédent long courrier […].

Aujourd’hui, le capitalisme n’inquiète pas seulement par ses tendances autoritaires (surveillance, contrôle…) et ses visées transhumanistes, par quoi il essaie, comme toujours, de surpasser ses contradictions internes et ses crises économico-sociales aux dépens des hommes ; il nous angoisse parce que sa simple activité bousille les conditions physiques premières de nos existences. Cela, ce paramètre, c’est nouveau pour nous, il n’entrait pas – ou très partiellement et indirectement — hier dans nos pronostics sur la « santé » du capital. Maintenant, l’impact écologique (nocif) immédiat du capitalisme doit faire partie constamment et au premier chef de nos examens. D’ailleurs, cet impact de l’activité capitaliste sur le changement climatique, sur l’écologie, ne peut pas ne pas avoir de conséquence sur la vie en soi du capital comme système économique. Voyez les plans de transition énergétique, les Great New Deals…, dont ils nous rebattent les oreilles, c’est bien la preuve que le changement climatique, ça les préoccupe, ces messieurs-dames du capital. Bien entendu, tous ces plans seront, à plus ou moins long terme, vains pour la santé écologique de la planète.


Pour nous, cela doit être très clair : tant que le capitalisme vit, tant que l’on ne l’aura pas éradiqué, son existence aggrave chaque jour davantage la détérioration écologique générale. Il sera de plus en plus difficile de « réparer » les dégâts, de plus en plus impossible de le faire, même en société communisée. C’est la logique de la valeur et de la nécessité constante de la valorisation du capital qui est responsable de la catastrophe écologique où nous sommes entrés depuis plusieurs décennies ; la catastrophe n’est pas devant nous, nous sommes déjà en plein dedans. C’est la même chose qui, fondamentalement, explique les crises internes du capitalisme et le désastre de l’activité capitaliste dans la Nature. C’est pourquoi, lutter contre le désastre écologique et éradiquer la capitalisme composent une même action. C’est pourquoi, il ne s’agit plus seulement de renverser l’emprise politique du capitalisme mais encore de rompre avec la logique productiviste et travailliste à la base de la loi de la valeur. Contrairement à ce que nous disions naguère, rien du capitalisme ne peut plus servir, une fois corrigé, redressé et redirigé, à une société communisée. Plus rien de positif.

Vous ne trouvez pas, chers camarades, que c’est de ça dont il faut parler ? De ça et de la force sociale de masse en mesure de réaliser le programme d’éradication de la loi de la valeur. C’est l’autre grande question lancinante de l’époque. Là-dessus, le non-mouvement (comme dirait Jacques W.) des baladeurs anti-pass sanitaire du samedi ne nous aide pas du tout à répondre, bien moins, en tout cas, que les Gilets jaunes, qui avaient eux-mêmes des limites assez sérieuses.

Maxime


Lettre de J. Wajnsztejn le 2 novembre 2021.

Avec retard et sur quelques points d’une façon un peu décousue :

1- d’abord sur la valeur : Max qui ne raisonne plus dans les termes marxistes de la contradiction forces productives/rapports de production, nous fait un développement sur ses préoccupations environnementales, mais qui sont pour nous de l’ordre plus général du rapport des hommes à la nature et non propre au capitalisme. À la suite de quoi confondant valeur et capital, il veut éradiquer le capital qui suivrait la logique de la valeur ; or l’apparition et l’existence de la « valeur » sont bien antérieures au capital de plusieurs siècles et même de millénaires (un travail sur l’origine de la valeur que Marx n’a pas été fait et dans lequel, à notre avis Camatte s’est perdu [NB. nous ne sommes pas tous d’accord sur ce dernier point précis dans Temps critiques].

Donc nous ne comprenons pas trop ce qu’il veut éradiquer et en plus sous forme d’un « programme » qui serait à l’ordre du jour (est-ce le retour du programmatisme ? Nous ne le pensons pas quand même !). Comme nous l’avons écrit à différents endroits, c’est aujourd’hui le capital qui domine la valeur (d’où son « évanescence ») et c’est cela la spécificité de notre époque qui fait justement que l’élimination de la valeur ne peut être un objectif pour nous.

L’éradication de la valeur, c’est la société capitalisée qui tend à la réaliser en ne posant plus les questions qu’en termes de prix. C’est ce que montre actuellement la question des prix de l’énergie sans aucun rapport avec une quelconque « valeur » autre que celle qui provient et est déterminée par le rapport de forces entre offre et demande confronté à la logique bureaucratique des prix administrés ; l’État en France se chargeant de faire les « compensations » (le chèque énergie).

Parallèlement, et au niveau mondial cette fois, ce qui n’avait pas de prix parce que n’avait pas de valeur au sens économique du terme, tend à être privatisé et doté d’un prix au grand dam des défenseurs des « communs » (une variante post-moderne des services publics). C’est une tendance, à laquelle le capital et les États ne parviennent pas intégralement car sur ce point le capital n’a pas réalisé sa « communauté matérielle » pour parler comme Invariance ; il y a des obstacles et des résistances y compris de la part des États et des mouvements de lutte. Il y a donc encore des choses « qui n’ont pas de prix1 ». Donc, toujours en tendance et par hypothèse, la valeur peut être presque entièrement dominée par le capital comme nous l’observons aujourd’hui. La valeur n’a pas disparu, mais elle est comme effacée des réseaux et des rapports, elle n’opère que par défaut en quelque sorte. Le capital peut donc s’émanciper de la « logique de la valeur » et poursuivre son cours chaotique… sans s’effondrer.

2- d’une manière beaucoup plus générale, en se préoccupant essentiellement de « l’environnement », Max oublie que la lutte sur le climat y compris chez les Youth for climate n’est pas une lutte contre les autres transformations en cours du procès-capital.

Par exemple, aujourd’hui, on apprend que Facebook change de nom et devient MetaVerse : une étape de plus dans la virtualisation de l’ensemble des activités humaines que permet la puissance des technologies numériques actuelles. Le travail avec MetaVerse est non seulement un télétravail (ça, c’est aujourd’hui, c’est la préhistoire de la virtualisation de l’activité) ; le travail vivant tend à être effacé, supprimé par sa « réalité augmentée » ; il n’est plus en acte : il est en puissance et cette puissance n’est pas du tout une potentialité ; non, elle est effective, immédiate, actuelle.

Ainsi, la puissance totalisante (et non totalitaire) du monde numérique tend à supprimer toute extériorité, toute réalité étrangère ; de quelque nature que soit cette réalité : humaine, technique, physique, métaphysique ; qu’elle soit hostile, coopérante ou indifférente. Alors l’aliénation disparaît. Elle perd son caractère de captation du soi, de ses produits ou de ses œuvres par un autre que soi, une puissance qui a dépossédé le soi et à l’égard de laquelle il devient dépendant, soumis, voire esclave … consentant comme dans les théories post-modernes qui abandonnent la perspective dialectique (le négatif devient une « pensée erronée ») au profit d’un empirisme descriptif de la révolution du capital ; d’où le succès  outre-atlantique des déconstructeurs de la French theory, puis en Europe et ailleurs.  

Et s’il nous faut revenir sur la « théorie », c’est plutôt à partir de ce biais que cela est possible car c’est celui qui nous permet de maintenir vaille que vaille ou de rétablir le fil rouge, si ce n’est des luttes de classes, du moins des luttes contre le capital et le maintien du rapport passé-présent-futur. Ainsi ce qui se passe de ce côté là tend à rendre caduc l’ancien rapport dialectique entre aliénation et émancipation, un point central de la théorie communiste.

Et on assiste, si ce n’est à la disparition, du moins la dissipation, l’effacement de toute référence à l’aliénation (et aux aliénations). Comme notion et comme expérience individuelle et collective, l’aliénation s’est…absentée ! Pourquoi ? 

Une hypothèse (à réapprofondir) c’est, justement, l’intensification de l’englobement des activités humaines dans le monde du capital, dans la société capitalisée, où toute négativité disparaît ou plutôt est convertie en souffrance et victimisation subséquente, discrimination plutôt qu’inégalité, déviation, incapacité.

La séquence occupation des places pendant Nuits debout-manifs contre le projet de loi El Khomri-mouvement des GJ-mouvement contre les retraites, pouvait laisser penser à la possibilité effective d’ouvrir un cycle qui ne se résume pas à l’habituel balancier mouvement-défaite/mouvement-défaite, mais même avant le clap de fin du confinement on a bien vu que le mouvement contre la réforme des retraites n’arrivait pas à intégrer les caractères spécifiques et novateurs de la lutte des Gilets jaunes.

Pour les anciens Gilets jaunes nous ne croyons pas que ce soit une question de conscience. Mais ça c’est plutôt le fruit d’une « position » Temps critiques liée à notre cursus théorique mais aussi à notre expérience qui fait que nous ne « croyons » pas à la « conscience » et à l’importance de la prise de conscience. Par exemple, quand dans nos articles sur les classes nous disons que la théorisation de Marx, d’influence hégélienne, sur la classe en soi et pour soi nous paraît la plus acceptable, nous n’en acceptons pas pour autant le fait que cette conscience « pour soi » soit le fruit d’une accumulation d’expériences prolétariennes. Cette conscience là est finalement la conscience trade-unioniste où la notion de classe pour soi devient quasi corporatiste et définit l’aristocratie ouvrière qui accumule les droits et les positions au sein de la société bourgeoise d’abord puis pendant la société qu’on pourrait dire « salariale » de la période des Trente glorieuses.

Pour nous la classe pour soi est bien plutôt un surgissement comme par exemple en 68 en France et surtout en Italie entre 1969 et 1975 quand un certain et finalement incertain alliage s’instaure entre la classe ouvrière relativement garantie (et syndiquée) et de vieille tradition et la jeunesse prolétaire du Sud qui découvre et refuse la discipline du travail et de la ville (le sujet de la théorie opéraïste en quelque sorte comme c’était déjà le sujet des livres sur 68). « Pour soi » n’a alors rien d’une prise de conscience progressive où l’en soi se transforme en pour soi. En effet, les protagonistes du mouvement n’ont pas le temps de prendre conscience par un procédé réflexif qui demande du temps qu’ils n’auront jamais, mais tout d’un « orgasme de l’histoire » que chacun ressent dans ses tripes, une sorte d’électrisation où beaucoup sont prêts à tout risquer. Ce n’est pas de l’ordre de l’appropriation, car les prolétaires italiens ne se sont emparés de rien et en tout cas pas des usines ; ils ont manifesté un immense mouvement de refus qui a soudé les collectifs de lutte (cf. nos développements sur la communauté de lutte) ; alors plus rien de corporatiste et presque plus rien de classiste ne subsiste. De même en France, la CGT a occupé les usines, les jeunes ouvriers ont « occupé » la rue et les quartiers où ils ont retrouvé les étudiants.

Pour en revenir aux anciens Gilets jaune, nous ne pensons pas qu’ils aient « conscience » de la faillite de la stratégie des ronds points. Bien sûr qu’ils en ont vu les limites comme les étudiants de 2006 ont vu celles des blocages de fac ; il n’empêche que si un mouvement de ce type géo-sociologiquement parlant ressurgissait, les ronds points seraient sûrement à nouveau utilisés comme lieu. Non, ce dont ils ont « conscience » et nous aussi (mais le terme de conscience ne convient pas ici), c’est que nous sommes dans la nasse. Que le Covid et le confinement ont accru les séparations et l’isolement (là encore je te renvoie à notre dernière brochure). L’ex-Gilet jaune qui n’a pas chopé le virus de gauche au passage, est retourné cultiver son jardin parce qu’en dehors des périodes d’effervescence sociale, il n’y a plus rien ou presque. La lutte au quotidien sur les lieux de travail a depuis déjà de nombreuses années baissé d’intensité du fait de la détérioration du rapport de forces capital/travail au détriment du travail. C’est bien ce qui faisait le décalage entre le mouvement des Gilets jaunes qui affrontait le capital, mais sur un autre terrain que celui du travail et des luttes quotidiennes sur ce terrain du travail devenues dérisoires où changeant de nature (souffrance au travail harcèlement, discriminations, etc) rendant difficile si ce n’est impossible un approfondissement de l’affrontement sans que l’unité soit un préalable. À la place on eu droit à l’idée de « convergence » des luttes bientôt transformée en tarte à la crème des apprentis bureaucrates du climat et des bureaucrates confirmés de la fraction de gauche des syndicats. Des coquilles vides (cf. le texte de Greg, Gzav et Ju dans le numéro 20 de la revue).

On peut dire que les ex-Gilets jaunes ont fait l’expérience de tout ça. Ils en sont sortis « vaccinés ». Il en restera peut être quelque chose, mais ce serait une erreur de penser que grâce aux prises de conscience successives, il y aurait comme un cumul possible de toutes ces expériences qui ferait progresser le prochain mouvement. Historiquement, il n’en est rien : après chaque mouvement qui porte atteinte à l’ordre établi s’il n’y a pas victoire il y a défaite et on repart de zéro ou presque. Et on pourrait dire que c’est vieux comme le monde ; la seule spécificité du capitalisme en tant que mû par sa dynamique et non sa simple reproduction, c’est qu’il se montre parfois capable de recycler des moments ou des thèmes de sa propre contestation. C’est pour cela que la société du capital a introduit une rupture dans le schéma théorique originel de Marx qui faisait se succéder révolutions et contre-révolutions. Ce que nous avons appelé la révolution du capital peut-être considérée comme une tentative de réaliser l’Aufhebung hégélienne sous la forme de ce que nous avons nommé « englobement2 » plutôt que dépassement parce que le rapport social capitaliste ne dépasse rien tant que ce rapport existe2.

3- sur une question de Max qui demandait à JW pourquoi à Temps critiques nous ne parlions jamais du climat et de l’écologie, JW lui a répondu ceci :

« Ce n’est pas que je sois climato-sceptique, mais c’est la même chose que les vaccins. Ce sont les même qui détruisent et soignent. Pfister et Astra Zeneca sont impliqués dans les plus gros scandales dus aux pratiques de Big pharma et tout le monde croit à des vaccins miracles en moins d’un mois ; de la même façon le danger climatiques est dénoncé par les membres du GIEC qui sont presque tous mouillés dans la croissance, l’industrialisation à outrance, la « gouvernance mondiale », de la même façon que le club de Rome de 70 était composé des plus gros soutiers du capitalisme à l’époque (Mansholt et Cie).

Mais par dessus tout, je suis persuadé que nous n’avons aucun poids sur cette question. Il est du ressort des grandes puissances et les Greta Grundberg et autres sont financés par l’hyper capitalisme du sommet à travers ses organisations internationales comme la Commission européenne. Greta ne fait pas “la route” comme Kerouac, elle parcourt le monde en classe affaires sur les plus grandes lignes internationales et est reçu par les chefs d’État et à l’ONU. Libération leur consacre plusieurs pages ce samedi 30 octobre en se réjouissant, comme Max, que les nouvelles générations…

En ce sens Ferry à l’époque de son livre sur les rouges-bruns écologistes a raison. Le climat c’est une question que les États ou les organisations internationales ne peuvent se poser que dans des termes autoritaires et en tant que libéral éclairé, il est contre.

Nous pouvons ajouter que nous avons consacré à cette question (mais à travers le prisme des « rapports à la nature ») la totalité de notre n°11 (disponible sur le site) et plus récemment des échanges entre Joao Bernardo, Philippe Pelletier et JW, disponible sur notre blog à https://blog.tempscritiques.net/archives/1927

La question du climat et du sort de la planète pose en outre deux problèmes par rapport à la vision marxienne, même hétérodoxe.

Le premier est celui du point de départ qui, chez Bordiga par exemple, est clairement l’espèce humaine même s’il fait le lien avec « la croute terrestre ». Chez les catastrophistes ou même parfois chez les décroissants, on a souvent l’impression et peut être de plus en plus, de positions qui tendent vers ce que les américains appellent la deep ecology ; un parti pris écologiste fondamentaliste qui, dans ses versions les plus extrêmes place la continuation de la vie sur terre avant le sort de l’espèce humaine (c’est le courant Earth first3 dont le slogan est No Compromise in Defense of Mother Earth ).

En font foi, par exemple, les articles des grands médias sur les arbres qui ont une sensibilité, qui communiquent entre eux et dont on peut capter les messages.

Des positions qui conduisent à ne plus pouvoir poser la question fondamentale pour nous et toi sans doute, des rapports à la nature dans la mesure où ce qui prédomine alors c’est une position holiste selon laquelle la planète est un biotope qui est un tout, qu’il n’y a pas de séparation entre le monde humain et le monde vivant et que donc soit cesser la suprématie de l’espèce humaine sur les autres espèces vivantes.

Le second problème est celui de l’angle de tir ; par tradition, le notre est celui, dialectique, de la critique. Dans cette perspective nous nous attachons donc à critiquer une dynamique du capital qui peut trouver dans le capitalisme vert de quoi se vivifier malgré les contraintes environnementales que cela poseraient au capital en général. Les stratégies dans ce domaine peuvent aller jusqu’à une critique du “progrès” ; la tendance dominante étant maintenant “décadente” pour réutiliser un vieux terme. Comme nous l’avons dit plus haut, il n’y a sur cette base que peu d’interventions possibles, autres que celles d’actions coup de poing illégales et avant-gardistes telles celles à prétention radicale menées un temps par Riesel par exemple ou par la COP 21 ou Alternatiba aujourd’hui. Ou alors, il faut abandonner cette position critique car la critique serait interne au rapport social capitaliste (elle conforte le capital dit Camatte). Dans cette perspective il faut alors faire sécession où/et affirmer des positivités, des alternatives ici et maintenant y compris sur le terrain.

4- sur le rapport au travail : venant d’écrire un livre sur l’opéraïsme italien4, nous ne pouvons que nous élever contre une interprétation des quelques réactions actuelles par rapport à la reprise du travail après les confinements comme relevant de la même révolte et a fortiori signification, que les actions (et non réactions) de l’époque opéraïste dont le contexte et le rapport de forces étaient fort différents. Par ailleurs les informations fournies par les médias ou même les réseaux mélangent allègrement des actions de « démission » ou de malédictions du travail aux USA alors que les motifs en sont disparates. De ce fait, certaines interprétationstendent à assimiler peu ou prou ces réactions aux pratiques critiques de turn over et d’absentéisme de la fin des années 1960-début 70.

Ces réactions ne sont pas assimilables à un refus « générique » du travail « le refus du travail » des ouvriers italiens en provenance du Sud de la péninsule, tout simplement parce que la révolution du capital a transformé le travail, le temps de travail, le contenu du travail et sa nature. Dans les pays/puissances dominants, la valeur n’a quasiment pas (ou plus, là encore nous ne sommes pas forcément sur une seule position) sa source dans le « taux d’exploitation » de la force de travail ; dans ce qui était un rapport de production fondé et centré sur le procès de travail. Elle est dominée par la capitalisation de toutes les activités humaines de jour comme de nuit…Cela ne veut évidemment pas dire qu’il n’y a plus … « exploitation » … au sens courant du terme. 

Dans ces réactions actuelles au travail, il s’agit de cris de souffrance, de frustration et de révolte mêlés et cette expression n’est pas collective ; elle est particulière, individuelle, subjective. Y voir une conscience collective serait une fiction puisque, en tendance, c’est maintenant la notion et l’expérience d’une conscience collective qui sont altérées, dissoutes, décomposées parce qu’à partir du travail il n’y a plus que des « expériences négatives » (et négatives au sens premier et pas au sens du « négatif à l’œuvre ») et non plus « l’expérience prolétarienne » dont parlaient à la fois Socialisme ou barbarie des années 1950 (dans son numéro 11) et les opéraïstes des années 1960.  

Notre abandon de toute référence à la « prise de conscience » ou à la « conscience de classe » pourrait être revisité à la lumière (sombre !) de ce phénomène de « perte de conscience » ou, ce qui est proche, de recherche « d’états altérés de conscience ».

D’abord ceux qui relèvent du complotisme sous toutes ses formes à travers les réseaux sociaux. Sans épargner totalement le mouvement des Gilets jaunes, ils n’en étaient pas la caractéristique principale ; ce qui est plus douteux pour le « non mouvement » actuel autour du refus du passe sanitaire (cf. Interventions n°18 disponible sur notre site).

Ensuite, plus en marge certes, l’action relativement récente, mais récurrente d’un phénomène comme celui des Blacks Blocs qui exprime le refus de se définir politiquement et d’affirmer une identité comme groupe d’intervention ; ou plus marginal encore, les rave party (une décomposition de l’attitude plus politique du « no future » des années 1980-90 ?) et diverses conduites qu’on pourrait dire borderline.

Malgré les différences entre ces pratiques, elles manifestent deux points communs :

  • le premier, c’est qu’elles ne semblent pas avoir d’existence objective parce qu’elles n’existent que dans leurs actions immédiates, le caractère objectif étant mis entre parenthèse. C’était déjà le cas pour les Gilets jaunes, par exemple, qui mettaient entre parenthèse leur activité-de travail pour parler de leurs conditions en général considérées plus du point de vue du « ressenti » que de la « conscience » ;
  • le second, c’est que toutes partent d’un comportement individuel qui s’exprime collectivement inversant ce qui a été le sens du rapport collectif/individu (le « prolétaire-individu ») dans les mouvements de classe prolétariens ; comme si, du fait du niveau atteint par le procès d’individualisation, les individus lambdas singeaient le fonctionnement de la formation de la classe bourgeoise (« l’individu bourgeois ») … en l’absence de toute possibilité actuelle de reformation de classe.

C’est cette difficulté à objectiver les luttes et plus généralement les pratiques et comportements qui fait qu’au mieux, pour les Gilets jaunes par exemple, la tendance à faire communauté passe principalement par la communauté de lutte qui constitue alors l’objectivation de leur lutte, mais une objectivation fragile et instable car ne reposant que sur la lutte. Elle peut donc en perdre sa finalité confondant moyens et fins en cherchant à perdurer en dehors et après le mouvement comme lorsque aujourd’hui des restes de Gilets jaunes tentent d’investir le champ anti passe sanitaire.

5- Tout en traçant les limites et impasses de la « théorie communiste » au sens large, Max continue à penser qu’il s’agit de refonder la théorie de notre temps sans voir qu’il n’y a plus aucun support ou sujet au sens historique et classiste de ce terme pour en être la base. Ce sont les Gafam, Big pharma et les bio-techno, le GIEC et autres experts qui font aujourd’hui la « théorie » de la révolution du capital en réalisant une sorte d’idéal praxique que nous sommes bien en peine d’effectuer, d’où au mieux des oscillations entre activisme et positions de distance critique ou tout bonnement de repli.

JG et JW

Première semaine de novembre 2021

  1. cf. Le livre d’Annie Lebrun, Ce qui n’a pas de prix (Stock, 2018) et les commentaires de J.Guigou, ici. []
  2. cf. J.Guigou et J.Wajnstejn, Dépassement ou englobement des contradictions ? La dialectique revisitée. L’Harmattan, 2016. []
  3. Parmi les actions variées menées par les groupes US, plusieurs consistent à tenter d’arrêter les abattages d’arbres dans les forêts pour empêcher l’installation de puits de pétrole, comme on peut le voir dans cette video. []
  4. J.Wajnsztejn, L’opéraïsme italien au crible du temps, À plus d’un titre, 2021 []

L’Ukraine 2022 n’est pas l’Espagne 1936

Lettre réponse de Jacques Wajnsztejn à l’appel à la réunion organisée le 12 mars 2022 à Lyon par le groupe d’inspiration libertaire NINA-Lyon en soutien aux anarchistes ukrainiens (English version lower).


Bonsoir,
Je viens de lire votre appel à la RU de ce soir. Je m’étonne qu’il n’y ait pas de discussion préalable à ce soutien où en tout cas à ce type d’intervention dont on ne voit pas clairement la finalité.

Sur la question politique, au moins deux questions ne sont pas posées :

  • si on peut avoir une position politique, en général, sur « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et quelle qu’elle soit, il me semble qu’elle doit être référée d’abord à la direction de la lutte (voir le choix entre le MNA et le FLN où le soutien au stalinien Hô Chi Minh), mais surtout au fait que dans le cadre de ce droit, c’est à cette population de se déterminer et nous nous sommes extérieurs à cette question. Retour donc au problème de la direction politique et militaire où le plus grand flou règne en Ukraine, sur cette direction
  • s’il s’agit d’être favorable ou de profiter d’une situation pré-révolutionnaire quels éléments nous permettent de dire que ce n’est pas simplement une réponse nationaliste ou plutôt patriotique à l’attaque russe à laquelle il n’y a pas de raison de s’y impliquer autrement que par une position traditionnelle anti-guerre ou pour la paix qui transparaît d’ailleurs dans l’appel, mais qui me semble contradictoire avec ce qui serait la formation d’une brigade internationale d’intervention.

Sur la question pratique de l’intervention
Dans la guerre d’Espagne, il y a eu deux phases, dans la première, celle d’avant la militarisation, les volontaires pouvaient s’engager sur des bases affinitaires et politiques dans des colonnes particulières et, pour faciliter les choses avec des sous colonnes nationales comme par exemple les italiens dans la colonne Ascaso1. C’était pareil dans la colonne Durutti dans laquelle s’est engagée par exemple, Simone Weil puisque les femmes pouvaient s’engager pour combattre au front. Il y avait là ce que j’appelle une autonomie de commandement. Mais la majorité des volontaires venaient des grosses organisations et passaient par leur biais pour être dirigés vers des « brigades internationales » dans le cadre du combat antifasciste et dans aucune autonomie par rapport au pouvoir central républicain et sur le terrain, sans autonomie par rapport à la direction stalinienne. Mais à partir de la décision du gouvernement républicain et sous pression socialiste et stalinienne de militariser l’armée dans un combat non plus de révolution sociale, mais de guerre antifasciste, cette autonomie a été éliminée par le droit et la force au besoin comme on le voit bien dans le film Land and Freedom.

Que se passe-t-il aujourd’hui par rapport à l’Ukraine ? Si je prend l’exemple de Lyon, vous organisez une réunion pour soutenir les anarchistes ukrainiens, mais tout comme je le disais plus haut, aucune discussion préalable n’est proposée pour savoir quel est le pourquoi de notre intervention (la question sociale ne semble jamais directement abordée en Ukraine alors que corruption et oligarques y font la loi, malgré un dernier scrutin à peu près démocratique. Il n’est donc pas étonnant que les seules questions et discussions qui ont eu lieu, d’après Gzav qui était présent, sont venus d’individus qui, de fait, reprennent les arguments de Poutine sur le Donbass, etc. Cela me rappelle la grande réunion à la Gryffe sur les Gilets jaunes le 30 novembre. Si ceux qui organisent la réunion n’ont pas les arguments pour préparer l’intervention politique où au moins dire ce qui justifie ton intervention, tu laisses forcément la parole à ceux qui implicitement ou explicitement veulent saboter l’initiative.

Cela dit, quelle serait donc la meilleure intervention possible ? Malgré l’intention d’origine de soutenir les anars ukrainiens donc dans une optique affinitaire, l’appel est truffé de références à la lutte anti-impérialiste et antifasciste diluant le caractère affinitaire dans un magma résistant. La logique de tout cela c’est donc de se fondre dans l’armée ukrainienne, ne serait-ce que sous sa structure territoriale, car c’est la seule qui délivre des armes. Les groupes ukrainiens d’anciens soldats d’Afghanistan ou d’ailleurs l’ont bien compris puisqu’ils semblent demander l’admission dans l’armée en tant que groupes. Là aussi aucune autonomie et là aussi c’est logique puisque la mobilisation générale est décrétée, la militarisation est actée dès le départ et les pôles de recrutement refusent d’ailleurs plus de volontaires qu’ils n’en acceptent car sous prétexte d’impréparation des volontaires ou d’infiltration, nulle part on ne donne des armes au « peuple ». la situation est donc de toute façon très différente de celle du Rojava quoiqu’on pense d’ailleurs de cet autre engagement.

Voilà pour le moment,
Amicalement,

JW


Hi.

I’ve just read your call for tonight’s get-together. I’m surprised there was no prior discussion on this support initiative or in any case on this type of action, whose purpose requires clarification.

In political terms, at least two issues have been left out:

  • If this is about arriving at a political stance of some kind on “the right of peoples to self-determination,” it seems to me that such a position would have to refer, for starters, to the leadership of the struggle (e.g., the choice between the MNA [Mouvement National Algérien] and the FLN [Front de Libération Nationale] or support for the Stalinist Ho Chi Minh), but more importantly, to the fact that with the right to self-determination, it’s up to the population in the given country to decide on a stance, whereas we are outsiders. This takes us back to the issue of the political and military leadership, which in Ukraine today is extremely hazy.
  • If the point is to be in favor of or take advantage of a pre-revolutionary situation, the question is what grounds we have for claiming that this isn’t just a nationalist, or rather patriotic response to Russian aggression, in which case there is no reason for involvement other than through a standard anti-war or pro-peace position. That in fact is the sense one gets from the call, but it strikes me as being in contradiction with the idea of forming an international brigade.

Now to the practical issue of what action to take.

The Spanish civil war involved two phases. In the first, prior to militarization, volunteers could join up with this or that column on the basis of affinity or political agreement, and to make things more convenient, sub-columns by nationality were set up, for example for Italians in the Ascaso column2 , while Simone Weil took part in the Durruti column, since women were allowed to join up to fight on the front. This was also true of the POUM’s columns. I would describe this as autonomy of command. However, most volunteers came from large organizations that funneled them into “international brigades” in the name of the struggle against fascism. They had no autonomy from the republican central government or, on the ground, from the Stalinist leadership. But once the republican government, bowing to socialist and Stalinist pressure, moved to militarize the army as part of an anti-fascist war instead of a social revolution, any previous autonomy was eliminated by law as well as by force, as the movie Land and Freedom shows vividly.

Now, what’s being done at present in relation to Ukraine? If we look at Lyon, you hold a meeting in support of Ukrainian anarchists. But as I mentioned, you didn’t suggest any prior discussion to hash out the grounds for our involvement. People in Ukraine don’t appear to be directly addressing the “social question” although corruption and the oligarchs hold sway, despite the more or less democratic recent election. So it isn’t surprising that the only real issues and discussions, according to Gzav, who attended the meeting, were put forward by people who basically parroted Putin’s line on the Donbas, and so on. It all reminds me of a well-attended meeting at the Gryffe [anarchist bookstore] on the Yellow Vest movement on November 30th. If the meeting organizers don’t have arguments to set the stage for political action or at least explain why such action would be justified, you inevitably wind up giving the floor to people who implicitly or explicitly aim to sabotage your initiative.

What, then, would the best possible form of action be? Despite the initial intention to support Ukrainian anarchists on an affinity basis, the call is full of references to the anti-imperialist and anti-fascist struggle, diluting the affinity-based approach in a resistance hodgepodge. The underlying logic is to merge into the Ukrainian army, at least into its territorial structure, since that’s the only authority to hand out weapons. Groups of Ukrainian veterans from Afghanistan and other wars are well aware of this, since they seem to be requesting their incorporation into the army as pre-existing units. Here again, there is no autonomy. And here again, that’s understandable, since a general mobilization has been decreed, militarization has been taking place from the very start, and recruitment centers are turning down more volunteers than they are accepting, citing a lack of training and the risk of infiltration. Nowhere are weapons being distributed to “the people.” The situation is in any case entirely different from the one in Rojava, whatever one may think of participation in that struggle.

Those are my thoughts for now.

Yours truly,

Jacques Wajnsztejn

  1. cf. http://www.gimenologues.org/spip.php?article634 []
  2. http://www.gimenologues.org/spip.php?article634 []