La rhétorique du Vrai et du Faux
Alors qu’on rencontre la plume de Giorgio Agamben de l’Obs au Monde en passant par Lundi matin nous répondons ici à l’un de ces développements étant devenu la nouvelle référence des médias sans qu’on sache à partir de quelle expertise philosophique (Heidegger ?) politique (l’obsession de l’État d’exception et de l’ennemie intérieur de C.Schmitt) médicale (le plus grand virologue au monde D.Raoult) il parle.
Les différentes interventions de Giorgio Agamben autour du Coronavirus ont atteint leur point d’orgue dans le numéro 241 de Lundi matin avec la reprise explicite de la formule de Guy Debord : « Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux » (Thèse 9 de son livre, La société du spectacle). Citation qui ramène la réalité capitaliste à un mensonge sur la réalité — sans nous en rappeler la genèse et sans rien nous dire sur les dimensions ou sur les déterminants de cette réalité aujourd’hui —, puisqu’on peut quand même supposer que c’est de cela qu’il s’agit ; autant d’éléments qui permettraient pourtant d’élargir l’horizon au-delà de l’appréhension du virus et de ce qu’on veut bien lui faire dire.
Debord a adopté la méthode de l’inversion pour développer ses thèses sur l’aliénation. Ainsi part-il, dans sa Thèse n° 9 d’une formule de Hegel tirée de la Phénoménologie de l’Esprit « Le faux est un moment du vrai ». Et à partir de là, il projette sa philosophie spéculative sur ce qu’il appelle la société du spectacle : « Le spectacle en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant » (Thèse 2). Sa « philosophie » repose en effet sur la vie érigée en principe ou en croyance. La vie serait la réalité réelle dont les images se sont détachées (Thèse 2 toujours). Le monde s’en trouve coupé en deux avec d’un côté la vraie vie et de l’autre le spectacle « qui est le cœur de l’irréalisme de la société réelle » (Thèse 6) où s’égare la conscience quotidienne et son mode de survie. Dans ce contexte d’un monde inversé, « le vrai est un moment du faux ». Cet énoncé de 1967 dans La société du spectacle devient en 1988, dans les Commentaires sur la société du spectacle, à l’époque du « spectaculaire intégré » : il n’y a plus rien de vrai. Seul le philosophe (Agamben) ou le stratège1 (Debord) est à même de dévoiler la Vérité derrière le fétichisme et la fausse conscience qui règneraient en maîtres dans ce monde.
Agamben nous dit donc non pas la vérité du virus, mais la Vérité sur le virus. La boucle est bouclée ; le mensonge est terrassé.
Mais si on pense au contraire qu’un événement au sens fort se situe au-delà de la logique des causes et des effets, il y a alors une vraie difficulté à en dire sa « vérité ». Pour la contourner à défaut de l’affronter, on peut alors y voir manipulations secrètes ou conspirations…
Ainsi, par des chemins plus ou moins détournés, le stratège et le philosophe du Vrai et du Faux qui voyaient hier (Debord et Sanguinetti) la lutte armée dans l’Italie des années 1970 comme une manipulation des services secrets italiens voient aujourd’hui (Agamben) le virus comme une « … conspiration pour ainsi dire objective qui semble fonctionner en tant que telle » (G. Agamben, Le Monde, 24 mars 2020).
Temps critiques, le 10 mai 2020.
- Cf. G. Agamben : « Il y a de nombreuses années, lors d’une conversation avec Guy [Debord] que je croyais être sur la philosophie politique, à un certain moment Guy m’interrompt et me dit : “Regarde, je ne suis pas un philosophe, je suis un stratège.” in La ville et la métropole, repris dans ce même n° 241 de Lundi matin. [↩]