Suite des échanges autour des rapports entre technologie et emploi

Cet échange de courrier entre Larry Cohen et J.Wajnsztejn poursuit la discussion autour des transformations du procès de production capitaliste et particulièrement du rôle qu’y joue l’intégration de la technoscience. Ici plus précisément la discussion est centrée sur les rapports entre automation et emploi ; et nous partons, comme dans la lettre précédente d’une présentation d’un article non traduit de la New Left Review sur la question, mais présenté et commenté par Larry Cohen.
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Nouvel échange Ch. Hamelin – J.Wajnsztejn

Nous reprenons la discussion avec Christophe Hamelin amorcée autour du RIC à partir de son texte et maintenant enrichie par ses remarques sur notre supplément sur les origines historiques du RIC avec le droit de pétition de la révolution française. Il y aborde plus largement la question du pouvoir en général dans une perspective qu’il définit lui-même comme quelque peu arendtienne et et donc assez distante de nos propres énoncés signalés en fin d’échange.
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Ni apocalypse, ni révolution à l’horizon, mais critique théorique et intervention ici et maintenant

À propos de la présentation du livre de Giorgio Cesarano Manuel de survie par Dietrich Hoss sous le titre Apocalypse ou Révolution – ce qu’avait prévu Giorgio Cesarano publiée à la suite :

Cette « Apocalypse et révolution » n’était-elle pas une façon pour Cesarano d’affirmer dans son propre langage la révolution du capital, ce que Pasolini fit lui aussi à partir d’autres mots dans ses Écrits corsaires et Les lettres luthériennes ?

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À l’heure du bilan

Cet échange intervient après plusieurs mois de lutte à laquelle les deux intervenants ont participé activement. Ils se sont d’ailleurs souvent côtoyés dans les mêmes actions et aux AG, dans un certain respect mutuel. Si des divergences d’analyse et de perspective existaient dès le début du mouvement, elles n’ont pas cessées, mais là, elles se concentrent sur le devenir de celui-ci. Pedro et Jacques ont participé, chacun de leur côté à une sorte de bilan et l’échange se fait en connaissance de cause puisque tous les deux ont lu leur production écrite réciproque avant d’entamer la discussion.
 



 

Merci Jacques pour ce document1.

Hélas, il est très loin de ce que je pense bien que je puisse être d’accord avec beaucoup des constats que tu fais.

Je vois une explosion sociale limitée par l’action conjuguée des partis de gauche et d’extrême-gauche. C’est le principal.

La répression, il fallait y compter. Il n’y pas eu une seule attaque d’envergure contre la classe capitaliste sans répression et les différences de pays et les cultures ne changent que la forme à cette loi.

Le bas niveau politique des masses en révolte, il fallait y compter aussi. Cela fait des décennies que la pensée socialiste (marxiste-léniniste) a été remplacée par une bouillie postmoderne, libérale qui est un des problèmes du mouvement.

Il fallait combattre tout cela avec l’expérience théorique et pratique du mouvement ouvrier et pour cela il fallait des cadres politiques qui retenus par leurs partis, ont fait défaut. Et peut-être, vu leur conception des choses, ils auraient foutu une merde pas possible aussi. Mais bon, en apprenant avec le temps, et le temps on en a eu, ils auraient pu organiser et orienter un peu mieux le mouvement.

Les partis de gauche et d’extrême-gauche s’adressent encore aux 30% des travailleurs qui « jouissent » encore du débordement de la marmite capitaliste, de l’exploitation des pays pauvres et de la reprise économique de post guerre. Les 70% autres qui composent, par leurs besoins et revendications, le mouvement, n’ont pas d’expression politique propre et l’extrême droite a montré qu’elle est incapable non seulement d’orienter ce mouvement mais encore de le pénétrer.

Alors, qu’est ce qui reste? « Le début d’un début », un esprit de lutte, une autre manière de combattre qui a pénétré profondément la conscience actuelle des travailleurs comme cela se perçoit dans certaines luttes, dans des témoignages.

Mais cela peut retomber très rapidement et faire de ce mouvement magnifique, un feu de paille sans suite.

La seule possibilité était d’essayer de le connecter avec les travailleurs que luttent pour amplifier la méthodologie GJ et avancer dans les pas de la longue lutte des travailleurs.

Mais il se peut aussi que la défaite, la non jonction avec les autres travailleurs provoque une démoralisation encore plus profonde et que de ce « début d’un début » de retournement de l’esprit des travailleurs résulte qu’ils se disent « A quoi bon ? Les GJs après 7 mois d’une lutte forte n’ont rien obtenu ou presque (rien par rapport aux besoins et objectifs), comment pourrions nous obtenir quoi que ce soit sous la férule syndicale et la méthode des manifestations/promenades une fois par mois?

Alors, il se peut bien qu’on soit parti pour 30 ans de « libéralisme », de nouvelles crises et/ou guerres.

On ne sort pas de la vieille recette que ce mouvement a encore une fois démontré par défaut : « Sans parti communiste les travailleurs n’auront rien ». Hélas, un tel parti n’existe pas en France ni ailleurs.

On est au fond du puits et pour cela ce mouvement ne pouvait être, dans le meilleur de cas, que « le début d’un début ».
Tous se sont appliqués à le plomber, sauf de très rares, honnêtes mais, hélas, homéopathiques exceptions qui n’y pouvaient rien changer.

Vae Victis! Les défaites historiques doivent être subies jusqu’à la lie.

Il faut recommencer presque de zéro, mais s’illusionner qu’on pourra faire autrement que ce parcours à partir d’autre chose que Marx et Lénine c’est retarder encore une sortie qui n’est nécessaire que pour les travailleurs pauvres. Les autres peuvent se contenter de la sociologie et du postmodernisme ou des « théories » du genre et de la race, très à la mode chez les petits bourgeois de gauche.

En fait le mouvement des GJs, prolétaire par ses besoins mais surtout parce que sans sortir du capitalisme il ne peut rien obtenir, s’est battu contre un front qui va de la grande bourgeoisie à des secteurs de travailleurs qui espèrent encore (mais pas trop) dans le capitalisme.

Essayons quand même que sa mort soit la moins dure possible pour ne pas finir de décourager à ceux, rares, qui voudraient se battre encore.

Tu excuseras les fautes de français.

Pedro, le 16 juin 2019
 



 
Pedro,

D’abord merci pour cette contribution critique à notre dernier supplément d’autant que tes remarques ne sont pas fortuites, mais proviennent de la même urgence, de la part de nous qui sommes actifs dans le mouvement depuis ses débuts, de savoir ce qui peut en rester étant entendu que, contrairement à d’autres protagonistes, nous faisons un même diagnostic sur son avenir proche et nos tâches immédiates. J’y reviendrai.

Nos divergences sont de forme comme de fond même si ponctuellement nous avons pu intervenir ensemble et en accord.

Sur le fond tu demeures dans ce que la position traditionnelle de l’extrême gauche par rapport à tous les mouvements et ce à un double niveau. Le premier reprend une position habituelle, par exemple chez les trotskistes, d’une base ouvrière qui serait restée « pure » ou au moins « saine » par rapport aux directions syndicales ; la seconde est celle de la nécessité d’un parti de type marxiste-léniniste.

Le problème, c’est que si on veut rester objectif et bien hormis pour une fraction « de gauche » dont on se demande si elle n’existe pas que pour les congrès (CGT) ou les postes de délégation syndicale et de permanents (FO et SUD, ce dernier extraordinairement absent dans l’ensemble), c’est à se demander si les syndicats ne sont pas déjà trop virulent par rapport à leur base (grosso modo la position que tient Martinez). Quand aux partis politiques et ce que tu nommes « les cadres » tu reconnais toi-même que leur vieille façon de penser aurait peser de façon négative sur le mouvement (comme en 68 pourrions-nous rajouter). Certes, comme tu le dis ils auraient pu se corriger au sein du mouvement, mais il n’en a jamais été question. D’entrée de jeu ils ont refusé de reconnaître les GJ comme une possible avant-garde au sein de laquelle ils auraient pu avoir une action. Au « Tous Gilets jaunes » qui nécessitait de laisser tomber tous les vieux oripeaux qui fractionnent la lutte, ils ont préféré, au mieux, le vieux « Tous ensemble » …chacun cote à cote.

Tu dis que les « cadres » politiques ne s’adresseraient qu’aux 30% des ouvriers qualifiés et techniciens, mais c’est en partie faux comme le montre l’action qu’on a mené ensemble à Carrefour-Confluence, manipulé qu’on l’a été par la fraction de gauche de la CGT qui voulait imposer la révolution sans travail militant au préalable (la lutte contre les licenciements, les caisses automatiques, la création d’une section syndicale) se dévoilant ainsi comme complètement hors sol et encore bien plus éloignés de la base que sa fraction droitière. Ce qu’ils ont été incapables d’insuffler ils ont essayé de le reporter sur nous comme si nous étions de nouvelles Brigades rouges faisant peur au patronat, alors qu’eux-mêmes n’était même pas grévistes sur ce coup là, les actions tournantes permettant de camoufler tout le système des permanents, délégations syndicales, heures de RTT, etc.

Contrairement à ce que tu laisses entendre, les GJ ne sont pas tous des précaires où plus exactement leur précarité n’est pas liée à leur statut devenu instable de salariés, mais à une précarité généralisée des conditions de vie qui touchent aussi bien des artisans-commerçants, paysans, étudiants que des salariés précaires ou des retraités. Ce qui relie ces différentes fractions c’est une révolte contre des conditions de vie tout à coup jugées insupportables qu’elles que soient les conditions concrètes du rapport au travail.

C’est cette situation nouvelle qui ne peut être comprise par des « cadres » politiques ou syndicaux tous produits dans le même moule qu’il soit d’origine stalinienne, trotskiste ou libertaire. Il en était déjà de même en 68.

Même les salariés combatifs qui ont soutenu le mouvement des GJ, comme par exemple certains cheminots à Lyon, ont eu du mal à saisir cet aspect quand ils se présentaient à la tribune de l’AG des GJ Lyon le lundi soir « en tant que cheminot » et avec la fierté qui va avec. Non seulement ils n’ont pas compris l’évolution de leur métier qui fait qu’aujourd’hui il y a de moins en moins de « roulants » (l’aristocratie du rail » par rapport au reste du personnel) et que de fait ils entretenaient une histoire illusoire dans la mesure où eux-mêmes ne sont pas des « roulants », mais en plus ils ne comprenaient pas qu’au mieux personne parmi les GJ n’en avait rien à foutre de leur référence et qu’au pire ils étaient exaspérés par leur refus de troquer le gilet rouge contre le gilet jaune.

Pedro reconnaît d’ailleurs ce caractère « inclassable » du mouvement, dans tous les sens du terme. Ce qui ne profite pas à l’extrême gauche du fait de sa vue basse, ne profite pas plus à l’extrême droite qui bénéficie certes d’une implantation électorale en son sein mais s’avère incapable, contrairement aux Ligues fascistes des années 1930, d’orienter la révolte populaire (le 1er décembre 2018 n’a rien de comparable au 6 février 1934 même si éléments d’extrême droit et gauche se sont mêlés dans les deux cas).

Ces deux impossibilités des « extrêmes » à mordre sur le mouvement2 disent justement ce qui le caractérise. Le fait de ne pouvoir être récupéré en l’état parce qu’il a échappé en grande partie à tous les codes politiques et au politiquement correct qui domine dans ce que nous avons appelé « la société capitalisée »

Comme tu le dis « une méthodologie » particulière alliant aussi bien un esprit de lutte qu’une manière de combattre. Mais cette « méthode » ne s’est pas imposée. Elle est trop étrangère au mouvement ouvrier organisé qui a oublié les luttes du tournant des XIX et XXe siècle, le temps des émeutes ruiné par la première guerre mondiale et l’intégration des classes ouvrières dans l’ordre capitaliste à partir des défaites de 1919 et 23 en Allemagne, de 1926 en Angleterre, de 1936-37 en Espagne.

Ce « magnifique mouvement des GJ » comme tu l’appelles ne se situe donc pas, contrairement à ce que tu développes, dans la continuité de la « longue lutte des travailleurs » (ce que nous appelons le fil rouge historique des luttes de classes ») parce qu’il est justement en rupture avec celle-ci et qu’il ne s’y origine pas ; qu’il s’en est même distingué d’entrée de jeu par le fait de mettre en avant les conditions générales de vie plus que les conditions de travail. De façon implicite il a porté la contradiction capital/travail du niveau de la production des marchandises, du profit et de l’exploitation, au niveau de la reproduction des rapports sociaux et de la domination en général (la puissance du capital : dynamique, ce que tu appelles trop faiblement le « débordement » et « révolution du capital »).

Je ne crois pas à la démoralisation au sens où tu l’entends. Du côté GJ, il y a le fait que quoi qu’il arrive, ils ont « décourbé le dos » comme nous l’affirmons dans un texte inédit du livre et si nous sommes loin du compte du point de vue du contenu insurrectionnel qu’a parfois pris le mouvement, les simples résultats quantitatifs ne sont pas négligeables3. Si on compare aux résultats des dernières luttes syndicales cela prouve bien qu’il y a encore des marges de manoeuvre ou du « grain à moudre » par rapport au patronat (cf. aussi la prime de décembre versé par des grandes entreprises) et à L’État.

Pour terminer pour aujourd’hui, nous sommes tous les deux d’accord pour dire que la retombée brutale du mouvement ne doit pas nous amener à quitter le navire pour ne pas couler avec. Il s’agit de l’accompagner en sachant que tous les mouvements reposant sur un évènement, au sens fort du terme, sont nés pour mourir et qu’ils ne peuvent être sauvés par de quelconques mesures d’institutionnalisation, via l’Assemblée des assemblées, le RIC ou même sa substitution modéré en RIP comme il nous a été proposé en AG lundi dernier.

JW, le 1er juillet 2019

  1. Il s’agit du supplément n°7 à Temps critiques, : « Ce qu’il peut rester du mouvement des Gilets jaunes. []
  2. Je ne tiens pas compte ici du rôle des réseaux sociaux qui ont développé parfois des approches complotistes qui ont eu leur influence sur une frange des GJ. []
  3. Pour ma part, si j’ai des revenus de retraite insuffisants pour être imposable je viens de me voir reverser 133 euros de trop payé par rapport à mon changement de taxation CSG sur 4 mois, sans parler du fait que ma pension est peu ou prou réaligné sur l’indexation des salaires. D’ailleurs le gouvernement fait actuellement grand tapage sur ces dépenses non budgétisées et induites par le mouvement. []

Deux séries d’échange sur la question des particularismes

A propos de ce que nous appelons les « particularismes « , ce que certains ont appelé, à l’origine, des « luttes spécifiques », mais qui sont aujourd’hui devenus des prises de position qui exigent des droits particuliers ou spécifiques dans le champ politique, nous avons reçus deux textes dont l’intérêt certain nous a conduit à intervenir et échanger quelques remarques critiques.

Le premier est issu d’un article du dernier numéro de la revue Lignes n°57 et cosigné par Guillaume Wagner et Marina Bodenan. G.Wagner est déjà intervenu sur le blog au cours d’échanges récents cet été que nous avons regroupé sous le titre Communauté humaine et communisme.

Le second est issu du site L’Herbe entre les pavés animé par Max Vincent.

Mais tout d’abord deux mots sur le contexte théorique de la question. L’individualisation/autonomisation de l’individu-démocratique  met en avant une sphère « privée » qui contradictoirement est devenue publique (par le biais des médias et des NTIC) ou se veut publique quand on a affaire aux « particularismes radicaux » qui veulent abolir le privé puisque tout serait politique (néo-féministes, antispécistes, vegans, etc) comme si la vie privée caractérisait l’individu, en dehors de ses rapports sociaux.

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Communauté humaine et communisme

Cet échange entre Guillaume Wagner, Jacques Guigou et Jacques Wajnsztejn nous permet de préciser pourquoi nous avons abandonné la référence au communisme en tant que concept théorique auquel nous avons voulu redonner sa place en tant que concept historique et, à ce titre, concept limité par son lien privilégié à la théorie du prolétariat, un lien qu’il débordait parfois, mais au sein duquel il a été le plus souvent enfermé.
Cet échange est aussi à référer au texte récent de J. Wajnsztejn sur ce blog : Révolution à titre humain et communauté humaine.

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Autre correspondance à partir du texte Grève et « besoin de grève »

Ci-dessous nous publions une autre correspondance faisant suite à la diffusion du texte d’Interventions n°13 Grève et « besoin de grève » du 22 mars 2018.


Mars 2018

Effectivement c’est intéressant. Toutefois un point d’accord fondamental et un désaccord de même niveau : une des positions du texte me fait penser à l’ouvrage de Karl Polanyi « la grande transformation ». C’est parce que la société (et non la société civile) est encastrée dans l’économique que la crise s’amplifie (jusqu’où ?) aussi, Polanyi implorait-il au politique de reprendre sa place et d’encastrer l’économie dans la société pour éviter à nouveau les drames des années 20/30. N’en sommes-nous pas là ?

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A la suite de rapports à la nature, productivisme et critique écologique

L’échange suivant se situe dans la conti­nuité et l’appro­fon­dis­se­ment des textes publiés sur le blog ou sur le site autour de tech­no­lo­gie et capi­tal d’une part et des insuf­fi­san­ces de la cri­ti­que anti­ca­pi­ta­liste d’autre part. Nous proposons ci-dessous l’article Rapports à la nature, productivisme et critique écologique sous une forme enrichie répondant aux remarques de Philippe Pelletier dont le livre est l’un des points de départ de notre critique (Ph. Pelletier  : La cri­ti­que du pro­duc­ti­visme dans les années 1930. Mythe et réalités. Noir et rouge, 2016.)

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